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Date : 20181127


Dossiers : IMM‑5603‑17

IMM‑5604‑17

Référence : 2018 CF 1187

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Roy

Dossier : IMM‑5603‑17

ENTRE :

ABDIAZIIZ MOHAMED ALI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM‑5604‑17

ET ENTRE :

ABDIAZIIZ MOHAMED ALI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit de deux demandes de contrôle judiciaire qui sont étroitement liées; les deux ont été présentées au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Dans le dossier no IMM‑5603‑17, le demandeur cherche à contester la décision de la Section de l’immigration [la SI] datée du 11 décembre 2017 qui a statué qu’il était interdit de territoire au Canada pour raison de sécurité. Dans le dossier no IMM‑5604‑17, le demandeur cherche à contester la décision d’un délégué du ministre qui a conclu que sa demande d’asile était irrecevable à cause du fait qu’il été jugé interdit de territoire pour raison de sécurité. Étant donné que les faits concernant ces deux affaires sont les mêmes, le jugement et les motifs qui suivent s’appliquent aux deux dossiers et une copie de ceux‑ci sera versée dans les dossiers no IMM‑5603‑17 et no IMM‑5604‑17. Comme nous le verrons, les questions qui concernent exclusivement l’une ou l’autre de ces deux affaires ont été séparées.

I.  Les faits

[2]  Monsieur Ali est un jeune Éthiopien. Maintenant âgé de 22 ans, il est arrivé au Canada le 13 juillet 2015 quand il avait à peine 19 ans. Selon ses allégations, il a quitté l’Éthiopie pour fuir la persécution exercée par les autorités éthiopiennes. Il est originaire de la région ethnique somalienne d’Ogaden, en Éthiopie, sur la frontière entre l’Éthiopie et la Somalie. Il a présenté une demande d’asile.

[3]  Selon le formulaire Fondement de la demande daté du 7 août 2016, le demandeur a été mis en état d’arrestation en août 2013 par les autorités éthiopiennes qui le soupçonnaient d’avoir participé à une attaque du Front de libération de la Somalie occidentale (le FLSO); il dit avoir été battu pendant qu’il était détenu et avoir été emprisonné dans des conditions déplorables pendant presque huit mois. Dans son exposé des faits personnels, il révèle que son père, maintenant décédé, était un membre local bien connu du FLSO. Il organisait des réunions et il était la personne désignée pour solliciter de l’aide financière auprès de la population civile locale. Un demi‑frère plus âgé que lui est également un membre combattant du FLSO.

[4]  Après le décès de son père, des amis de celui‑ci et ses oncles lui ont rendu visite dans une épicerie qu’il gérait pour le compte de sa mère et ils lui ont parlé du FLSO. Le demandeur affirme que [traduction« ceux‑ci m’ont encouragé à participer activement au mouvement de résistance et m’ont dit que l’une des façons de le faire serait de recueillir de l’argent à mon magasin auprès des gens qui habitaient dans les villages voisins ». De toute évidence, il a accepté et il a recueilli de l’argent pour le compte du FLSO ainsi que d’autres marchandises (de la nourriture, des cigarettes) auprès des résidents des villages des alentours. Il indique qu’un membre du FLSO se présentait à l’épicerie pour récupérer l’argent.

[5]  Le demandeur a commencé à recueillir des fonds pour le compte du FLSO quand il était âgé de 16 ans (probablement en 2012) et il a continué jusqu’à son arrestation en août 2013. Il semble avoir recueilli environ 900 $ par mois, ce qui ne représente pas une somme insignifiante dans cette région pauvre de l’Éthiopie. Le demandeur déclare [traduction« avoir été heureux d’aider le FLSO de cette façon, étant donné que [sa famille et lui‑même ont été] maltraités par les forces éthiopiennes » (exposé des faits, Fondement de la demande, par. 11).

[6]  Le demandeur a été remis en liberté en mars 2014, mais il a continué d’être harcelé par les autorités. Il a décidé de quitter l’Éthiopie en juin. Avec l’aide d’un passeur, il est parti d’Addis‑Abeba en direction du Soudan. Avec 35 autres personnes, il a été amené en Libye. Il est demeuré en Libye pendant environ six mois afin de recueillir l’argent nécessaire pour monter à bord d’un bateau en direction de l’Italie. Rescapé par la garde côtière italienne, il a débarqué en Italie où il a d’abord été détenu. De l’Italie, M. Ali s’est rendu en Norvège dans le but de planifier son voyage au Canada. Il est arrivé à Toronto le 13 juillet 2015.

[7]  Sa demande d’asile n’a pas progressé depuis qu’il a été avisé qu’elle était suspendue en attendant une décision sur la possibilité qu’il soit interdit de territoire au Canada.

[8]  C’est ce qui a mené à la décision de la SI qui est contestée dans la demande de contrôle judiciaire dont le numéro de dossier est IMM‑5603‑17.

II.  La décision de la SI dans le dossier no IMM‑5603‑17

[9]  Le ministre étant d’avis qu’un rapport par un agent (le 16 mai 2016) était bien fondé, il a renvoyé l’affaire à la SI pour qu’elle tienne une enquête en vertu de l’article 44 de la LIPR. À la suite de cette enquête, une décision a été rendue le 11 décembre 2017.

[10]  Selon l’allégation le concernant, M. Ali serait interdit de territoire au Canada pour raison de sécurité. Plus précisément, il est allégué qu’il est membre d’une organisation qui est l’auteur d’actes visant le renversement du gouvernement par la force et qui se livre au terrorisme en Éthiopie. Ce sont les alinéas 34(1)b), c) et f) de la LIPR qui sont applicables :

Sécurité

Security

34 (1)  Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

34 (1)  A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

[…]

b)  être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

(b)  engaging in or instigating the subversion by force of any government;

c)  se livrer au terrorisme;

(c)  engaging in terrorism

[…]

[…]

f)  être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b), b.1) ou c).

(f)  being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b), (b.1) or (c).

Il est allégué que M. Ali est membre du FLSO, une organisation qui est, a été ou sera l’auteur d’actes de terrorisme et qui est, a été ou sera l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement du gouvernement par la force en Éthiopie.

[11]  Il est important de signaler que le fardeau de la preuve dans une enquête pour interdiction de territoire est celui qui est énoncé à l’article 33 de la LIPR. Il suffit donc que les faits sur lesquels le décideur s’appuie pour constituer un motif particulier d’interdiction de territoire soient prouvés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir (art. 33 de la LIPR). Cette norme exige davantage que de simples soupçons, mais elle est moins rigoureuse que la norme civile de la prépondérance des probabilités. Dans la décision Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 297 [Chiau], la norme a été interprétée comme « la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi » (par. 60). La SI s’en est remise à la description du critère qui a été élaborée dans l’arrêt Mugesera, c’est‑à‑dire que « [l]a croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 RCS 100 [Mugesera], par.  114).

[12]  Compte tenu de la norme de preuve, la SI était convaincue que le demandeur est membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force ou d’actes de terrorisme. C’est tout ce qu’il fallait établir.

A.  Renversement par la force

[13]  En ce qui concerne le renversement par la force d’un gouvernement, la SI a pris note du fait que les tribunaux ont formulé une définition. La décision qui fait jurisprudence à ce sujet est l’arrêt Najafi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), [2015] 4 RCF 162, 2014 CAF 262 [Najafi]. La Cour a donné aux mots de l’alinéa 34(1)b) « renversement d’un gouvernement par la force » leur sens non ambigu; cet alinéa « [ne] doit [pas] être interprété comme s’il visait seulement le recours à la force qui n’est pas légitime ou légal selon le droit international » (Najafi, précité, par. 89).

[14]  La SI s’est fiée à des renseignements probants, dont certains provenaient du FLSO qui prétendait avoir tué 3 000 soldats éthiopiens. La SI a rejeté l’affirmation du demandeur selon laquelle le FLSO [traduction« essaie simplement “ de permettre à la population d’Ogaden de décider de son avenir, et non de renverser le gouvernement éthiopien ” » (décision de la SI, par. 32). Parmi d’autres renseignements qui ont servi à établir les motifs raisonnables de croire, elle a cité un document publié par le FLSO, qui le qualifie de Programme politique et qui lance un appel en faveur du retrait inévitable de la patrie des prétendues [traduction« forces militaires coloniales ». La décision de la SI contient de nombreux exemples d’éléments de preuve remontant aussi loin qu’en novembre 2016, notamment d’annonces faites par le FLSO d’embuscades et d’autres opérations de nature militaire. La SI est donc arrivée à la conclusion suivante :

[traduction]

[36]  Le Tribunal conclut donc que les opérations continuelles et soutenues du FLSO contre des soldats éthiopiens sont des actes qui en font une organisation qui est l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force. Son but consiste à prendre le contrôle de la région d’Ogaden et à renverser le gouvernement éthiopien dans cette région, et il tente d’arriver à ses fins à l’aide de moyens et de tactiques subversifs et violents. Il existe donc des motifs de croire que le FLSO est une organisation décrite à l’alinéa 34(1)b).

