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Date : 20181130


Dossier : IMM‑1052‑18

Référence : 2018 CF 1206

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

MILAZIM HAFUZI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), d’une décision rendue le 13 février 2018 par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Conformément à l’article 111 de la LIPR, la SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), qui avait conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

II.  Contexte

[2]  Le demandeur, âgé de 39 ans, est un citoyen albanais. Il vient du village de Farke e Vogel, dans le district de Tirana. Il est marié et père de deux enfants. Le demandeur est exposé à un risque de persécution, parce que sa famille est impliquée, depuis 1991, dans une vendetta avec la famille Qep, qui découle d’un litige foncier. Le demandeur soutient que son père a communiqué avec les aînés du village pour tenter de résoudre le différend par la médiation. Le père du demandeur a également offert une indemnité financière (que la famille Qep a acceptée) pour éviter le litige foncier.

[3]  La situation n’a manifestement pas été résolue puisque la famille Qep a continué de menacer la sécurité des membres de la famille Hafuzi, leur extorquant des fonds supplémentaires. En 1994, le demandeur, alors âgé de 15 ans, a quitté l’Albanie pour fuir les menaces proférées contre sa famille. Il a vécu en Grèce jusqu’en 2014. Au printemps 2014, le demandeur est retourné en Albanie, après que son père a accepté de payer des fonds supplémentaires à la famille Qep afin de poursuivre le processus de réconciliation avec les aînés du village, à la condition que la famille Qep mette fin à sa quête en vue d’obtenir la propriété de la famille Hafuzi.

[4]  Toutefois, le demandeur allègue que, le 20 juillet 2014, quatre frères de la famille Qep sont entrés dans la résidence des Hafuzi et ont attaqué le père du demandeur. La police a été appelée parce que des coups de feu auraient été tirés par l’oncle du demandeur, blessant un membre de la famille Qep.

[5]  À la suite de l’incident de juillet 2014, le demandeur a été forcé de quitter l’Albanie, laissant derrière lui sa famille, son épouse et ses deux enfants, pour demander l’asile au Canada, ce qu’il a fait en février 2015. La demande d’asile du demandeur a d’abord été entendue par la SPR le 7 mai 2015. La SPR a rejeté la demande d’asile pour des motifs de crédibilité. La SAR a accueilli un appel de cette décision le 15 novembre 2015, et l’affaire a été portée devant un tribunal différemment constitué de la SPR le 5 mai 2016.

Le demandeur allègue en outre que son père a été agressé une deuxième fois par des membres de la famille Qep en novembre 2015. Le père du demandeur a été envoyé à l’hôpital. L’incident a été signalé par le personnel de l’hôpital, et le père du demandeur a été interrogé par la police albanaise.

[6]  Le 17 mai 2016, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur. Le tribunal a admis que la famille du demandeur était impliquée dans une vendetta; toutefois, il a conclu que le demandeur n’avait pas déployé tous les efforts raisonnables pour obtenir la protection de l’État, par exemple il n’avait pas adressé de plainte à l’ombudsman, au Service des affaires internes et des plaintes ou à l’unité spéciale chargée de prévenir et de combattre les vendettas.

[7]  En septembre 2017, après le rejet de la demande d’asile par la SPR, une fusillade a eu lieu à la résidence de la famille du demandeur. L’épouse du demandeur a signalé l’incident à la police et, au terme de son enquête, la police soupçonnait que la famille Qep était à l’origine de l’incident.

[8]  Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR uniquement sur la question de la protection de l’État. À l’appui de son appel, le demandeur a demandé la tenue d’une audience et a présenté de nouveaux documents en preuve pour réfuter « la conclusion de la SPR selon laquelle une protection de l’État adéquate est offerte par la police et le Bureau du procureur » :

1.   affidavit du demandeur, fait sous serment le 4 juillet 2016;

2.   lettre de la police d’État de l’Albanie, datée du 17 juin 2016;

3.   lettre du Bureau du procureur de Tirana, datée du 17 juin 2016;

4.  lettre non datée du père du demandeur;

5.   lettre non datée du père du demandeur;

6.  lettre de la Direction de la police de Tirana (Commissariat no 1), datée du 10 novembre 2017.

III.  Décision de la SAR

[9]  Le 13 février 2018, la SAR a confirmé la décision de la SPR et rejeté l’appel, concluant que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État, à la lumière de la plus récente documentation au sujet des mesures prises par l’Albanie pour lutter contre les vendettas.

