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Date : 20181130


Dossier : IMM‑281‑18

Référence : 2018 CF 1207

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

MOHAMMED FARUK AHMED

demandeur

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  Le demandeur, citoyen du Bangladesh, est arrivé au Canada en avril 2014 et il y a demandé l’asile en février 2015. Sa demande était fondée sur sa crainte d’être victime de persécution et de sévices au Bangladesh en raison de la participation de membres de sa famille (son oncle Abul Khayer, en particulier) au Jamaat‑e‑Islami, un parti d’opposition dans ce pays. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande en avril 2015, ayant conclu que le demandeur n’avait pas établi son identité en tant que ressortissant du Bangladesh. L’appel que le demandeur a interjeté auprès de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a été rejeté en juillet 2015. L’autorisation de soumettre cette décision à un contrôle judiciaire a été refusée en novembre 2015.

[2]  Faisant face à son renvoi du Canada, le demandeur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (habituellement appelée « demande d’ERAR ») en application du paragraphe 112(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Un agent d’immigration principal a rejeté cette demande le 12 septembre 2017.

[3]  Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR. Son argument principal est qu’en omettant de tenir une audience avant de rendre une décision, l’agent d’ERAR a manqué à l’obligation d’équité procédurale.

[4]  Pour les motifs qui suivent, je partage l’avis du demandeur. La présente demande de contrôle judiciaire doit donc être accueillie et l’affaire réexaminée par un autre agent d’ERAR.

II.  LE CONTEXTE

[5]  Le demandeur est né en 1972. Son père est décédé à l’époque où il était en 3e année, et il a été élevé par sa mère et ses oncles maternels.

[6]  Le demandeur déclare qu’en grandissant il ne s’est pas occupé de politique, contrairement à d’autres membres de sa famille. En particulier, les frères de sa mère sont des membres actifs du Jamaat‑e‑Islami. L’un des oncles du demandeur, Abul Khayer, est particulièrement bien connu. Il a été élu président local du parti, un poste qu’il occupait toujours au moment du dépôt de la demande d’ERAR.

[7]  À la recherche de perspectives économiques meilleures que celles dont il disposait au Bangladesh, le demandeur s’est rendu au Royaume‑Uni à trois reprises : de 1996 à 2004, de mars 2005 à août 2011 et, ensuite, d’août 2012 à février 2014. Selon lui, au cours de cette dernière période, Abul Khayer a été arrêté et torturé pendant qu’il se trouvait en détention. Il a fini par être relâché, mais il a été contraint de fermer son entreprise et ses récoltes ont été incendiées. Abul Khayer a pressé le demandeur de ne pas revenir au pays. Le demandeur a présenté une demande d’asile au Royaume‑Uni, mais celle‑ci a été rejetée. Il est retourné au Bangladesh en février 2014, mais, là encore à l’incitation de son oncle, il est parti pour le Canada en avril 2014. Avec l’aide d’un agent, le demandeur a voyagé jusqu’au Canada muni de fausses pièces d’identité.

[8]  Au Canada, le demandeur a présenté une demande d’asile en invoquant les mêmes motifs généraux que ceux sur lesquels il se fonderait plus tard dans sa demande d’ERAR. La SPR a toutefois rejeté la demande d’asile, pour le seul motif qu’elle avait conclu que le demandeur n’était pas parvenu à établir son identité en tant que ressortissant du Bangladesh. Comme il allait le faire plus tard aussi dans sa demande d’ERAR, le demandeur avait déclaré dans sa demande d’asile qu’il était Mohammed Faruk Ahmed et qu’il était né au Bangladesh le 15 mai 1972. La SPR n’a pas été convaincue que c’était le cas. Le commissaire a résumé comme suit les raisons pour lesquelles il était arrivé à cette conclusion :

[traduction]