B.  Terrorisme

[15]  Dans le même ordre d’idées, la SI a trouvé une preuve abondante lui permettant de conclure que les activités du FLSO correspondaient à la définition de ce qui constitue du terrorisme. Elle a cité en particulier l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3 [Suresh]. Dans l’arrêt Suresh, la Cour a statué que le sens du terme « terrorisme » n’est pas à ce point incertain qu’il ne permet pas de fixer des paramètres convenables pour le prononcé d’une décision juridique. La Cour a conclu ce qui suit à ce sujet :

98.  À notre avis, on peut conclure sans risque d’erreur, suivant la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, que le terme « terrorisme » employé à l’art. 19 de la Loi inclut tout « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ». Cette définition traduit bien ce que l’on entend essentiellement par « terrorisme » à l’échelle internationale. Des situations particulières, à la limite de l’activité terroriste, susciteront inévitablement des désaccords. Le législateur peut toujours adopter une définition différente ou plus détaillée du terrorisme. La question à trancher en l’espèce consiste à déterminer si le terme utilisé dans la Loi sur l’immigration a un sens suffisamment certain pour être pratique, raisonnable et constitutionnel. Nous estimons que c’est le cas.

[Non souligné dans l’original.]

[16]  En se fondant sur cette définition et après avoir pris note d’autres textes juridiques internationaux parallèlement au Code criminel du Canada, la SI a entrepris de trouver dans la preuve dont elle était saisie ce qu’elle a qualifié de [traduction« comptes rendus clairs d’activités auxquelles le FLSO se livraient et qui pouvaient être qualifiées de terroristes » (décision de la SI, par. 42). Celles‑ci comprenaient des enlèvements, des passages à tabac et des exécutions sommaires à l’endroit de civils qu’il détenait. Les travailleurs de l’industrie pétrolière étaient considérés comme des cibles dignes d’intérêt, y compris les techniciens chinois. La SI a jugé fiables les renseignements qu’elle a reçus de groupes internationaux de défense des droits de la personne comme Human Rights Watch (Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1503, [2007] 4 RCF 247, aux par. 72 et 73). Voici ce qu’elle a conclu :

[traduction]

[46]  Compte tenu de tels rapports, le Tribunal est d’avis que le fait d’attaquer des installations de prospection pétrolière qui emploient des travailleurs locaux et étrangers et de causer la mort et le déplacement de grands groupes de gens sont clairement des actes terroristes qui ont pour but de causer la mort ou des lésions corporelles graves parmi la population civile dans l’objectif de forcer le gouvernement de l’Éthiopie à renoncer à la mainmise qu’il exerce sur la région d’Ogaden. Je suis donc convaincu, sur la base de motifs raisonnables, que le FLSO est une organisation mentionnée à l’alinéa 34(1)c) de la LIPR pour s’être livrée au terrorisme.

[17]  En fait, la SI était convaincue que des civils avaient été pris pour cibles d’attaques. L’une de ces attaques a eu lieu en 2007 et a été dirigée contre des travailleurs de l’industrie pétrolière par un groupe mené par un certain Mohamed Omar Osman. Non seulement la SI est‑elle d’avis qu’aucun groupuscule ne se livrait à des activités à l’extérieur du FLSO de sorte que l’attaque du groupe dirigé par Osman ne devrait pas être attribuée au FLSO, mais elle a ajouté que la signature d’un [traduction« accord de paix » en 2010, auquel Osman n’aurait pas souscrit, était surtout une esquive, car cet accord n’a jamais été respecté. Les nombreux communiqués du FLSO depuis 2011 indiquent que les conflits armés et politiques se sont poursuivis (décision de la SI, par. 90). En réalité, la SI est arrivée à la conclusion que M. Ali recueillait de l’argent pour le groupe d’Osman au sein du FLSO, parce qu’il a déclaré sous serment à la SI qu’il avait l’impression qu’Osman était un dirigeant du FLSO au moment où il recueillait des fonds pour le FLSO. Je le répète : il suffit de motifs raisonnables de croire pour que les faits soient établis.

C.  L’appartenance de M. Ali au FLSO

[18]  Il n’est pas nécessaire de prouver l’adhésion en bonne et due forme pour remplir les conditions de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. La décision qui a fait jurisprudence à cet égard est l’arrêt Poshteh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CAF 85, [2005] 3 RCF 487 [Poshteh], une autre décision de la Cour d’appel fédérale qui est d’application obligatoire pour la SI et la Cour. La Cour d’appel a conclu que le mot « membre » devrait continuer d’être interprété de manière libérale (Poshteh, précité, par. 29). On remarque des similitudes entre l’arrêt Poshteh et la présente affaire. Dans les deux cas, la personne qu’on a allégué être membre était âgée de moins de 18 ans. Les pères des deux personnes, qui sont décédés pendant qu’elles étaient très jeunes, étaient membres de l’organisation. Dans le cas de M. Poshteh, il avait distribué des dépliants de propagande à Téhéran une ou deux fois par mois pendant une période d’environ deux ans, tandis que M. Ali a recueilli de l’argent et de la marchandise pendant approximativement un an. Les deux semblent avoir mis fin à leurs activités après leur arrestation par les autorités. En fait, M. Poshteh a fait valoir qu’« (i)l ne recrutait pas de membres et ne faisait pas de collecte de fonds » (par. 35) pour tenter de donner à entendre qu’il jouait un rôle restreint. La Cour d’appel a pourtant conclu que la SI avait des motifs l’autorisant à conclure à l’appartenance.

[19]  En l’espèce, la SI a conclu que la participation à la collecte de fonds et de marchandises pour le FLSO était substantielle. Le demandeur a été encouragé à participer aux activités du mouvement de résistance et à marcher sur les traces de son père. Dans sa demande d’asile, il a parlé de l’impression qu’il était [traduction« un membre du FLSO ou à tout le moins un partisan de cette organisation » (décision de la SI, par. 62). M. Ali est réputé avoir grandi dans un milieu qui avait de la loyauté envers le FLSO et qui contribuait à ses activités (père et frère). Il a dit qu’il devait soutenir le mouvement en raison des mauvais traitements que sa famille et son peuple avaient subis et qu’il avait en fait subis lui‑même aux mains des autorités alors que des biens lui avaient été volés par des soldats éthiopiens. Pendant son témoignage devant la SI, [traduction« il a fini par admettre du bout des lèvres qu’il était en fait au courant [il connaissait l’existence d’un conflit armé entre le FLSO et le gouvernement éthiopien] quand il vivait en Éthiopie à cause “ de petites choses que j’avais entendues aux nouvelles, à la radio ” » (décision de la SI, par. 67). Comme l’a fait remarquer le décideur, M. Ali aurait eu une connaissance directe de l’insurrection par le FLSO, étant donné que son frère s’était joint au mouvement armé des années auparavant, comme il est ressorti de son témoignage.

[20]  La SI a résumé la question de l’appartenance de M. Ali comme suit :

[traduction]

[68]  De plus, comme l’a fait valoir l’avocat du ministre, il est généralement entendu que si des pourparlers de paix ont lieu, c’est qu’il existe un conflit à régler. Pour quelle autre raison le FLSO négocierait‑il la paix? Par conséquent, il existe une preuve forte, sur la base de motifs raisonnables, que M. Ali savait que le FLSO était en conflit avec le gouvernement et, contrairement à son allégation voulant que les sommes qu’il a recueillies étaient destinées à soutenir des négociations de paix, l’argent a plutôt servi à soutenir les activités globales du FLSO, qu’elles aient eu un but pacifique ou autre. Cela étant dit, l’alinéa 34(1)f) n’exige pas une participation active ou un soutien intentionnel à des actes de terrorisme ou de renversement par la force d’un gouvernement52, seulement que la personne soit un membre de l’organisation.

[Note de bas de page omise et non souligné dans l’original.]

[21]  L’âge est un facteur qui doit être pris en considération pour décider qu’une personne est membre d’une organisation au sens de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR (Poshteh, précité). La SI a statué que M. Ali avait la connaissance requise et la capacité mentale nécessaire pour comprendre la nature et l’effet de ce qu’il faisait. Non seulement a‑t‑il grandi dans un milieu dans lequel il était conscient des buts et des objectifs du FLSO, mais il gérait également le magasin familial de taille moyenne et on lui faisait confiance pour recueillir des fonds et des marchandises dans l’intérêt du FLSO. Au cours d’une entrevue avec un fonctionnaire et de l’audience devance la SI, il a indiqué qu’on ne l’avait pas forcé à soutenir le FLSO; il croyait à la cause, selon la SI, et il [traduction« voulait que son peuple soit libéré de la mainmise oppressive du gouvernement éthiopien » (décision de la SI, par. 79).

D.  Dispense du ministre

[22]  La LIPR prévoit qu’une dispense du ministre peut être accordée si une personne est jugée interdite de territoire dans des circonstances mettant en jeu l’article 34. Le demandeur a allégué que l’article 42.1, qui permet une dispense de la part du ministre, est devenu discrétionnaire et restrictif, ce qui limite l’effet de soupape de sécurité que cette disposition devrait avoir. Il fait une comparaison avec le prédécesseur de l’article 42.1, le paragraphe 34(2) qui a été abrogé en 2013 (2013, C‑16, article 13). De l’avis du demandeur, la restriction ne permettrait pas au ministre de se pencher au fond sur un argument selon lequel la personne pourrait être un membre innocent d’une organisation.

