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Date : 20181211


Dossier : IMM-993-18

Référence : 2018 CF 1256

Montréal (Québec), le 11 décembre 2018

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

ASAAD AL MOUSAWMAII

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur, Monsieur Asaad Al Mousawmaii, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 18 janvier 2018 par une agente d’immigration, rejetant sa demande de résidence permanente présentée dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II.  Contexte factuel

[3]  Le demandeur est citoyen du Liban. Il entre au Canada le 29 avril 2011 et présente une demande d’asile. Cette demande est retirée à une date ultérieure pour des motifs qui ne sont pas au dossier du tribunal.

[4]  En mai 2012, le demandeur rencontre son épouse, une citoyenne canadienne d’origine marocaine. Après plusieurs mois de fréquentation, ils emménagent ensemble et se marient le 26 juin 2013.

[5]  Le 24 octobre 2013, le demandeur présente une première demande de résidence permanente dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Sa demande est accompagnée d’une demande de parrainage déposée par son épouse.

[6]  Après la naissance de leur premier enfant le 27 avril 2014, le demandeur et son épouse se séparent. Durant cette séparation, le demandeur entretient une brève relation avec une autre femme. Le demandeur et son épouse reprennent vie commune durant l’été 2015.

[7]  Le 24 septembre 2015, l’épouse du demandeur retire son engagement de parrainage. Elle demande de renverser ce retrait un mois plus tard, mais sa demande est refusée par un agent d’immigration.

[8]  Le 11 avril 2016, l’épouse du demandeur donne naissance au deuxième enfant du couple.

[9]  Le 29 août 2016, le demandeur présente une deuxième demande de résidence permanente dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Lors du traitement de la demande, une dénonciation est transmise au défendeur à l’adresse courriel suivante : Citizenship-fraud-tips@cic.gc.ca. Le dossier du demandeur est alors transféré à une agente d’immigration par le Centre de traitement des demandes – Mississauga.

[10]  Après avoir interrogé le couple le 1er novembre 2017, l’agente d’immigration rejette la demande le 18 janvier 2018. Elle indique dans sa lettre au demandeur ne pas être convaincue qu’il entretient une relation authentique (genuine relationship) avec la répondante.

[11]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Il soutient que la décision est déraisonnable et qu’elle a été rendue en violation des règles d’équité procédurale. Il demande à cette Cour d’annuler la décision de l’agente d’immigration et de retourner l’affaire à un autre agent pour un nouvel examen.

III.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[12]  Il est bien établi que la norme de contrôle applicable à la conclusion qu’un mariage n’est pas authentique ou qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] est celle de la décision raisonnable puisqu’elle soulève des questions de faits et de droit (Onwubolu c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 19 au para 11 [Onwubolu]; Shahzad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 999 au para 14).

[13]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]).

[14]  Quant à l’allégation de manquement à l’équité procédurale, la Cour d’appel fédérale a récemment précisé que les questions d’équité procédurale ne se prêtent pas nécessairement à une analyse relative à une norme de contrôle. Le rôle de cette Cour est plutôt de déterminer si la procédure est équitable compte tenu de toutes les circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Dunsmuir au para 79).

B.  Questions préliminaires

(1)  Affidavit du demandeur

[15]  Le défendeur a soulevé l’argument dans son mémoire et à l’audience, à titre de remarque préliminaire, que l’affidavit du demandeur signé le 24 avril 2018 n’était pas conforme au paragraphe 80(2.1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles], puisqu’il a été rédigé en français, sans déclaration d’interprète.

[16]  La Cour note également que l’affidavit supplémentaire signé le 23 août 2018 ne comporte pas de déclaration d’interprète. Toutefois, contrairement à celui du mois d’avril, l’affidavit supplémentaire contient un paragraphe selon lequel l’affidavit « a été rédigé, dressé et lu en français » et le demandeur « déclare en connaître exactement la teneur ».

[17]  Le procureur du demandeur répond qu’il a pris toutes les précautions nécessaires afin que l’affiant comprenne bien la teneur exacte de son affidavit. L’affidavit aurait donc été lu au demandeur en présence de son épouse qui le lui traduisait au fur et à mesure.

[18]  La traduction par l’épouse du demandeur des propos contenus dans l’affidavit ne saurait satisfaire aux exigences du paragraphe 80(2.1) des Règles. Considérant que l’affidavit du demandeur n’est pas conforme aux Règles, une faible valeur probante lui a été accordée (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 315 au para 44).

(2)  Intitulé de cause

[19]  L’intitulé de cause original comprenait l’épouse du demandeur à titre de codemanderesse. Suivant une conférence téléphonique ayant eu lieu à la demande de la Cour après l’audience, les procureurs des parties ont confirmé que la demande de contrôle judiciaire ne visait que le demandeur et sa demande de résidence permanente présentée dans la catégorie des époux ou de conjoints de fait au Canada. Par conséquent, le nom de l’épouse du demandeur a été retiré de l’intitulé de cause.

