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Dossier : IMM‑1754‑18

Référence : 2019 CF 85

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

ROCHELLE KEISHA HARRY

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), à l’égard de la décision datée du 1er mars 2018 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la SPR) rejetait la demande d’asile de la demanderesse, refusant ainsi de lui accorder la qualité de réfugiée au sens de la Convention au titre de l’article ou celle de personne à protéger au titre, respectivement, des articles 96 et 97 de la Loi.

II.  LE CONTEXTE

[2]  La demanderesse, Rochelle Keisha Harry, est une citoyenne de Saint‑Vincent‑et‑les‑Grenadines.

[3]  La demanderesse a commencé une relation amoureuse avec un homme le 17 février 2006, à Saint‑Vincent. Elle allègue que son conjoint, le père de son enfant, l’a gravement maltraitée. La demanderesse a subi des sévices physiques et sexuels ainsi que des menaces de mort. Elle est allée au Canada en 2008 dans le but d’échapper à la violence, mais son conjoint l’a subséquemment convaincue de revenir. La violence a recommencé peu de temps après son retour.

[4]  La demanderesse dit qu’elle s’est adressée à la police après une agression particulièrement violente. L’agent qui a reçu sa plainte l’a informée que la police ne se mêlait pas des querelles conjugales. Toutefois, un agent a averti le conjoint de la demanderesse de ne plus la maltraiter. La demanderesse dit s’être adressé la police une seconde fois, afin de signaler un autre incident de violence. La police lui a répété qu’elle ne se mêlait pas des querelles conjugales.

[5]  La demanderesse dit avoir quitté son conjoint et s’être rendue chez sa mère, avant de séjourner chez un ami. Le conjoint de la demanderesse a réussi à la retrouver, après quoi le conjoint s’en est pris à son ami. Après cet événement, la demanderesse est retournée vivre chez sa mère, avant d’aller vivre chez l’ami de sa mère. Enfin, la demanderesse s’est enfuie au Canada.

[6]  La demanderesse est arrivée au Canada en 2009, mais elle n’a déposé sa demande d’asile qu’en 2012, car ce n’est qu’à ce moment qu’elle a appris qu’elle pouvait faire une telle chose. La demanderesse prétend qu’elle avait reçu un avis juridique, en 2010, dans lequel il était mentionné qu’elle ne pouvait pas déposer de demande d’asile. Ce n’est qu’en 2012 qu’elle a appris qu’elle pouvait déposer une demande d’asile.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[7]  La SPR a conclu que la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. La question clé en l’espèce était la crédibilité de la demanderesse. La SPR a remarqué l’existence d’omissions majeures, de contradictions et de réponses vagues lors de son témoignage.

[8]  La SPR a conclu que la demanderesse avait omis d’inclure dans son récit écrit des menaces de violence proférées entre les mois d’avril et de juillet 2007, une agression subie en octobre 2008 ainsi que deux autres agressions ayant eu lieu entre les mois de décembre 2007 et de janvier 2009. La SPR a conclu que la demanderesse n’était pas en mesure d’expliquer ces omissions.

[9]  La SPR a examiné les prétentions de la demanderesse, selon lesquelles son conjoint l’aurait battue au point de lui faire perdre conscience avant de quitter la maison. Elle n’était pas en mesure d’expliquer à quel moment son conjoint était revenu à la maison. La SPR a conclu que la crédibilité de la demanderesse était minée par son incapacité à fournir une explication sur cet aspect de son récit.

[10]  La SPR a fait remarquer que la demanderesse précisait dans son récit écrit qu’elle ne s’était pas adressée à la police en mars 2008 après l’agression qu’elle avait alors subie. Pendant l’audience, toutefois, la demanderesse a déclaré qu’elle s’était dirigée au poste de police, soit en mars ou en avril 2008. La SPR a jugé qu’il s’agissait là d’une contradiction minant la crédibilité de la demanderesse.

[11]  En se fondant sur les omissions et les contradictions inexpliquées, la SPR a conclu que la demanderesse n’était pas crédible. Par conséquent, la SPR ne s’est pas penchée sur le caractère adéquat de la protection de l’État ni sur la possibilité de refuge intérieur.

[12]  En raison de ses doutes quant à la crédibilité de la demanderesse, la SPR n’a accordé aucune valeur probante à la lettre écrite de sa mère, qui appuyait sa demande d’asile.

[13]  La SPR a conclu que le comportement de la demanderesse n’était pas compatible avec les craintes alléguées. Elle a déclaré être venue au Canada en 2008 dans le but d’échapper à son conjoint abusif; toutefois, dans son Formulaire de renseignements personnels, elle a écrit que le but de son voyage était de rendre visite à des amis. De plus, la SPR fait remarquer que la demanderesse est arrivée au Canada pour la deuxième fois en 2009, mais qu’elle a attendu trois ans avant de déposer une demande d’asile. La SPR n’a pas accepté l’explication de la demanderesse selon laquelle elle n’a appris qu’en 2012 qu’elle pouvait déposer une demande d’asile. La SPR précise également que la demanderesse avait rencontré un avocat en 2010. Selon la SPR, il s’agit là d’une contradiction dans les explications de la demanderesse en ce qui concerne son retard à présenter une demande d’asile.