[23]  La SI n’était pas convaincue que la portée de l’article 42.1 a été considérablement réduite. Dans l’arrêt Najafi (précité), la Cour d’appel a étudié le nouvel article 42.1 et l’ancien paragraphe 34(2) dans ses commentaires à propos de la dispense du ministre (aux par. 80 et 81), dont l’existence ferait contrepoids à la portée de la définition de l’appartenance tirée de la jurisprudence. La Cour n’a pas constaté que la portée de cette disposition avait été restreinte. Dans la décision Maqsudi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1184, la Cour n’a pas interprété l’article 42.1 comme constituant une restriction indue à l’accès à la dispense. Elle s’est estimée obligée par l’arrêt Najafi. La Cour (par. 49) a fait mention en long et en large des paragraphes 80 et 81 de l’arrêt Najafi. Je serais tenté de l’imiter par souci de clarté :

[80]  Évidemment, lorsque je dis que le législateur voulait que cette disposition soit appliquée de façon large, je parle de l’étape de l’interdiction de territoire, car, comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh, quoique dans un contexte différent, le législateur a toujours voulu que le ministre ait la possibilité de dispenser n’importe quel étranger visé par ce libellé général, après avoir tenu compte des objectifs énoncés au paragraphe 34(2), ce qui se fait par le dépôt d’une demande. (Comme nous l’avons vu, le paragraphe 34(2) est devenu le paragraphe 42.1(1). En vertu du paragraphe 42.1(2), cette dispense peut maintenant être accordée à l’initiative du ministre).

[81]  Ce mécanisme peut être utilisé pour protéger les membres innocents d’une organisation, mais aussi les membres d’organisations dont l’admission au Canada ne serait pas préjudiciable ou contraire à l’intérêt national en raison des activités de l’organisation au Canada et de la légitimité du recours à la force pour renverser un gouvernement à l’étranger.

Le même commentaire a été formulé dans l’arrêt Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86, [2016] 1 RCF 428 (par. 26). (Voir aussi Nassereddine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 85, [2015] 2 RCF 63 [Nassereddine], aux par. 21, 74 et 75).

[24]  Quoi qu’il en soit, aux yeux de la SI, M. Ali n’est pas un membre innocent : il connaissait et comprenait les buts et le fonctionnement du FLSO et il le soutenait malgré tout. Son appartenance à l’organisation a été établie.

E.  Lien temporel

[25]  Cette fois, le demandeur a fait valoir que le FLSO s’était transformé en organisation politique lors de l’accord de paix de 2010. Le tribunal a rapidement statué sur cet argument. Rien dans la preuve ne donne à penser que le FLSO se serait transformé après 2010. Le conflit continuait de faire rage en 2017 (date de la décision de la SI). Dans ses propres communiqués, le FLSO indique que le conflit se poursuit (décision de la SI, par. 90). De plus, la SI a conclu qu’il n’existe aucun lien temporel entre l’appartenance et les actes de terrorisme ou de renversement. Cette conclusion repose sur la décision Al Yamani c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2006 CF 1457, dans laquelle la Cour a indiqué que « le facteur temps n’est pas à prendre en compte dans le cadre d’une analyse en application de l’alinéa 34(1)f) » (par. 11). La Cour d’appel est arrivée à la même conclusion dans l’arrêt Gebreab c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CAF 274 :

[3] Par conséquent, l’appel est rejeté et la réponse à la question certifiée est la suivante :

Ce n’est pas requis pour pouvoir conclure à l’interdiction de territoire conformément à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR que les dates de l’adhésion d’un individu dans l’organisation correspondent aux dates auxquelles cette organisation a commis des actes de terrorisme ou d’un renversement par la force.

F.  Violation de la Charte

[26]  M. Ali a cherché à faire valoir que l’article 7 de la Charte (Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (Royaume‑Uni), 1982, c 11 [Charte]) entre en ligne de compte aux premières étapes de l’examen de l’interdiction de territoire. Selon son argument, l’interdiction de territoire emporte l’irrecevabilité d’une demande d’asile (le demandeur conteste la conclusion d’irrecevabilité dans le dossier no IMM‑5604‑17), ce qui entraîne l’examen des risques avant renvoi [ERAR] qui peut avoir lieu seulement pour des motifs restreints. De plus, il impose des restrictions aux déplacements, il limite l’accès à l’emploi et à l’éducation et il expose la personne à un stigmate social du fait d’avoir été reconnue membre d’une organisation terroriste (ou subversive). Ces mesures découlent directement de l’instance en interdiction de territoire devant la SI. Le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne est touché dès le début; le droit de ne pas être victime d’une atteinte à ces droits fait en sorte qu’il y a violation des principes de justice fondamentale bien avant qu’une personne soit expulsée du Canada.

[27]  La SI conclut qu’il faut établir que l’article 7 de la Charte entre en ligne de compte dans le cadre d’une conclusion d’interdiction de territoire qui compromettrait de façon quelconque le droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne. La SI a invoqué deux décisions : B010 et Stables. Dans l’arrêt B010 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 RCS 704 [B010], la Cour suprême du Canada a statué sans ambiguïté que l’article 7 « n’entre pas en jeu lorsque vient le temps de déterminer si un migrant est interdit de territoire au Canada […] » (par. 75). La Cour a exprimé le même avis dans la décision Stables c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1319, [2013] 3 RCF 240 [Stables], aux paragraphes 39 et 40. Compte tenu de cette jurisprudence ainsi que des décisions qui ont été citées dans ces instances, la SI a statué que l’article 7 de la Charte n’entre pas en jeu.

[28]  Quoi qu’il en soit, s’en remettant au paragraphe 56 de la décision Stables, la SI a également conclu que la démarche n’est pas incompatible avec les principes de justice fondamentale. Je constate que M. Stables contestait la constitutionnalité de l’article 37 de la LIPR (membre d’une organisation criminelle). Il ne semble pas que la constitutionnalité d’une disposition ait été remise en question devant la SI en l’espèce.

III.  La décision rendue par la SI dans le dossier no IMM‑5604‑17

[29]  Selon la décision rendue dans le dossier no IMM‑5604‑17, qui est datée du 18 décembre 2017, la demande d’asile était irrecevable et ne pouvait pas être renvoyée devant la Section de la protection des réfugiés [SPR], en application des alinéas 104(1)b) et 101(1)f). La décision est très brève. En fait, elle fait mention d’un avis d’irrecevabilité. Cela s’explique par le fait que le demandeur, M. Ali, a été jugé interdit de territoire pour raison de sécurité. L’avis précise seulement que [traduction« [la] demande d’asile est donc irrecevable et ne pourra pas être instruite par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (al. 104(1)b) et al. 101(1)f)) ».

IV.  Arguments sur l’interdiction de territoire

[30]  Le demandeur soulève essentiellement deux questions dans sa demande de contrôle judiciaire en ce qui concerne l’interdiction de territoire. La conclusion d’interdiction de territoire est contestée pour le motif que la SI aurait commis une erreur en statuant que M. Ali était membre d’une organisation qui se livrait à des actes de renversement par la force d’un gouvernement et de terrorisme. Il était erroné de sa part de conclure que l’organisation s’était livrée à des actes de terrorisme. La SI a également commis une erreur de droit en refusant de tenir compte du fait que les droits que confère à M. Ali l’article 7 de la Charte entrent en jeu dès le début, omettant ainsi d’interpréter le paragraphe 34(1) de la LIPR d’une manière compatible avec les principes de justice fondamentale et les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne.

A.  Interdiction de territoire

[31]  Le demandeur prétend que la SI a erronément conclu qu’il était membre du FLSO. Il fait également valoir qu’il ne pouvait pas être membre d’une organisation qui se livre à des actes de terrorisme, parce qu’il ne savait pas que le FLSO avait entrepris de cibler des civils ni que l’un de ses objectifs comprenait le renversement du gouvernement éthiopien dans sa région d’Ogaden. Il était tout au plus un membre innocent, soutient‑il.

[32]  Le demandeur allègue également que l’article 7 de la Charte entre en jeu et que la SI a l’obligation d’interpréter le mot « membre » de manière à ne pas contrevenir à l’article 7, parce que [traduction« toute interprétation suffisamment large pour englober ses liens limités avec le FLSO serait incompatible avec l’article 7 » (mémoire des faits et du droit supplémentaire, par. 55).

B.  Appartenance

[33]  Le demandeur n’a pas abordé la question de la norme de contrôle, mais il affirme que les constatations de fait qui sont à l’origine de la conclusion selon laquelle M. Ali est membre du FLSO sont déraisonnables.

[34]  La notion d’appartenance ne peut pas être interprétée aussi libéralement que le fait la SI, parce qu’elle devient ainsi dénuée de sens (Toronto Coalition to Stop the War c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 957, au par. 118). Il ne suffit pas d’appuyer une organisation terroriste. Reprenant la décision Nassereddine (précitée), le demandeur affirme que la nature de la participation à l’organisation, la durée de la participation et l’engagement envers l’organisation doivent être pris en considération. Il avance que sa participation a été si limitée qu’il n’existe aucune preuve qu’il a sciemment soutenu des activités terroristes. Son appui n’était pas suffisant.

[35]  Selon lui, la SI a tiré une autre constatation de fait déraisonnable en affirmant dans un commentaire que M. Ali avait grandi dans un milieu dans lequel le FLSO comptait des appuis et qui était de nature à le sensibiliser aux buts et aux objectifs de l’organisation.

[36]  De l’avis du demandeur, la SI aurait dû conclure qu’il était un membre innocent, compte tenu de la portée plus étroite de la disposition sur la dispense du ministre (art. 42.1) de la LIPR. Cette décision ne devrait pas avoir à attendre la dispense du ministre qui est maintenant prévue à l’article 42.1. Le demandeur allègue [traduction« que M. Ali ne savait pas que le FLSO avait entrepris de prendre des civils pour cibles » (mémoire des faits et du droit supplémentaire, par. 91) ou que l’un de ses objectifs consistait à renverser le gouvernement éthiopien à Ogaden. La preuve de M. Ali n’est pas suffisante pour conclure qu’il était un membre innocent.

