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Dossier : T‑1733‑16

Référence : 2018 CF 1242

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

SHAWN AMOS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Shawn Amos, le demandeur, conteste la déclaration de culpabilité prononcée par un président indépendant aux termes de l’article 24 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (DORS/92‑620) (le Règlement). La contestation prend la forme d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (LRC 1985, c F‑7).

[2]  Le demandeur agit pour son propre compte. Il est actuellement incarcéré dans un pénitencier à sécurité maximale. L’incident pour lequel il a été reconnu coupable s’est produit à l’Établissement de Donnacona, un pénitencier à sécurité maximale situé dans la province de Québec, le 29 juillet 2016. Selon le Rapport de l’infraction d’un détenu et avis de l’accusation daté du 1er août 2016, il a été reconnu coupable de l’infraction disciplinaire décrite ainsi : « Le précité est rapporté pour s’être battue (sic) avec un codétenu. Anderson [...] ». Il faut comprendre que l’infraction dont il est question est prévue à l’alinéa 40h) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (L C 1992, c 20) [la Loi ou la LSCMLC] :

Infractions disciplinaires

Disciplinary offences

40 Est coupable d’une infraction disciplinaire le détenu qui :

40 An inmate commits a disciplinary offence who

[...]

...

h) se livre ou menace de se livrer à des voies de fait ou prend part à un combat;

(h) fights with, assaults or threatens to assault another person;

[...]

...

I.  Contexte juridique

[3]  L’infraction disciplinaire reprochée au demandeur a été désignée comme étant « grave » dans le Rapport de l’infraction d’un détenu et avis de l’accusation, et est passible d’une peine d’isolement. Un tel isolement implique évidemment une restriction supplémentaire à la liberté résiduelle dont jouit un détenu pendant son incarcération. L’article 44 de la LSCMLC prévoit les sanctions disciplinaires qui peuvent être imposées à un détenu déclaré coupable d’infractions disciplinaires, y compris, bien entendu, l’infraction créée par l’alinéa 40h) :

Sanctions disciplinaires

Disciplinary sanctions

44 (1) Le détenu déclaré coupable d’une infraction disciplinaire est, conformément aux règlements pris en vertu des alinéas 96i) et j), passible d’une ou de plusieurs des peines suivantes :

44 (1) An inmate who is found guilty of a disciplinary offence is liable, in accordance with the regulations made under paragraphs 96(i) and (j), to one or more of the following:

a) avertissement ou réprimande;

(a) a warning or reprimand;

b) perte de privilèges;

(b) a loss of privileges;

c) ordre de restitution, notamment à l’égard de tout bien endommagé ou détruit du fait de la perpétration de l’infraction;

(c) an order to make restitution, including in respect of any property that is damaged or destroyed as a result of the offence;

d) amende;

(d) a fine;

e) travaux supplémentaires;

(e) performance of extra duties; and

f) isolement — avec ou sans restriction à l’égard des visites de la famille, des amis ou d’autres personnes de l’extérieur du pénitencier — pour un maximum de trente jours, dans le cas d’une infraction disciplinaire grave.

(f) in the case of a serious disciplinary offence, segregation from other inmates — with or without restrictions on visits with family, friends and other persons from outside the penitentiary — for a maximum of 30 days.

[4]  Pour déclarer un détenu coupable, le président indépendant doit être convaincu hors de tout doute raisonnable, la norme en droit criminel, de la perpétration de l’infraction disciplinaire. La LSCMLC dispose expressément qu’il doit être convaincu « sur la foi de la preuve présentée » (paragraphe 43(3)). La Loi prévoit également la communication, « dans un délai raisonnable avant la prise de décision » de « tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle‑ci, ou un sommaire de ceux‑ci » (paragraphe 27(1)).

[5]  La LSCMLC délègue au Règlement la procédure à suivre lors d’une audition tenue pour trancher la question. Néanmoins, la Loi traite de la question de la présence du détenu à l’audition :

Présence du détenu

Presence of inmate

43(2) L’audition a lieu en présence du détenu sauf dans les cas suivants :

43(2) A hearing mentioned in subsection (1) shall be conducted with the inmate present unless

a) celui‑ci décide de ne pas y assister;

(a) the inmate is voluntarily absent;

b) la personne chargée de l’audition croit, pour des motifs raisonnables, que sa présence mettrait en danger la sécurité de quiconque y assiste;

(b) the person conducting the hearing believes on reasonable grounds that the inmate’s presence would jeopardize the safety of any person present at the hearing; or

c) celui‑ci en perturbe gravement le déroulement.

(c) the inmate seriously disrupts the hearing.

[6]  En l’espèce, il suffira de renvoyer à quelques dispositions du Règlement. Premièrement, l’article 25 prévoit les renseignements minimums que doit contenir l’avis d’accusation d’infraction disciplinaire :

Avis d’accusation d’infraction disciplinaire

Notice of Disciplinary Charges

25 (1) L’avis d’accusation d’infraction disciplinaire doit contenir les renseignements suivants :

25 (1) Notice of a charge of a disciplinary offence shall

a) un énoncé de la conduite qui fait l’objet de l’accusation, y compris la date, l’heure et le lieu de l’infraction disciplinaire reprochée, et un résumé des éléments de preuve à l’appui de l’accusation qui seront présentés à l’audition;

(a) describe the conduct that is the subject of the charge, including the time, date and place of the alleged disciplinary offence, and contain a summary of the evidence to be presented in support of the charge at the hearing; and

b) les date, heure et lieu de l’audition.

(b) state the time, date and place of the hearing.

[Non souligné dans l’original.]

Je constate particulièrement l’obligation de fournir un énoncé de la conduite et un résumé des éléments de preuve qui seront présentés à l’audition.

[7]  Deuxièmement, le Règlement précise la capacité d’un détenu à participer à l’audition. C’est l’article 31 du Règlement qui s’applique :

31 (1) Au cours de l’audition disciplinaire, la personne qui tient l’audition doit, dans des limites raisonnables, donner au détenu qui est accusé la possibilité :

31 (1) The person who conducts a hearing of a disciplinary offence shall give the inmate who is charged a reasonable opportunity at the hearing to

a) d’interroger des témoins par l’intermédiaire de la personne qui tient l’audition, de présenter des éléments de preuve, d’appeler des témoins en sa faveur et d’examiner les pièces et les documents qui vont être pris en considération pour arriver à la décision;

(a) question witnesses through the person conducting the hearing, introduce evidence, call witnesses on the inmate’s behalf and examine exhibits and documents to be considered in the taking of the decision; and

b) de présenter ses observations durant chaque phase de l’audition, y compris quant à la peine qui s’impose.

(b) make submissions during all phases of the hearing, including submissions respecting the appropriate sanction.

[Non souligné dans l’original.]

[8]  Finalement, les auditions disciplinaires doivent être « enregistrées de manière qu’elles puissent faire l’objet d’une révision complète » (paragraphe 33(1)), et tout détenu doit avoir accès, dans des limites raisonnables, à l’enregistrement de son audition disciplinaire (paragraphe 33(3)).

II.  Faits

[9]  L’incident du 29 juillet 2016 s’est produit à peine 2 minutes après l’ouverture des portes de la rangée où se trouvent les cellules, à 8 h 17 min 45 s, pour permettre aux détenus de sortir de la rangée pour prendre leur petit déjeuner, et a pris fin à 8 h 19 min 50 s, lorsque les portes ont été complètement fermées après l’incident survenu entre M. Anderson et M. Amos, qui a commencé vers 8 h 19 min 32 s.

