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Date : 20181219


Dossier : IMM‑1317‑18

Référence : 2018 CF 1280

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 19 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

JIANZHONG YU

demandeur

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Il s’agit de la première de deux demandes de contrôle judiciaire présentées par M. Yu, toutes les deux ayant une incidence négative sur sa demande de résidence permanente. Dans ce premier contrôle judiciaire, M. Yu conteste le rejet de sa demande de réadaptation. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[2]  La demande de contrôle judiciaire connexe conteste le refus d’accorder la résidence permanente à M. Yu, et ma décision à cet égard est répertoriée sous la référence 2018 CF 1281. Comme les deux décisions connexes ont été rendues séparément, un certain degré de redondance est inévitable dans la section relative au contexte de chacune des décisions.

II.  Le contexte

[3]  M. Yu, un citoyen chinois, a occupé le poste de vice‑président d’une société chinoise. Il a été statué qu’il avait profité de sa situation entre 1997 et 1999, touchant des pots‑de‑vin de 1,07 million de yuans de la part de cinq entités à diverses occasions. Il a été déclaré coupable de corruption en 1999, et il a été condamné à un emprisonnement à perpétuité ainsi qu’à une amende. La peine de M. Yu a par la suite été réduite en 2001, en 2002 et, encore une fois, en 2010. En définitive, M. Yu a purgé sa peine, sous garde ou en liberté conditionnelle pour raisons médicales, du 19 août 1999 au 21 juin 2010.

[4]  Après avoir purgé sa peine, M. Yu a présenté une demande de visa de résident temporaire (VRT) en 2014 et l’a obtenu. Il n’a pas divulgué sa déclaration de culpabilité en matière criminelle dans cette demande. M. Yu est arrivé au Canada en mars 2015 et a épousé une citoyenne canadienne environ six mois plus tard, en septembre 2015.

[5]  M. Yu a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada et a inclus ses deux filles comme personnes à charge. Encore une fois, il n’a pas divulgué sa déclaration de culpabilité en matière criminelle dans cette demande. Il ne l’a divulguée qu’en janvier 2018, après qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) l’a questionné après avoir eu vent de ses antécédents criminels. Peu après, M. Yu a présenté une demande de réadaptation, qui a été rejetée et qui fait maintenant l’objet d’un contrôle judiciaire.

III.  La décision et les questions soulevées

[6]  Les deux parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique à la décision sur la réadaptation est celle de la décision raisonnable (Tejada c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 933 [Tejada], au paragraphe 7). En outre, la question que doit trancher le tribunal judiciaire siégeant en révision est celle de savoir si la décision attaquée, considérée dans son ensemble, à la lumière du dossier, est raisonnable : Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir également Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 (Newfoundland Nurses). La seule question soulevée est celle de savoir si le rejet de la demande de réadaptation de M. Yu est raisonnable.

[7]  Dans la décision, l’agent a indiqué que, à la lumière de l’alinéa 36(2)b) de la Loi sur limmigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, M. Yu était interdit de territoire pour une infraction équivalente à la corruption. Malgré la réduction de la peine à l’étranger et les remords exprimés par M. Yu, il n’y avait pas suffisamment de preuve concernant ses activités depuis sa condamnation pour établir qu’il avait pris des mesures positives pour se réadapter. L’agent a pris note, en particulier, du fait que la demande de VRT de M. Yu comprenait des renseignements sur son emploi qui étaient peut‑être faux et du fait que M. Yu n’avait divulgué ses antécédents criminels qu’après avoir été informé par IRCC que ses représentants étaient au courant de sa déclaration de culpabilité. L’agent n’a pas été convaincu par l’explication de M. Yu concernant son défaut de divulguer.

IV.  Analyse

[8]  M. Yu conteste le caractère raisonnable de la décision, tant en ce qui concerne le fond que le caractère adéquat des motifs. Plus particulièrement, M. Yu soutient que le principe de la réadaptation vise le futur et que le décideur doit examiner la probabilité de la poursuite d’activités criminelles futures (Tejada, au paragraphe 9). M. Yu fait valoir que l’agent (i) a omis de fournir des motifs transparents, puisqu’ils sont très brefs, (ii) a omis de tenir compte des éléments de preuve concernant la réadaptation et les remords de M. Yu, notamment le fait que les tribunaux judiciaires chinois ont réduit sa peine, et (iii) a tenu compte à tort des fausses déclarations de M. Yu dans le cadre de l’évaluation de la réadaptation.