[37]  Dans le même ordre d’idées, il est allégué que le demandeur n’a pas sciemment participé aux activités terroristes de l’organisation, en ce sens que la preuve relative aux activités de cette nature concerne un groupuscule (le groupe d’Osman). En l’espèce, cet argument semble centré sur le fardeau de la preuve que la SI aurait transféré au demandeur. Il n’incombait pas au demandeur de réfuter le lien avec le groupe responsable d’attaques contre des civils. Comme il le fait remarquer, [traduction« [l]e fardeau de faire la preuve que M. Ali était lié à une organisation qui a commis des actes terroristes et que sa contribution à ce groupe avait pour objet d’accroître la capacité du groupe de commettre lesdits actes repose sur les épaules du ministre » (mémoire des faits et du droit supplémentaire, par. 95). L’association avec un groupuscule est seulement tirée du témoignage de M. Ali, dans lequel celui‑ci a affirmé qu’il savait qu’Osman était le dirigeant du FLSO. De l’avis du demandeur, cette déduction n’a pas d’effet déterminant.

[38]  Comme on pouvait s’y attendre, le défendeur fait valoir un point de vue différent. Le ministre a minutieusement étudié la preuve du demandeur, laquelle a tendance à qualifier la participation du demandeur de plus limitée et innocente avec le temps, à compter du Fondement de la demande jusqu’à l’audience devant la SI, en passant par une entrevue avec un agent en avril 2016. Autrement dit, le demandeur était plus expansif au sujet de sa participation quand il s’efforçait de convaincre qu’il aurait dû être admis à titre de réfugié. La preuve « objective » devant la SI comprenait le passage ci‑dessous, qui est tiré du mémoire des faits et du droit supplémentaire du défendeur, au paragraphe 4 :

[traduction]

h)  Le demandeur a désigné Mohamed Osman comme l’un des dirigeants du FLSO et, quand il a été placé devant le fait qu’Osman prônait la lutte armée, il a répondu que des aînés lui avaient dit qu’Osman préconisait des pourparlers de paix (DA, p. 305);

i)  Le FLSO a attaqué et tué des civils dans une installation pétrolière, il a exécuté sommairement des fonctionnaires gouvernementaux civils et il a exécuté des civils qu’il soupçonnait de collaborer avec le gouvernement (DA, p. 95 à 97);

j)  Un communiqué du FLSO accuse les compagnies pétrolières de financer le régime éthiopien et désigne donc l’armée éthiopienne et les entités connexes comme des cibles militaires légitimes (DA, p. 153 et 155);

k)  Le FLSO est un mouvement nationaliste qui a été fondé en 1984 et qui réclame l’autodétermination de la population d’origine ethnique somalienne en Éthiopie. Il se livre à des embuscades et à des raids de style guérilla contre l’armée éthiopienne, à l’enlèvement de travailleurs étrangers qui sont présumés être des agents du gouvernement et à des attaques à la bombe dans la capitale éthiopienne. Il a également assumé la responsabilité d’une attaque dans un champ pétrolifère au cours de laquelle il a tué des travailleurs somaliens et chinois en justifiant ses actes de violence par le fait qu’ils n’avaient pas été commis sans avertissement (DA, p. 191 à 193);

l)  Les meurtres de travailleurs de l’industrie pétrolière par le FLSO ont été relatés à grande échelle (DA, p. 195, 197 et 204);

m)  Le FLSO a recours à tous les moyens nécessaires, y compris la violence, pour atteindre son objectif d’autodétermination (DA, p. 204);

n)  Le FLSO est composé de 8 000 combattants dotés d’armes automatiques et de quelques lance‑grenades. Il occupe l’arrière‑pays rural et emploie des tactiques frappe‑esquive contre le gouvernement. Les dirigeants ne s’entendent pas, alors que le président Mohamed Osman est favorable à l’aide de l’Érythrée (DA, p. 197 à 199);

o)  Un porte‑parole du groupe d’Osman du FLSO, qui a réclamé la paternité des meurtres de travailleurs de l’industrie pétrolière commis en 2017, a déclaré qu’il n’existe pas de factions au sein du FLSO (DA, p. 232).

[39]  Étant donné qu’elle est régie par la norme de la raisonnabilité, la Cour doit faire preuve d’une grande retenue envers le décideur. La conclusion concernant l’interdiction de territoire était raisonnable.

[40]  À l’étape de la SI, le renversement par la force d’un gouvernement n’exige pas qu’il soit démontré que la force employée était illégitime. Ce facteur est pertinent à l’étape de la dispense du ministre.

[41]  Citant la définition du mot « terrorisme » dans l’arrêt Suresh (précité, par. 98) de la Cour suprême du Canada, le défendeur fait valoir que la SI a raisonnablement trouvé suffisamment de preuve du fait que le FLSO cautionne des actes terroristes : le groupe d’Osman n’est pas indépendant et distinct du FLSO. Le défendeur invoque quatre paragraphes de la décision Nassereddine, que je reproduis ci‑dessous :

[44]   À mon avis, un demandeur qui admet être membre d’une organisation terroriste ne peut ensuite éviter l’interdiction de territoire simplement en affirmant qu’il a exercé des activités humanitaires au sein de l’aile non violente de ce groupe, sans que cela ne soit le moindrement étayé par la preuve, documentaire ou autre. Il faut démontrer de manière objective que cette aile existe, qu’elle a une identité propre et quelles sont ses activités. Si un demandeur ne peut le démontrer, il peut toujours tenter de se prévaloir de la dispense prévue au paragraphe 42.1(2) (anciennement le paragraphe 34(2)).

[45]   Dans la décision Ugbazghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 694, il a été jugé que la demanderesse avait été membre du Front de libération de l’Érythrée (le FLE), une organisation dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu’elle se livrait au terrorisme. Sa demande de résidence permanente a été refusée parce qu’elle avait été déclarée interdite de territoire en application de l’alinéa 34(1)f). La demanderesse avait initialement affirmé être membre du FLE. Elle a ensuite précisé qu’elle n’était pas membre du FLE, mais plutôt d’un groupe de soutien au FLE. La juge Dawson a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse. Elle a fait remarquer que cette dernière n’avait produit aucune preuve confirmant l’existence d’un tel groupe de soutien distinct. En outre, d’après le propre témoignage de la demanderesse, le groupe de soutien adhérait entièrement aux objectifs et aux activités du FLE, et il contribuait à l’atteinte de ces objectifs et à la promotion de ces activités; ce témoignage ne permettait pas de conclure que le groupe était entièrement indépendant et distinct du FLE.

[46]   La juge Dawson a souligné que dans toute affaire il est toujours possible de dire que plusieurs facteurs permettent de conclure qu’il y a appartenance et que d’autres facteurs autorisent une conclusion contraire. Ce sont là des facteurs qu’il appartient à l’agent, en raison de son expertise, d’apprécier (Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, au paragraphe 36 [Poshteh]). La juge Dawson a conclu comme suit :

[47]   Il ne fait aucun doute que le paragraphe 34(1) de la Loi vise à ratisser très large afin de couvrir une large gamme de comportements qui vont à l’encontre des intérêts du Canada. L’intention du législateur se reflète également à l’article 33 de la Loi, lequel exige que les faits – actes ou omissions – soient appréciés sur la base de « motifs raisonnables de croire » qu’ils sont survenus. Par conséquent, le critère relatif à l’interdiction de territoire consiste à déterminer s’il y a des « motifs raisonnables de croire » qu’un ressortissant étranger était membre d’une organisation dont il y a des « motifs raisonnables de croire » qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte de terrorisme. Il s’agit d’un seuil de preuve relativement bas. C’est en raison de la très large gamme de comportements qui emportent interdiction de territoire que le ministre a le pouvoir discrétionnaire, au paragraphe 34(2) de la Loi, d’accorder une dispense relativement à l’interdiction de territoire.

[47]   Dans la présente affaire, le demandeur a constamment répété qu’il avait travaillé pour l’aile de la défense civile du Amal. Il n’a toutefois produit aucune autre preuve concernant l’existence de cette aile, ses fins et ses objectifs, son mode de fonctionnement ou ses dirigeants, ou montrant en quoi elle se distinguait de l’aile armée du Amal. Cela étant et vu l’absence de toute preuve documentaire ou autre étayant l’affirmation du demandeur, j’estime que la CISR n’a pas commis d’erreur en ne se penchant pas sur le rôle de l’« aile civile » du Amal lors de l’enquête fondée sur l’article 34 visant le demandeur. En tout état de cause, l’admission par le demandeur de son appartenance au Amal satisfaisait au critère de l’interdiction de territoire énoncé dans la décision Ugbazghi, précitée.

[42]  Le demandeur devait démontrer que la conclusion selon laquelle il est membre du FLSO est déraisonnable, compte tenu de l’interprétation libérale et non restrictive que les tribunaux ont donnée à ce terme. L’appartenance peut être établie par une démonstration de soutien matériel, comme des fonds, même si de tels actes ne sont pas directement liés à la violence (Suresh c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 28, au par. 84). Dans l’arrêt Poshteh (précité), la distribution de brochures par une personne qui n’avait jamais été membre en bonne et due forme d’une organisation et qui n’avait même pas recueilli de fonds ni recruté de membres pour le compte de l’organisation a été considérée comme suffisante par la SI; cette conclusion a été jugée raisonnable par la Cour ainsi que par la Cour d’appel fédérale. Compte tenu du jeune âge de M. Poshteh, la Cour d’appel a également formulé des instructions en statuant qu’il incombe au demandeur de produire une preuve à l’appui d’une allégation voulant que la connaissance et la capacité mentale étaient insuffisantes et que la présomption selon laquelle la connaissance et la capacité sont probables est plus forte lorsqu’une personne d’âge mineure s’approche de l’âge de 18 ans. La conclusion de la SI était raisonnable.