[10]  Selon M. Amos, la confrontation avec M. Anderson a pris naissance deux jours plus tôt. Le 27 juillet 2016, il attendait d’avoir accès au téléphone qui était utilisé par un autre détenu, Tyler Anderson. Comme M. Anderson était resté plus longtemps au téléphone que ce qui était permis, le demandeur l’avait avisé que son temps était écoulé et qu’il y avait une file d’attente de personnes qui voulaient utiliser le téléphone. À la suite de cet échange, un autre détenu du nom de Philipps avait incitait le détenu Anderson à contester l’incident irrespectueux en lien avec l’utilisation du téléphone. Des mots avaient été échangés qui, selon le demandeur, étaient menaçants.

[11]  Le lendemain, la tension a continué à monter. La joute verbale s’est poursuivie. M. Amos affirme que le détenu Anderson lui a jeté du beurre bouillant au visage. Il a pu repousser le liquide bouillant parce qu’il portait des gants et qu’il avait une assiette dans les mains qui avait bloqué le liquide.

[12]  Lors de l’audition disciplinaire, M. Amos a déclaré avoir parlé de l’incident aux gardiens (il a donné le nom d’un certain Labrie). Il semble qu’il y ait corroboration que, dans les faits, un incident impliquant les trois détenus s’est produit le 28 juillet, étant donné que deux gardiens avaient pris position, le 29 juillet, sur une passerelle donnant sur la rangée où se trouvaient les cellules des détenus Anderson et Philipps. M. Amos occupait une cellule située dans une rangée différente qui croisait celle où Anderson et Philipps avaient leurs cellules.

[13]  Les éléments de preuve présentés à l’audition provenaient des deux agents correctionnels qui avaient pris position sur la passerelle. Seul le témoignage de l’un des gardiens est accessible (enregistrement et transcription). Une vidéo d’une caméra de sécurité qui était orientée vers la rangée a également été présentée. M. Amos a également donné sa version de l’incident.

[14]  Le témoignage de l’agent Godbout n’est pas compatible avec ce que l’on peut voir sur la vidéo de sécurité. La difficulté vient en partie du fait que l’audition a été quelque peu chaotique étant donné que le témoin a témoigné en français et que le représentant de l’établissement, agissant à titre de poursuivant, faisait aussi office de traducteur improvisé. Le représentant de l’établissement a également jugé bon de corriger les témoignages et de fournir des renseignements au président indépendant.

[15]  Dans son témoignage, M. Godbout a déclaré que M. Amos attendait à l’extérieur de la rangée. Il a vu les détenus Philipps et Anderson sortir de l’aire commune et entrer dans la rangée. M. Amos a bougé et a mis des gants alors qu’il suivait les deux autres détenus. Les portes commençaient à se refermer et il s’en était pris à M. Anderson, lui assenant un coup de pied. Lorsqu’on lui a demandé la partie du corps qui avait été touchée, il semble que c’était la poitrine ou le torse. Interrogé par le président indépendant sur la réaction de M. Anderson, le témoin a dit qu’il était sorti de sa cellule et qu’il avait donné à M. Amos un coup de poing au visage. Le représentant de l’établissement est intervenu pour corriger M. Godbout : c’est plutôt M. Amos qui a frappé M. Anderson, affirme le témoin une fois la correction apportée. Il dit ensuite que le détenu Philipps courait vers le lieu de l’incident.

[16]  Le représentant de l’établissement est intervenu (il est effectivement intervenu à plusieurs reprises) pour expliquer où se trouvait la passerelle par rapport à la cellule de M. Anderson.

[17]  M. Godbout ne sait pas où M. Amos est allé après l’incident, parce qu’il surveillait constamment les détenus Anderson et Philipps alors qu’il libérait une certaine quantité de gaz pour forcer les détenus à se déplacer vers l’arrière de la rangée, dans la direction opposée des portes de la rangée et de l’endroit où se trouvait la cellule de M. Anderson.

[18]  Le récit de M. Godbout ne correspond pas à ce que l’on peut voir dans la vidéo de sécurité. M. Anderson n’est jamais allé avec M. Philipps dans l’aire commune. M. Philipps est revenu seul de l’aire commune, où il n’était resté que quelques secondes. M. Amos était déjà sorti de cette zone et se tenait debout devant les portes. Lorsque M. Philipps l’a dépassé et est entré dans la rangée, M. Amos l’a suivi et se tenait à quelques mètres derrière lui. Alors qu’il arrivait à la hauteur de la cellule de M. Anderson et que M. Philipps était loin devant lui, il a semblé enfiler un ou deux gants et est entré dans la cellule d’Anderson. Les portes n’étaient pas sur le point de se fermer. Elles se sont bel et bien fermées lorsque le gaz a été libéré, après la confrontation et M. Amos a pu échapper à la fermeture des portes.

[19]  C’est peut‑être en raison du fait que le demandeur était accusé d’avoir pris part à une bagarre que le président indépendant a interrogé l’agent Godbout au sujet de la riposte de M. Anderson. Il semblait que le président indépendant tentait d’établir s’il y avait eu un échange de coups. Dans son témoignage, M. Godbout a déclaré que le détenu Anderson avait tenté de frapper le demandeur. Ce qui s’en est suivi n’est pas très clair, car la traduction anglaise est inexacte et le président indépendant insistait pour obtenir une réponse claire. C’est à ce moment‑là que le témoin a parlé de « coups de poing » assenés par M. Anderson. La vidéo ne montre pas de riposte sous forme de coups de poing donnés par le détenu Anderson.

[20]  Dans le contexte d’un contre‑interrogatoire quelque peu tronqué, le demandeur (même si l’avocat était présent, le demandeur a agi comme s’il n’était pas représenté) a cherché à établir que, contrairement au témoignage de M. Godbout, M. Anderson n’a jamais quitté sa cellule. Le représentant de l’établissement a contribué à corriger le témoignage et a lui‑même témoigné.

[21]  Il est quelque peu surprenant que M. Godbout n’ait pas eu un meilleur souvenir de l’événement, puisqu’il a déclaré dans son témoignage qu’il se trouvait sur la passerelle pour garder un œil sur ces trois détenus compte tenu de l’incident auquel ils avaient pris part la veille.

[22]  Nous comprenons aussi, d’après la tentative lors du contre‑interrogatoire, que M. Amos a essayé d’établir trois moyens de défense possibles. Tout d’abord, il a été accusé d’avoir pris part à un combat avec M. Anderson : il n’y a pas eu de combat puisque le coup de pied et le coup de poing n’ont jamais touché le corps. La crédibilité de M. Godbout était essentielle à sa défense, ce qui pourrait expliquer l’insistance de M. Amos sur les détails de la confrontation. Deuxièmement, M. Amos voulait invoquer le moyen a défense fondé sur la contrainte, puisqu’il renvoyait directement à l’article 17 du Code criminel (Code criminel, LRC, 1985, c C‑46). Troisièmement, s’il y a eu l’incident la veille qui, selon toute vraisemblance, constituait des voies de fait (beurre bouillant), il est possible que la légitime défense ait pu être invoquée. C’est certainement ce qui préoccupe le président indépendant lorsqu’il y fait allusion. Ce n’est pas l’avis du représentant de l’établissement qui est intervenu pour prétendre que les événements des deux jours précédents [traduction« n’ont pas eu d’incidence sur l’accusation dont il est question » (transcription, à la page 29 de 60).

