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Date : 20181211


Dossier : IMM‑858‑18

Référence : 2018 CF 1244

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

THILIP JOYFRED EDWARD JEYARATNAM,

IRIN THILIP JOYFRED,

ASHLYNN THILIP JOYFRED,

AIDEN THILIP JOYFRED

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), qui vise la décision datée du 1er février 2018 (la décision), dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR ou la Commission) a rejeté la demande d’asile des demandeurs, refusant ainsi de leur accorder la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou celle de personnes à protéger, au titre des articles 96 et 97 de la Loi, respectivement.

II.  LE CONTEXTE

[2]  Thilip Joyfred Edward Jeyaratnam [le demandeur adulte], son épouse Irin Thilip Joyfred [la demanderesse adulte] et leurs deux enfants (ensemble les demandeurs) sont arrivés au Canada en octobre 2017. Le demandeur adulte est un citoyen du Sri Lanka. La demanderesse adulte et les deux enfants sont des citoyens de l’Inde. Les demandeurs allèguent qu’ils sont exposés à un risque, tant au Sri Lanka qu’en Inde.

[3]  Les demandeurs affirment qu’ils vont être exposés à la persécution et même à un risque de mort aux mains d’une organisation islamique nommée Tamil Nadu Thowheed Jamath [TNJT] s’ils sont renvoyés en Inde. Les demandeurs sont chrétiens et ils allèguent que des membres du TNJT se livrent à du harcèlement systématique depuis 2017. Selon les demandeurs, des membres du TNJT ont continuellement exigé d’importantes sommes d’argent du demandeur adulte. De plus, les demandeurs allèguent que des membres du TNJT ont menacé de violence la demanderesse adulte si elle ne se convertissait pas à l’islam.

[4]  En outre, le demandeur adulte prétend qu’il craint d’être persécuté par le gouvernement sri lankais, qui lui reproche d’appartenir aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul [TLET]. Le demandeur adulte allègue qu’il a été arrêté par des agents de police au Sri Lanka et qu’il a été victime d’une longue agression par ceux‑ci durant un interrogatoire. Il craint que le gouvernement sri lankais le détienne s’il retourne dans ce pays.

[5]  En dernier lieu, le demandeur adulte allègue que le Bodu Bala Sena [BBS], un groupe bouddhiste extrémiste sri lankais qui a une réputation de violence, lui a exigé de l’argent à maintes reprises. Il craint que le BBS l’assassine s’il retourne au Sri Lanka.

[6]  Le demandeur adulte allègue qu’il ne peut pas retourner en Inde, parce qu’il n’a pas qualité d’immigrant en règle dans ce pays.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[7]  Le 1er février 2018, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés ni celle de personnes à protéger. La SPR a statué que la crédibilité des demandeurs ainsi que le pays de référence étaient les questions déterminantes en l’espèce.

[8]  La SPR a établi, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse adulte et les enfants sont des citoyens de l’Inde. De plus, la SPR a jugé, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur adulte est admissible à demander la citoyenneté en Inde. La SPR a fondé cette conclusion sur une analyse de la loi indienne, le Citizenship (Amendment) Act de 2015. Selon la SPR, le demandeur adulte est admissible à la citoyenneté indienne, parce qu’il satisfait aux critères qui sont énoncés dans cette loi.

[9]  La SPR a ensuite analysé si l’acquisition de la citoyenneté indienne relevait du contrôle du demandeur adulte. Pour effectuer cette analyse, la SPR a eu recours au critère à deux volets énoncé dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Williams, 2005 CAF 126, et précisé dans l’arrêt Tretsetsang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 175. En ce qui concerne le premier volet du critère, la SPR a conclu « qu’il n’existe aucun obstacle important qui empêche le demandeur d’asile principal d’exercer les droits que lui confère la citoyenneté ». Pour ce qui est du deuxième volet du critère, la SPR a statué que le demandeur adulte n’avait fait aucun effort raisonnable pour obtenir la citoyenneté indienne. Présenter une demande de citoyenneté indienne et se soumettre à une évaluation de sécurité auraient été des exemples d’efforts raisonnables.

[10]  La SPR a tenu compte des arguments selon lesquels la citoyenneté indienne n’est pas systématiquement accordée sur demande et l’Inde fait preuve de discrimination dans les affaires d’immigration à l’endroit des Tamouls sri lankais. La SPR a statué, selon la prépondérance des probabilités, que la citoyenneté indienne serait accordée au demandeur adulte s’il la demandait. De plus, la SPR a établi, selon la prépondérance des probabilités, que la race du demandeur adulte ne représente pas un obstacle important à l’acquisition de la citoyenneté indienne.

[11]  D’après la SPR, tous les efforts qu’aurait déployés le demandeur adulte pour acquérir la citoyenneté indienne en 2012 et 2013 n’équivalent pas à des efforts raisonnables en raison des changements qui ont été apportés à la législation sur la citoyenneté en 2015. La SPR a statué qu’il était déraisonnable de la part du demandeur adulte de ne pas avoir déployé d’efforts raisonnables dans le but d’obtenir la citoyenneté indienne sous le régime de la loi en vigueur.

[12]  La SPR a également établi que la présomption de crédibilité avait été réfutée en l’espèce pour plusieurs raisons. En premier lieu, la SPR a conclu que la preuve documentaire présentée par les demandeurs contenait de nombreuses omissions inexpliquées. Fait important, les demandeurs avaient omis d’inscrire dans leurs formulaires Fondement de la demande d’asile [les formulaires FDA] le fait que la famille de la demanderesse adulte avait menacé d’assassiner les demandeurs après le mariage du couple, et ce, sans explication raisonnable. En outre, les demandeurs avaient omis dans leur formulaire FDA le fait que des membres de la famille de la demanderesse adulte appartenaient au TNTJ, là encore sans explication raisonnable.

[13]  En deuxième lieu, la SPR a statué que les demandeurs n’avaient pas réussi à expliquer de façon raisonnable pourquoi ils avaient omis de fournir de la preuve documentaire pour corroborer l’allégation selon laquelle le TNTJ est actif en Inde.

[14]  En dernier lieu, la SPR a établi que la présomption de véracité avait été réfutée en raison du manque de preuve objective démontrant que le TNTJ est actif en Inde.

[15]  Le demandeur adulte a expliqué qu’il avait omis de mentionner les menaces de membres de la famille de la demanderesse adulte dans son formulaire FDA, parce que le TNTJ est l’entité distincte qui menace de leur causer un préjudice. Il aurait été redondant, aux yeux du demandeur adulte, d’énumérer chacune des personnes qui pouvaient leur faire du tort. La SPR a jugé cette explication déraisonnable et incompatible avec les directives claires qui se trouvent dans le formulaire FDA. Cette conclusion a affaibli la crédibilité des demandeurs.

[16]  L’explication du demandeur adulte quant aux raisons pour lesquelles il avait omis de mentionner l’allégation selon laquelle les membres de la famille de la demanderesse adulte adhéraient au TNTJ reposait sur un raisonnement similaire. Le demandeur adulte a fait valoir que la population de foi musulmane constitue une communauté. La SPR a conclu que cette explication était déraisonnable et elle a pris connaissance d’office du fait que les musulmans forment un groupe diversifié de personnes. Elle a mentionné que le TNTJ ne pouvait donc pas systématiquement inclure les membres de la famille de la demanderesse adulte. Cette explication a affaibli la crédibilité des demandeurs.