C.  L’article 7 de la Charte entre‑t‑il en jeu?

[43]  Le demandeur paraît contester le sens que la jurisprudence a donné au terme « membre » et il prétend que celui‑ci ne devrait être interprété d’une manière qui englobe les liens limités avec une organisation dans un cas comme le sien. Bref, la définition est trop large si on doit lui donner une interprétation libérale et non restrictive. La définition en common law est tempérée si la dispense du ministre est généreuse; ce n’est plus le cas, maintenant que l’article 41.2 a remplacé le paragraphe 34(2) de la LIPR.

[44]  Il semble que le demandeur prétend que le simple état de personne interdite de territoire au Canada suffit à faire entrer en jeu l’article 7. Selon lui, cette situation impose un grave stress psychologique. De plus, l’interdiction de territoire le prive de l’ensemble du processus de demande d’asile, étant donné que sa protection contre l’expulsion prendra la forme d’un ERAR dans le cadre duquel seuls les motifs de l’article 97 seront pris en considération. Il n’a pas droit à la résidence permanente au Canada s’il est interdit de territoire et il ne sera pas autorisé à rendre visite à sa famille au Kenya. Il pourrait être « refoulé » vers l’Éthiopie à tout moment.

[45]  Le demandeur fait valoir que cette situation entraîne la violation des « principes élémentaires de justice fondamentale ». Il relève deux de ces principes.

[46]  Selon le demandeur, il existe un principe de non‑refoulement qui est un principe de justice fondamentale, parce qu’il constitue le droit le plus fondamental dont jouissent les réfugiés : [traduction« Refuser d’offrir à M. Ali une protection juridique contre le refoulement porte atteinte aux droits qu’il tire du droit international » (mémoire des faits et du droit supplémentaire, par. 64). Étonnamment, le demandeur cite le paragraphe 104 de la l’arrêt de la Cour suprême Németh c Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 RCS 281 [Németh], une affaire d’extradition, dans laquelle la Cour affirme qu’il se pourrait que le principe du non‑refoulement n’ait même pas acquis le statut de jus cogens en droit international, étant donné qu’il continue de susciter la controverse parmi les spécialistes du droit international.

[47]  Pour faire en sorte que le principe du non‑refoulement soit considéré comme un principe de justice fondamentale, le demandeur prétend qu’il s’agit d’un principe juridique qu’on trouve dans des textes internationaux aussi bien qu’en droit municipal. Il prétend également qu’il est [traduction« vital pour notre notion sociale de justice », étant donné qu’il est une pierre angulaire de la protection des réfugiés.

[48]  Il est important de signaler que le demandeur invoque deux décisions pour appuyer sa théorie voulant que le principe du non‑refoulement ait atteint le statut de principe de justice fondamentale en droit constitutionnel canadien : Németh, une affaire d’extradition dans lequel la Cour a conclu que le principe n’avait peut‑être même pas atteint le statut de jus cogens, et Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 RCS 76 [Canadian Foundation], décision dans laquelle la Cour suprême a conclu que l’article 43 du Code criminel (discipline des enfants) ne viole pas l’article 7 de la Charte.

[49]  Le demandeur a été invité à maintes reprises à expliquer, avec une certaine précision, comment ce principe peut être un principe de justice fondamentale. Il nous reste l’analyse par les juges majoritaires des trois principes de justice fondamentale dans l’arrêt Canadian Foundation, lesquels seraient applicables d’une façon quelconque à notre affaire : les droits procéduraux indépendants des enfants, l’intérêt supérieur de l’enfant et l’imprécision ou la portée excessive de la loi.

[50]  D’après ce que je comprends, le demandeur s’en remet à l’analyse de la juge en chef, s’exprimant au nom de la majorité, qui a établi un cadre permettant de déterminer si un principe juridique peut devenir un principe de justice fondamentale :

  • a) Il doit s’agir d’un principe juridique. Non seulement cette condition donne‑t‑elle de la substance au droit garanti, mais elle évite également de trancher des questions de politique générale;

  • b) Le principe allégué doit être le fruit d’un consensus suffisant quant à son caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société. La Cour ajoute que « [l]es principes de justice fondamentale sont les postulats communs qui sous‑tendent notre système de justice. Ils trouvent leur sens dans la jurisprudence et les traditions qui, depuis longtemps, exposent en détail les normes fondamentales applicables au traitement des citoyens par l’État. La société les juge essentiels à l’administration de la justice » (par. 8);

  • c) Le principe juridique doit être suffisamment précis qu’il donne des résultats prévisibles une fois qu’il est mis en application.

Pour jauger à quel point un principe doit être fondamental pour être pris en compte, la juge en chef a cité en exemple la nécessité d’une intention coupable (mens rea) et de règles de droit raisonnablement claires.

[51]  La Cour suprême a refusé de voir dans l’intérêt supérieur de l’enfant un principe de justice fondamentale, même s’il est reconnu en droit national et international. Le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il devrait en être autrement du principe du non‑refoulement.

[52]  L’autre principe de justice fondamentale de fond que le demandeur invoque est le fait que la sévérité des effets d’une décision emportant interdiction de territoire est exagérément disproportionnée par rapport à l’objet de l’alinéa 34(1)f). Là encore, la Cour a demandé à maintes reprises des éclaircissements sur ce que seraient les [traduction« répercussions catastrophiques des conclusions emportant interdiction de territoire » (mémoire des faits et du droit supplémentaire, par. 74), de sorte que les effets sont exagérément disproportionnés dans le cas de M. Ali, étant donné que nous sommes au début d’un processus qui pourrait mener à son renvoi. À proprement parler, il n’est pas sur le point d’être renvoyé. Quelles sont donc les répercussions catastrophiques qui sont à ce point exagérément disproportionnées que la Constitution puisse être invoquée avec succès? Comme l’a exposé le juge Sopinka dans l’arrêt Rodriguez c Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 RCS 519, à la page 591, les principes de justice fondamentale ne doivent pas être « généraux au point d’être réduits à de vagues généralisations sur ce que notre société estime juste ou moral », parce que, comme l’a précisé la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Canadian Foundation, cela « ferait de l’art. 7 un instrument permettant de trancher des questions de politique générale » (par. 9). Même si le demandeur reconnaît que l’alinéa 34(1)f) a pour objet de protéger la sécurité nationale, ce qui n’est pas un intérêt insignifiant, il n’explique pas pourquoi une déclaration décrétant que M. Ali est interdit de territoire serait une disproportion exagérée, étant donné que le processus est à son début.

[53]  De l’avis du demandeur, la SI s’est trompée en refusant de faire entrer en jeu l’article 7 de la Charte à cette étape préliminaire. La SI a fait remarquer que la Cour suprême, dans l’arrêt B010, a affirmé que « l’art. 7 de la Charte n’entre pas en jeu lorsque vient le temps de déterminer si un migrant est interdit de territoire au Canada » (par. 75). Pour le demandeur, ce passage constitue simplement une opinion incidente qui ne justifie pas le refus d’étudier de plus près l’allégation.

[54]  D’après ce que je comprends, le demandeur veut élever le principe du non‑refoulement au rang de principe de justice fondamentale, à l’instar de la disproportion exagérée qui a été reconnue comme un principe de justice fondamentale (mais dans un contexte particulier, du moins à cette étape de l’élaboration de notre droit, entre la sécurité nationale et les « répercussions catastrophiques d’une conclusion emportant interdiction de territoire »; il est d’avis qu’il s’agit de principes de justice fondamentale, mais ces principes seraient appliqués bien avant que la question du « refoulement » soit étudiée. Là encore, il manque de précision. Si on tient pour acquis que le principe du non‑refoulement est un principe de justice fondamentale, comment peut‑il être pertinent quand le refoulement n’a pas encore été envisagé? Le cas échéant, le refoulement se produirait beaucoup plus tard dans le processus. De plus, le demandeur se plaint de nombreux irritants, certains de toute évidence plus importants que d’autres, qui font apparemment partie des répercussions catastrophiques de notre conclusion préliminaire emportant interdiction de territoire. D’après lui, ceux‑ci comprennent l’accès à un ERAR restreint qui se situerait peut‑être à une extrémité du spectre et [traduction« une vie en suspens sans la protection de la résidence permanente au Canada ni la liberté de sortir du pays pour rendre visite à sa famille. Le stigmate d’être qualifié de menace à la sécurité nationale en raison de son implication dans le terrorisme est un autre effet immédiat et personnel de la conclusion emportant interdiction de territoire » (mémoire des faits et du droit supplémentaire, par. 78).

[55]  Le défendeur rétorque que cette contestation est prématurée. Le moment pertinent pour se pencher sur l’article 7 de la Charte est celui du renvoi, donc à la dernière étape de l’examen des risques avant renvoi.