[23]  Puisque M. Godbout a déclaré que M. Amos avait donné un coup de pied à M. Anderson à la poitrine, M. Amos a mené son contre‑interrogatoire afin d’établir sous quel angle se trouvait M. Godbout pour voir à l’intérieur de la cellule. M. Godbout a déclaré que M. Anderson était dans l’encadrement de la porte de la cellule lorsque M. Amos lui a donné un coup de pied. Cela lui aurait permis de voir la scène assez distinctement. La vidéo de sécurité montrera que M. Amos est entré dans la cellule : M. Anderson ne se trouvait pas dans l’encadrement de la porte. De plus, le témoin a vu M. Amos attendre à l’extérieur de la rangée les bras croisés, alors que M. Philipps passait devant lui. Cela ne correspond pas à ce que montre la vidéo de sécurité. Le témoignage de M. Godbout selon lequel M. Phillips s’est dirigé vers la cellule du détenu Anderson au moment de l’incident en courant avec un t‑shirt qui couvrait sa bouche ne concorde pas non plus avec le contenu de la vidéo : il s’est plutôt retourné et a marché un peu vite avec une serviette ou un t‑shirt dans ses mains. Le président indépendant a brusquement mis fin au contre‑interrogatoire (transcription, à la page 36 de 60).

[24]  La description détaillée de l’interrogatoire du seul véritable témoin de l’incident dans ce dossier n’a pas pour but de déterminer ce qui s’est passé. Elle vise plutôt à montrer que M. Amos avait ses raisons de contre‑interroger M. Godbout. De plus, il n’a pas été autorisé à procéder à un contre‑interrogatoire complet et, en fait, son avocat non plus, dont le rôle était négligeable (transcription, à la page 36 de 60).

[25]  Compte tenu du témoignage de M. Amos, qui comprenait les événements qui ont mené à la confrontation du 29 juillet, il avait certainement une marge de manœuvre pour fournir des explications, compte tenu des nombreuses divergences. Certes, le témoignage de M. Amos laissait quelque peu à désirer. Ainsi, il déclare dans son témoignage qu’il portait ses gants lorsqu’il était sorti de la rangée, environ dix secondes après l’ouverture des portes à 8 h 17 min 45 s. La vidéo de sécurité donne à penser autrement. De même, son récit au sujet de la période d’une minute et quinze secondes pendant laquelle M. Amos était dans l’aire commune, où il prétend que Philipps et lui avaient échangé quelques mots de plus, est peu probable. Bien que la vidéo de sécurité ne soit pas claire, elle donne à penser que M. Philipps n’a pas prononcé de mots en direction de M. Amos ou de M. Anderson lorsqu’il a été filmé alors qu’il revenait de l’aire commune vers 8 h 19 min 21 s et qu’il se dirigeait vers sa cellule au fond de la rangée. M. Amos a affirmé dans son témoignage que M. Philipps l’avait invité dans sa cellule et qu’il avait dit à M. Anderson, alors qu’il passait devant sa cellule : [traduction« Anderson, attrape le truc » (transcription, à la page 41 de 60).

[26]  M. Amos a déclaré qu’il n’a jamais communiqué avec M. Anderson. J’ai eu de la difficulté à le constater à partir de la vidéo de sécurité, bien qu’il ne fasse aucun doute qu’un coup de pied et un coup de poing en direction du détenu Anderson peuvent être constatés sur la vidéo.

[27]  Le représentant de l’établissement a commencé son résumé immédiatement après. Il se renvoie à un rapport d’observation daté du 29 juillet 2016, moins de deux heures après l’incident, provenant d’un autre gardien [traduction« affirmant approximativement la même chose » (transcription, à la page 44 de 60). C’est surprenant. Le récit fait par le gardien parle de coups de poing donnés par M. Amos au détenu Anderson dans sa cellule et d’autres coups de poing qui sont assenés à l’extérieur de la cellule. Il y a eu un coup de pied et un coup de poing. Et il n’est pas clair si l’un ou l’autre a atteint la cible. Ce témoin, qui a produit le rapport d’observation et qui n’a jamais témoigné, a également précisé dans son rapport qu’il avait demandé aux détenus Anderson et Philipps (que l’agent a désigné comme étant « aussi directement impliqué dans la bataille ») s’ils étaient blessés et avoir « personnellement vérifié l’état de santé ».

[28]  Il semble que le président indépendant n’a pas été très clair, parce qu’il s’enquiert au sujet de la présence d’une autre personne sur la passerelle. Il est avisé qu’il y avait un deuxième gardien, un dénommé « Keays ». Je constate que son nom figure sur le Rapport de l’infraction d’un détenu et avis de l’accusation, le document qui vise à satisfaire aux exigences prévues à l’article 25 du Règlement, qui exige que soit communiqué « un résumé des éléments de preuve à l’appui de l’accusation qui seront présentés à l’audition ». Je constate en outre que l’auteur du rapport d’observation ne figure même pas sur ce document. Je crois savoir que M. Keays a témoigné le 13 septembre 2016, mais son témoignage n’est pas accessible, ce qui est contraire à l’article 33 du Règlement. Nous comprenons maintenant que M. Keays a témoigné le 13 septembre et qu’il y a eu des discussions au sujet du recours à la vidéo de sécurité. Cette partie du dossier n’est pas accessible.

[29]  L’audition a repris le 15 septembre 2016. Selon la transcription, il semble qu’il était nécessaire de recourir à la vidéo de sécurité qui est apparue le 13 septembre. Le 15 septembre, le représentant de l’établissement a proposé que la vidéo soit visionnée, mais sans la présence du détenu Amos pour des raisons de sécurité. Ces motifs n’ont pas été précisés lors de l’audition.

[30]  Le représentant de l’établissement a formulé des commentaires tout au long du visionnement de la vidéo de sécurité, en donnant son interprétation de la vidéo et ajoutant de l’information. Le représentant laisse fortement entendre qu’il y a eu un coup au visage. En effet, il va jusqu’à dire, alors que M. Amos n’est toujours pas dans la pièce, que le détenu Anderson avait le visage enflé et une ecchymose sur le visage (transcription, à la page 52 de 60). Non seulement cela n’a pas été produit en preuve, mais cette déclaration du représentant contredit le rapport d’observation d’un autre agent, qui n’a pas témoigné et qui a affirmé qu’Amos avait donné de nombreux coups de poing dans la cellule et à l’extérieur, et qui a personnellement évalué l’état de santé d’Anderson.

[31]  Après avoir visionné la vidéo de sécurité, le président indépendant a conclu immédiatement que M. Amos a menti. Sans avoir entendu M. Amos, qui n’a pas vu la vidéo et qui n’a même pas reçu une description détaillée de ce que l’on peut voir dans cette vidéo, le président indépendant a déclaré le demandeur coupable de l’accusation portée contre lui (transcription, aux pages 53, 54 et 55 de 60).

[32]  M. Amos n’a jamais été en mesure d’avancer des arguments complets au sujet de l’absence de contact physique et de sa défense qu’il a présentée comme étant une défense fondée sur la contrainte. Les éléments susceptibles d’appuyer la légitime défense ont été abrégés. En un mot, le demandeur n’a pas été autorisé à présenter des observations, contrairement à ce que dispose l’alinéa 31(1)b) du Règlement.

[33]  En ce qui concerne la sanction, le représentant de l’établissement a fait allusion à un incident antérieur de nature agressive qui n’a jamais été érigé en infraction disciplinaire, seulement pour dire qu’il ne s’était pas appuyé sur cet autre incident, pas devant le président indépendant, pour proposer une sanction plus sévère que celle qui est prévue dans les lignes directrices (3 jours en isolement, sans télévision).