[10]  Conformément au paragraphe 110(4) de la LIPR, la SAR a conclu que l’affidavit fait sous serment par le demandeur le 4 juillet 2016 et la lettre de la police d’État de l’Albanie datée du 17 juin 2016 étaient inadmissibles. Les autres documents ont été admis en tant que nouveaux éléments de preuve.

A.  L’affidavit du demandeur fait sous serment le 4 juillet 2016

[11]  La SAR a examiné l’affidavit du demandeur et a conclu que celui‑ci avait produit une preuve qui était déjà « normalement accessible » à la SPR. Le demandeur n’a formulé aucune observation à l’appui de son affidavit pour démontrer en quoi le nouvel élément de preuve était conforme aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR. En raison de cette omission, la SAR a conclu que l’affidavit n’était pas admissible en tant que nouvel élément de preuve.

B.  La lettre de la police d’État de l’Albanie datée du 17 juin 2016

[12]  La SAR a souligné que la SPR avait déjà questionné le demandeur au sujet de ses communications avec la police albanaise et que l’avocat du demandeur avait donc eu l’occasion de fournir ces éléments de preuve et de présenter au tribunal des observations sur le sujet. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas démontré que les renseignements contenus dans la lettre « ne lui étaient pas normalement accessibles avant le rejet de la demande d’asile par la SPR ou qu’il n’aurait pas normalement présenté cet élément de preuve à la SPR ». La lettre de la police d’État de l’Albanie a donc été rejetée comme nouvel élément de preuve.

C.  La demande de tenue d’une audience

[13]  Après avoir examiné tous les nouveaux éléments de preuve, la SAR a conclu que la demande d’audience devait être rejetée, parce qu’elle « ne [croyait] pas que les nouveaux éléments de preuve présentés justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas, compte tenu des éléments de preuve objectifs contenus dans le plus récent CND [cartable national de documentation] ».

[14]  À la suite de l’incident de septembre 2017, l’épouse du demandeur a communiqué avec la police albanaise. La police a arrêté l’oncle du demandeur sur les lieux. La SAR a conclu que cet élément de preuve démontrait l’efficacité opérationnelle de la protection de l’État en Albanie. Elle a ajouté que la preuve n’explique pas clairement pourquoi la police n’a arrêté aucun membre de la famille Qep ou pourquoi l’enquête a été suspendue. Par conséquent, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle « la police est présumée avoir enquêté sur les deux parties au conflit et avoir pris des décisions en conséquence ». Contrairement aux observations formulées par le demandeur, la SAR a conclu que le fait que la police n’a arrêté aucun des membres de la famille Qep n’est pas suffisant pour réfuter la présomption de protection de l’État.

[15]  La SAR a ensuite examiné le nouvel élément de preuve provenant du chef du Commissariat no 1 de Tirana, qui est ainsi libellé, en partie :

[traduction]

La police est limitée dans ses actions lorsqu’il s’agit de vendettas, en raison du caractère délicat de ces conflits, sauf lorsqu’il s’agit d’enquêter sur l’incident et d’en établir l’auteur. Malheureusement, il est impossible d’assurer la protection de tous les citoyens impliqués dans ces conflits. Le phénomène des vendettas est devenu le principal motif de meurtres en Albanie depuis l’effondrement du régime communiste, et l’engagement général de toutes les structures étatiques et sociales est essentiel pour éliminer ce problème qui afflige l’Albanie.

[16]  La SAR a conclu que « les omissions locales de maintenir l’ordre d’une façon efficace n’équivalent pas à une absence de protection étatique sauf s’il existe une tendance plus générale de l’État à être incapable ou à refuser d’assurer une protection ». Par conséquent, la SAR était d’avis qu’elle ne pouvait pas se fier à cette lettre pour établir l’absence de protection de l’État en Albanie.

[17]  En examinant la preuve relative aux conditions dans le pays se rapportant aux mesures prises par l’Albanie pour lutter contre les vendettas, la SAR a confirmé l’évaluation faite par la SPR de la preuve au dossier. Elle a également conclu que les références faites par le demandeur aux conditions dans le pays étaient désuètes. Compte tenu du CND le plus récent concernant les vendettas, la SAR a conclu qu’il existe une protection de l’État adéquate dans les cas de vendettas en Albanie.