[17]  Le demandeur adulte a expliqué qu’il n’avait pas présenté de preuve documentaire au sujet de la présence du TNTJ en Inde, parce qu’il était possible de trouver une preuve de cette nature dans le moteur de recherche Google. La SPR a conclu que cette explication était déraisonnable, parce qu’il incombait aux demandeurs de prouver le fondement de leur demande d’asile. Par ailleurs, la SPR a conclu qu’on peut facilement trouver de l’information de cette nature à l’aide de Google. Cette constatation a affaibli la crédibilité des demandeurs.

[18]  La SPR a établi que l’allégation des demandeurs selon laquelle ils avaient une crainte bien fondée de persécution aux mains du TNTJ en Inde ne reposait sur aucun fondement objectif. Une appréciation de la preuve documentaire dont elle disposait a incité la SPR à conclure que l’allégation des demandeurs selon laquelle ils étaient persécutés par le TNTJ en raison de leur foi chrétienne ne reposait sur aucun fondement objectif.

[19]  La SPR s’est aussi demandé si les demandeurs étaient exposés à un risque sérieux de persécution en Inde à cause de leur foi chrétienne. En premier lieu, la SPR a étudié les circonstances dans lesquelles évoluent les chrétiens au Tamil Nadu, où les demandeurs résidaient en Inde. La SPR a conclu que les incidents de mauvais traitements sont moins courants au Tamil Nadu que dans les régions du nord du pays. La SPR a également établi que la population chrétienne est de taille importante au Tamil Nadu. La SPR a conclu que les demandeurs pouvaient être victimes de discrimination à cause de leur religion, mais que ces actes n’atteindraient pas, selon la prépondérance des probabilités, le niveau de la persécution. En étudiant la preuve, la SPR a admis « qu’une source avance que comme la communauté chrétienne est éparpillée en de relativement petits groupements, il existe un risque partout où vivent des chrétiens », mais elle a conclu que « [c]omme il y a en Inde des régions où les chrétiens sont majoritaires, ceux‑ci ne sont pas exposés, selon la prépondérance des probabilités, à un risque sur l’ensemble du territoire indien parce qu’ils sont éparpillés dans toute l’Inde en de relativement petits groupements ».

[20]  En résumé, la SPR a établi que l’Inde est le bon pays de référence, parce que le demandeur adulte est admissible à demander la citoyenneté indienne, que les demandeurs manquent de crédibilité et qu’ils n’ont pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils seraient exposés à une possibilité sérieuse de persécution s’ils retournaient en Inde. Par conséquent, la SPR a statué que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger. La SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs.

IV.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[21]  Voici les questions en litige en l’espèce :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La SPR a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale?

  3. La décision de la SPR est‑elle raisonnable?

V.  LA NORME DE CONTRÔLE

[22]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. Ainsi, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont la cour est saisie a été établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, il est loisible à la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette recherche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que le tribunal procédera à l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle (Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[23]  Les tribunaux ont récemment conclu que la norme de contrôle applicable relativement à une allégation de manquement à l’équité procédurale est celle de la « décision correcte » (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 43, 59 et 61 [Khosa]).

[24]  Même si l’appréciation de l’équité procédurale est compatible avec la jurisprudence récente, il ne s’agit pas d’une méthode judicieuse au plan doctrinal. Il est préférable de conclure qu’aucune norme de contrôle n’est applicable à la question de l’équité procédurale. Voici comment la Cour suprême du Canada s’est exprimée sur la question de l’équité procédurale dans sa décision Moreau‑Bérubé c Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11 (au paragraphe 74) :

[L’équité procédurale] n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier.

[25]  L’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, récemment rendu par la Cour d’appel fédérale, est riche en enseignements (mémoire en réplique des demandeurs, au paragraphe 9). Dans cette décision, le juge Rennie a affirmé ce qui suit, au paragraphe 54 :

La cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris à l’égard des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker. Une cour de révision fait ce que les cours de révision ont fait depuis l’arrêt Nicholson; elle demande, en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi. Je souscris à l’observation du juge Caldwell dans Eagle’s Nest (para. 21) selon laquelle, même s’il y a une certaine maladresse dans l’utilisation de la terminologie, cet exercice de révision est [traduction] « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte », même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée.

[Non souligné dans l’original.]

[26]  La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait de la SPR ainsi qu’à son appréciation de la crédibilité et de la preuve est celle de la décision raisonnable (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 969, au paragraphe 22).

[27]  Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêts Dunsmuir, au paragraphe 47, et Khosa, au paragraphe 59, précités). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[28]  Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire :

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.


VII.  L’ARGUMENTATION

A.  Les demandeurs

[29]  Les demandeurs affirment que la SPR a appliqué le mauvais critère quand elle a examiné s’ils avaient une crainte bien fondée de persécution. Alors que la SPR a apprécié cette question selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs prétendent que l’existence d’une probabilité de persécution n’est pas nécessaire. À l’appui de cet argument, les demandeurs invoquent la décision Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a fait une distinction entre la norme de preuve pour les besoins des conclusions de fait, d’une part, et le critère juridique applicable pour établir une crainte bien fondée de persécution, d’autre part. Les demandeurs font valoir que la norme appropriée consiste à savoir s’il existe une possibilité raisonnable ou de bons motifs de croire que les demandeurs seraient exposés à la persécution dans le pays de référence. La SPR a utilisé une norme plus stricte et, par conséquent, elle a rendu une décision déraisonnable.

[30]  Les demandeurs font également valoir que la SPR a dérogé aux règles d’équité procédurale en concluant que les demandeurs s’en étaient remis à tort à une version périmée de la législation indienne en matière de citoyenneté. Les demandeurs affirment qu’on aurait dû leur donner une possibilité de présenter des observations écrites ou de vive voix au sujet des dispositions législatives périmées en matière de citoyenneté sur lesquelles la SPR s’est fondée. Les demandeurs soutiennent cet argument en décrivant à quel point la question de la citoyenneté revêtait une importance énorme pour la demande d’asile du demandeur adulte.

[31]  Selon les demandeurs, la SPR a déraisonnablement conclu que le demandeur adulte n’avait pas déployé suffisamment d’efforts pour obtenir la citoyenneté en Inde. En particulier, les demandeurs font valoir que le demandeur adulte a donné une explication raisonnable à savoir pourquoi il n’avait pas demandé la citoyenneté indienne après son arrivée au Canada.

[32]  Les demandeurs prétendent aussi que la SPR a omis d’effectuer une appréciation appropriée des Directives no 4 du président de la Commission : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe]. D’après eux, la SPR a mentionné que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe avaient été prises en considération, mais elle n’a pas formulé de conclusion particulière en ce qui concerne la demanderesse adulte. Bien que les demandeurs admettent que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe n’ont pas force de loi, ils prétendent qu’il peut être déraisonnable dans certaines circonstances de ne pas en tenir compte.

[33]  Les demandeurs allèguent en outre qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de tirer des conclusions sur la crédibilité en se fondant sur l’omission par les demandeurs de produire une preuve corroborant l’existence du TNJT en Inde. Il est déraisonnable d’attaquer la crédibilité d’un demandeur d’asile en se fondant sur l’absence de preuve corroborante.

[34]  Les demandeurs affirment que les conclusions de la SPR en matière de crédibilité étaient déraisonnables à cause d’une absence de motifs et d’erreurs susceptibles de contrôle. Plus particulièrement, les demandeurs font valoir que les omissions mentionnées par la SPR étaient bénignes. Cette forme [traduction« d’examen tatillon au microscope » rend la décision déraisonnable. À l’appui de cet argument, les demandeurs invoquent un long courant jurisprudentiel qui confirme qu’une attention déplacée à des détails futiles peut rendre une décision déraisonnable.