« Le tribunal a pris en compte les pièces d’identité présentées dans la présente demande, ainsi que le témoignage du demandeur dans son ensemble. Des aspects importants de son témoignage n’étaient pas dignes de foi et, comme il a été mentionné plus tôt, les pièces présentées suscitaient des doutes sérieux. Un point important est le fait qu’il s’était servi auparavant de pièces frauduleuses et qu’il avait présenté une demande d’asile sous une autre identité en Grande‑Bretagne. Comme il a été mentionné plus tôt, il n’a présenté aucun document relatif à cette demande d’asile, et les explications qu’il a données sur cette dernière étaient insuffisantes. Compte tenu de ces doutes, le tribunal conclut que les pièces d’identité présentées n’étaient pas suffisantes pour établir l’identité du demandeur. »

[9]  Pour ce seul motif, la SPR n’a pas pu conclure que le demandeur avait droit au régime de protection des réfugiés que prévoit l’article 96 de la LIPR ou qu’il était une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR. La SPR n’a pas traité du bien‑fondé de la demande. Comme il a été mentionné, cette décision a été confirmée par la SAR et une demande d’autorisation de contrôle judiciaire a été refusée.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[10]  La demande d’ERAR du demandeur était fondée à la fois sur les articles 96 et 97 de la LIPR. Il a demandé l’asile en disant craindre d’être victime de persécution ou de sévices aux mains du gouvernement du Bangladesh, de la police et des forces de sécurité, ainsi que des membres de la ligue Awami (le parti politique qui était au pouvoir au moment du dépôt de la demande) en raison du profil politique de sa famille, et surtout de son oncle, Abul Khayer.

[11]  Par contraste avec la position adoptée devant la SPR, les autorités de l’immigration ont admis que le demandeur était qui il disait être dans sa demande d’ERAR. Le dossier ne dit rien quant à la raison de ce changement de position.

[12]  Comme le demandeur avait demandé l’asile, mais sans succès, la preuve sur laquelle il pouvait se fonder dans sa demande d’ERAR était régie par l’alinéa 113a) de la LIPR. Aux termes de cette disposition, un demandeur débouté « ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet ».

[13]  Le demandeur s’est fondé, dans sa demande d’ERAR, sur la preuve documentaire qui suit :

  • Une déclaration solennelle d’Ahmed Sultan, résident permanent du Canada, qui dit qu’il connaît le demandeur depuis son enfance, que l’oncle maternel du demandeur est un dirigeant local du Jamaat‑e‑Islami et qu’au cours d’un voyage au Bangladesh en septembre 2016 il a entendu parler d’attaques menées contre la famille du demandeur. La déclaration solennelle a été signée le 27 avril 2017.

  • Une déclaration solennelle de Tania Fardousi Begum, qui indique que cette dernière sait que l’oncle du demandeur est un dirigeant local du Jamaat‑e‑Islami, qu’elle a récemment quitté le Bangladesh pour le Canada et que, avant son départ du Bangladesh, l’épouse du demandeur et sa mère lui ont demandé de transmettre à ce dernier un message quand elle arriverait au Canada. Mme Begum a identifié une personne apparaissant dans une photographie comme étant Abul Khayer. La déclaration solennelle a été signée le 2 mai 2017.

  • Le certificat de naissance du demandeur ainsi que ceux de sa mère et d’Abul Khayer, en vue d’établir le lien familial.

  • Deux lettres de la branche Beanibazar Upazila du Jamaat‑e‑Islami, qui confirme le rôle que joue Abul Khayer en tant que dirigeant local du parti. L’une des lettres indique que de nombreux dirigeants du parti ont été victimes de persécution gouvernementale.

  • Des photocopies d’affiches en bengali au sujet de la mise en détention de membres du Jamaat‑e‑Islami (y compris Abul Khayer) par les autorités gouvernementales.

  • Une lettre du cousin du demandeur, Jalal Ahmed, datée du 10 avril 2017 et indiquant que celui‑ci a été agressé à l’école par des activistes de la ligue Chhatra, le 6 juin 2016. (La ligue Chhatra est la branche étudiante de la ligue Awami.)

  • Une lettre de Kalsuma Begum, l’épouse du demandeur, qui indique qu’elle a été menacée et agressée par des individus appartenant au parti au pouvoir (c’est‑à‑dire, la ligue Awami) en janvier 2016 pendant qu’ils étaient à la recherche d’autres membres de sa famille, qu’elle a été hospitalisée et qu’elle a retiré son fils de l’école parce qu’elle craignait qu’il soit enlevé par ses agresseurs.