[56]  Le défendeur fait valoir que c’est l’ensemble du processus menant au renvoi qui doit être pris en considération à la lumière de l’article 7 de la Charte. La compétence de la SI se limite à rendre une décision sur le droit d’entrer au Canada, étant donné qu’il est interdit de territoire pour un motif quelconque prévu par la LIPR. Cette conclusion peut être infirmée par le ministre qui pourrait, en vertu de l’article 42.1 de la LIPR, lui consentir une dispense; si la dispense est octroyée, la conclusion emportant interdiction de territoire sera annulée. Il pourrait alors avoir accès à un ERAR. Ce processus a été jugé compatible avec les principes de justice fondamentale par le juge de Montigny, alors de la Cour (Stables c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1319, [2013] 3 RCF 240 [Stables]).

[57]  Quoi qu’il en soit, le principe du non‑refoulement en droit international est loin d’être absolu, comme le prétend le demandeur. La Convention des Nations Unies sur les réfugiés ne garantit pas un droit absolu au non‑refoulement. L’interdiction de l’expulsion ou du renvoi (refoulement) est conditionnelle :

1.  Aucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

2.  Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays.

Convention des Nations Unies relative au statut de réfugié, 28 juillet 1951, [1969] RT CanS no 6

Néanmoins, la personne qui a besoin de protection peut invoquer le paragraphe 112(3) et l’alinéa 114(1)b) de la LIPR.

V.  Analyse

A.  Appartenance au FLSO

[58]  Généralement, la cause de l’appartenance de M. Ali à une organisation qui se livre au renversement par la force d’un gouvernement ou à des actes de terrorisme a été plaidée comme si l’affaire s’apparentait à un procès criminel dans lequel la Couronne devait prouver chacun des éléments essentiels de l’infraction hors de tout doute raisonnable. Ce n’est bien sûr pas le cas, étant donné que les faits qui emportent interdiction de territoire « sont appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir » (art. 33 de la LIPR). Cela signifie que le décideur n’a pas à être convaincu même par prépondérance des probabilités, ce qui est la norme applicable dans les instances civiles. Comme la Cour suprême l’a répété dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Hôtels Fairmont Inc., 2016 CSC 56, [2016] 2 RCS 720 [Fairmont], pour se conformer à cette norme, « la preuve doit toujours être claire et convaincante » (citant F.H. c McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 RCS 41, Fairmont, au par. 36). Ce n’est pas la norme que la SI est tenue de respecter. Le critère de l’article 33 de la LIPR ne doit pas être ignoré. Il ne s’agit pas d’un vœu pieux : une fois qu’il a été exprimé, il doit être suivi. La SI a eu raison de l’appliquer. Il exige simplement « la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi » (Chiau, précité, au paragraphe 60); « [l]a croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » (Mugesera, précité, au par. 114).On est très loin de la norme criminelle « hors de tout doute raisonnable » et même de la norme en droit civil.

[59]  Dans son mémoire des faits et du droit et à l’audience, le demandeur s’est concentré sur le terme « membre ». Cette notion n’est pas définie dans la LIPR et il fait valoir qu’il n’est pas un membre au sens qui a été défini dans la jurisprudence.

[60]  La décision qui fait autorité continue d’être l’arrêt Poshteh de la Cour d’appel fédérale, qui a été rendu par le juge Rothstein. La Cour d’appel a signalé que la norme est celle des motifs raisonnables de croire que la personne est un membre; compte tenu de l’expertise de la SI en matière de recherche des faits, il convient de faire preuve d’une grande retenue envers cette conclusion (par. 21). C’est cette façon de procéder que nous devons adopter en l’espèce.

[61]  La Cour d’appel considère que le terme doit recevoir une interprétation non restrictive et libérale. La Cour endosse la justification d’une telle interprétation dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Singh (1998) 151 FTR 101 :

[52]  Les dispositions en cause traitent de la subversion et du terrorisme. Le contexte, en ce qui concerne la législation en matière d’immigration, est la sécurité publique et la sécurité nationale, soit les principales préoccupations du gouvernement. Il va sans dire que les organisations terroristes ne donnent pas de cartes de membres. Il n’existe aucun critère formel pour avoir qualité de membre et les membres ne sont donc pas facilement identifiables. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration peut, si cela n’est pas préjudiciable à l’intérêt national, exclure un individu de l’application de la division 19(1)f)(iii)(B). Je crois qu’il est évident que le législateur voulait que le mot « membre » soit interprété d’une façon libérale […]

[62]  Comme nous l’avons vu précédemment dans les présents motifs, il existe des similitudes évidentes entre les faits dans l’affaire Poshteh et la présente espèce. Ce sont ses activités qui justifieront une conclusion selon laquelle M. Ali était membre de l’organisation. Toutefois, le degré d’intégration au sein de l’organisation n’est pas une condition préalable (par. 31). Après un examen qu’il a qualifié d’« assez poussé », le juge Rothstein a conclu qu’il ne pouvait conclure que la décision de la SI était déraisonnable. J’arrive à la même conclusion en l’espèce.

[63]  La Cour saisie de l’affaire Poshteh a ensuite étudié l’impact que l’âge d’une personne peut avoir sur sa capacité d’être membre. La Cour a statué qu’« on présumera que plus le mineur se rapproche de l’âge de dix‑huit ans, plus il sera probable qu’il possède la connaissance ou la capacité mentale requise » (par. 51). Voici ce que la Cour a conclu :

[56]  La Section de l’immigration a estimé que M. Poshteh avait poursuivi ses activités au sein de la MEK jusqu’à l’âge de dix‑sept ans et onze mois. Lorsqu’un mineur de cet âge a connaissance des activités violentes d’une organisation, qu’il accepte de son plein gré un rôle dans cette organisation, qu’il exerce ce rôle durant deux ans et qu’il ne quitte l’organisation qu’après avoir été arrêté, on ne saurait dire qu’il est déraisonnable pour la Section de l’immigration de ne pas avoir accepté ses arguments fondés sur son statut de mineur et de l’avoir considéré comme un membre de l’organisation terroriste.

[64]  Avant de terminer l’examen de l’arrêt Poshteh, il convient de faire remarquer que la Cour a statué que l’article 7 de la Charte n’était pas applicable à l’étape de la SI. Il faut prouver que la privation de l’un de trois droits (vie, liberté et sécurité de la personne) est incompatible avec les principes de justice fondamentale. La nouvelle conclusion d’interdiction de territoire ne fait pas entrer en jeu l’article 7 de la Charte :

[63]  Ici, ce qu’il faut décider, c’est le point de savoir si M. Poshteh est interdit de territoire au Canada en raison de son appartenance à une organisation terroriste. Selon la jurisprudence, une conclusion d’interdiction de territoire ne met pas en cause le droit conféré par l’article 7 de la Charte (voir par exemple l’arrêt Barrera c. Canada (MCI) (1992), 99 D.L.R. (4th) 264 (C.A.F.)). Plusieurs procédures pourraient encore se dérouler avant qu’il n’arrive au stade où il sera expulsé du Canada. Par exemple, M. Poshteh peut invoquer le paragraphe 34(2) pour tenter de convaincre le ministre que sa présence au Canada n’est pas préjudiciable à l’intérêt national. Par conséquent, les principes de justice fondamentale dont parle l’article 7 de la Charte n’entrent pas en jeu dans la décision qui doit être prise en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

[65]  J’ai effectué mon propre examen assez poussé du dossier devant la SI, y compris la transcription de l’audience devant le décideur. À son paroxysme, l’opinion que fait valoir le demandeur n’est rien de plus qu’un désaccord sur les conclusions auxquelles la SI est arrivée.

[66]  Les motifs raisonnables de croire qui sont nécessaires peuvent avoir découlé de l’exposé personnel de M. Ali dans son formulaire Fondement de la demande daté du 7 août 2016, peu de temps après son arrivée au Canada en provenance de la Norvège. Voici ce qu’il a déclaré dans ce document :

  • Son père était un membre local bien connu du FLSO et il était désigné pour solliciter l’aide financière de la population locale. Il dit qu’il a organisé des réunions pour le compte du FLSO;

  • Son demi‑frère était également un membre et il a quitté le village pour combattre avec le FLSO;

  • À l’âge de 16 ans, il a commencé à gérer l’épicerie;

  • L’organisation à laquelle le père du demandeur appartenait voulait libérer Ogaden du joug éthiopien et se défendre contre l’oppression du gouvernement éthiopien. Il a accusé les autorités éthiopiennes d’emprisonnement, de torture, de disparitions, de pillages, de viols et de meurtres;

  • Après le décès de son père, les amis de celui‑ci et ses oncles ont commencé à lui rendre visite à l’épicerie pour lui parler du FLSO. Ils ont encouragé le demandeur à se joindre au mouvement de résistance; l’un des moyens de le faire était de recueillir de l’argent auprès des habitants des villages voisins. Il a continué à recueillir des fonds même après que la police eut pillé des marchandises qui étaient transportées à son magasin en 2012, sous prétexte qu’il fournissait le FLSO;

  • Le demandeur a affirmé dans son exposé personnel qu’il a commencé à recueillir des fonds pour le FLSO quand il avait 16 ans. Dans son entrevue du 17 avril 2016, il a confirmé que personne ne l’avait forcé. Il a continué jusqu’à sa détention de huit mois qui a débuté en août 2013. Libéré en mars 2014, il a décidé de quitter l’Éthiopie en juin 2014.