C.  Caractère raisonnable de la décision

[20]  La Cour est d’avis que la décision de l’agente d’immigration ne satisfait pas au critère d’intelligibilité prescrit par l’arrêt Dunsmuir.

[21]  Aux termes du paragraphe 12(1) de la LIPR, pour être sélectionné comme résident permanent dans la catégorie du regroupement familial, il faut se conformer à la définition d’époux, de conjoint de fait ou d’autres membres de la famille, prévue dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR].

[22]  De plus, pour faire partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, il faut également satisfaire aux conditions énumérées à l’article 124 du RIPR, qui se lit comme suit :

Qualité

Member

124 Fait partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada l’étranger qui remplit les conditions suivantes :

124 A foreign national is a member of the spouse or common-law partner in Canada class if they

a) il est l’époux ou le conjoint de fait d’un répondant et vit avec ce répondant au Canada;

(a) are the spouse or common-law partner of a sponsor and cohabit with that sponsor in Canada;

b) il détient le statut de résident temporaire au Canada;

(b) have temporary resident status in Canada; and

c) une demande de parrainage a été déposée à son égard.

(c) are the subject of a sponsorship application.

[23]  Cette disposition doit être lue conjointement avec l’article 4 du RIPR, lequel précise :

Mauvaise foi

Bad faith

4(1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

4(1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

b) n’est pas authentique.

(b) is not genuine.

[24]  Le libellé de l’article 4 du RIPR est sans équivoque. Une conclusion de mauvaise foi peut être fondée soit sur une conclusion selon laquelle le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR, soit sur une conclusion selon laquelle le mariage n’est pas authentique.

[25]  En plus d’être disjonctifs, ces critères comportent également une distinction temporelle. L’alinéa 4(1)a) commande une évaluation de l’intention des époux au moment du mariage alors que l’alinéa 4(1)b) exige une évaluation de l’authenticité du mariage au moment présent (Onwubolu, aux para 13-14 ; Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1522 aux para 30, 33; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1077 aux para 6, 26).

[26]  Dans sa lettre au demandeur, l’agente d’immigration conclut que celui-ci ne répond pas aux critères de la catégorie d’époux ou de conjoints de fait au Canada au motif qu’elle n’est pas convaincue qu’il entretient une relation authentique (genuine) avec sa répondante. Toutefois, dans ses notes au dossier qui sont considérées comme les motifs de la décision (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 44), elle souligne à titre d’observation que le demandeur doit démontrer que « le mariage n’a pas été contracté dans le but d’obtenir la résidence permanente au Canada ». Elle poursuit ensuite en effectuant une analyse qui s’apparente à un examen de l’authenticité de la relation. Finalement, elle conclut que le demandeur entretient une relation qui a pour but principal l’acquisition d’un statut au Canada.

[27]  Bien que l’agente d’immigration semble s’appuyer sur le critère de l’alinéa 4(1)b) du RIPR dans sa lettre au demandeur, et ce malgré l’emploi du terme « relation » plutôt que « mariage », l’observation qu’elle fait dans ses notes quant au fardeau du demandeur ainsi que le langage utilisé dans sa conclusion suggèrent plutôt l’application du critère énoncé à l’alinéa 4(1)a) du RIPR. Compte tenu de cette ambiguïté, la décision manque d’intelligibilité. L’agente d’immigration devait préciser lequel des critères, sinon les deux (2) n’étaient pas satisfaits par le demandeur et motiver sa décision en conséquence.

[28]  Par ailleurs, vu la discordance entre l’observation de l’agente d’immigration, son  analyse et la conclusion dans ses notes au dossier, il est impossible de savoir si cette dernière a employé les critères juridiques appropriés pour en arriver à sa décision. Même en appliquant de façon généreuse les principes de l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 et en faisant preuve de retenue à l’égard de la décision, la Cour n’est pas convaincue que les critères de l’article 4 du RIPR n’ont pas été confondus par l’agente d’immigration. Bien qu’il puisse y avoir des liens entre les fins principales du mariage et son authenticité, il s’agit de critères distincts aux termes de l’article 4 du RIPR qui commandent un examen selon des dimensions temporelles différentes. L’emploi du temps présent pour indiquer que le demandeur « entretient une relation qui a pour but principal l’acquisition d’un statut au Canada » suggère que l’agente a confondu les deux (2) critères juridiques distincts.