  • Des rapports médicaux qui décrivent les traitements que Kalsuma Begum a reçus en janvier 2016 après son agression.

  • Deux déclarations solennelles du demandeur, qui décrivent le fondement de sa crainte de persécution et de sévices. Il a fourni des photographies de son oncle, qui montrent que ce dernier est une figure politique importante, ainsi que de son cousin Jalal Ahmed, qui a été blessé lors d’une agression à caractère politique. Les déclarations solennelles ont été signées le 6 avril 2017 et le 2 mai 2017.

[14]  L’agent d’ERAR n’a fait état d’aucun doute quant à l’admissibilité de l’un quelconque des éléments de preuve présentés en vertu de l’alinéa 113a). Il a toutefois déclaré qu’il leur accorderait [traduction] « peu de poids ».

[15]  Plus précisément, l’agent a conclu ce qui suit à propos des éléments de preuve invoqués par le demandeur :

  • L’agent a accordé [traduction] « peu de poids » à la déclaration solennelle d’Ahmed Sultan parce que ce dernier n’a pas fait référence à l’oncle maternel du demandeur par son nom et qu’il a fait état d’un incident (l’incendie de la boutique de l’oncle) non mentionné ailleurs dans la preuve.

  • L’agent a accordé [traduction] « peu de valeur probante » et [traduction] « peu de poids » à la déclaration solennelle de Tania Fardousi Begum parce qu’il n’a pas pu comprendre pourquoi des membres de la famille du demandeur voulaient que Mme Begum, une relative étrangère, transmette au demandeur un message quand elle arriverait au Canada. En outre, il y avait [traduction] « peu de preuves » que Mme Begum avait bel et bien rencontré Abul Khayer, la mère du demandeur ou l’épouse de ce dernier.

  • L’agent a accordé [traduction] « peu de poids » aux certificats de naissance parce qu’il y avait des divergences dans l’orthographe des deux noms de famille (Sharifa/Shorifa et Motosim/Motosin) entre les documents.

  • L’agent a accordé [traduction] « peu de poids » aux deux lettres du Jamaat‑e‑Islami parce qu’il y avait des incohérences en matière de forme et de contenu entre ces deux documents, qui émanaient censément du même organisme.

  • L’agent a accordé [traduction] « peu de poids » aux affiches parce que, même si elles avaient été traduites en anglais, ce travail n’avait pas été fait par un traducteur agréé.

  • L’agent a accordé [traduction] « peu de poids » à la lettre de Jalal Ahmed parce qu’elle n’était pas accompagnée de l’enveloppe dans laquelle elle était arrivée, qu’elle ne comprenait aucun moyen d’établir l’identité de son auteur et que la lettre et la photographie que le demandeur avait présentées ne concordaient pas pour ce qui était de l’emplacement de la prétendue blessure (M. Ahmed a déclaré dans la lettre qu’il avait été blessé à la main, tandis que la photographie montrait une personne qui portait un bandage à l’avant‑bras).

  • L’agent a accordé [traduction] « peu de poids » à la lettre et aux rapports médicaux de Kalsuma Begum, concluant que s’ils montraient bel et bien qu’elle avait été admise à l’hôpital pour une blessure à la jambe droite, rien ne corroborait que cette blessure était due à une agression commise par des membres du parti au pouvoir qui étaient à la recherche d’autres membres de la famille, pas plus que sa prétention selon laquelle son fils ne fréquentait pas l’école.

[16]  Enfin, l’agent a déclaré ce qui suit au sujet des deux déclarations solennelles du demandeur :

[traduction]

« J’ai lu les deux déclarations solennelles du demandeur, et j’ai examiné aussi les photographies qui accompagnaient la seconde déclaration solennelle. Je reconnais que le demandeur indique que son oncle, Abul Khair (parfois orthographié Abul Khayer), est un membre important du Jamaat‑e‑Islami, le parti d’opposition et qu’à cause de cela sa famille et lui ont été menacés et, dans certains cas, agressés. Je signale qu’il indique que ses oncles étaient ou sont membres du groupe politique du Jamaat Islami [sic] du Bangladesh, mais il a produit peu de preuves indiquant que l’un quelconque de ses oncles, hormis Abul Khair/Abul Khayer, a été harcelé par le gouvernement. En raison des incohérences et des contradictions relevées dans les éléments de preuve produits, de pair avec les conclusions de la SPR en matière de crédibilité, j’accorde peu de poids aux déclarations solennelles.