[67]  En l’espèce, nous n’avons pas affaire à un genre de contact avec une organisation qui ferait en sorte qu’une personne quelconque serait considérée comme un membre de l’organisation selon la définition non restrictive et libérale du mot (Toronto Coalition to Stop the War c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 957, [2012] 1 RCF 413). Nous ne parlons pas ici simplement de fournir une aide financière. Il était loisible à la SI de statuer pour des motifs raisonnables que le demandeur voulait jouer un rôle dans l’organisation. Il connaissait ses buts et ses objectifs et il a accepté d’assumer le rôle que jouait auparavant son père, un membre du FLSO, et qui consistait à recueillir des fonds pour l’organisation. Il savait très bien que son frère combattait avec le FLSO et il a continué à participer aux activités de l’organisation même après avoir été victime de pillage, parce qu’on s’attendait de lui qu’il fournisse le FLSO.

[68]  Je le répète. Le rôle de la Cour ne consiste pas à substituer son opinion sur ce qui constitue l’appartenance. Il revient à la SI d’être convaincue sur la base de motifs raisonnables de croire, et non hors de tout doute raisonnable ni selon la norme civile de la prépondérance des probabilités, qu’il y a appartenance dans les circonstances d’une affaire en particulier. La Cour a plutôt comme rôle de contrôler la légalité de la décision en se demandant si le résultat obtenu est acceptable et possible, compte tenu des faits et du droit, et si le processus décisionnel respecte les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité. Comme l’a affirmé le juge Binnie au nom de la majorité dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 [Khosa] :

[59] La raisonnabilité constitue une norme unique qui s’adapte au contexte. L’arrêt Dunsmuir avait notamment pour objectif de libérer les cours saisies d’une demande de contrôle judiciaire de ce que l’on est venu à considérer comme une complexité et un formalisme excessifs. Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

Ce dossier contenait amplement d’information pour que la SI puisse conclure qu’il existait des motifs raisonnables de croire à l’appartenance. Pour reprendre les mots de l’arrêt Mugesera (précité), il existe un fondement objectif aux motifs de croire qui vient du demandeur lui‑même. Le critère que le demandeur préconiserait ne s’écarte pas de cette détermination : la nature de la participation, la période de celle‑ci et l’engagement envers l’organisation (Nassereddine). Ces facteurs donnent à penser que M. Ali était membre de l’organisation. Il était raisonnable de la part de la SI d’avoir les motifs raisonnables de croire requis.

[69]  En fait, le demandeur a cherché à minimiser la nature de son association dans son témoignage devant la SI. Il fournissait simplement de l’espace pour une boîte de collecte dans son magasin; ses activités ont duré à peine un an (en fait, elles se sont poursuivies jusqu’à sa détention de huit mois); il avait seulement 15 ou 16 ans (il a indiqué dans son exposé qu’il a commencé à recueillir des fonds à l’âge de 16 ans; il a eu 16 ans le 12 janvier 1996 et il a continué à recueillir des fonds jusqu’en mars 2013, quand il avait 17 ans); il a laissé entendre que son degré d’engagement était faible (même s’il a poursuivi ses activités après avoir été pillé par la police en 2012, parce qu’elle le soupçonnait de fournir le FLSO). Au contraire, des éléments de preuve démontrent que le demandeur était heureux d’aider le FLSO en raison des mauvais traitements qu’il avait subis aux mains du gouvernement éthiopien et de ses forces. Comme il l’a mentionné dans son entrevue au point d’entrée réalisée le 13 juillet 2015, [traduction« [l]e peuple somalien dans cette région n’appuyait pas le gouvernement éthiopien ». Quand on lui a demandé ce qu’était le FLSO, le demandeur a répondu [traduction« le Front de libération de la Somalie occidentale. Ses membres militent pour la scission de l’Éthiopie ».

[70]  La SI avait amplement d’information pour déduire comme elle l’a fait que le demandeur a grandi dans un milieu de partisans du FLSO, de son père à son demi‑frère, tous deux membres de l’organisation, en passant par les amis de son père et ses oncles qui l’ont encouragé à s’y joindre. Son père était bien connu dans sa collectivité et il serait surprenant que les buts et les objectifs du FLSO n’étaient pas connus par une personne dont un frère combattait pour le FLSO et qui avait été invitée à s’y joindre. Le demandeur n’a pas non plus démontré que son âge était un facteur à prendre en considération pour arriver à la conclusion qu’il n’avait pas les connaissances ni la capacité mentale requises. Il était raisonnable de la part de la SI de conclure que cette tentative de minimiser la capacité d’une personne âgée de 16 ou 17 ans a échoué.

[71]  Dans le même ordre d’idées, la SI a statué que le demandeur n’était pas un « membre innocent », parce qu’il était [TRADUCTION] « quelqu’un qui connaissait et comprenait le fonctionnement et le but du FLSO et qui a totalement entrepris de soutenir cette organisation, même en mettant à risque son propre bien‑être » (décision de la SI, par. 88). Le demandeur invoque le paragraphe 81 de l’arrêt Najafi (précité) pour faire valoir la théorie générale selon laquelle l’appartenance innocente est une exception réservée aux membres qui ne savaient pas qu’ils contribuaient à une organisation dont l’objectif consiste à renverser le gouvernement dans la région d’Ogaden et à causer du tort à des civils pour atteindre son but. Je ne vois pas très bien comment le paragraphe 81 de l’arrêt Najafi peut être utile pour le demandeur. En voici le libellé :

[81] Ce mécanisme peut être utilisé pour protéger les membres innocents d’une organisation, mais aussi les membres d’organisations dont l’admission au Canada ne serait pas préjudiciable ou contraire à l’intérêt national en raison des activités de l’organisation au Canada et de la légitimité du recours à la force pour renverser un gouvernement à l’étranger.

Le mécanisme dont parle la Cour d’appel est le paragraphe 34(2) de la LIPR qui permet l’octroi d’une dispense du ministre dans les cas où un membre d’une organisation est un membre innocent ou dans ceux où l’admission ne serait pas préjudiciable pour l’intérêt national, compte tenu, par exemple, de la légitimité du recours à la force. Mais le point crucial demeure qu’il ne revient pas à la SI de prendre cette décision.

[72]  Par contre, l’arrêt Najafi est utile en ce qui concerne le postulat selon lequel la dispense prévue en remplacement du paragraphe 34(2) de la LIPR, le nouvel article 42.1, est toujours disponible et est puissant (par. 13 et 80). La définition large de l’appartenance peut donc être assouplie par la dispense du ministre dans les cas qui s’y prêtent.

[73]  Quoi qu’il en soit, le demandeur a échoué dans sa tentative de laisser entendre qu’il ne savait pas que le FLSO se livrait à des attaques prenant pour cibles des civils. Cette affirmation ne paraît pas correspondre à la réalité, compte tenu des circonstances de l’espèce. J’ai étudié la preuve documentaire dont était saisie la SI. On y trouve une foule de renseignements au sujet de la portée des combats et du niveau de victimes, y compris dans les communiqués publiés par le FLSO. La position adoptée par le FLSO de ne pas permettre l’exploration pétrolière et gazière sur son territoire avant que la région ait obtenu son indépendance est l’un des enjeux importants. D’après des reportages à grande diffusion, en 2007, le FLSO a pris pour cible un champ pétrolifère dans lequel des travailleurs étrangers exerçaient des activités; le chef de l’attaque était un dénommé Osman.

[74]  Le demandeur laisse entendre que le ministre avait le fardeau de prouver qu’il était aussi un membre de la faction violente dirigée par Osman qui a commis des actes terroristes. En précisant au paragraphe 48 de sa décision qu’il [traduction« n’existe aucune preuve devant le tribunal que le FLSO, en tant qu’organisation plus globale, aurait dénoncé cette attaque ni qu’il aurait pris ses distances par rapport à ce groupuscule, en particulier à la suite de cet incident », on peut déduire que la SI a fait passer ce fardeau de preuve sur les épaules du demandeur.

[75]  Cela doit être replacé dans le bon contexte. Au paragraphe 46, la SI statue, à la lumière de la preuve documentaire, que [traduction« le fait d’attaquer des installations d’exploration pétrolière qui emploient des travailleurs locaux et étrangers et le fait de causer la mort et le déplacement de grands groupes de personnes sont manifestement des actes terroristes qui ont pour but de causer la mort ou des lésions corporelles graves chez des civils et dont l’objet est de forcer le gouvernement de l’Éthiopie à renoncer à la mainmise qu’il exerce sur la région d’Ogaden ». Cela aurait pu être suffisant pour trancher la question. Pourtant, la SI a tenté de répondre à l’argument qu’a fait valoir l’avocat de M. Ali et selon lequel le groupe d’Osman était une faction dissidente. En fin de compte, la SI vient à la conclusion que l’attaque contre des travailleurs de l’industrie pétrolière a été perpétrée sous l’égide du FLSO. Le tribunal fait remarquer que l’article qu’invoque l’avocat [traduction« mentionne clairement “ qu’il n’existe pas de factions ” au sein du FLSO » (par. 48). M. Ali n’a jamais même fait allusion à la possibilité que le FLSO ait été divisé en factions. C’est dans ce contexte que la SI a constaté que le FLSO n’avait jamais dénoncé l’attaque ni pris ses distances par rapport au groupe d’Osman. La SI n’a pas imposé de fardeau spécial au demandeur. Elle a simplement étudié la preuve. En l’absence d’une contre‑preuve, les éléments de preuve dont la SI était saisie donnaient à entendre qu’il existait une organisation qui était active dans la région. Quand M. Ali recueillait des fonds pour le compte du FLSO, il percevait donc de l’argent pour le groupe d’Osman. Je ne peux trouver rien de déraisonnable dans cette conclusion.