[14]  La SPR a déclaré qu’elle a respecté les directives de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada concernant la persécution fondée sur le sexe et la violence faite aux femmes (les directives concernant la persécution fondée sur le sexe). La SPR a toutefois conclu que « ces directives ne s’appliquent pas à la demanderesse pour les raisons mentionnées dans la décision » (dossier de la demanderesse à la page 12).

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[15]  Les questions à trancher en l’espèce sont les suivantes :

V.  NORME DE CONTRÔLE

[16]  Dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. En effet, si la norme de contrôle applicable à une question en particulier dont est saisi le tribunal a été établie de façon satisfaisante par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette première démarche se révèle infructueuse, ou que si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire, que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs constituant l’analyse relative à la norme de contrôle : (Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[17]  La norme de la décision raisonnable s’applique aux conclusions de la SPR concernant la crédibilité, ainsi qu’à toute conclusion portant sur des questions mixtes de fait et de droit (Koffi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 4, au paragraphe 27).

[18]  Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[19]  Voici les dispositions de la Loi applicables à la présente demande de contrôle judiciaire :

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

VII.  LES ARGUMENTS

A.  La demanderesse

[20]  La demanderesse dit que la SPR a commis une erreur en omettant d’appliquer les directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Elle affirme également que la SPR a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à sa crédibilité en se fondant sur le fait qu’elle a omis d’inclure plusieurs incidents de violence conjugale dans son récit écrit. Il est impossible pour une femme maltraitée de décrire chaque occurrence de violence. C’est pourquoi elle s’est limitée à décrire les incidents les plus marquants. En demandant les dates précises des incidents de mauvais traitements, la SPR a manqué de sensibilité et de compréhension à l’égard d’une personne qui demandait l’asile pour des motifs liés au sexe.

[21]  La demanderesse affirme que la SPR a commis une erreur en droit en décidant que les directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne s’appliquaient pas. La SPR était tenue d’apprécier sa crédibilité dans le contexte des directives concernant la persécution fondée sur le sexe. La SPR a commis une erreur en séparant ces deux analyses. La demanderesse dit également que les divergences dans son témoignage auraient dû être examinées dans le contexte des directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

[22]  La demanderesse prétend que la SPR a commis une erreur dans son appréciation de sa crédibilité. Tout d’abord, la SPR est arrivée à la conclusion que des omissions ont été commises sans tenir compte des directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Ensuite, la seule contradiction dans le témoignage de la demanderesse est le résultat des pressions exercées par la SPR sur la demanderesse afin qu’elle leur fournisse une date. L’appréciation de la crédibilité effectuée par la SPR était excessivement axée sur des incohérences mineures.

[23]  La demanderesse affirme que la SPR a commis une erreur dans son examen du retard à déposer une demande d’asile. Elle a expliqué à la SPR que l’avocat auquel elle avait parlé l’avait informée qu’elle ne pouvait pas déposer une demande d’asile. Ce n’est que plus tard qu’elle a appris qu’elle pouvait en déposer une. Cette explication est raisonnable dans les circonstances. Plus précisément, des retards de cette nature peuvent être justifiés dans les cas d’agression sexuelle. Les traumatismes refoulés peuvent justifier ce retard. La SPR a commis une erreur en refusant de tenir compte de cette explication.

B.  Le défendeur

[24]  Le défendeur insiste sur le fait qu’une grande retenue s’impose envers la SPR relativement à ses conclusions concernant la crédibilité. La SPR est raisonnablement arrivée à des conclusions défavorables quant à la crédibilité en se fondant sur les contradictions dans le témoignage de la demanderesse.

[25]  Le défendeur ne souscrit pas à l’argument de la demanderesse selon lequel la SPR a conclu que les directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne s’appliquaient pas. Au contraire, la SPR a déclaré qu’elle avait tenu compte des directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

[26]  Le défendeur affirme que l’appréciation effectuée par la SPR quant au retard était raisonnable. La SPR n’a pas fait fi de l’explication fournie par la demanderesse. La demanderesse est tout simplement en désaccord avec la SPR au sujet de l’appréciation du retard. Le défendeur dit que la demanderesse n’a déposé aucun élément de preuve psychologique pour étayer le fait qu’un traumatisme refoulé peut justifier le retard.

VIII.  ANALYSE

[27]  La demanderesse a soulevé un certain nombre de questions, que j’examinerai l’une après l’autre.