[17]  La conclusion générale de l’agent à propos des éléments de preuve que le demandeur a produits est la suivante :

[traduction]

« Après avoir évalué les éléments de preuve produits, je conclus que le demandeur n’a pas présenté de preuves suffisantes pour montrer que son oncle, Abul Khair ou Abul Khayer, est une figure importante du parti politique Jamaat‑e‑Islami, au point d’attirer l’attention du parti de la ligue Awami, du gouvernement, qui est dirigé par la Ligue Awami du Bangladesh, ou des forces de police ou de sécurité au Bangladesh.

[18]  Le demandeur a également produit plusieurs documents portant sur la situation du pays et décrivant l’état actuel des droits politiques et des droits de la personne au Bangladesh. L’agent a consulté aussi d’autres sources accessibles au public. Compte tenu des conclusions qu’il a tirées à propos d’Abul Khayer, ainsi que de la propre déclaration du demandeur selon laquelle il avait  essayé d’éviter de s’occuper de politique, l’agent a accordé [traduction] « peu de poids aux documents présentés sur la situation du pays, relativement à la répression de la dissidence politique au Bangladesh ».

[19]  En résumé, l’agent est arrivé la conclusion suivante :

[traduction]

« J’ai examiné avec soin les éléments de preuve que le demandeur a produits, de même que les documents accessibles au public qui portent sur la situation actuelle du Bangladesh. Je conclus qu’il y a peu de preuves qui étayent la prétention du demandeur, à savoir qu’en raison de la participation de son oncle au parti Jamaat‑E‑Islami [sic], il sera persécuté par la Ligue Awami ou par le gouvernement ou les forces de police ou de sécurité du Bangladesh.

[20]  Enfin, l’agent a expliqué pourquoi il n’y avait pas eu d’audience :

[traduction]

« Il a été établi que, dans le contexte d’une demande d’ERAR, une audience n’est justifiée que dans des circonstances exceptionnelles. Pour qu’une audience soit tenue, il faut qu’il y ait une question importante de crédibilité et que cette question soit d’une importance cruciale pour la demande d’ERAR.

Étant donné que, dans le présent examen, ma décision était fondée sur le caractère insuffisant des éléments de preuve fournis et non sur la crédibilité du demandeur, j’ai conclu qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience pour que je rende ma décision.

IV.  LA QUESTION EN LITIGE ET LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[21]  Dans la présente demande, la question principale consiste à savoir si l’agent d’ERAR a commis une erreur susceptible de contrôle en ne tenant pas d’audience. Le demandeur soutient que l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale et qu’il s’agit là d’une question qu’il convient de trancher en fonction de la norme de la décision correcte. Le défendeur soutient que c’est la norme de la décision raisonnable qu’il faudrait appliquer dans le cadre de l’évaluation de la procédure que l’agent d’ERAR a suivie. Ces deux positions trouvent appui dans la jurisprudence, car cette question précise a suscité un débat au sein de la Cour, un débat qui a été résumé de manière utile par le juge Boswell dans la décision Zmari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 132, aux paragraphes 10 à 12 et, plus récemment, par le juge Gascon dans la décision Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940, au paragraphe 12 [Huang].

[22]  Le tribunal qui évalue une question d’équité procédurale « doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris à l’égard des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au par. 54 [Chemin de fer Canadien Pacifique], renvoyant à l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux pages 837 à 841; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 43). En dernière analyse, on pourrait dire qu’un choix de procédure qui ne satisfait pas à ce critère est à la fois inexact et déraisonnable, mais, à mon avis, ces deux adjectifs ajouteraient peu, sinon rien, à la conclusion fondamentale selon laquelle la procédure était inéquitable. Il n’est donc pas nécessaire, selon moi, de m’engager dans le débat entourant la norme de contrôle applicable. Il me faut simplement déterminer si la procédure que l’agent d’ERAR a suivie était équitable ou non, eu égard à la totalité des circonstances, ce qui inclut le cadre législatif, la nature des droits substantiels en cause et les conséquences de la décision pour le demandeur.