[35]  Les demandeurs renchérissent en mentionnant que la SPR a omis d’apprécier l’intégralité de la preuve. En particulier, ils font valoir que la preuve documentaire faisant état des mauvais traitements infligés aux minorités religieuses en Inde et aux personnes d’origine ethnique tamoule au Sri Lanka n’a pas été suffisamment étudiée.

B.  Le défendeur

[36]  Le défendeur affirme le caractère raisonnable de la décision de la Commission. Selon le défendeur, les préoccupations de la SPR en matière de crédibilité étaient justifiées par des omissions substantielles qui n’étaient pas bénignes. Il était raisonnable de la part de la SPR d’avoir des réserves quant à la crédibilité des demandeurs en raison de ces omissions.

[37]  Le défendeur ajoute qu’il était raisonnable de la part de la SPR d’exiger une preuve corroborante en ce qui a trait à la présence du TNTJ en Inde. D’autant plus que la preuve était facilement accessible pour les demandeurs.

[38]  Le défendeur soutient que la SPR a adéquatement tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Qui plus est, en raison des réserves de la SPR concernant la crédibilité de la demanderesse adulte, un examen plus approfondi des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe n’aurait eu aucune conséquence importante pour l’issue des demandes d’asile.

[39]  Le défendeur affirme qu’il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que le demandeur adulte est admissible à la citoyenneté indienne. De plus, le défendeur fait valoir qu’il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que le demandeur adulte n’avait pas déployé suffisamment d’efforts pour acquérir la citoyenneté indienne.

[40]  Le défendeur fait également valoir que la SPR n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale en prenant en considération la législation indienne modifiée de 2015 en matière de citoyenneté. Le défendeur s’inscrit en faux relativement à l’allégation des demandeurs selon laquelle on ne leur a pas accordé une possibilité de présenter des observations au sujet des dispositions législatives. Les demandeurs étaient au courant que la possibilité pour le demandeur adulte d’obtenir la citoyenneté indienne était en cause. Par conséquent, les demandeurs ont eu la possibilité de présenter des observations à ce sujet. De plus, le défendeur affirme que les mesures législatives indiennes sont publiques, et ce, depuis 2015.

[41]  Selon le défendeur, la SPR a adéquatement apprécié la preuve documentaire concernant les conditions du pays au Sri Lanka et en Inde. La SPR a expressément fait mention de cas de mauvais traitements infligés aux minorités religieuses en Inde.

[42]  En dernier lieu, le défendeur fait valoir que la SPR n’a pas confondu la norme de preuve et le critère juridique. Selon le défendeur, la SPR a expressément appliqué le bon critère juridique à de nombreuses reprises.

VIII.  L’ANALYSE

[43]  Les demandeurs allèguent l’existence de nombreuses erreurs, allégations lesquelles je vais me pencher à tour de rôle. Toutefois, je conclus dans l’ensemble que la SPR n’a commis aucune erreur révisable qui justifierait le renvoi de la présente affaire en vue d’un nouvel examen.

A.  L’application du mauvais critère

[44]  Les demandeurs affirment que la SPR a appliqué un critère de « prépondérance des probabilités » pour établir s’ils avaient une crainte bien fondée de persécution au sens de l’article 96 de la Loi, et que ce mauvais critère a entaché toute la décision.

[45]  À la lecture de la décision intégrale, on constate clairement que la SPR n’a pas confondu la norme de preuve (« prépondérance des probabilités ») et le critère juridique de la persécution (« possibilité sérieuse » ou « chance raisonnable ou bons motifs »). Chaque fois que la SPR invoque le critère de la « prépondérance des probabilités », elle fait clairement allusion à la norme de preuve, et elle applique cette distinction dans la conclusion :

[59]  Après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve mis à sa disposition, le tribunal tire les conclusions suivantes :

a.  L’Inde est un pays de référence puisque la demandeure d’asile adulte et les demandeurs d’asile mineurs sont tous des citoyens de l’Inde et que le demandeur d’asile principal est en mesure d’obtenir la citoyenneté indienne;

b.  En raison de problèmes de crédibilité, les demandeurs d’asile n’ont pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe une possibilité sérieuse qu’ils soient persécutés par le TNTJ à leur retour en Inde;

c.  Selon la prépondérance des probabilités, il n’existe pas de possibilité sérieuse que les demandeurs d’asile soient persécutés à titre de chrétiens à leur retour en Inde.

B.  La violation des règles de justice naturelle

[46]  Les demandeurs affirment que la SPR a violé l’équité procédurale quand elle s’est fondée sur le Citizenship (Amendment) Act de 2015 de l’Inde pour conclure que le demandeur adulte satisfaisait à tous les critères pour obtenir la citoyenneté en Inde.

[47]  Les demandeurs ne soutiennent pas que cette loi plus récente n’est pas applicable à la situation du demandeur adulte ou qu’il n’a pas les qualités requises pour obtenir la citoyenneté en vertu des dispositions de celle‑ci. Ils affirment simplement qu’on n’a pas accordé au demandeur adulte la possibilité de répondre :

[traduction]

24.  Étant donné que le tribunal s’en est remis au Citizenship Act (Amendment) de 2015, la commissaire était tenue de donner aux demandeurs une occasion de répondre à cette question. Le tribunal aurait dû demander des observations écrites au conseil des demandeurs ou encore une autre audience pour permettre aux demandeurs de présenter leurs arguments de manière significative afin de répondre à la question de la citoyenneté indienne sous le régime du Citizenship Act (Amendment) de 2015.

[48]  Voici comment la SPR a traité cette question :

[13]  Le demandeur d’asile principal répond à tous les critères nécessaires à l’obtention de la citoyenneté pour les raisons suivantes :

a.  Le mariage a été enregistré en Inde.

b.  Le mariage entre le demandeur d’asile principal et la demandeure d’asile adulte dure depuis plus de deux ans.

c.  Aucun élément de preuve convaincant ne permet de penser que le demandeur d’asile principal échouerait au contrôle de sécurité puisqu’il n’a jamais été accusé ou déclaré coupable d’un crime.

d.  Parmi les parents, les grands‑parents et les arrière‑grands‑parents du demandeur d’asile principal et de la demandeure d’asile adulte, il n’y a personne qui a été ou qui est citoyen du Pakistan ou du Bangladesh. Selon le cartable national de documentation sur l’Inde, le Sri Lanka ne fait pas partie des pays désignés par le gouvernement central au regard desquels le fait d’avoir un ancêtre citoyen de l’un de ces pays représente un empêchement pour l’obtention de la citoyenneté indienne. Les demandeurs d’asile n’ont d’ailleurs présenté aucun élément de preuve du contraire.

[14]  Le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que le conseil des demandeurs d’asile applique incorrectement la loi indienne sur la citoyenneté en ce qui concerne les ressortissants étrangers mariés à des citoyens indiens. Le conseil des demandeurs d’asile a fait valoir que le demandeur d’asile principal n’est pas en mesure d’obtenir la citoyenneté parce qu’il ne répond pas aux exigences. Plus précisément, le conseil des demandeurs d’asile a soutenu qu’il aurait fallu que le demandeur d’asile principal ait été marié à un citoyen indien et qu’il ait vécu en Inde légalement pendant sept ans. Or, la loi de 2003 modifiant la loi sur la citoyenneté (Citizenship Amendment Act, 2003) invoquée par le conseil des demandeurs d’asile afin d’étayer cet argument a été remplacée par la loi de 2015 modifiant la loi sur la citoyenneté. La loi de 2015 modifiant la loi sur la citoyenneté a assoupli les exigences rattachées à la citoyenneté et permet, en vertu du nouveau libellé de la section 7A, aux ressortissants étrangers mariés à des citoyens indiens de s’inscrire à titre de citoyens depuis l’étranger.