[29]  Pour ces motifs, la décision de l’agente d’immigration est déraisonnable puisqu’elle ne satisfait pas au critère d’intelligibilité prescrit par l’arrêt Dunsmuir. La demande de contrôle judiciaire doit donc être accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour un nouvel examen.

D.  Caviardage du dossier certifié du tribunal

[30]  La Cour juge nécessaire d’adresser un dernier point. De sa propre initiative, le défendeur a caviardé certaines pages du dossier certifié du tribunal [DCT]. Il s’agit du courriel de dénonciation transmis au défendeur visant à mettre en doute l’authenticité du mariage du demandeur et de son épouse. L’agente d’immigration ayant signé l’attestation qui accompagne le dossier du tribunal justifie le caviardage en indiquant que la divulgation de l’information porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Dans une lettre transmise à la Cour trois (3) jours plus tard, le défendeur invoque comme motif additionnel le privilège de l’indicateur.

[31]  Lors de l’audience, la Cour a soulevé la question du caviardage auprès du défendeur. N’étant pas satisfaite de la réponse reçue, la Cour a invité les procureurs des parties par voie de directive après l’audience à fournir des observations écrites sur l’application de l’article 87 de la LIPR à la présente instance et à défaut d’une telle application, sur l’obligation d’obtenir l’autorisation de la Cour avant de déposer un dossier dont certains extraits ont été caviardés.

[32]  L’article 87 de la LIPR, de concert avec l’article 83, permet au ministre, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, de demander l’interdiction de la divulgation de renseignements et autres éléments de preuve lorsque celle-ci pourrait porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. De façon générale, une telle demande est appuyée d’un affidavit secret qui explique les raisons pour lesquelles l’information caviardée ne peut être divulguée et contient en annexe l’information que le ministre cherche à protéger. Le juge désigné assigné au dossier examinera ensuite la demande du ministre et, s’il y a lieu, pourra tenir une audience ex parte et à huis clos au cours de laquelle le ministre pourra faire témoigner l’auteur de l’affidavit secret et faire valoir ses motifs pour garder l’information confidentielle. Si le juge désigné arrive à la conclusion que la divulgation des renseignements qui ont été caviardés porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui, ces renseignements demeureront secrets et ne seront pas accessibles au demandeur, à son procureur ou au public. Le juge désigné pourrait toutefois ordonner qu’un résumé de l’information caviardée soit remis au demandeur pour lui permettre d’être suffisamment informé. Le résumé ne pourra comporter aucun élément dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui (Soltanizadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 114; Karakachian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 948).

[33]  Dans ses observations déposées le 19 octobre 2018, le défendeur indique ne « pas nier l’application possible de l’article 87 de la LIPR » et qu’à « première vue, il s’agit effectivement (aux termes de l’article 83 de la LIPR auquel renvoie l’article 87), d’un cas dont potentiellement la ‘ divulgation [de]renseignements ou autres éléments de preuve en cause pourrait porter atteinte […] à la sécurité d’autrui ’ ». Il ajoute toutefois avoir conclu que le privilège de common law relatif à l’indicateur de police ou d’informateur se révélait plus approprié que le processus énoncé à l’article 87 pour protéger l’information visée en l’instance. Le défendeur soutient qu’en raison du caractère absolu du privilège qui a préséance sur l’équité procédurale pouvant en être affectée, il n’était pas tenu d’obtenir au préalable une autorisation de la Cour afin de légitimement caviarder du dossier du tribunal tout renseignement protégé par ledit privilège. S’appuyant sur les principes énoncés par cette Cour dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Hanjra, 2018 CF 208 [Hanjra 208], le défendeur ajoute qu’il ne fait aucun doute que ce privilège est applicable en immigration à l’égard du système de dénonciation mis en place en partenariat avec l’Agence des services frontaliers du Canada. Le défendeur invite la Cour à distinguer sa jurisprudence antérieure selon laquelle l’équité exige qu’on mette le demandeur en présence du texte intégral de la dénonciation afin de lui donner la possibilité de répondre à son contenu (voir Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1389 au para 32). Enfin, le défendeur demande à la Cour de certifier une question pour fins d’appel advenant le cas où la Cour déterminerait que la décision de l’agente d’immigration est déraisonnable du fait, soit de ne pas avoir dévoilé l’existence de la dénonciation au demandeur, soit de ne pas lui avoir remis une copie intégrale ou caviardée.