[23]  Il se peut fort bien qu’il y ait des circonstances dans lesquelles une cour de révision doive faire preuve de déférence à l’égard de la procédure que choisit un décideur administratif (Maritime Broadcasting Systems Limited c La guilde canadienne des médias, 2014 CAF 59, au par. 50). Comme nous le verrons plus en détail ci‑après, la tenue d’une audience devant un agent d’ERAR n’a pas lieu automatiquement. Le fait de savoir s’il convient de tenir une audience ou non est un exercice de pouvoir discrétionnaire de la part de l’agent d’ERAR, que guident certains facteurs règlementaires. Ce genre de décision est essentiellement le type de question à l’égard de laquelle on s’attend à ce qu’une cour de révision fasse preuve de déférence. Toutefois, « [p]eu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre ». (Chemin de fer Canadien Pacifique, au par. 56)

V.  ANALYSE

[24]  Comme la Cour d’appel fédérale en a récemment traité dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique, un examen portant sur la procédure et un examen portant sur le fond visent des objectifs différents en droit administratif. « Bien qu’il y ait un chevauchement, le premier porte sur la nature des droits concernés et les conséquences pour les parties touchées, alors que le dernier porte sur la relation entre la cour et le décideur administratif » (Chemin de fer Canadien Pacifique, au par. 55). Selon la démarche suivie dans l’arrêt Dunsmuir, un examen portant sur le fond est axé sur le « caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi [que le] raisonnement qui l’a produit ». (Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, [2016] 2 RCS 80, au par. 18). La Cour de révision examine la décision en ayant égard « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et elle détermine « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au par. 16).

[25]  Les motifs que formule un décideur peuvent aussi être importants pour un examen de la procédure car ils peuvent révéler non seulement pourquoi un tribunal administratif a rendu sa décision, mais aussi comment. En l’espèce, les motifs de l’agent révèlent un manquement sous‑jacent à l’obligation d’équité procédurale parce qu’ils montrent qu’on n’aurait pu atteindre le résultat qu’au moyen d’une évaluation défavorable de la crédibilité du demandeur; pourtant, aucune audience n’a été tenue.

[26]  La question de savoir s’il y a lieu de tenir une audience au sujet d’une demande d’ERAR relève du pouvoir discrétionnaire de l’agent chargé d’examiner la demande. L’alinéa 113b) de la LIPR prévoit qu’une audience peut être tenue « si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires », lesquels sont énoncés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [Règlement] :

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

[27]  L’article 167 codifie les principes de l’équité procédurale en common law. Chacun des facteurs énoncés à l’article 167 soulève des questions mixtes de fait et de droit et, cela étant, une cour de révision se doit de faire preuve de déférence envers les conclusions que tire un agent d’ERAR. Cependant, des conclusions positives au sujet de l’ensemble de ces trois facteurs impliquent qu’il y a lieu de tenir une audience si l’on veut qu’une décision défavorable puisse passer avec succès un examen portant sur la procédure. Bien que la question de savoir s’il convient de tenir une audience relève du pouvoir discrétionnaire du décideur, on ne peut exercer légitimement ce pouvoir en commettant un manquement à l’obligation d’équité procédurale.

[28]  Comme d’autres l’ont fait remarquer, l’article 167 est « gauchement libellé » (Tekie c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 27, au par. 15 [Tekie]). Comment, peut‑on se demander, un élément de preuve peut‑il soulever une question importante au sujet de la crédibilité d’un demandeur tout en étant de nature telle que, s’il était admis, il justifierait que l’on fasse droit à la demande de protection?