[Notes de bas de page omises.]

[49]  La présente affaire ne soulève aucune question d’équité procédurale pour les motifs suivants :

  • a) Les demandeurs et leur conseil ont été dûment avisés avant l’audience que les pays de référence étaient le Sri Lanka et l’Inde et qu’il leur incombait de consulter le site Web de la Commission pour étudier les documents pertinents dans les cartables nationaux de documentation [CND]. Voici le passage pertinent de la lettre de divulgation de la Commission du 7 novembre 2017 :

[traduction]

1)  Les pays de référence dans votre demande d’asile sont le Sri Lanka et l’Inde. Vous trouverez l’index [du/des] pays de référence dans les « cartables nationaux de documentation », sous la rubrique « recherche » du site Web de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) : [...].

Veuillez prendre note qu’il vous incombe de consulter le site Web de la CISR pour examiner les documents du cartable national de documentation (CND) [du pays/des pays] susmentionné(s), car la Section peut tenir compte de certains renseignements figurant dans le CND au moment de rendre une décision concernant la demande d’asile. Il vous incombe aussi de vérifier le site Web de la CISR pour y trouver la plus récente version du CND pertinent avant l’audience.

  • b) Le CND précise que le Citizenship (Amendment) Act de 2015 de l’Inde était un document que les demandeurs devaient étudier. Voir le dossier certifié du tribunal [DCT], page 220, au paragraphe 3.12;

  • c) Les demandeurs et leur conseil ont été dûment avisés à l’audience que la SPR était particulièrement préoccupée par la question de l’admissibilité à la citoyenneté indienne;

  • d) Les demandeurs ont eu toutes les possibilités d’aborder cette question à l’audience et leurs réponses ont été clairement prises en considération par la SPR dans sa décision;

  • e) Étant donné que la législation indienne à jour et en vigueur est accessible au public, il ne s’agit pas d’une preuve extrinsèque (elle précède de deux ans la date de l’audience) et rien ne donne à penser que les demandeurs et leur conseil n’en auraient pas été informés, d’autant plus que le CND y faisait référence;

  • f) Le fait que les demandeurs et leur conseil ont choisi de s’en remettre à des dispositions législatives périmées n’est pas une question d’équité procédurale. Les demandeurs font maintenant valoir que [traduction« la citoyenneté du demandeur adulte revêt une importance énorme ». Pourtant, les demandeurs n’ont pas réussi à répondre adéquatement à cette question « énorme » quand ils en ont été avisés et ils ont choisi de s’en remettre à des dispositions législatives périmées alors qu’on leur avait dit de prendre connaissance du paragraphe 3.12 du CND. Même à ce jour, ils n’affirment pas que le demandeur adulte ne répond pas aux critères d’obtention de la citoyenneté sous le régime de la législation indienne applicable.

C.  Les efforts pour obtenir un statut en Inde

[50]  Les demandeurs affirme qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de s’attendre à ce que le demandeur adulte tente de demander la citoyenneté indienne, étant donné qu’il continue d’affirmer qu’il a une crainte bien fondée de persécution dans ce pays.

[51]  Pour décider qu’il était déraisonnable de la part du demandeur adulte de ne pas tenter d’obtenir la citoyenneté en Inde, la SPR a tenu compte de la crainte de persécution des demandeurs en Inde et, après s’être penchée sur cette crainte, elle a conclu qu’elle n’était pas bien fondée :

[24]  Le tribunal a demandé au demandeur d’asile principal s’il avait tenté d’obtenir la citoyenneté indienne pendant qu’il était au Canada. Le demandeur d’asile principal a répondu qu’il ne l’avait pas fait puisqu’il n’était arrivé au Canada que tout récemment. Le tribunal a demandé au demandeur d’asile principal pourquoi il n’avait pas essayé d’obtenir la citoyenneté indienne depuis le Canada. Le demandeur d’asile principal a déclaré qu’il n’avait passé qu’un mois au Canada. Il affirme que sa vie est en danger en Inde parce qu’il a épousé une musulmane qui s’est convertie au christianisme pour lui.

[25]  Aux yeux du tribunal, l’explication du demandeur d’asile principal selon laquelle il n’a pas tenté d’obtenir la citoyenneté indienne depuis le Canada parce qu’il n’est arrivé que tout récemment et qu’il n’est ici que depuis un mois n’est pas raisonnable. Le demandeur d’asile principal est une personne instruite : il a fait des études universitaires en Inde et au Royaume‑Uni. Bien qu’il soit au Canada depuis peu, le demandeur d’asile principal possède une instruction et des connaissances qui lui ont permis de retenir les services d’un conseil en prévision de cette audience concernant le statut de réfugié. Le tribunal s’attendrait à ce qu’une personne possédant le niveau d’éducation et l’expérience de vie du demandeur d’asile principal envisage toutes les voies légales possibles, y compris l’obtention de la citoyenneté indienne.

[26]  Pour les motifs exposés ci‑après, le tribunal conclut que l’allégation du demandeur d’asile principal selon laquelle il craint pour sa vie en Inde parce qu’il a épousé une musulmane qui s’est convertie au christianisme pour lui n’est pas crédible. Par conséquent, le tribunal juge également déraisonnable l’explication du demandeur d’asile principal quant à savoir pourquoi il n’a pas fait d’efforts pour obtenir la citoyenneté indienne.

[52]  Il n’y a rien de déraisonnable dans ces conclusions.

D.  Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe

[53]  En ce qui concerne la demanderesse adulte, les demandeurs font valoir que la SPR n’a effectué aucune évaluation en application des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe :

[traduction]

39.  Compte tenu de tous les renseignements qui précèdent, les demandeurs font valoir que la crainte de persécution bien fondée de la demanderesse adulte devait être appréciée par le tribunal à la lumière des Directives. Le tribunal n’a pas fait une appréciation défavorable de la crédibilité au vu de la preuve de la demanderesse adulte concernant les raisons pour lesquelles elle était à risque en Inde. La demanderesse adulte répond à la définition des quatre grandes catégories décrites dans les Directives, mais aucun examen sur le fond des Directives n’a été effectué relativement à cette demande d’asile en particulier. Les Directives ont été mises en application pour reconnaître la position vulnérable des femmes qui demandent l’asile. On ne saurait exagérer l’importance de suivre ces directives. Le tribunal a formulé une déclaration générique selon laquelle les Directives avaient été suivies, mais les demandeurs font valoir que le tribunal n’a pas réalisé d’évaluation conforme aux Directives. Pour ce motif, le tribunal a commis une erreur susceptible de révision.

[54]  La SPR indique clairement dans ses motifs qu’elle a tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe dans son examen de la demande d’asile de la demanderesse adulte (voir le paragraphe 4 de la décision). Toutefois, les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe en elles‑mêmes ne peuvent pas remédier à toutes les lacunes susceptibles de se présenter dans la demande d’asile ou la preuve d’un demandeur (Karanja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 574, au paragraphe 7; Manege c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 374, au paragraphe 31).

[55]  La décision dans son ensemble permet de conclure qu’en l’espèce, il a été établi que les demandeurs manquaient généralement de crédibilité sur des aspects qui ne pouvaient pas être attribués aux vulnérabilités énoncées dans les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Je vais me pencher ci‑dessous sur les conclusions concernant la crédibilité, mais voici comment la SPR elle‑même a résumé les problèmes de crédibilité :

[50]  L’omission de toute mention dans le formulaire FDA des menaces de mort proférées par des parents de la demandeure d’asile adulte contre les demandeurs d’asile et des liens de ces parents avec le TNTJ ainsi que l’absence de preuve documentaire objective confirmant la présence du TNTJ réfutent la présomption de véracité rattachée à l’allégation des demandeurs d’asile selon laquelle ils seraient persécutés par le TNTJ en Inde.