[9]  M. Yu invoque la décision Gonzalez Aviles c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1369, et affirme que l’agent a mis l’accent sur les fausses déclarations à l’exclusion de tous les autres facteurs positifs de sa conduite, omettant ainsi de tenir compte de l’ensemble des circonstances :

[18] Il y a ensuite les personnes qui, comme la demanderesse, ont été déclarées coupables ou ont commis une infraction décrite aux alinéas 36(1)b) et c) et (2)b) et c), mais qui ne font pas partie de la catégorie réglementaire des personnes réputées réadaptées. Conformément à l’alinéa 36(3)c) de la Loi, ces infractions n’entraînent pas l’interdiction de territoire lorsque la personne concernée peut convaincre le ministre de sa réadaptation. Cette disposition a pour but de permettre au ministre de tenir compte des facteurs particuliers à chaque affaire et d’examiner si l’ensemble de la situation indique que la personne en question est réadaptée. La nature de l’infraction, les circonstances dans lesquelles elle a été commise, le temps écoulé depuis l’infraction, les infractions antérieures ou postérieures, sont tous des éléments qui jouent un rôle important dans cette décision. Compte tenu du fait que le libellé de l’alinéa 36(3)c) impose à la demanderesse le fardeau de convaincre le ministre de sa réadaptation, il en découle qu’elle doit se voir accorder la possibilité de s’acquitter de ce fardeau en présentant des observations concernant les éléments de sa situation qui militent en faveur d’une telle conclusion.

[Non souligné dans l’original.]

[10]  Je suis d’accord avec M. Yu pour dire qu’une évaluation de la réadaptation doit viser le futur et examiner la question de savoir s’il y a un risque de récidive. Je suis également d’accord pour dire que l’évaluation doit mettre l’accent sur plus que les fausses déclarations. Toutefois, je ne suis pas d’accord avec M. Yu pour dire que les motifs sont insuffisants. Je ne suis pas d’accord non plus pour dire que l’agent a omis d’apprécier la preuve ou, plus important encore, qu’il a omis de tenir compte de sa situation personnelle. Au contraire, après avoir apprécié la preuve, l’agent a décidé que les facteurs positifs – qu’il a reconnus – ne l’emportaient pas sur les actes criminels antérieurs de M. Yu ou les deux fausses déclarations.

[11]  Tout examen du risque de récidive tient nécessairement compte de la nature des antécédents criminels et de ce qui s’est produit depuis, et de la question de savoir s’il existe des indicateurs qu’une telle conduite se reproduira. Pour une discussion complète de la réadaptation et de la récidive, voir la décision récente rendue dans l’affaire Tahhan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1279.

[12]  En premier lieu, en ce qui concerne les motifs, il est bien établi que, pour les décideurs administratifs, surtout lorsqu’ils exercent un large pouvoir discrétionnaire, il n’est pas nécessaire de donner des motifs détaillés et que l’insuffisance des motifs ne constitue pas à elle seule un motif de contrôle judiciaire (Newfoundland Nurses, au paragraphe 14). Il n’est pas non plus nécessaire que les motifs soient parfaits. Ils peuvent être brefs s’ils expliquent de façon adéquate le fondement de la décision (El Rahy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1058, au paragraphe 18). Il s’agissait de l’application d’un seuil et d’une décision administrative hautement discrétionnaire qui n’était pas déterminante quant à la résidence permanente. Au contraire, les motifs portaient simplement sur la question de savoir si, eu égard aux circonstances, l’agent avait décidé que M. Yu s’était réadapté.

[13]  En deuxième lieu, même si l’agent a pris expressément note de la peine réduite et des remords exprimés par M. Yu, il a fait remarquer que M. Yu n’avait pas fourni une preuve suffisante de réadaptation. Tel que l’indique le défendeur, il y avait peu de détails sur ce que constitue la réadaptation selon les tribunaux chinois ou sur les critères appliqués pour évaluer les peines réduites. En fait, il incombait à M. Yu de présenter sa cause sous ses meilleurs jours et de fournir une explication complète.

[14]  En outre, je remarque que l’agent est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve, sous réserve d’éléments de preuve contradictoires que l’agent serait tenu d’aborder. En l’espèce, je ne trouve rien qui contredisait la conclusion de l’agent et qu’il aurait a omis d’aborder de manière distincte.

[15]  Quoi qu’il en soit, la jurisprudence établit que l’évaluation du risque de récidive constitue la pierre angulaire d’une évaluation de réadaptation (Lau c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1184). En l’espèce, l’agent a en fait décidé que, malgré les progrès réalisés par M. Yu dans le passé, les circonstances actuelles ne permettaient pas de dissiper ses doutes quant au risque de récidive. Même si je suis d’accord avec M. Yu pour dire que certaines parties de la décision auraient pu être mieux rédigées, il n’est pas nécessaire que les décisions soient parfaites.

[16]  En troisième lieu, en ce qui concerne l’omission de M. Yu de divulguer sa déclaration de culpabilité, dans l’évaluation de la question de savoir si un demandeur est susceptible de commettre une infraction criminelle au Canada à l’avenir, il est raisonnable qu’un agent tire une conclusion défavorable d’une violation antérieure des lois canadiennes en matière d’immigration et de la fourniture de faux renseignements à IRCC. M. Yu a choisi, plus d’une fois, de fournir des renseignements trompeurs dans ses demandes de résidence temporaire et permanente.

[17]  M. Yu soutient que ses fausses déclarations n’étaient pas intentionnelles. Au contraire, il a invoqué un certificat de police n’indiquant aucune déclaration de culpabilité et il estimait donc qu’il répondait de manière exacte à la question posée dans le formulaire d’IRCC. En d’autres mots, il fait valoir une interprétation erronée de la question posée plutôt qu’une intention d’induire en erreur.