[29]  L’aspect gauche de cette disposition peut être attribuable à l’ambiguïté que présentent les mots « question importante ». Une preuve susceptible d’étayer une demande peut soulever une question importante à propos de la crédibilité d’un demandeur, ce qui fait entrer en jeu l’article 167 de l’une ou l’autre des deux manières suivantes : l’une est celle où la preuve contient des renseignements pertinents et importants, mais où elle donne aussi à un décideur une raison de mettre en doute la crédibilité du demandeur; l’autre est celle où le décideur ignore tout simplement s’il doit croire la preuve ou non, mais où cette preuve, si on la croyait, étayerait la demande. Dans ce dernier cas, la preuve elle‑même ne soulève pas une question importante, dans un sens négatif, quant à la crédibilité du demandeur; il se pose plutôt une question importante quant à la crédibilité du demandeur parce qu’une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité, en lien avec cette preuve, pourrait être déterminante pour la demande. Dans l’un ou l’autre cas, l’obligation d’équité procédurale implique que le décideur ne peut pas rejeter la preuve, ou simplement ne pas la croire, sans donner d’abord au demandeur une possibilité de traiter des doutes qu’elle suscite. Ainsi que l’a déclaré le juge Phelan dans la décision Tekie : « l’article 167 devient opérant lorsque la crédibilité est remise en question d’une façon qui peut donner lieu à une décision défavorable à l’issue de l’ERAR. Il a pour objet de permettre à un demandeur de répondre aux réserves formulées au sujet de sa crédibilité » (au par. 16).

[30]  En l’espèce, l’agent a déclaré qu’il n’y avait pas eu d’audience parce que la décision était fondée sur le caractère insuffisant des éléments de preuve fournis, et non sur la crédibilité du demandeur. Une partie du rôle que joue la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire consiste à déterminer si c’est le cas. La question est d’autant plus complexe que la distinction entre le caractère suffisant et la crédibilité n’est pas aussi limpide ou catégorique que le présume la déclaration de l’agent.

[31]  Les décideurs qui ont à tirer des conclusions de fait sont souvent tenus de soupeser les éléments de preuve présentés et, avec comme toile de fond le fardeau et la norme de preuve, d’en déterminer le caractère suffisant par rapport aux questions en litige. Les évaluations de la crédibilité peuvent être un facteur important lorsqu’il est question de soupeser une preuve. Cependant, un décideur peut également conclure qu’une preuve est insuffisante sans qu’il faille en évaluer la crédibilité. Un critère utile dans le présent contexte est le suivant : il appartient à la cour de révision de se demander si les affirmations de fait que la preuve présentée est censée établir, en présumant qu’elles soient véridiques, justifieraient vraisemblablement que l’on fasse droit à la demande de protection. Dans la négative, la demande d’ERAR a alors échoué, non pas à cause d’une conclusion quelconque au sujet de la crédibilité, mais juste à cause du caractère insuffisant de la preuve. En revanche, si les affirmations de fait que la preuve présentée est censée établir, en présumant qu’elles soient véridiques, justifieraient vraisemblablement que l’on fasse droit à la demande et que, malgré cela, cette dernière a été rejetée, cela donne à penser que le décideur avait des doutes sur la véracité de la preuve. Voir les décisions Liban c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1252, aux paragraphes 13 et 14; Haji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 889, au paragraphe 16; Horvath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 147, aux paragraphes 23 à 25 [Horvath].

[32]  Il va sans dire que le fait d’avoir des doutes sur la véracité d’une preuve n’équivaut pas nécessairement à avoir des doutes sur la crédibilité d’un demandeur, ce qui met en jeu l’article 167 du Règlement et déclenche le droit à une audience (même si l’on satisfait aux autres aspects de cet article). Un décideur peut simplement ne pas être convaincu, à cause d’un élément de preuve particulier, que la thèse que cet élément est censé établir est véridique parce qu’il n’y aucune façon d’évaluer la fiabilité de la preuve (par exemple, la source de la connaissance qu’a un tiers de certains faits est inconnue). Même le fait d’entretenir des doutes sur la véracité d’un élément de preuve particulier ne mène pas forcément à des doutes sur la crédibilité d’un demandeur. Ces doutes pourraient être liés à l’authenticité d’un document, par exemple, ou à la crédibilité d’un tiers. Il peut tout de même être difficile de tracer une ligne de démarcation bien nette. S’il y avait une raison de croire qu’un demandeur savait qu’un document qu’il a présenté était faux, ou qu’un tiers dont on s’est fié au témoignage ne disait pas la vérité, cela pourrait fort bien remettre en question la crédibilité du demandeur, et ce, d’une manière qui déclencherait la nécessité de tenir une audience selon l’alinéa 113b) de la LIPR. Ce serait le cas aussi si l’on accordait [traduction] « peu de poids » à des documents contenant des renseignements importants qui sont joints, à titre de pièces, à un affidavit qu’un demandeur a signé (Sitnikova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1082, au par. 19). Des liens moins directs entre un élément de preuve et un demandeur peuvent suffire aussi à soulever une question importante quant à la crédibilité du demandeur (voir, par exemple, Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 788, au par. 18, et El Morr c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 3, au par. 24).