[51]  Pour les motifs qui précèdent, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs d’asile n’ont pas établi qu’il existe une possibilité sérieuse qu’ils soient persécutés s’ils devaient retourner en Inde.

[56]  La preuve qui justifie les préoccupations concernant la crédibilité se trouve dans les graves omissions dans le formulaire FDA des demandeurs en ce qui a trait aux menaces proférées par des membres de la famille de la demanderesse adulte et le fait que des membres de la famille adhéraient au TNTJ en Inde. Le demandeur adulte a tenté d’expliquer ces omissions de manières qui n’étaient pas crédibles et, ce faisant, il a affaibli la demande d’asile de tous les demandeurs, y compris celle de la demanderesse adulte qui n’a pas essayé à l’audience d’attribuer ces problèmes de crédibilité à ses vulnérabilités en tant que femme, même si elle était représentée par un conseil compétent. En fait, l’exposé circonstancié du demandeur adulte est simplement joint au formulaire FDA de la demanderesse adulte. Celle‑ci ne présente aucun exposé de son propre cru et démontre qu’elle s’en remet à la preuve du demandeur adulte. Les demandeurs se plaignent que la SPR n’a pas fait mention du paragraphe 17 de l’exposé circonstancié des demandeurs, qui expose ce qui suit :

[traduction]

17.  Après cet incident, les membres du TNTJ ont commencé à rendre visite à mon épouse à l’hôpital et à la maison pour la harceler en lui disant qu’elle était une traîtresse parce qu’elle avait épousé une personne autre qu’un musulman, qu’elle s’était convertie au christianisme et qu’elle ne se conformait pas aux préceptes de l’islam. Ils l’ont menacée de détruire ma famille si elle ne revenait pas à sa religion initiale et si elle ne me convertissait pas à l’islam. Ils ont également rencontré ses parents et les ont menacés.

[57]  Voici le paragraphe 29 des motifs de la décision est libellé ainsi :

[29]  Le demandeur d’asile principal a témoigné que des membres de la famille de la demandeure d’asile adulte les menacent depuis qu’ils se sont mariés. Le demandeur d’asile principal a affirmé qu’ils avaient été prévenus que s’ils ne se convertissaient pas à l’Islam, leur vie serait en danger. Il a ajouté que les membres de la famille de la demandeure d’asile adulte avaient l’intention de les tuer en les dénonçant au TNTJ. Or, le formulaire FDA ne mentionne pas que des membres de la famille de la demandeure d’asile adulte les auraient menacés, comme le prétend le demandeur d’asile principal.

[58]  Le paragraphe 17 de l’exposé circonstancié ne fait pas mention de menaces par des membres de la famille; il s’agit de la principale incohérence qui a été invoquée pour justifier la conclusion défavorable concernant la crédibilité.

[59]  Les demandeurs affirment que le témoignage de la demanderesse adulte aurait dû être apprécié séparément de celui de son époux quant aux conclusions sur la crédibilité, en raison de ses vulnérabilités et compte tenu de la preuve documentaire qui fait état de violence contre les femmes en Inde.

[60]  La préoccupation particulière en l’espèce concerne l’omission des menaces de la part de la famille de la demanderesse adulte. À cet égard, la demanderesse adulte a choisi de s’en remettre à l’exposé circonstancié du demandeur adulte, de sorte qu’il était raisonnable de la part de la SPR d’interroger l’auteur de cet exposé. Les demandeurs se plaignent maintenant que [traduction« le tribunal n’a pas fait une appréciation défavorable de la crédibilité de la preuve de la demanderesse adulte concernant les raisons pour lesquelles elle était à risque en Inde ». Mais la SPR a apprécié défavorablement la crédibilité du demandeur adulte et la demanderesse adulte avait décidé de s’en remettre à l’exposé circonstancié du formulaire FDA de ce dernier. La question n’avait rien à voir avec les catégories de femmes vulnérables qui sont prévues dans les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Le problème reposait sur les omissions dans l’exposé circonstancié d’un formulaire FDA qui avait été rédigé par le demandeur adulte et qui avait été adopté par la demanderesse adulte.

[61]  Je crois que le fait que le conseil des demandeurs ait demandé dans ses observations écrites (DCT, vol. III, p. 562‑582) que les demandeurs soient considérés ensemble comme des « demandeurs d’asile » est aussi pertinent. En fait, la demanderesse adulte est seulement mentionnée en passant dans l’exposé sur l’Inde :

[traduction]

Inde

La demandeure d’asile adulte et les demandeurs d’asile mineurs sont citoyens de l’Inde. Leur crainte à l’égard de l’Inde est fondée sur la conversion de la demandeure d’asile adulte au christianisme. Voici les passages pertinents de la preuve documentaire :

Des rapports de meurtres, d’agressions, d’émeutes, de conversions religieuses forcées, d’actes limitant le droit des particuliers de changer de croyances religieuses, de discrimination et de vandalisme motivés par la religion. Selon l’Evangelical Fellowship of India, un organisme de défense des droits des chrétiens, 177 incidents de violence, de harcèlement ou de discrimination ciblant des chrétiens ont été recensés partout au pays.

Les chrétiens qui signalaient avoir été victimes de violence motivée par la religion ou un motif d’animosité se sont dits préoccupés du manque d’action policière contre de tels incidents ainsi que de l’hostilité de la police envers les chrétiens. Selon le Conseil chrétien de l’Inde et l’Evangelical Fellowship of India, la police a refusé de recevoir des plaintes criminelles et a à plusieurs reprises menacé d’incriminer faussement les victimes.

Le pays a connu des épisodes de violence communautaire à grande échelle contre les minorités religieuses [...].

Des sources signalent que les chrétiens en Inde peuvent être exposés à des mauvais traitements [...], peuvent subir de l’intimidation (AICC 31 janv. 2012; MRG juill. 2010, 117), des menaces, de la discrimination (ibid., 119) et des agressions (AICC 31 janv. 2012). Les attaques peuvent se produire tant dans les régions rurales qu’urbaines (quoiqu’elles ont habituellement lieu dans les régions défavorisées sur le plan économique ou insalubres). Toutefois, comme la communauté chrétienne est répandue dans presque toute l’Inde, en de relativement petits regroupements, il existe un quelconque risque partout où vivent des chrétiens, y compris dans les villes principales (23 janv. 2012).

Toutefois, la Commission américaine sur la liberté religieuse dans le monde (United States Commission on International Religious Freedom) a inscrit l’Inde sur sa liste de surveillance en 2009, relevant son défaut de protéger adéquatement les minorités religieuses et une [traduction] « culture d’impunité » croissante pour les auteurs d’agressions fondées sur la religion.

Il existe des recours théoriques pour les chrétiens victimes de violence, mais ils ne fonctionnent souvent pas efficacement. L’appui et la protection qu’ont reçus les chrétiens variaient selon divers facteurs. Il est très rare que des poursuites efficaces aient été intentées dans les cas de violence à l’égard de chrétiens et que les auteurs aient été traduits en justice. Dans certains cas, la police se range du côté des auteurs et dépose même une action contre les victimes. La plupart du temps, la police ne suit pas la procédure adéquate ou n’enquête tout simplement pas à propos des agressions.