[34]  Par conséquent, le président indépendant a déclaré que le demandeur est [traduction« coupable d’avoir agressé un autre détenu » (transcription, à la page 59 de 60), pour ensuite être corrigé par les représentants de l’établissement qui ont déclaré [traduction« qu’il est écrit sur l’ordinateur qu’il a participé à la bagarre ». M. Amos a été condamné à 5 jours d’isolement, sans télévision, et à une amende de 35 $ avec sursis pour une période de 90 jours.

III.  Arguments

[35]  La demande de contrôle judiciaire a été présentée le 14 octobre 2016. Si l’affaire a été portée devant la Cour plus de deux ans plus tard, c’est en grande partie en raison des difficultés rencontrées par le demandeur pour compléter son dossier. Il a quitté l’Établissement de Donnacona peu après l’incident et a été détenu en Colombie‑Britannique. Il a depuis été transféré de nouveau, cette fois à l’Établissement de Millhaven, en Ontario.

[36]  Le demandeur, qui agit pour son propre compte devant la Cour, présente un certain nombre d’arguments à l’appui de sa demande. Je résumerai ses arguments de la manière suivante :

L’article 37 a été abrogé en 2012 (2012, c 9, article 2).

[37]  Les réparations suivantes sont demandées dans l’avis de demande :

  1. Une ordonnance annulant le verdict. On devrait donner l’occasion de présenter une défense pleine et entière.

  2. 2. Une ordonnance exigeant la production des vidéos de sécurité couvrant certaines périodes pour les 27, 28 et 29 juillet 2016, ainsi que l’occasion d’examiner les vidéos en question.

  3. 3. Une déclaration selon laquelle l’alinéa 40h) est nul pour cause d’imprécision.

[38]  Le demandeur a fait valoir qu’il existait des motifs raisonnables pour les défenses fondées sur la contrainte et la légitime défense. En effet, le demandeur s’est fondé sur sa version des faits. En outre, il affirme que l’établissement n’a pas réussi à fournir un milieu sécuritaire.

[39]  En s’appuyant sur l’arrêt May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] 3 RCS 809 [May], le demandeur soutient que l’obligation de communication prévue à l’article 27 de la Loi n’a pas été respectée. Il aurait dû recevoir les déclarations des témoins, les détails de l’accusation portée contre lui et la vidéo de surveillance, ou du moins les motifs justifiant la non‑production des éléments de preuve.

[40]  De l’avis du demandeur, il n’a pas eu l’occasion d’être entendu par un décideur juste et impartial. Il a précisé sa plainte en affirmant qu’il avait été privé de sa capacité à réaliser ce qui suit :

[41]  Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur a demandé diverses mesures de redressement, dont certaines ne figuraient pas dans la demande initiale, à l’exception de l’annulation de la décision du président indépendant et de la radiation, dans les dossiers, de tous les renvois à la condamnation du 15 septembre 2016. Le demandeur a sollicité les conclusions suivantes qui vont au‑delà de l’affaire dont est directement saisie la Cour :

  • · ORDONNER à tous les pénitenciers du Service correctionnel Canada (SCC) de rendre obligatoire l’échange préliminaire de renseignements concernant toutes les auditions relatives à des infractions disciplinaires graves.

  • · ORDONNER au SCC de faire des programmes de prévention de la violence pour toutes les personnes dans les établissements à sécurité maximale une priorité absolue.

  • · ORDONNER au SCC de mettre fin à toutes les pratiques qui facilitent la violence entre détenus afin de contrôler le comportement de la population carcérale.

[42]  Pour sa part, la procureure générale soutient que les deux questions soumises au président indépendant étaient de savoir si le demandeur avait pris part à un combat et s’il avait agi en légitime défense. La décision de déclarer le demandeur coupable était raisonnable. En outre, le demandeur a bénéficié de l’équité procédurale.

[43]  Quant aux arguments suivants qui n’ont pas été soulevés à l’audition devant le président indépendant, ils ne peuvent l’être maintenant : la communication complète, la définition de l’expression « prendre part à un combat », le visionnement de la vidéo de sécurité, le défaut du SCC de fournir un milieu sécuritaire et l’imprécision inconstitutionnelle de l’alinéa 40h) de la Loi.

IV.  Norme de contrôle et analyse

[44]  Les décisions des présidents indépendants portant sur des questions mixtes de fait et de droit méritent déférence : elles sont examinées selon la norme de la décision raisonnable (L’Espérance c Canada (Procureur général), 2016 CAF 306 [L’Espérance]; Chshukina c Canada (Procureur général), 2016 CF 662; Akhlaghi c Canada (Procureur général), 2017 CF 912). L’interprétation d’une loi étroitement liée au mandat d’un tribunal qui en a une connaissance approfondie appelle également la norme de la décision raisonnable (Democracy Watch c Canada (Procureur général), 2018 CAF 194). Par ailleurs, c’est la norme de la décision correcte qui prévaudra lorsque la question en est une d’équité procédurale (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502, au paragraphe 79; Charles c Canada (Procureur général), 2017 CF 435.

[45]  À mon avis, le verdict de culpabilité doit être annulé de même que la décision en raison des nombreuses violations des principes d’équité procédurale qui s’appliquent dans des situations commes en l’espèce.

[46]  La procureure générale a concédé à l’audience de cette affaire que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie partiellement, sans dépens, uniquement au motif que l’audition disciplinaire n’a pas été enregistrée en entier. La Cour a été informée qu’il manquerait peut‑être une demi‑journée d’audience.

[47]  La procureure générale a eu raison de concéder que l’absence d’un dossier suffisant était problématique. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Toutefois, elle a également insisté sur le fait qu’il était inutile d’envisager d’autres manquements possibles à l’équité procédurale compte tenu de la concession faite. Elle a soutenu que l’avocat était présent à l’audition, bien que la transcription dont on dispose et l’enregistrement de l’audition montrent que l’avocat était, à toutes fins utiles, silencieux tout au long de l’audition.

[48]  Il était quelque peu surprenant que la procureure générale adopte une telle position, car la Cour avait rejeté sa tentative antérieure de faire trancher l’affaire sur le même fondement restreint. Dans une ordonnance datée du 3 avril 2018, mon collègue, le juge St‑Louis, a rejeté une requête visant à faire droit en partie à la demande de contrôle judiciaire pour le même motif restreint présenté à l’audience de cette affaire. Il convient de souligner les considérations suivantes :

[traduction]

[...]

ET CONSIDÉRANT la jurisprudence nous enseigne que, en matière de droit public, l’avocat du ministre doit fournir une justification convaincante de son consentement à l’annulation de la décision (Johnson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1262 au paragraphe 14 ; Douglas c Canada, [1993] 1 CF 264, 12 CRR (2d) 284, 19 CHRRD/76, au paragraphe 18) et que la Cour « ne se prête pas à ce que son propre dossier public révélerait comme étant une décision "pas de questions" » (Kirubagaran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 1995), 31 Imm LR (2d) 35 (Fed TD) au para 7 [Kirubagaran].

[...]

[Caractères gras dans l’original; non souligné dans l’original.]

[49]  C’est ainsi que, à première vue, le dossier dont dispose la Cour révèle de nombreux manquements à l’équité procédurale. La détermination de ces lacunes pourrait servir à des fins éducatives. Selon le sens ordinaire des dispositions de la Loi et du Règlement, l’audition s’est déroulée d’une manière non conforme à la loi visant à assurer l’équité. Le demandeur se plaint explicitement de la communication insuffisante de renseignements et de la façon dont l’audition s’est déroulée.