[18]  Les rapports indiquent également que, en 2013, l’Albanie a inclus dans son code criminel « des peines plus sévères pour les personnes qui commettent des crimes liés aux vendettas » et que la police de l’Albanie sait maintenant comment intervenir dans les vendettas (par des mesures d’identification, de surveillance et de prévention, des poursuites judiciaires et des arrestations). La SAR a conclu que la preuve documentaire objective confirme que la police assure une protection adéquate par « la visite de familles recluses » ou « les poursuites judiciaires et l’arrestation d’auteurs d’infractions ».

[19]  Enfin, bien que la SAR n’ait pas contesté la position du demandeur, appuyée par la jurisprudence, selon laquelle « un demandeur d’asile n’est pas tenu d’épuiser tous les recours de protection de l’État », elle a tout de même conclu que le demandeur n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables pour obtenir la protection des postes de police, ou du Bureau du procureur, avant de demander l’asile au Canada. La SAR était d’avis que le demandeur aurait pu déposer sa plainte de vendetta à d’autres postes de police.

Pour la Direction régionale de la police de Tirana, il y a au moins six ou sept commissariats. L’appelant s’est seulement adressé au poste de police local de Tirana, au Commissariat no 1, pour obtenir une protection. Si la famille de l’appelant n’était pas satisfaite de la réponse du Commissariat no 1, elle aurait pu s’adresser aux autres postes de police dans les environs, notamment à la Direction générale.

IV.  Questions en litige

[20]  Dans ses observations écrites, le demandeur a soulevé un certain nombre de questions :

1.   La SAR a‑t‑elle commis une erreur en n’admettant pas la preuve fournie par le demandeur à l’appui de son appel?

2.   La commissaire de la SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse des mesures prises par l’Albanie pour lutter contre les vendettas?

3.   La commissaire de la SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse des nouveaux éléments de preuve qui montrent que la police ne peut offrir une protection efficace sur le plan opérationnel?

4.   La commissaire de la SAR a‑t‑elle commis une erreur en omettant d’évaluer la preuve objective en fonction de la situation personnelle du demandeur?

5.   La commissaire de la SAR a‑t‑elle commis une erreur en exigeant que le demandeur sollicite l’aide d’autres postes de police?

[21]  Après avoir examiné attentivement les observations des deux parties, la Cour conclut que la présente affaire soulève deux questions qui peuvent se résumer ainsi :

1.   La SAR a‑t‑elle commis une erreur en n’admettant pas les éléments de preuve fournis par le demandeur à l’appui de son appel?

2.   La décision de la SAR quant à la protection de l’État était‑elle raisonnable?

[22]  Les deux parties s’entendent sur la norme de contrôle applicable. La Cour est également d’avis que l’évaluation par la SAR de la protection de l’État et les décisions relatives à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve soulèvent des questions mixtes de fait et de droit qui doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 74 [Singh CAF]; Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 38; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Ali, 2016 CF 709, au paragraphe 29 [Ali]; Csoka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1220, au paragraphe 9 [Csoka]).

V.  Dispositions législatives applicables

[23]  L’article 96 de la LIPR prévoit ce qui suit :

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

[24]  Le paragraphe 97(1) de la LIPR prévoit ce qui suit :

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

[25]  Le paragraphe 110(4) de la LIPR prévoit ce qui suit :

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

VI.  Discussion

[26]  À titre préliminaire, l’intitulé est modifié pour tenir compte du fait que le défendeur est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

[27]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

A.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en n’admettant pas la preuve fournie par le demandeur à l’appui de son appel?

[28]  La Cour conclut que l’évaluation effectuée par la SAR pour déterminer l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve est raisonnable.

[29]  Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas le pouvoir discrétionnaire d’admettre de nouveaux éléments de preuve (Singh CAF, au paragraphe 64). Comme le défendeur l’a souligné dans ses observations, la Cour conclut que la SAR a clairement indiqué dans sa décision que « le paragraphe 110(4) doit être interprété de manière stricte, et la SAR n’a le pouvoir discrétionnaire d’admettre de nouveaux éléments de preuve que s’ils entrent dans l’une des trois catégories établies par la loi » [non souligné dans l’original]. La Cour d’appel fédérale a conclu que, lorsqu’il s’agit d’admettre de nouveaux éléments de preuve, le paragraphe 110(4) de la LIPR énonce des conditions explicites qui doivent être remplies et qui « ne laissent place à aucune discrétion de la part de la SAR » (Singh CAF, aux paragraphes 34 et 35).