Compte tenu de tout ce qui précède, les demandeurs d’asile font valoir que leurs craintes sont bien fondées au sens de la définition, car ils craignent la persécution, et non seulement la discrimination ou le harcèlement, et ils croient qu’il existe une possibilité sérieuse qu’ils soient persécutés s’ils retournaient au Sri Lanka ou en Inde où il y a un manque flagrant de protection de l’État qui peut se démontrer.

[Notes de bas de page omises.]

[62]  Les demandeurs se plaignent du fait que la SPR n’a fait aucune appréciation détaillée de la situation propre à la demanderesse adulte en tant que femme dans l’éventualité de son retour en Inde et ils invoquent la violence contre les femmes dont il est fait mention dans le DCT, aux pages 289 à 294, 372 et 385. Ces pages font état en termes généraux des problèmes de violence conjugale ou d’autres formes de violence fondée sur le sexe, et ne sont pas liées à la demande d’asile présentée par les demandeurs, sauf en ce qui concerne les allégations de menace aux mains de la famille de la demanderesse adulte et du TNTJ, allégations qui n’ont pas été jugées crédibles.

[63]  Dans leur formulaire FDA, les demandeurs énoncent clairement qu’ils craignent d’être persécutés en Inde par une organisation islamique nommée Tamil Nadu Thowed Jamath [TNTJ] en raison de leur foi chrétienne. La demanderesse adulte n’a pas indiqué qu’elle craignait la persécution fondée sur le sexe. Dans la décision Diallo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1450, le juge Mactavish s’est prononcé comme suit au sujet de l’application des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe (au paragraphe 32) :

Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe établies par le président de la Commission reconnaissent que les incompréhensions interculturelles peuvent jouer un rôle lorsque les revendications fondées sur des motifs liés au sexe sont évaluées par la Commission. Afin de minimiser le risque que cela se produise, les commissaires sont sensibilisés à l’effet que peuvent avoir les normes sociales, culturelles, traditionnelles et religieuses sur le témoignage de ceux qui prétendent craindre d’être persécutés du fait de leur sexe.

[64]  Si la demanderesse adulte voulait attribuer les omissions décelées par la SPR à sa vulnérabilité en tant que femme au sens des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, elle‑même et son conseil étaient libres de le faire. Toutefois, ils ont plutôt choisi de s’en remettre aux réponses données par le demandeur adulte. Et comme le fait remarquer la SPR, le demandeur adulte et la demanderesse adulte sont des professionnels qui ont étudié pendant de nombreuses années :

[40]  Il incombe aux demandeurs d’asile de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour étayer leurs demandes d’asile. Le demandeur d’asile principal et la demandeure d’asile adulte ont étudié pendant plusieurs années. Le demandeur d’asile principal gérait sa propre entreprise en Inde. Quant à la demandeure d’asile adulte, elle travaillait comme professionnelle dans ce pays. Les demandeurs d’asile ont été capables de transmettre des documents au tribunal, y compris un rapport médical du Sri Lanka, des pièces d’identité et des attestations d’études.

[Notes de bas de page omises.]

E.  Les documents corroborants

[65]  Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en affirmant que la présomption de véracité était réfutée en raison de l’absence de preuve corroborante et que la SPR [traduction« a complètement fait erreur lorsqu’elle a énoncé de preuve documentaire objective minait la crainte subjective des demandeurs ». Cela n’est pas exact.

[66]  Voici ce que la SPR a dit au sujet de la réfutation de la présomption de véracité :

[28]  En l’espèce, la présomption de véracité a été réfutée par les facteurs suivants :

a.  Le demandeur d’asile principal n’a pas expliqué, de manière raisonnable, pourquoi il a omis de déclarer, dans le formulaire FDA, que des membres de la famille de la demandeure d’asile adulte menaçaient de tuer les demandeurs d’asile depuis le mariage.

b.  Le demandeur d’asile principal a omis de déclarer dans le formulaire FDA que les membres de la famille de la demandeure d’asile adulte faisaient partie du TNTJ, et il n’a fourni aucune explication raisonnable à l’égard de cette omission.

c.  Le demandeur d’asile principal n’a fourni aucune explication raisonnable quant à son défaut de produire des documents afin de confirmer que le TNTJ est actif en Inde.

d.  Le tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve documentaire objective qui lui permettrait de conclure que le TNTJ est présent en Inde.

[67]  Pour ce qui est de l’alinéa 28c) ci‑dessus, voici comment la SPR a expliqué sa pensée :

Aucun effort pour fournir des documents au sujet des activités du TNTJ en Inde

[39]  Le demandeur d’asile principal a témoigné que le TNTJ mène des activités partout en Inde. Toutefois, il n’a produit aucun document pour corroborer ses dires. Le tribunal a demandé au demandeur d’asile principal d’expliquer pourquoi il n’avait produit aucun document permettant de confirmer que le TNTJ mène des activités partout en Inde. Le demandeur d’asile principal a expliqué qu’il ne l’avait pas fait parce que cette information est accessible sur Google.

[40]  Il incombe aux demandeurs d’asile de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour étayer leurs demandes d’asile. Le demandeur d’asile principal et la demandeure d’asile adulte ont étudié pendant plusieurs années. Le demandeur d’asile principal gérait sa propre entreprise en Inde. Quant à la demandeure d’asile adulte, elle travaillait comme professionnelle dans ce pays. Les demandeurs d’asile ont été capables de transmettre des documents au tribunal, y compris un rapport médical du Sri Lanka, des pièces d’identité et des attestations d’études.

[41]  Cependant, les demandeurs d’asile n’ont fait aucun effort pour communiquer des documents au tribunal sur la présence du TNTJ en Inde. Or, une preuve de la présence du TNTJ en Inde est importante pour établir que les demandeurs d’asile sont effectivement persécutés aux mains de ce groupe comme ils le prétendent.

[42]  Aux yeux du tribunal, l’explication du demandeur d’asile principal à l’égard de son défaut de produire de tels documents n’est pas raisonnable. Premièrement, les demandeurs d’asile ont montré qu’ils sont conscients de leur obligation de présenter des éléments de preuve pour étayer leur demande d’asile puisqu’ils ont mis des éléments de preuve à la disposition de la Commission. Compte tenu du niveau d’instruction du demandeur d’asile principal et de la demandeure d’asile adulte, le tribunal se serait raisonnablement attendu à ce que ceux‑ci produisent des éléments de preuve appuyant la présence du TNTJ, d’autant plus que de tels renseignements seraient, comme ils le prétendent, aisément accessibles sur Google.

[43]  Deuxièmement, les demandeurs d’asile prétendent qu’ils craignent d’être tués par le TNTJ, s’ils devaient être renvoyés en Inde. Compte tenu du risque auquel les demandeurs d’asile seraient exposés s’ils devaient retourner en Inde, le tribunal se serait attendu à ce que le demandeur d’asile principal fasse une simple recherche sur Google afin de prouver l’existence du groupe à l’origine d’une telle menace.

[44]  Par conséquent, le tribunal conclut que le défaut des demandeurs d’asile de produire une preuve quelconque de la présence du TNTJ en Inde mine la crédibilité de leur crainte subjective d’être persécutés aux mains du TNTJ.

[Notes de bas de page omises.]

[68]  La SPR a le droit de demander une explication afin de savoir pourquoi des documents n’ont pas été produits dans des situations où on s’attendrait normalement à ce qu’ils soient accessibles. Voir Sonmez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 56, au paragraphe 26 [Sonmez]; Gulabzada c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 547, au paragraphe 11.