[50]  Le défendeur soutient qu’il est trop tard pour soulever ce genre de questions, car elles auraient dû être soulevées devant le président indépendant. Bien qu’il s’agisse d’un argument solide lorsqu’une question qui aurait pu être soulevée devant un tribunal ne l’a pas été, par exemple pour des raisons stratégiques, il n’en demeure pas moins que la cour supérieure chargée du contrôle judiciaire a le pouvoir discrétionnaire d’examiner une question pour la première fois, à moins qu’il ne soit pas approprié de le faire. Dans l’arrêt Alberta (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, [2011] 3 RCS 654, la Cour suprême du Canada a reconnu ce pouvoir discrétionnaire. Elle a également indiqué les circonstances qui devraient être examinées par la juridiction de révision (paragraphes 22 à 26).

[51]  Il est bien entendu possible de soulever la question devant le tribunal. Dans cette affaire, le détenu était à tout le moins une partie vulnérable. J’ai lu la transcription disponible plusieurs fois et j’ai écouté l’enregistrement. Je ne doute pas qu’il n’était pas possible de soulever des préoccupations à l’audition des 13 et 15 septembre 2016. En effet, lorsque les observations ont été autorisées à être présentées, elles ont été considérablement restreintes.

[52]  Je suis conscient du fait que le législateur a confié la détermination de la discipline pénitentiaire à un président indépendant. Toutefois, les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte, étant donné que l’on ne peut pas dire qu’elles se rapportent à l’expertise du tribunal. La Cour n’est pas privée du bénéfice de l’expertise à l’égard du dossier de la preuve qui serait par ailleurs nécessaire pour examiner adéquatement la question.

[53]  Les tribunaux pourraient hésiter à intervenir, même sur des questions d’équité procédurale, lorsque la situation aurait pu être corrigée si la question avait été soulevée devant le tribunal. Ce n’est malheureusement pas le cas en l’espèce. Quoi qu’il en soit, comme l’a concédé le défendeur, la décision doit être annulée. Il s’agit simplement de déterminer d’autres lacunes qui devraient être corrigées à l’avenir.

[54]  Étant donné que M. Amos a été accusé d’une infraction disciplinaire grave, sa liberté résiduelle dont il devait jouir dans un pénitencier à sécurité maximale était restreinte davantage par l’isolement à l’égard d’autres prisonniers et l’interdiction de regarder la télévision (alinéa 44(1)f) de la Loi).

[55]  Il y a obligation d’équité procédurale lorsqu’un organisme public rend une décision qui touche les droits, privilèges ou biens d’une personne. Ce n’est pas nouveau et ce n’est pas nouveau dans les pénitenciers (Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, 1985; Martineau c Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 RCS 602). Les exigences en matière d’équité procédurale varient selon un ensemble de circonstances données (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 22). Les critères dont il faut tenir compte pour déterminer l’étendue des exigences en matière d’équité procédurale dans des circonstances données ont été utilement résumés dans l’ Congrégation des témoins de Jéhovah de St‑Jérôme‑Lafontaine c Lafontaine (Village), 2004 CSC 48, [2004] 2 RCS 650 :

5  Le contenu de l’obligation d’équité qui incombe à un organisme public varie en fonction de cinq facteurs : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi par l’organisme public pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les dispositions législatives précises en vertu desquelles agit l’organisme public; (3) l’importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la partie qui conteste la décision; et (5) la nature du respect dû à l’organisme : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Je suis d’avis, après avoir examiné les faits et les dispositions législatives en jeu dans le présent pourvoi, que ces facteurs imposent à la municipalité l’obligation d’exprimer les motifs de son refus d’acquiescer à la deuxième et à la troisième demande de modification de zonage présentées par la Congrégation.

[56]  En l’espèce, il est clair que l’importance de la décision pour le demandeur est considérable puisqu’il risquait de perdre son droit à la liberté résiduelle pour une période maximale de 30 jours. En outre, la loi dispose que le détenu ne puisse être déclaré coupable que si le décideur est convaincu hors de tout doute raisonnable, ce qui est la plus haute exigence de la Loi (paragraphe 43(3) de la Loi). Le verdict de culpabilité doit être fondé sur la preuve présentée à l’audition (paragraphe 43(3) de la Loi) à laquelle le détenu doit être présent, sauf dans trois cas (paragraphe 43(2) de la Loi).

[57]  La Loi impose au SCC ce que la Cour suprême du Canada a appelé une lourde obligation de communication dans l’arrêt May (précité, aux paragraphes 95 et 96) :

95.  Afin d’assurer l’équité des décisions touchant les détenus, le par. 27(1) de la LSCMLC impose au SCC une lourde obligation de communication. Cette disposition exige que le SCC communique au délinquant, dans un délai raisonnable avant la prise de la décision, « tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle‑ci, ou un sommaire de ceux‑ci ».

96.  Le fait que le législateur a précisé les circonstances dans lesquelles le SCC peut refuser de communiquer des renseignements confirme l’ampleur de l’exigence de communication prévue au par. 27(1) :

  27...

  (3) Sauf dans le cas des infractions disciplinaires, le commissaire peut autoriser, dans la mesure jugée strictement nécessaire toutefois, le refus de communiquer des renseignements au délinquant s’il a des motifs raisonnables de croire que cette communication mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête licite.

[Souligné dans l’original.]

En outre, la Loi délègue au Règlement la procédure à suivre lors d’une audition disciplinaire. Ainsi, le Règlement rend obligatoire l’enregistrement des auditions « de manière qu’elles puissent faire l’objet d’une révision complète » (paragraphe 33(1) du Règlement).

[58]  Il ne suffit pas que le détenu puisse participer. Il a aussi droit à une décision. L’article 32 du Règlement est ainsi libellé :

32 (1) La personne qui tient l’audition disciplinaire doit rendre sa décision aussitôt que possible après l’audition.

32 (1) The person who conducts a hearing of a disciplinary offence shall render a decision as soon as practicable after conducting the hearing.

(2) Aussitôt que possible après que la décision a été rendue, le directeur du pénitencier doit veiller à ce que le détenu en reçoive copie.

(2) The institutional head shall ensure that an inmate is given a copy of the decision of the hearing of the inmate’s case as soon as practicable after the decision is rendered.

Cela doit certainement supposer que l’on expose les motifs pour justifier un verdict.

[59]  En l’espèce, on peut affirmer qu’aucune des exigences prévues par la loi n’a reçu l’attention qu’elles méritaient. L’équité procédurale était, au mieux, une réflexion faite après coup et non à l’avant‑plan. Premièrement, une partie de l’audition du 13 septembre 2016 a disparu : un examen complet de l’audition est impossible puisque le témoignage du témoin Keays n’est pas accessible, de même que la discussion menant à la décision de visionner la vidéo de sécurité. Le défendeur a déjà reconnu que cette lacune requiert que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. Cet élément de preuve (vidéo de sécurité) qui s’est avéré essentiel a été présenté alors que le demandeur était absent. Aucun substitut, comme une description détaillée de ce qui figurait sur la vidéo, n’a été fourni. La Loi précise clairement que la présence du détenu est obligatoire. La Loi prévoit que l’audition « a lieu en présence du détenu » (article 43). La Loi d’interprétation (L RC 1985, c I‑25) prévoit que « [l]’obligation s’exprime essentiellement par l’indicatif présent du verbe porteur de sens principal » (article 11). Les exceptions au principe devraient être interprétées de manière restrictive. Plus important encore, le demandeur n’a jamais su (en fait jusqu’à ce jour) les éléments de preuve sur lesquels on s’est fondé pour le déclarer coupable. En supposant qu’il existe des raisons de sécurité valables de ne pas permettre au détenu de connaître le champ couvert par les caméras de sécurité, je ne vois aucune raison pour laquelle il ne serait pas possible de décrire en détail la scène qui dure, de l’ouverture des portes à leur fermeture, environ deux minutes. Ainsi, les divergences évidentes entre le témoignage de M. Godbout et le rapport d’observation d’un autre gardien, et ce qui est apparu à l’écran, n’ont jamais été prises en considération. Bien que M. Amos ait été blâmé pour avoir déclaré qu’il avait porté ses gants de 8 h 18 à 8 h 19 min 50 s, après la fermeture des portes et après l’incident, et non qu’il les a enfilés lorsqu’il a atteint la cellule du détenu Anderson, comme le suggère la vidéo, les divergences importantes entre la vidéo et la preuve présentée par l’établissement ne sont même pas prises en compte. Ces divergences ne sont pas négligeables puisque le demandeur prétend que son coup de pied et son coup de poing n’ont jamais atteint sa victime. Cet élément avait son importance parce que le demandeur a soutenu qu’il n’y avait pas eu de bagarre avec Anderson. La preuve est au mieux ambiguë : il semble qu’il y ait eu voies de fait, mais était‑ce une bagarre avec un détenu?