[33]  Il n’est pas nécessaire que j’approfondisse davantage ce sujet difficile, car, comme je l’explique plus loin, j’ai conclu que les raisons pour lesquelles l’agent a rejeté la demande ne sont compréhensibles que si celui‑ci avait des doutes qui avaient directement trait à la crédibilité du demandeur ‑ plus précisément, des doutes quant à la véracité d’énoncés qui figuraient dans les déclarations solennelles du demandeur et qui, s’ils étaient tenus pour avérés, justifieraient vraisemblablement que l’on fasse droit à la demande de protection. Dans de telles circonstances, l’obligation d’équité procédurale exigeait la tenue d’une audience.

[34]  Dans sa première déclaration solennelle, le demandeur a fourni une preuve que son oncle était un membre actif et en vue de l’opposition politique au Bangladesh; en raison de cela, il avait été victime d’actes de harcèlement sérieux, de persécution et d’agressions physiques de la part des autorités et d’individus et de groupes alignés sur le gouvernement, que ce harcèlement, cette persécution et ces agressions s’étaient étendus à d’autres membres de la famille du demandeur, et que ce dernier lui‑même courait le risque d’être pris pour cible au Bangladesh en raison de son lien familial. La seconde déclaration solennelle comportait quelques photographies dans lesquelles le demandeur identifiait son oncle et qui, a‑t‑il déclaré, révélaient l’importance qu’avait celui‑ci en tant que politicien local. Le demandeur a également présenté une photographie d’une personne qu’il a identifiée comme le cousin qui avait été blessé à son école lors d’une agression à caractère politique. S’ils étaient tenus pour avérés, ces énoncés, considérés ensemble, justifieraient vraisemblablement que l’on fasse droit à la demande de protection.

[35]  L’agent d’ERAR a donné deux raisons pour accorder [traduction] « peu de poids » aux déclarations solennelles du demandeur : [traduction] « les incohérences et les contradictions relevées dans les éléments de preuve produits » et [traduction] « les conclusions de la SPR en matière de crédibilité ».

[36]  Si l’on examine tout d’abord les conclusions de la SPR en matière de crédibilité sur lesquelles l’agent s’est fondé, j’admets qu’un agent d’ERAR peut se reporter à la crédibilité en tant que fondement d’une décision de la SPR sans forcément évaluer la crédibilité ou déclencher la nécessité de tenir une audience, comme le prévoit l’alinéa 113b) de la LIPR (Titkova c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 691, aux par. 15 et 16; Huang, au par. 39). En l’espèce, toutefois, l’agent n’a tout simplement pas mentionné le fondement des conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité lorsqu’il a décrit l’historique des procédures concernant le demandeur. Il s’est expressément fondé sur ces conclusions défavorables en matière de crédibilité. Qui plus est, les conclusions de la SPR en matière de crédibilité avaient trait aux prétentions du demandeur au sujet de son identité, une question qui n’était plus en litige devant l’agent d’ERAR. Contrairement à la position adoptée devant la SPR, les autorités canadiennes de l’immigration admettent maintenant que le demandeur est bien qui il dit être. Cela veut dire que l’agent a fait une extrapolation à partir des conclusions de la SPR en matière de crédibilité et qu’il a appliqué le résultat aux questions qui étaient en litige dans la demande d’ERAR, auquel cas il était nécessaire de tenir une audience, ou alors qu’il s’est fondé sur une question peu pertinente, ce qui, en soit, serait une erreur susceptible de révision.