[69]  De plus, toute présomption de véracité en l’espèce était réfutée par les omissions dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA, de sorte que la SPR pouvait invoquer l’absence de documents corroborants (Radics c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 110, au paragraphe 31; Sonmez, précitée, au paragraphe 26).

[70]  En l’espèce, ce qui mine la crainte subjective des demandeurs, c’est leur défaut de produire des éléments de preuve documentaire – lesquels sont, selon leurs dires, facilement accessibles sur Google – pour étayer leur crainte alléguée d’être tués par le TNTJ, et ce, même s’ils savaient très bien qu’il leur incombait de produire la preuve à l’appui de leur demande d’asile. Il n’y a rien de déraisonnable dans le fait que la SPR a déduit de ce comportement qu’il ne dénote pas une crainte réelle du TNTJ.

F.  Les conclusions déraisonnables sur la crédibilité

[71]  Selon les demandeurs, les inférences défavorables de la SPR concernant la crédibilité [traduction« sont fondées en grande partie sur deux omissions bénignes [dans le formulaire FDA] sur lesquelles le tribunal s’est concentré pour soutenir sa conclusion au sujet du manque de crédibilité » et [traduction« sur un examen tatillon au microscope qui, selon la Cour fédérale, constitue en soi un motif de contrôle judiciaire ».

[72]  Les demandeurs affirment également que, même si la SPR avait conclu que les menaces des membres de la famille de la demanderesse adulte et que l’implication des membres de la famille dans le TNTJ n’étaient pas crédibles, elle était quand même tenue d’apprécier la demande d’asile dans son ensemble, ce qu’elle a omis de faire.

[73]  Les demandeurs précisent de la façon suivante leur argument sur le caractère tatillon de l’examen :

[traduction]

 53.  Selon leur formulaire FDA, la crainte des demandeurs était imputable au Bodu Bala Senaet et aux autorités sri lankaises (armée, police et agents des CID) au Sri Lanka ainsi qu’au Tamil Nadu Thowheed Jamath en Inde. Même si l’implication des membres de la famille des demandeurs dans le TNTJ aurait dû être mentionnée dans leur formulaire FDA, cette omission n’atténue en rien les aspects centraux de leur demande.

54.  Le formulaire FDA des demandeurs indiquait sans équivoque que le demandeur adulte risquait d’être persécuté en tant que chrétien tamoul par des moines bouddhistes et par les autorités d’État au Sri Lanka, où il avait été victime d’extorsion, détenu, arrêté et agressé.

55.  Les demandeurs ont fait la preuve que le TNTJ était le groupe qui les menaçait en Inde, du fait que le demandeur adulte était chrétien et que la demanderesse adulte s’était convertie de l’islam au christianisme. Le tribunal n’a jamais tenu compte des menaces directes dont les demandeurs avaient été la cible ni de la violence que le demandeur adulte avait subie. Le tribunal a passé sous silence l’essentiel de la demande d’asile des demandeurs en raison d’omissions bénignes, et cet examen inadéquat de la preuve justifie l’intervention de la Cour.

[Renvois omis.]

[74]  Les demandeurs restent toutefois muets quant au fait que la SPR a raisonnablement conclu que le demandeur adulte pouvait acquérir la citoyenneté indienne, de sorte que les demandes d’asile auraient dû être appréciées en fonction de la situation en Inde et non de celle au Sri Lanka. C’est pour ce motif que la SPR précise ce qui suit :

[22]  Un examen de la preuve documentaire objective révèle que les Tamouls sont généralement bien traités par la société indienne et par le gouvernement. Les Tamouls sont libres de circuler et il est très courant pour une personne tamoule de se réinstaller dans d’autres parties de l’Inde. Pour un Tamoul, la capacité de trouver un logement ou un emploi dépend de la caste et de la classe socioéconomique de la personne et non de sa race ou de son appartenance ethnique. Les Tamouls qui se sont réinstallés à l’extérieur du Tamil Nadu dans de grands centres urbains tels que Mumbai et Bangalore n’ont pas été directement ou indirectement ciblés. Bien que des incidents puissent être survenus en privé, aucune discrimination ou violence flagrante n’est survenue au titre des politiques étatiques ou municipales.

[Notes de bas de page omises.]

[75]  En Inde, les demandeurs ont dit qu’ils craignaient la famille de la demanderesse adulte et le TNTJ. Toutefois, les menaces de mort proférées par la famille ont été omises dans le formulaire FDA, tout comme l’a été l’allégation subséquente selon laquelle les membres de la famille adhéraient au TNTJ. Ces omissions de taille ont été signalées au demandeur adulte et les réponses qu’il a données à cet égard ont été jugées déraisonnables. En outre, les demandeurs n’ont pas réussi à établir que le TNTJ existait en Inde et la preuve documentaire objective ne fait pas mention de l’existence du TNTJ en Inde :

[46]  Les demandeurs d’asile prétendent qu’ils craignent d’être persécutés par le TNTJ à cause de leurs croyances religieuses. Cependant, la preuve documentaire objective sur l’Inde ne mentionne pas l’existence du TNTJ, ni aucun geste de violence commis par le TNTJ contre la population chrétienne en Inde. Bien que le conseil des demandeurs d’asile ait produit des éléments de preuve documentaire qui confirment l’existence du Thowheed Jamath du Sri Lanka, il n’est nulle part fait mention, dans la preuve documentaire sur le pays produite par le conseil, de la présence du TNTJ en Inde ou de quelconques actes de violence commis par le TNTJ en Inde contre la population chrétienne.

[47]  Les demandeurs d’asile sont représentés par un conseil chevronné et celui‑ci est, ou devrait être, conscient de l’importance cruciale d’établir le fondement objectif de toute demande d’asile.

[48]  Comme le tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve documentaire permettant de croire à la présence du TNTJ en Inde, il conclut que les demandeurs d’asile n’ont pas établi que leur crainte d’être persécutés par le TNTJ est fondée sur le plan objectif.

[Notes de bas de page omises.]

[76]  Compte tenu des menaces principales sur lesquelles les demandeurs se sont fondés (famille et TNTJ), il est impossible de soutenir que les omissions concernant les menaces de la famille dans le formulaire FDA étaient des [traduction« omissions bénignes » et découlaient d’un [traduction« examen tatillon effectué au microscope ». En fait, le demandeur adulte a soutenu que les membres du TNTJ étaient tous liés, de sorte que l’omission des menaces de la famille dans le formulaire FDA et l’omission de mentionner que les membres de la famille de la demanderesse adulte adhéraient au TNTJ touchaient l’essentiel de ce que les demandeurs disaient craindre en Inde. Voici ce qu’a fait remarquer la SPR à ce sujet :

[36]  Le tribunal juge que l’explication du demandeur d’asile principal n’est pas raisonnable. Premièrement, le tribunal se serait attendu à ce que les demandeurs d’asile nomment dans leur formulaire FDA tous les agents de persécution qu’ils craignent et, le cas échéant, la façon dont ils sont liés. Après tout, les agents de persécution et les liens existant entre eux sont importants afin d’établir qui les demandeurs d’asile craignent, l’influence que ces agents détiennent dans le pays et la gravité du préjudice que les demandeurs d’asile risquent de subir s’ils devaient retourner dans leur pays.

[77]  Étant donné que la demande d’asile a été appréciée en regard de l’Inde, et non du Sri Lanka, il s’ensuit que la SPR a correctement apprécié les demandes d’asile.