[60]  La lourde obligation de communication n’a pas été remplie. Le seul renseignement fourni au détenu était l’identité de trois témoins, dont deux ont fini par témoigner, ainsi que l’accusation décrite comme ainsi : « Le précité est rapporté pour s’être battue (sic) avec un codétenu. Anderson [...] ». Si le rapport d’observation a été communiqué au demandeur avant l’audience, il n’existe aucune preuve à cet égard. Si cela a été fait, ce n’est pas documenté et il n’est pas précisé qu’il a été communiqué au détenu. Comme l’a fait remarquer le défendeur à l’audience devant la Cour, il semble que le représentant de l’établissement y renvoie au début de la première audition, le 9 août, lorsqu’il déclare [traduction« [v]oici le dossier. Il y a un rapport d’observation qui y est annexé ». Dans l’arrêt May, la Cour suprême du Canada a pris soin de limiter la communication de renseignements parce que le transfèrement d’un détenu, comme dans cette affaire, est une question administrative qui n’entraîne pas l’application de la norme de communication établie dans l’arrêt Stinchcombe; pourtant, elle a souligné le libellé de l’article 27 de la Loi : « tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle‑ci, ou un sommaire de ceux‑ci ». Non seulement la communication a considérablement fait défaut, mais la vidéo de surveillance n’a pas été communiquée à l’avance et son contenu n’a pas été décrit en détail puisqu’elle a été utilisée lors de l’audition alors que M. Amos se trouvait à l’extérieur de la salle d’audition.

[61]  La participation du demandeur a donc été considérablement restreinte. Cela ne veut pas dire qu’un détenu peut tenir des propos incohérents. Mais même lorsque M. Amos était dans la salle d’audition, il n’a pas été autorisé à interroger adéquatement le témoin Godbout (alinéa 31(1)a) du Règlement) pour établir que, de son point d’observation, il n’aurait pas pu voir le coup de pied donné à M. Anderson par M. Amos, parce que cet événement s’est principalement déroulé dans la cellule d’Anderson. S’il y avait été autorisé, M. Amos aurait peut‑être voulu poser davantage de questions au sujet du coup de poing qu’il avait donné à M. Anderson lorsqu’il était sorti de sa cellule qui, selon M. Amos, n’a jamais atteint sa cible. L’interrogatoire avait un but clair.

[62]  L’élément essentiel n’est pas de déterminer si le coup de pied et le coup de poing ont atteint ou non leur cible. Il s’agit plutôt de déterminer si M. Amos avait le droit d’établir des faits qui auraient pu appuyer son argument selon lequel la confrontation ne constituait pas un combat avec Anderson. Il ne fait aucun doute que la confrontation n’aurait pas pu constituer des voies de fait selon le Code criminel (article 265) et la common law. Toutefois, le demandeur a soutenu que ce qui s’est passé ne constituait pas un combat, l’infraction pour laquelle il a été accusé. La question de savoir s’il s’agit d’une thèse qui peut être admise ou non n’est pas un point que la Cour doit trancher, mais plutôt le décideur. Le président aurait eu à décider si des voies de fait et un combat avec une personne constituent une seule et même chose selon une interprétation de l’alinéa 44h) de la Loi. S’ils ne constituent pas la même chose, quelle est la définition d’un « combat »? Il s’agit toutefois d’une question d’équité procédurale de permettre au détenu de faire valoir son point de vue et d’établir les éléments de sa thèse.

[63]  Compte tenu de ces manquements aux exigences procédurales prévues par la loi, la décision ne peut être maintenue. Mais il y a bien plus. Le représentant de l’établissement est constamment intervenu dans la procédure pour corriger le témoignage qui était donné et présenter sa propre preuve, y compris pour affirmer que le détenu Anderson avait une ecchymose au visage (et qu’il était enflé) malgré l’information contraire figurant dans le rapport d’observation d’un autre agent (qui n’a pas témoigné). De plus, ce genre d’information dommageable, qui tend à contredire le témoignage de M. Amos en confirmant que le coup de poing a atteint sa cible, a été fourni alors que M. Amos n’était pas dans la salle d’audience. Il s’agit d’une façon inacceptable de procéder lorsque la personne est susceptible de voir sa liberté réduite encore davantage comme ce fut le cas. Ce qui constituait probablement les renseignements accablants – si l’on accepte le commentaire exagéré formulé par le représentant de l’établissement à l’aide d’une vidéo qui est incompatible avec le témoignage d’un témoin (nous ne savons pas pour l’autre) et le rapport d’observation d’un autre agent – a été présenté alors que la personne la plus importante, la personne accusée d’une infraction disciplinaire grave, était absente.

[64]  Le décideur n’a jamais autorisé la présentation d’observations avant de rendre sa décision, tout de suite après avoir visionné la vidéo de sécurité accompagnée des commentaires du représentant de l’établissement. La décision avait été prise. La question de savoir si la confrontation constituait l’infraction reprochée ou si les moyens de défense fondés sur la légitime défense et la contrainte auraient dû être pris en compte n’a jamais été tranchée, parce que le demandeur n’a pas été autorisé à plaider sa cause.

[65]  Enfin, je n’ai pu trouver nulle part la considération que doit accorder le décideur à plusieurs facteurs énumérés à l’article 34 du Règlement avant d’imposer une peine. Il s’agit notamment de la part de responsabilité du détenu (qui a soutenu la protection personnelle), de ce qui constitue la mesure la moins restrictive possible dans les circonstances, de toutes les circonstances, atténuantes ou aggravantes, qui sont pertinentes et des peines infligées dans des circonstances semblables. Ainsi, le décideur a imposé une peine plus sévère que celle prévue par les lignes directrices et n’a pas tenu compte de façon plus exhaustive des circonstances de l’affaire.

[66]  Compte tenu de la nature de la décision et du processus décisionnel utilisé, de la nature du régime législatif et de l’importance de la décision pour la personne en cause, ces facteurs militent en faveur d’une protection procédurale accrue. La loi prévoit déjà une protection procédurale importante. Les autres manquements à l’équité procédurale commandent des exigences accrues en matière d’équité procédurale. Je m’abstiens de formuler des commentaires sur l’utilisation de la traduction à l’audition qui me semble loin d’être idéale (Mazraani c Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc, 2018 CSC 50) étant donné que la question n’a été ni soulevée ni entièrement débattue. La souplesse dont doit faire preuve le système disciplinaire dans un milieu pénitentiaire exige un examen approfondi fondé sur un dossier plus complet.