[30]  La SAR a conclu que deux des six documents ne remplissaient pas les critères établis par la loi. Premièrement, la SAR a conclu que l’affidavit du demandeur était normalement accessible au moment du rejet de la demande d’asile par la SPR; par conséquent, il n’était pas admissible en tant que nouvel élément de preuve. Deuxièmement, la SAR a examiné la lettre de la police d’État de l’Albanie datée du 17 juin 2016 et a tenu compte de l’explication peu convaincante du demandeur. La SAR était d’avis que le demandeur n’a pas démontré que « les renseignements contenus dans la lettre ne lui étaient pas normalement accessibles avant le rejet de la demande d’asile par la SPR ou qu’il n’aurait pas normalement présenté cet élément de preuve à la SPR ». Par conséquent, la SAR a refusé d’admettre la lettre comme nouvel élément de preuve. Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’absence d’arguments présentés par le demandeur concernant l’accessibilité des nouveaux éléments de preuve.

[31]  La Cour souscrit à la thèse du défendeur. « Le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve ni de statuer à nouveau sur l’admissibilité du nouvel élément de preuve, mais de décider si les conclusions de la SAR sont raisonnables » (Ali, au paragraphe 48).

B.  La décision de la SAR quant à la protection de l’État était‑elle raisonnable?

[32]  Comme il a été établi par la SAR, il incombe au demandeur de réfuter la présomption de protection de l’État par une preuve claire et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État est insuffisante (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Flores Carrillo, 2008 CAF 94, au paragraphe 30).

[33]  La Cour précise que la SAR a examiné attentivement les conclusions de la SPR quant à la protection de l’État. La SAR a également examiné attentivement la preuve applicable se rapportant aux conditions dans le pays concernant les mesures prises par l’Albanie pour lutter contre les vendettas.

[34]  La Cour n’accepte pas les observations du demandeur selon lesquelles la SAR a commis une erreur en omettant d’évaluer la preuve objective en fonction de sa situation personnelle. La Cour conclut que le demandeur ne s’est jamais adressé lui‑même aux autorités pour demander une protection. Par exemple, le deuxième incident, au mois de novembre 2015, a été signalé par le personnel de l’hôpital et le troisième incident, au mois de septembre 2017, a été signalé par l’épouse du demandeur.

[35]  La Cour conclut que ni la SAR ni la SPR n’a été sélective dans son évaluation de la preuve documentaire. La SAR était bien au courant des limites de la protection de l’État en Albanie et a raisonnablement reconnu qu’il existe certaines lacunes :

Comme je l’ai déjà mentionné, la protection de l’État n’est pas parfaite en Albanie, et il y a certaines lacunes, mais j’estime, selon la prépondérance des probabilités, que cette protection de l’État est adéquate. Il existe une démocratie qui fonctionne, un cadre juridique et institutionnel pour régler les vendettas et une force policière qui a démontré qu’elle peut répondre adéquatement aux plaintes de vendettas en intentant des poursuites judiciaire[s] et en procédant à des arrestations. [Non souligné dans l’original.]

[36]  « La pondération de la preuve est au cœur de la compétence de la SAR » (Csoka, au paragraphe 12). La SAR, un tribunal spécialisé et compétent, a procédé à une évaluation adéquate de la preuve objective. La SAR a évalué de façon approfondie l’ensemble de la preuve dont elle était saisie.

[37]  La Cour conclut que « la SAR a procédé à une évaluation indépendante de la preuve, comme en témoignent les motifs, et que la conclusion sur la disponibilité de la protection de l’État était raisonnable étant donné la preuve documentaire versée au dossier » (Kroj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1071, au paragraphe 43). L’évaluation par la SAR de la protection de l’État est raisonnable. Les motifs permettent au demandeur de bien comprendre le fondement de la décision de la SAR.

[38]  Pour les motifs qui précèdent, la Cour conclut que la décision de la SAR est raisonnable puisqu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

VII.  Conclusion

[39]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier. L’intitulé est modifié pour tenir compte du fait que le défendeur est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

« Paul Favel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑1052‑18

 

INTITULÉ :

MILAZIM HAFUZI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 SEPTEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 NOVEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS

Bjorn Harsanyi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Galina Bining

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Bjorn Harsanyi

Avocats

Stewart Sharma Harsanyi

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

pour LE défendeur

 

 

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