G.  Le défaut d’apprécier la totalité de la preuve

[78]  Les demandeurs prétendent qu’ils ont produit de la preuve documentaire pour établir que les personnes dans une situation similaire à la leur étaient exposées à la persécution et à des risques pour leur vie en Inde, ce que la SPR a omis d’apprécier adéquatement :

[traduction]

[59]  Après avoir apprécié toute [sic] l’ensemble de la preuve dont il était saisi, le tribunal a conclu :

a.  que l’Inde est un pays de référence, étant donné que la demandeure d’asile adulte et les demandeurs d’asile mineurs sont tous citoyens de l’Inde et que le demandeur d’asile principal est admissible à la citoyenneté indienne;

b.  qu’en raison d’un manque de crédibilité, les demandeurs d’asile n’ont pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils feraient face à une possibilité sérieuse de persécution aux mains du TNTJ s’ils étaient renvoyés en Inde;

c.  qu’en tant que chrétiens, les demandeurs d’asile ne faisaient pas face à une possibilité sérieuse de persécution à leur retour en Inde, selon la prépondérance des probabilités.

[79]  En ce qui concerne les menaces aux chrétiens en Inde, les demandeurs allèguent que la SPR [traduction« a trié la preuve sur le volet pour appuyer sa conclusion et a seulement fait mention des passages du CND qui allaient dans le même sens que sa position ».

[80]  La SPR n’est aucunement tenue de mentionner individuellement chaque élément de preuve, dans la mesure où elle apprécie l’ensemble de la preuve, où elle indique qu’elle est consciente d’éléments contradictoires et où elle énonce une justification raisonnable expliquant pourquoi elle préfère des éléments de preuve qu’elle juge plus convaincants.

[81]  La SPR fait remarquer que la preuve documentaire objective « ne mentionne pas l’existence du TNTJ, ni aucun geste de violence commis par le TNTJ contre la population chrétienne en Inde ». Les demandeurs ne contestent pas cette conclusion.

[82]  La SPR s’est ensuite demandé si les demandeurs étaient exposés à une possibilité sérieuse de persécution en Inde en tant que chrétiens :

[53]  Pour les motifs exposés ci‑après, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse que les demandeurs d’asile soient persécutés en Inde à titre de chrétiens.

[54]  Le risque que les demandeurs d’asile soient ciblés est moindre parce qu’ils vivent dans le Tamil Nadu, dans le Sud de l’Inde où les incidents de mauvais traitements sont plus rares. Un examen de la preuve documentaire objective révèle que la majorité des incidents se produisent dans les provinces du Nord de l’Inde.

[55]  Les chrétiens risquent davantage d’être victimes de mauvais traitements dans les régions où les lois anti‑conversion sont en vigueur. Comme les sept États ayant adopté des lois anti‑conversion sont situés dans le Nord, les demandeurs d’asile, qui vivent dans le Tamil Nadu, dans le Sud, risquent moins d’être victimes de violence ou de mauvais traitements.

[56]  La population musulmane, que les demandeurs d’asile prétendent craindre, est principalement concentrée dans les provinces du Nord de l’Inde, loin des demandeurs d’asile, qui vivent dans le Sud.

[57]  Bien qu’une source avance que comme la communauté chrétienne est éparpillée en de relativement petits groupements, il existe un risque partout où vivent des chrétiens. Toutefois, le tribunal préfère le point de vue de la majorité selon lequel une population chrétienne appréciable vit dans le Tamil Nadu et, dans trois États au moins, les chrétiens sont majoritaires. Comme il y a en Inde des régions où les chrétiens sont majoritaires, ceux‑ci ne sont pas exposés, selon la prépondérance des probabilités, à un risque sur l’ensemble du territoire indien parce qu’ils sont éparpillés dans toute l’Inde en de relativement petits groupements.

[58]  Si les demandeurs d’asile risquent d’être victimes de discrimination parce qu’ils appartiennent à une minorité religieuse, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que cette discrimination n’équivaut pas à de la persécution.

[Notes de bas de page omises.]

[83]  Nous ne sommes pas en présence d’un examen tatillon, mais plutôt d’un résumé de la preuve objective qui reconnaît que les chrétiens courent des risques en Inde, mais qui conclut qu’« il y a en Inde des régions où les chrétiens sont majoritaires », de sorte que les chrétiens « ne sont pas exposés, selon la prépondérance des probabilités, à un risque sur l’ensemble du territoire indien parce qu’ils sont éparpillés dans toute l’Inde en de relativement petits groupements ».

[84]  Cela ne signifie pas que la SPR a passé sous silence la preuve de risques pour les chrétiens en Inde. En fait, la SPR a expressément fait mention d’incidents de mauvais traitements envers des chrétiens, mais elle a fait remarquer que « le point de vue de la majorité » permet de penser que les chrétiens ne sont pas à risque « sur l’ensemble du territoire indien ». Les demandeurs n’ont pas invoqué d’élément de preuve non étudié par la SPR qui contredit directement ce résumé de la situation.

[85]  En ce qui concerne l’analyse du profil résiduel, les demandeurs font également valoir que la SPR a omis de consulter l’ensemble de la preuve et, en particulier, les menaces envers les femmes et les menaces de la part d’hindous qui sont notamment mentionnées dans le rapport du Home Office daté d’avril 2015 et intitulé India: Religious Minority Groups. Autrement dit, les demandeurs soutiennent qu’ils ont produit une preuve documentaire importante qui démontre que les personnes se trouvant dans une situation similaire à la leur sont exposées à la persécution et à des risques pour leur vie, ce que la SPR aurait omis d’apprécier adéquatement.

[86]  Cependant, il est évident que la SPR a tenu compte de la preuve contraire. Au paragraphe 57 de la décision, elle affirme ce qui suit : « [b]ien qu’une source avance que comme la communauté chrétienne est éparpillée en de relativement petits groupements, il existe un risque partout où vivent des chrétiens. Toutefois, le tribunal préfère le point de vue de la majorité [...] ». Elle reprend ainsi clairement les mots sur lesquels les demandeurs insistaient au paragraphe 68 de leur mémoire.

Toutefois, comme la communauté chrétienne est répandue dans presque toute l’Inde, en de relativement petits regroupements, il existe un quelconque risque partout où vivent des chrétiens, y compris dans les villes principales.

[87]  En plus de se pencher sur le Tamil Nadu, la SPR a également fait remarquer que « dans trois États au moins, les chrétiens sont majoritaires », ce que les demandeurs ne contestent pas. Aucun des documents que les demandeurs prétendent avoir été passés sous silence ne contredit les conclusions générales de la SPR :

Comme il y a en Inde des régions où les chrétiens sont majoritaires, ceux‑ci ne sont pas exposés, selon la prépondérance des probabilités, à un risque sur l’ensemble du territoire indien parce qu’ils sont éparpillés dans toute l’Inde en de relativement petits groupements.

H.  Conclusions

[88]  Il est possible de diverger d’opinion avec la SPR quant à ses conclusions; cependant, je ne relève aucune erreur susceptible de révision.

IX.  CERTIFICATION

[89]  Les parties conviennent que la présente affaire ne soulève aucune question à certifier, et je suis d’accord avec elles.


JUGEMENT dans le dossier no IMM‑858‑18

LA COUR STATUE que

  1. La bonne désignation du défendeur en vertu de la loi est ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration; l’intitulé est donc modifié en conséquence.

  2. La demande est rejetée.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour de février 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

IMM‑858‑18

 

INTITULÉ :

THILIP JOYFRED EDWARD JEYARATNAM ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 octobre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 décembre 2018

 

COMPARUTIONS :

Cemone Morlese

POUR LES demandeurS

 

Christopher Crighton

POUR Le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Grice & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES demandeurS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR Le défendeur

 

 

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