[67]  Il s’ensuit qu’en présence d’un processus très déficient, dont l’une des déficiences importantes a déjà été reconnue par le défendeur, il n’y a d’autre choix que d’annuler la décision. Cela suffit pour statuer sur la demande de contrôle judiciaire. Néanmoins, je crois qu’il vaut la peine de commenter certains aspects des arguments du demandeur.

[68]  M. Amos a soutenu depuis le début qu’il devrait être acquitté en raison de sa défense fondée sur la contrainte. Je crains que le moyen de défense du demandeur n’ait jamais été à sa disposition en droit. Il a invoqué l’article 17 du Code criminel. Une partie de cette disposition a été jugée inconstitutionnelle (R c Ruzic, 2001 CSC 24, [2001] 1 RCS 687). Néanmoins, la common law continue de s’appliquer et le moyen de défense est prévu dans notre droit, mais il n’est pas compatible avec l’utilisation que le demandeur a cherché à en faire. En fait, il y a eu confusion entre la défense fondée sur la contrainte et celle fondée sur la légitime.

[69]  La Cour suprême a confirmé dans l’arrêt R. c Ryan, 2013 CSC 3, [2013] 1 RCS 14 [Ryan] qu’il existe une différence fondamentale entre la contrainte et la légitime défense : la contrainte constitue une excuse alors que la légitime défense est une justification. Plus important encore pour ce qui nous occupe, le moyen de défense fondé sur la contrainte peut seulement être invoqué lorsque l’infraction est commise sous la contrainte d’une menace proférée dans le but de forcer l’accusé à commettre cette infraction. L’arrêt L’Espérance (précité) constitue un exemple du moyen de défense fondé sur la contrainte dans un établissement. Dans cette affaire, le détenu était en possession d’ingrédients nécessaires à la fabrication d’alcool frelaté sous la menace d’autres détenus. Comme l’a affirmé la Cour dans l’arrêt Ryan, « [l]a contrainte est, et doit demeurer, un moyen de défense qui ne peut être invoqué que dans des cas où l’accusé a été forcé de commettre une infraction précise en réplique à des menaces de mort ou de lésions corporelles. » La différence entre la contrainte et la légitime défense est illustrée au paragraphe suivant :

[30]  Ce principe se pose avec encore plus de clarté lorsque l’on tient compte — comme nous l’avons déjà expliqué — des distinctions fondamentales qui existent entre les deux moyens de défense. Non seulement l’un des moyens de défense est une justification et l’autre une excuse, mais les deux moyens permettent aussi à l’accusé d’éviter une punition dans des situations tout à fait différentes. Si, par exemple, l’accusé a été menacé de mort ou de lésions corporelles sans aucun élément de contrainte, son seul recours est la légitime défense. Si, par contre, il a été contraint de commettre un acte illégal précis en réplique à des menaces de mort ou de lésions corporelles, la contrainte est le moyen de défense qu’il peut invoquer. Dans le cas de menace sans contrainte, l’accusé ne peut invoquer le moyen de défense fondé sur la contrainte simplement parce qu’il n’a pas employé la force directe et que, par conséquent, il n’est pas autorisé à invoquer les dispositions du Code portant sur la légitime défense. Dans ses commentaires sur la possibilité d’invoquer la contrainte « pure » (par opposition à la contrainte résultant des circonstances, qui constitue un moyen de défense tout à fait différent) Dennis J. Baker, le dernier auteur à avoir revu l’ouvrage de Glanville Williams, écrit : [traduction] « [e]n principe, la perpétration de l’infraction doit être expressément ou implicitement ordonnée par le malfaiteur, cet ordre étant appuyé par ses menaces (ou le défendeur doit avoir eu le sentiment qu’il en était ainsi.) [. . .] Pour des raisons de justice, le moyen de défense ne devrait pouvoir être invoqué que lorsque le défendeur commet un crime qu’il a été directement contraint de commettre » (Textbook of Criminal Law (3e éd. 2012), par. 25‑037 et 25‑039).

[Non souligné dans l’original.]

Les voies de fait perpétrées par M. Amos n’ont été une contrainte imposée par qui que ce soit d’autre que lui‑même, qui s’est senti obligé de faire quelque chose pour se protéger.

[70]  Le moyen de défense fondée sur la légitime défense a été reformulé dans le Code criminel en 2012. La disposition est maintenant ainsi libellée :

Défense — emploi ou menace d’emploi de la force

Defence — use or threat of force

34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :

34 (1) A person is not guilty of an offence if

a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne;

(a) they believe on reasonable grounds that force is being used against them or another person or that a threat of force is being made against them or another person;

b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger — ou de défendre ou de protéger une autre personne — contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force;

(b) the act that constitutes the offence is committed for the purpose of defending or protecting themselves or the other person from that use or threat of force; and

c) agit de façon raisonnable dans les circonstances.

(c) the act committed is reasonable in the circumstances.

En blanc

blank

Facteurs

Factors

(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :

(2) In determining whether the act committed is reasonable in the circumstances, the court shall consider the relevant circumstances of the person, the other parties and the act, including, but not limited to, the following factors:

a) la nature de la force ou de la menace;

(a) the nature of the force or threat;

b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel;

(b) the extent to which the use of force was imminent and whether there were other means available to respond to the potential use of force;

c) le rôle joué par la personne lors de l’incident;

(c) the person’s role in the incident;

d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme;

(d) whether any party to the incident used or threatened to use a weapon;

e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause;

(e) the size, age, gender and physical capabilities of the parties to the incident;

f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;

(f) the nature, duration and history of any relationship between the parties to the incident, including any prior use or threat of force and the nature of that force or threat;

f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause;

(f.1) any history of interaction or communication between the parties to the incident;

g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force;

(g) the nature and proportionality of the person’s response to the use or threat of force; and

h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime.

(h) whether the act committed was in response to a use or threat of force that the person knew was lawful.

Exception

No defence

(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas si une personne emploie ou menace d’employer la force en vue d’accomplir un acte qu’elle a l’obligation ou l’autorisation légale d’accomplir pour l’exécution ou le contrôle d’application de la loi, sauf si l’auteur de l’acte constituant l’infraction croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle n’agit pas de façon légitime. L.R. (1985), ch. C‑46, art. 34; 1992, ch. 1, art. 60(F); 2012, ch. 9, art. 2.

(3) Subsection (1) does not apply if the force is used or threatened by another person for the purpose of doing something that they are required or authorized by law to do in the administration or enforcement of the law, unless the person who commits the act that constitutes the offence believes on reasonable grounds that the other person is acting unlawfully. R.S., 1985, c. C‑46, s. 34; 1992, c. 1, s. 60(F); 2012, c. 9, s. 2.

[Non souligné dans l’original.]

Ce sont évidemment les facteurs énumérés au paragraphe (2), et peut‑être encore plus les facteurs soulignés, qui pourraient être pertinents une fois les faits établis. Dans le contexte d’une audition devant la présidente indépendante, il lui appartiendrait, et non à un tribunal de révision, d’évaluer les faits. Le décideur doit toutefois permettre que la preuve soit présentée ou obtenue au moyen d’un contre‑interrogatoire.