A.  Les directives concernant la persécution fondée sur le sexe

[28]  La demanderesse reproche à la SPR de ne pas avoir effectué l’évaluation de sa crédibilité « dans » le contexte des directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

[traduction]

[L’]a démarche adoptée par la Commission était de procéder à l’appréciation de la crédibilité sans s’appuyer sur les directives et, si la demanderesse respectait le critère de crédibilité, la Commission appliquerait alors les directives.

[29]  La demanderesse prétend que la SPR a commis la même erreur dans son traitement des divergences qu’elle a relevées dans son témoignage : [traduction] « Il s’agissait de divergences mineures, mais suffisantes pour motiver une appréciation défavorable quant à la crédibilité entraînant la non‑application des directives concernant la persécution fondée sur le sexe ».

[30]  Enfin, la demanderesse affirme que [traduction] « la Commission n’a mentionné les directives concernant la persécution fondée sur le sexe que pour la forme, et qu’elle en a entièrement fait fi dans le cadre de son analyse ».

[31]  Selon la jurisprudence de la Cour, la SPR est tenue d’apprécier les éléments de preuve en tenant compte des directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Voir, par exemple, Jones c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 405, aux paragraphes 14 à 18.

[32]  La SPR explique de la manière suivante son utilisation des directives concernant la persécution fondée sur le sexe :

[29]  Le tribunal, dans le cas de la demanderesse, veut souligner qu’il s’est conformé aux directives de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié concernant la persécution et la violence faite aux femmes en raison de leur sexe. Toutefois, ces directives ne s’appliquent pas à la demanderesse pour les raisons mentionnées dans la décision.

Les « raisons mentionnées dans la décision » renvoient aux omissions dans le récit écrit de la demanderesse concernant la violence dont elle prétend avoir été victime qu’elle n’a pas été en mesure d’expliquer lors de l’audience. Elles renvoient également à une contradiction entre son récit écrit et son témoignage quant à la question de savoir si elle s’est adressée à la police. Les omissions et les contradictions sur lesquelles s’appuie la SPR concernent une période de la vie de la demanderesse qui précède considérablement l’audience. La SPR a enjoint à la demanderesse de fournir des détails précis sur la chronologie des événements, ce qui est très difficile compte tenu du passage du temps, surtout dans un contexte où la SPR était tenue de prendre soigneusement en compte les directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

[33]  En se fondant sur ces omissions et ces contradictions, la SPR est arrivée aux conclusions suivantes :

[14]  Devant les omissions et contradictions constatées, le tribunal ne croit pas la demanderesse et par ricochet, ne croit pas à ses craintes alléguées. Le manque de crédibilité est suffisant pour rejeter une demande d’asile. La Cour fédérale s’est prononcée à cet effet dans plusieurs arrêts.

[34]  Aucune de ces observations n’explique réellement pourquoi « ces directives ne s’appliquent pas à la demanderesse [...] ». Les omissions et les contradictions ne constituent pas, en soi, un motif valable pour ne pas tenir compte des directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Les directives concernant la persécution fondée sur le sexe visent à ce que tout examen des omissions et des contradictions prenne en compte les facteurs énoncés dans les directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Si ce que la SPR dit en l’espèce est que les « omissions » et la « contradiction » en question ne peuvent pas être expliquées par les facteurs énoncés dans les directives concernant la persécution fondée sur le sexe et, en particulier, par la façon dont ces facteurs peuvent avoir une influence sur le témoignage des femmes qui ont été victimes de persécution, alors la SPR ne fournit pas, dans les faits, de motifs expliquant pourquoi les directives concernant la persécution fondée sur le sexe n’ont aucune incidence sur l’analyse en l’espèce. Par conséquent, à mon avis, la SPR n’a pas tenu compte des directives concernant la persécution fondée sur le sexe de façon significative. Je pense que les propos de la juge Gagné dans Odia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 663, s’appliquent également en l’espèce :

[9]  Je conviens avec la demanderesse que, pour que la SPR prenne en compte de façon significative les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, elle doit apprécier le témoignage de la demanderesse tout en étant attentive et sensible à son sexe, aux normes sociales, culturelles, économiques et religieuses de sa communauté et « aux facteurs susceptibles d’influencer le témoignage des femmes qui ont été victimes de persécution » (Bennis c Canada (Ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté), 2001 CFPI 968, au paragraphe 14). En l’espèce, le commissaire de la SPR n’a pas montré la sensibilité voulue dans son appréciation du témoignage de la demanderesse. En ce sens, les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe n’ont pas été appliquées comme il se devait, et les attentes de la demanderesse n’ont pas été satisfaites.