[34]  Étant donné sa conclusion quant au caractère déraisonnable de la décision, la Cour n’entend pas se prononcer sur l’application ou non du privilège soulevé par le défendeur en l’instance. Cependant, la Cour considère qu’elle doit distinguer l’affaire Hanjra 208, citée par le défendeur. Dans cette affaire, la Cour était saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section d’appel de l’immigration [SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, laquelle ordonnait au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [ministre] de lui fournir un dossier d’appel non caviardé, y compris la partie du dossier, qui selon le ministre, était assujettie au privilège relatif aux indicateurs de police. Le juge Richard F. Southcott a conclu que la SAI avait commis une erreur en concluant qu’elle était en droit d’avoir accès à des renseignements assujettis au privilège relatif aux indicateurs de police et qu’elle avait l’obligation d’examiner les renseignements caviardés pour confirmer l’existence du privilège. La décision sur laquelle s’appuie le défendeur en l’instance ne porte pas sur le pouvoir de cette Cour d’examiner les renseignements pour lesquels le privilège est revendiqué. Au contraire, la décision reconnaît que dans les cas où le tribunal administratif n’a pas un tel pouvoir, il sera nécessaire de renvoyer l’affaire à cette Cour (Hanjra 208 au para 51).

[35]  Quoique le défendeur n’y fasse pas référence, la Cour note que le juge Southcott était simultanément saisi d’une autre demande présentée par le ministre qui découlait du même dossier de parrainage. Le ministre avait remis à la SAI un certificat s’opposant à la divulgation des renseignements caviardés en vertu de l’article 37 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5 [LPC]. Le ministre a cherché à faire trancher son opposition par la Cour fédérale, ce qui a mené le juge Southcott à se prononcer sur l’application du privilège de l’indicateur de police (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Hanjra, 2018 CF 207 [Hanjra 207]. Il importe de préciser que dans le cadre de cette demande, contrairement à l’affaire qui nous occupe, l’avocat du ministre avait apporté à l’audience une copie d’un affidavit confidentiel, auquel étaient jointes les notes non caviardées du SMGC, y compris la partie visée par le privilège. L’avocat du ministre a informé qu’il était disposé à déposer une copie de l’affidavit confidentiel, moyennant une ordonnance préservant sa confidentialité. La Cour a reçu l’affidavit confidentiel, lequel a été déposé sous ordonnance de confidentialité. Même si le juge Southcott conclut que le privilège s’applique aux parties caviardées des notes et qu’il accepte le principe voulant que les cours s’abstiennent d’examiner des documents visés par un privilège pour conclure à l’existence véritable du privilège, il reconnaît néanmoins que la preuve ou les arguments présentés dans un autre dossier pourraient faire en sorte qu’il soit nécessaire de procéder à l’examen des passages caviardés (Hanjra 207 au para 29).

[36]  Dans la présente instance, il appert du dossier du tribunal qu’un agent d’immigration aurait jugé le mariage authentique avant que l’épouse du demandeur retire son engagement de parrainage en 2015. La dénonciation de deux (2) pages est reçue par le défendeur le 2 janvier 2017 dans le cadre de la deuxième demande de résidence permanente. Elle est jugée suffisamment crédible pour déclencher une enquête plus approfondie. Lors de son entrevue, le demandeur n’est pas informé de l’existence de cette dénonciation même si l’agente d’immigration lui pose des questions sur certains éléments de la dénonciation. Ce n’est que lorsqu’il reçoit les notes de l’agente d’immigration, après l’introduction de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, que le demandeur apprend l’existence de la dénonciation. Constatant que la dénonciation a été entièrement caviardée lorsqu’il reçoit le DCT, le demandeur invoque une violation de l’équité procédurale dans son mémoire supplémentaire.

[37]  La Cour reconnaît l’importance de protéger non seulement l’identité d’un informateur à qui une promesse de confidentialité a été faite, mais également l’information qui pourrait l’identifier. Cependant, la Cour doit être en mesure de s’acquitter de ses fonctions. Qu’il s’agisse d’une demande présentée en vertu de l’article 87 de la LIPR pour les cas où la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui, d’une demande en vertu de l’article 37 de la LPC lorsque l’opposition est fondée sur des raisons d’intérêt public ou d’une requête en confidentialité selon l’article 151 des Règles, il est difficile de concevoir qu’une partie puisse de son propre chef déterminer si certains renseignements doivent ou non être divulgués à l’autre partie lorsque ces renseignements étaient devant le décideur administratif et peuvent avoir influer sur sa décision.

[38]  Ceci étant dit, la Cour n’entend pas aller plus loin sur la question. Par conséquent, la Cour n’entend pas certifier la question proposée par le défendeur.


JUGEMENT au dossier IMM-993-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision de l’agente de l’immigration datée du 18 janvier 2018 est annulée;

  3. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour un nouvel examen;

  4. L’intitulé de cause est modifié afin que le nom de l’épouse du demandeur soit retiré;

  5. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-993-18

INTITULÉ :

ASAAD AL MOUSAWMAII c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 OCTOBRE 2018

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 11 DÉCEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

Rami Kaplo

Pour le demandeur

Mario Blanchard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Kaplo

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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