[71]  Le demandeur a contesté depuis le début sa participation à un combat avec un autre détenu. Selon ce que je comprends, il faut deux protagonistes pour prendre part à un combat avec une personne. La détermination de ce qui constitue un combat en vertu de l’alinéa 40h) relève du président indépendant : même s’il s’agit d’une question de droit, la décision devrait faire l’objet d’une retenue puisque les décisions sur des questions de droit relevant de l’expertise du tribunal administratif sont présumées susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable (Sharif c Canada (Procureur général), 2018 CAF 205, au paragraphe 8 [Sharif]). Il est clair en l’espèce que le demandeur a soutenu qu’il n’avait pas participé à un combat, l’infraction pour laquelle il a été accusé. Le président avait compétence pour aborder cette question : il ne l’a pas fait. Toutefois, il est peu probable que le demandeur ait eu un argument solide quant au fait que l’alinéa 40h) de la Loi était nul pour cause d’imprécision. Depuis l’arrêt R. c Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 RCS 606 [Nova Scotia Pharmaceutical], la jurisprudence laisse fortement entendre que le critère établi dans Nova Scotia Pharmaceutical ne serait pas respecté.

[72]  La théorie de l’imprécision est l’un des principes de justice fondamentale requis en vertu de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11 [la Charte]. Si le droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne est bafoué par une loi dont l’imprécision est inadmissible, l’argument constitutionnel serait établi. La question la plus difficile est de savoir ce qui constitue une loi dont l’imprécision est inadmissible.

[73]  Dans l’arrêt Nova Scotia Pharmaceutical, il a été conclu que le critère est assez exigeant. Il y a deux motifs à la théorie : l’avertissement raisonnable aux citoyens et la limitation du pouvoir discrétionnaire dans l’application de la loi. La notion d’avertissement raisonnable aux citoyens comporte un aspect de fond, soit la conscience qu’une conduite est assujettie à des restrictions légales. Il n’est pas non plus acceptable qu’il n’y ait pas de limitation du pouvoir discrétionnaire d’application de la loi, que tant qu’une affaire fait l’objet de poursuites, une condamnation soit prononcée parce que la loi est si imprécise que sa portée devient fonction de la décision de faire appliquer la loi. C’est donc l’agent chargé de l’application de la loi qui décide de la conduite à adopter et non la loi. Nous ne serions plus régis par la primauté du droit, mais plutôt par la décision de faire appliquer la loi.

[74]  Toutefois, il n’est pas nécessaire que le libellé soit si précis pour prévoir les conséquences juridiques en toutes circonstances. En fait, « [l]e langage n’est pas l’instrument exact que d’aucuns pensent qu’il est. » (Nova Scotia Pharmaceutical, à la page 639). Ce que font les lois, c’est délimiter les grandes lignes de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas, en constituant un guide suffisant pour un débat judiciaire. Il appartient aux plaideurs et aux juges, à l’aide des outils d’interprétation des lois, de donner vie aux lois. Dans Nova Scotia Pharmaceutical, la Cour suprême a formulé les observations suivantes :

Les règles juridiques ne fournissent qu’un cadre, un guide pour régler sa conduite, mais la certitude n’existe que dans des cas donnés, lorsque la loi est actualisée par une autorité compétente. Entre temps, la conduite est guidée par l’approximation. Le processus d’approximation aboutit parfois à un ensemble assez restreint d’options, parfois à un ensemble plus large. Les dispositions législatives délimitent donc une sphère de risque et ne peuvent pas espérer faire plus, sauf si elles visent des cas individuels.

En énonçant les limites de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas, ces normes donnent lieu à un débat judiciaire. Elles comportent une substance et permettent la discussion sur leur actualisation. Elles limitent donc le pouvoir discrétionnaire en introduisant des lignes de démarcation et elles délimitent suffisamment une sphère de risque pour que les citoyens soient prévenus quant au fond de la norme à laquelle ils sont assujettis.

[aux pages 638 et 639]

[75]  Les tentatives faites depuis 1992 pour faire déclarer inconstitutionnelles des dispositions en raison de leur imprécision ont été largement infructueuses. Voici quelques exemples :

Kopyto c Barreau du Haut‑Canada, (1993) 107 DLR (4th) 259

R. v Mara, (1996) 105 CCC (3d) 147

R. c Krushel, (2000) 142 CCC (3d) 1

United States of America v Nadarajah, (2009) 243 CCC (3d) 281

  • · « emploi d’une force raisonnable »

Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 RCS 76

R. c Lippé, (1996) 111 CCC (3d) 187

R. c Lunn, (1993) 19 CRR 291

Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3

[76]  L’argument de l’imprécision n’a jamais été soulevé devant le président indépendant. Le défendeur soutient que le président avait compétence pour trancher la question constitutionnelle (Douglas/kwantlen Faculty Assn c Douglas College, [1990] 3 RCS 570). C’est possible, mais cela n’empêche pas la Cour d’examiner la question. Toutefois, même s’il existe un tel pouvoir discrétionnaire, il ne serait pas approprié d’aborder une question que la Cour n’aborde pas sans avoir l’argument complet des parties ni sans tenir compte du fait qu’il n’est pas nécessaire de l’examiner pour statuer sur la demande de contrôle judiciaire.

V.  Conclusion

[77]  La présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Le défendeur a admis qu’il ne satisfaisait pas à l’exigence prévue à l’article 33 du Règlement selon laquelle les auditions disciplinaires doivent être enregistrées. En outre, il y a eu d’autres violations des principes d’équité procédurale, dont certains sont inscrits dans la Loi et le Règlement. Finalement, le demandeur a été empêché de présenter une défense pleine et entière, notamment sur la question de savoir s’il a pris part à un combat avec une autre personne et si deux moyens de défense, la contrainte et la légitime défense, avaient une apparence de vraisemblance de sorte qu’ils devaient être examinés par le décideur. Compte tenu de la conclusion de la Cour sur l’équité procédurale, il n’est pas nécessaire d’examiner et de trancher l’argument selon lequel l’alinéa 40h) de la Loi, en vertu duquel le détenu a été accusé, est nul pour cause d’imprécision.

[78]  Compte tenu de la concession du défendeur selon laquelle la demande doit être accueillie, la Cour ne voit pas l’utilité de renvoyer l’affaire pour une nouvelle décision (arrêt sharif, précité, au paragraphe 53). M. Amos a purgé la peine imposée et une nouvelle décision sur le fond semble inutile. Une nouvelle audition devant un autre président indépendant ne remédiera pas au fait qu’une partie du dossier est manquante.

[79]  Par conséquent, la décision rendue par le président indépendant le 15 septembre 2016 est annulée. Il est donc ordonné au Service correctionnel du Canada de retirer de ses dossiers l’infraction disciplinaire pour laquelle M. Amos a été reconnu coupable en l’espèce. En outre, toutes les références dans les dossiers à l’infraction doivent également être rayées.

[80]  Le demandeur a demandé [traduction« tous les dépens équitables ». Ceux‑ci n’ont été définis ni dans le mémoire des faits et du droit du demandeur ni à l’audience devant la Cour. De nos jours, la Cour s’est montrée disposée à accorder un montant raisonnable pour le temps et les efforts déployés, dans la mesure où le plaideur en personne a supporté un coût de renonciation en cessant d’exercer certaines activités rémunératrices. J’ai indiqué à l’audience que j’étais enclin à conclure qu’il n’était pas approprié d’examiner plus à fond le coût de renonciation dans le cas d’un détenu. Il n’y a pas eu de tentative d’argument contraire. D’un autre côté, je ne vois aucune raison pour laquelle le demandeur ne pourrait pas être indemnisé pour les dépenses qu’il a engagées afin de porter son affaire devant la Cour. Le demandeur a indiqué qu’il avait probablement déboursé près de 200 $. Cela semble être un montant raisonnable.




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