[35]  Le défendeur affirme que le paragraphe 29 de la décision ne représente pas une description fidèle du processus effectivement suivi par la SPR dans le cadre de sa décision. Si, toutefois, la SPR voulait dire autre chose par « ces directives ne s’appliquent pas à la demanderesse [...] », elle aurait alors dû s’exprimer, car mon interprétation de la transcription ne me porte pas à croire que la SPR a tenu compte des directives concernant la persécution fondée sur le sexe de façon significative ou qu’elle les a appliquées.

[36]  Par ailleurs, une lecture du dossier certifié du tribunal (aux pages 170 et 171) révèle qu’il n’y a eu aucune contradiction. Il est évident que la demanderesse voulait dire qu’elle s’était adressée à la police à une date ultérieure. La SPR ne donne aucun motif de la raison pour laquelle cette explication n’est pas acceptable.

B.  Le retard à demander l’asile

[37]  La SPR reproche également à la demanderesse de ne pas avoir déposé sa demande d’asile en temps opportun :

 [24]  Non seulement cette dernière n’a pas demandé l’asile en arrivant, mais elle a attendu à septembre 2012, donc plus de trois ans plus tard pour demander l’asile.

[25]  Interrogée à savoir pourquoi, dans un premier temps, elle n’a pas demandé l’asile en arrivant, la demanderesse a déclaré qu’elle ne savait pas qu’elle pouvait demander l’asile. Le tribunal réfute cette allégation de la demanderesse. Rappelons qu’elle a séjourné au Canada en 2008 et y est restée trois mois chez des amis de sa mère. Celle‑ci avait déjà, à ce moment‑là, tout le loisir de vérifier avec les personnes qui, selon ses dires, vivaient au Canada depuis longtemps, les démarches qu’elle pouvait entamer à cet effet. Ensuite, interrogée à savoir pourquoi, dans les circonstances alléguées, elle avait attendu plus de trois ans pour demander l’asile, la demanderesse a déclaré n’avoir su qu’elle pouvait demander l’asile qu’en août 2012, ce que le tribunal ne peut croire. D’ailleurs, elle a parallèlement déclaré avoir vu un avocat en 2010, ce qui contredit ses allégations à l’effet qu’elle n’avait su qu’elle pouvait demander l’asile qu’en août 2012.

[26]  Le tribunal ne peut se satisfaire de toutes ces explications non convaincantes et est d’avis que l’attitude de la demanderesse, que ce soit en 2008 ou en 2009, n’est pas celle d’une personne craignant de retourner dans son pays d’origine.

[27]  Le tribunal est d’avis que les réponses et explications de la demanderesse ne justifient pas le fait de ne pas avoir demandé l’asile en 2008 et d’avoir attendu trois ans et demi lors de son dernier séjour pour demander l’asile. L’attitude et le témoignage de la demanderesse à cet effet démontrent très clairement que cette dernière n’est pas crédible quand elle affirme avoir quitté son pays par crainte de son conjoint et d’y être, selon ses propres dires, tuée si elle y retournait.

[38]  La demanderesse explique son retard à demander l’asile de la façon suivante :

[traduction]

Je ne pouvais pas [...] demander l’asile, c’est ce que l’avocat m’a dit, parce que je lui ai expliqué la situation et c’est à ce moment‑là que (inaudible) non, je ne peux pas faire ça. Tout ce que je pouvais faire, c’est faire une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

(Dossier certifié du tribunal, à la page 178.)

[39]  Il semblerait, d’après le témoignage de la demanderesse, qu’elle ait déposé sa demande d’asile peu de temps après avoir appris qu’elle pouvait effectivement faire une telle chose. Les motifs pour lesquels la SPR rejette cette explication reposent sur des conjectures :

  • a) « [E]lle a séjourné au Canada en 2008 et y est restée trois mois chez des amis de sa mère. Celle‑ci avait déjà, à ce moment‑là, tout le loisir de vérifier avec les personnes qui, selon ses dires, vivaient au Canada depuis longtemps, les démarches qu’elle pouvait entamer à cet effet ».

  • b) La SPR ne l’a pas crue lorsque « la demanderesse a déclaré n’avoir su qu’elle pouvait demander l’asile qu’en août 2012, ce que le tribunal ne peut croire. D’ailleurs, elle a parallèlement déclaré avoir vu un avocat en 2010, ce qui contredit ses allégations à l’effet qu’elle n’avait su qu’elle pouvait demander l’asile qu’en août 2012 ».

[40]  Rien de ce qui précède ne traite de l’explication de la demanderesse selon laquelle l’avocat qu’elle a consulté l’avait avisée qu’elle ne pouvait pas déposer de demande d’asile et qu’elle devrait plutôt déposer une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[41]  La SPR n’a pas examiné ces explications de façon adéquate.

IX.  CONCLUSIONS

[42]  De manière générale, la décision est déraisonnable pour les motifs qui précèdent, et elle devrait être renvoyée à la SPR pour nouvel examen.

[43]  Les parties conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et je suis du même avis.




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