[37]  En ce qui concerne [traduction] « les incohérences et contradictions relevées dans les éléments de preuve produits », l’agent ne s’étend pas sur les incohérences ou les contradictions qu’il y avait entre, d’une part, les déclarations solennelles du demandeur et, d’autre part, les autres éléments de preuve que le demandeur avait présentés. Ceux qui sont mentionnés en passant dans les motifs ‑ par exemple, au sujet de la question de savoir si la boutique de l’oncle du demandeur avait été détruite et à quel endroit son cousin avait été blessé ‑ sont, dans le meilleur des cas, de nature secondaire. Le demandeur ne dit pas que la boutique n’a pas été détruite; il ne dit rien au sujet de la boutique, d’une façon ou de l’autre. Dans la traduction anglaise de sa déclaration, le cousin du demandeur dit que sa main a été enveloppée d’un bandage après l’agression, mais la photographie montre une personne portant un bandage à l’avant‑bras.

[38]  L’agent a donné diverses raisons pour attribuer [traduction] « peu de poids » aux autres preuves documentaires sur lesquelles le demandeur s’est fondé. Même en présumant, pour les besoins de l’analyse, que ces conclusions étaient raisonnables, la seule manière dont les motifs dans leur ensemble ont un sens c’est si l’agent a cherché une corroboration du récit du demandeur dans ses déclarations solennelles, qu’il a conclu que cela était lacunaire (parce qu’il a accordé peu de poids à tous les documents potentiellement corroborants) et qu’il n’a donc pas cru ce que le demandeur avait déclaré à propos de la raison pour laquelle il méritait d’être protégé (voir Horvath, aux par. 23 à 25). Contrairement à la manière dont l’agent a formulé la décision, il ne s’agissait pas simplement d’une conclusion relative au caractère suffisant de la preuve. Le demandeur, toutefois, n’a pas été mis au courant d’un aspect crucial de ce qu’il avait à défendre ‑ les doutes de l’agent sur la crédibilité de sa propre preuve ‑ et il n’a pas eu une possibilité complète et équitable de répondre. Il s’agissait là d’un manquement à l’obligation d’équité procédurale. Le fait que l’agent a rejeté la demande d’ERAR ne peut donc pas être maintenu.

VI.  QUESTION CERTIFIÉE

[39]  À l’audition de la présente demande, l’avocate du demandeur n’a proposé aucune question à certifier. L’avocat du défendeur a proposé la question suivante : [traduction« Quelle est la norme de contrôle qui s’applique au contrôle judiciaire de la décision d’un agent, relativement à la question de savoir s’il y a lieu de tenir une audience en vertu de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés? ».

[40]  À la suite de l’audience, l’avocate du défendeur a écrit pour informer la Cour qu’elle avait proposé la même question à des fins de certification dans la décision Huang et que le juge Gascon avait récemment refusé de la certifier (voir Huang, aux par. 57 à 59). Bien que la démarche que j’ai suivie ici ne soit pas la même que celle qu’a suivie le juge Gascon dans l’affaire Huang, j’arrive à la même conclusion que mon collègue au sujet de la question proposée : il ne faudrait pas la certifier, car elle ne permettrait pas de disposer de l’appel.

VII.  CONCLUSION

[41]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire renvoyée en vue d’un nouvel examen par un autre agent d’ERAR. Aucune question de portée générale n’est certifiée. 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑281‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de rejeter la demande datée du 12 septembre 2017 en application du paragraphe 112(1) de la LIPR est infirmée, et l’affaire est renvoyée en vue d’un nouvel examen par un autre agent d’ERAR.

  3. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de janvier 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑281‑18

 

INTITULÉ :

MOHAMMED FARUK AHMED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 JUILLET 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 30 NovembRe 2018

 

COMPARUTIONS :

Naseem Mithoowani

 

POUR LE Demandeur

 

Suzanne M. Bruce

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE Demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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