[18]  J’estime que la conclusion de l’agent n’est pas déraisonnable à cet égard et j’estime effectivement qu’il est difficile d’accepter l’explication que M. Yu a fournie à la Cour. En résumé, M. Yu a obtenu un certificat de police de la Chine indiquant qu’il n’avait fait l’objet d’aucune déclaration de culpabilité. Il a omis de divulguer sa déclaration de culpabilité et son emprisonnement dans les deux demandes. Plus particulièrement, M. Yu devait répondre à la question suivante sur le formulaire d’IRCC :

Est‑ce que vous‑même, ou si vous êtes le requérant principal, l’un des membres de votre famille nommés sur la demande de résidence permanente au Canada : […] b) avez déjà été reconnu coupable, ou êtes‑vous actuellement accusé, jugé pour, associé à un crime ou un délit, ou sujet à des procédures judiciaires dans un autre pays ou territoire?

[19]  Il est difficile de croire que M. Yu pourrait avoir mal compris la question lorsqu’il a répondu « non » à la question de savoir s’il avait été reconnu coupable d’un crime ou d’un délit, malgré l’existence du certificat de police. Même si je suppose qu’il s’agit d’une erreur innocente qui pourrait, prise isolément, être expliquée, il y a deux autres sections des formulaires d’IRCC qui n’indiquent pas de manière exacte les antécédents de M. Yu.

[20]  En premier lieu, M. Yu, dans la liste de ses antécédents professionnels, a donné des détails sur ses quatre postes antérieurs auprès de quatre sociétés différentes depuis 1985, fournissant les mois et les années où il a occupé chaque poste, comme il est exigé. Ces antécédents professionnels visaient la période de son emprisonnement. Toutefois, il a indiqué un chômage ininterrompu en Chine de juillet 1985 à juillet 2016, lorsqu’il est venu au Canada pour des vacances. Rien ne précise s’il a passé du temps en prison ou s’il était en chômage ordinaire.

[21]  En deuxième lieu, même si l’agent ne l’a pas mentionné expressément, le formulaire d’IRCC comprend une question quant à savoir si le demandeur avait « déjà été gardé en détention, incarcéré ou en prison ». Encore une fois, M. Yu a répondu « non ».

[22]  L’agent a renvoyé à la malhonnêteté de M. Yu à l’égard de ces deux fausses déclarations. L’arrêt Newfoundland Nurses autorise la cour de révision à aller au‑delà des motifs pour voir ce qui les anime et, en l’espèce, je ne trouve rien de déraisonnable à cet égard, étant donné qu’il y avait plus d’un cas de malhonnêteté. Même s’il est difficile de le croire, la première réponse inexacte pourrait simplement avoir été un oubli. Toutefois, la décision de l’agent est justifiable et intelligible lorsque l’ensemble de la décision est pris en considération. Somme toute, la fraude et la malhonnêteté sous‑tendent l’infraction de corruption qui a donné lieu à l’origine à la demande de réadaptation.

[23]  La conduite de M. Yu à l’égard de ses demandes à IRCC, même si elle n’était pas si grave, dénote néanmoins une malhonnêteté continue, comme l’a conclu l’agent. En conclusion, j’invoque encore une fois la décision Tejada, une décision récente de la Cour. Dans cette décision, le juge Southcott a conclu que « la volonté de faire fi des dispositions en matière de droit de l’immigration témoigne d’un manque de respect des lois en général et d’un refus d’assumer sa responsabilité à l’égard de ses activités criminelles antérieures, et ne cadre pas avec une conclusion de réadaptation » (au paragraphe 20).

[24]  De même, il était loisible à l’agent, lorsqu’il a évalué la probabilité que la conduite criminelle se poursuive, de tenir compte de la malhonnêteté dont a fait preuve M. Yu lorsqu’il a fait des fausses déclarations aux autorités canadiennes de l’immigration. Il était raisonnable que l’agent tienne compte des éléments de preuve liés à la peine réduite et aux remords de M. Yu, mais qu’il conclue en fin de compte que le mépris de M. Yu à l’égard des lois canadiennes en matière d’immigration l’emportait sur ces éléments de preuve. Même si les motifs de l’agent étaient effectivement brefs, je suis en mesure de comprendre la justification de sa décision. Cela ne fournit aucun fondement permettant à la Cour d’intervenir.

[25]  En dernier ressort, les issues qu’il était loisible à l’agent de choisir sont binaires – oui ou non. S’il y avait eu une zone grise, l’agent aurait pu conclure que M. Yu était sur la voie de la réadaptation, plutôt que de la récidive. Toutefois, en l’espèce, vu les options qui s’offraient à lui, l’agent a conclu que le demandeur n’était pas encore réadapté. C’était une des issues possibles, eu égard aux circonstances.

V.  Conclusion

[26]  La décision de l’agent concernant la réadaptation était raisonnable. Elle sera maintenue.




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