[76]  Mais la SI est allée encore plus loin. Elle a constaté que M. Ali avait rendu le témoignage suivant devant elle, lequel a été reproduit au paragraphe 40 de la décision de la SI :

[traduction]

Q :  M. Ali, plus tôt aujourd’hui, on vous a demandé si vous pouviez nommer l’un ou l’autre des chefs du FLSO. Vous avez été en mesure d’en nommer un, soit Mohamed Osman. Quand avez‑vous entendu – désolé – quand avez‑vous appris qu’il était un chef, l’un des chefs du FLSO?

R :  Quand j’ai commencé à recueillir de l’argent.

Q :  Aviez‑vous l’impression qu’il était le chef du FLSO au moment où vous collectiez des fonds?

R :  Oui.

[77]  À cela, la SI a répondu par une boutade : [traduction« s’il existe des factions dissidentes au sein du FLSO, il semble que M. Ali recueillait des contributions financières et des marchandises pour soutenir la faction qui avait auparavant exécuté les attaques de 2007 contre des civils et des travailleurs de l’industrie pétrolière » (par. 50). Autrement dit, M. Ali concède qu’il recueillait aussi des fonds pour le groupe d’Osman en 2012, lorsqu’il a entendu dire pour la première fois que Mohamed Osman était l’un des chefs du FLSO.

[78]  Encore plus éloquent, la SI est arrivée à la conclusion qu’il n’existait pas de factions, encore moins une faction qui serait non violente :

[traduction]

[52]  Pour établir l’existence d’une faction non violente, on doit être en mesure de distinguer et de reconnaître objectivement son identité distincte, ses objectifs et ses buts ainsi que ses activités40. En l’espèce, le FLSO est un groupe qui combat contre le gouvernement éthiopien dans un seul but, celui de prendre la mainmise de la région d’Ogaden, et sa stratégie consiste à avoir recours à des tactiques violentes pour atteindre son but. En fait, le groupe ne s’en cache pas et il annonce ses attaques à tous vents dans ses divers communiqués41. De plus, le FLSO est considéré comme une organisation terroriste42 et un groupe rebelle par le gouvernement éthiopien à cause de ses attaques incessantes contre des installations militaires et d’autres avant‑postes gouvernementaux.

[Notes de bas de page omises.]

Je ne relève aucune erreur de droit ou de fait, encore moins une erreur qui répondrait à la définition de déraisonnable. Même les questions de droit relevant du domaine d’expertise d’un tribunal administratif doivent satisfaire au critère de raisonnabilité de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47, et de l’arrêt Khosa (précité).

[79]  Il s’ensuit qu’aucune des allégations de décision déraisonnable en ce qui concerne la notion d’appartenance ne peut être admise dans ce dossier.

B.  L’article 7 de la Charte entre en jeu et la SI aurait dû tenir compte des principes de justice fondamentale

[80]  Ce que la SI aurait dû faire de l’argument voulant qu’elle aurait dû interpréter le terme « membre » de l’article 34 de la LIPR de manière à éviter une violation alléguée de l’article 7 de la Charte demeure nébuleux. Cela s’explique par l’argument selon lequel [traduction« toute interprétation suffisamment libérale pour saisir ses liens limités avec le FLSO serait incompatible avec l’article 7 » (mémoire des faits et du droit supplémentaire, par. 55). Cette théorie tient pour acquis que M. Ali entretient des liens limités avec le FLSO – ce qui n’a pas été démontré –, et que l’article 7 de la Charte peut permettre d’établir une limite évidente qui ne pourrait pas être franchie.

[81]  M. Ali n’a contesté la constitutionnalité d’aucune disposition. Il n’a pas invoqué le cadre de l’arrêt Doré (Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 RCS 395 [Doré]), selon lequel une décision administrative doit être prise « à l’aune des garanties constitutionnelles et des valeurs qu’elles comportent » (Multani c Commission scolaire Marguerite‑Bourgeoys, 2006 CSC 6, [2006] 1 RCS 256, au par. 52). Ce cadre présente l’avantage d’appliquer les valeurs de la Charte à une décision administrative individuelle relativement à une série de faits en particulier. Comme la Cour d’appel l’a réitéré récemment, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, laquelle [traduction« nécessite une appréciation pour établir si la décision arrive à un juste équilibre entre les mécanismes de protection de la Charte qui sont en jeu et la mission législative pertinente » (Ewert c Canada (Procureur général), 2018 CAF 175, au par. 11). Le demandeur n’est pas particulièrement loquace sur la façon dont un argument constitutionnel devrait être exposé s’il devait être apprécié avant que son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne soit mis en danger en raison du fait qu’il pourrait être renvoyé du Canada.

[82]  Sans jurisprudence à l’appui, le demandeur déclare que [traduction« [s]’il est établi que des droits prévus à l’article 7 entrent en jeu, toute privation de ces droits doit être conforme aux principes de justice fondamentale » (mémoire des faits et du droit supplémentaire, par. 56). Cette allégation est très loin d’être révélatrice. Elle atteint un niveau de généralité tel qu’elle n’est d’aucune aide pour un décideur. Si un plaideur ne conteste pas la constitutionnalité de certaines dispositions, ce qui appellerait l’application de la norme de contrôle de la décision correcte (Doré, précité, par. 43), il doit donc contester la décision qui a été prise et il doit se servir du cadre de l’arrêt Doré, étant donné que la décision sera passée en revue pour vérifier si elle repose sur un juste équilibre entre les mécanismes de protection de la Charte et la mission législative pertinente. Il suffira que la décision soit raisonnable. En l’absence d’un exposé adéquat, on peut excuser la SI de ne pas avoir saisi l’argument.

[83]  Dans l’arrêt Poshteh, la Cour d’appel fédérale a déjà statué que la décision prise par la SI concerne la question de savoir si la personne est interdite de territoire en raison de son appartenance à une organisation terroriste. Le même raisonnement s’applique bien sûr à l’appartenance à une organisation qui se livre à des actes de renversement par la force d’un gouvernement. Dans l’arrêt Poshteh, la Cour a conclu que « [s]elon la jurisprudence, une conclusion d’interdiction de territoire ne met pas en cause le droit conféré par l’article 7 de la Charte (jurisprudence omise). Plusieurs procédures pourraient encore se dérouler avant qu’il n’arrive au stade où il sera expulsé du Canada » (par. 63). Il ne s’agissait pas de paroles creuses, puisque la Cour d’appel est arrivée à cette conclusion de façon très explicite :

[64]  Je répondrai de la manière suivante à la question certifiée :

a)   l’article 7 de la Charte n’entre pas en jeu dans la décision qui doit être prise par la Section de l’immigration selon l’alinéa 34(1)f) de la Loi;

[…]

Cette conclusion s’explique par le fait que la Cour a statué que les droits prévus à l’article 7 sont en jeu uniquement au stade de l’expulsion ou du renvoi.

[84]  La Cour suprême du Canada semble être arrivée à la même conclusion dans l’arrêt B010 :

[75]  Quoi qu’il en soit, l’argument n’est d’aucune utilité puisque l’art. 7 de la Charte n’entre pas en jeu lorsque vient le temps de déterminer si un migrant est interdit de territoire au Canada selon le par. 37(1). La Cour a récemment conclu dans Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431, que le constat d’exclusion de l’asile tiré en vertu de la LIPR ne déclenchait pas l’application de l’art. 7, car « même s’il est exclu du régime de protection des réfugiés, l’appelant peut demander au ministre de surseoir à une mesure de renvoi pour le lieu en cause si le renvoi à ce lieu l’expose à la mort, à la torture ou à des traitements ou peines cruels ou inusités » (par. 67). C’est à cette étape subséquente, l’examen des risques avant renvoi, du processus d’asile établi par la LIPR que l’art. 7 entre habituellement en jeu. Le raisonnement découlant de Febles, qui visait les décisions portant « exclusion » du statut de réfugié, vaut également pour les constats d’« inadmissibilité » au statut de réfugié tirés en vertu de la LIPR.

[85]  Le demandeur cherche à distinguer l’arrêt B010 parce qu’il s’agit d’une opinion incidente. Sa position ne tient pas compte du renvoi à l’arrêt Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 RCS 431 [Febles], dans lequel la Cour affirme sans équivoque que « même s’il est exclu du régime de protection des réfugiés, l’appelant peut demander au ministre de surseoir à une mesure de renvoi pour le lieu en cause si le renvoi à ce lieu l’expose à la mort, à la torture ou à des traitements ou peines cruels ou inusités […] ». Autrement dit, cela ressemble à l’avis arrêté de la Cour suprême selon lequel l’article 7 entre en jeu plus tard dans des affaires de cette nature. Cela s’apparente beaucoup à la conclusion de la Cour dans l’arrêt Poshteh, lorsqu’elle a statué qu’une déclaration d’interdiction de territoire en vertu de l’article 34 de la LIPR est un constat limité. Les instances subséquentes feront plus manifestement naître la possibilité de faire entrer en jeu l’article 7 de la Charte. Cela ne tient pas compte non plus de la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Sellars c La Reine, [1980] 1 RCS 527.

[86]  Dans cette affaire, la question consistait à savoir si une mise en garde au jury était nécessaire en présence d’un témoignage non corroboré dans une affaire d’infraction de complicité après le fait; la règle de preuve existait déjà pour un complice. Dans l’affaire Sellars, la Cour avait relevé une opinion incidente selon laquelle « la Cour s’est ainsi prononcée sur la question, même s’il n’était pas indispensable de le faire pour disposer du pourvoi » (p. 529), dans une cause qui avait été tranchée par la Cour suprême deux années auparavant (Paradis c La Reine, [1978] 1 RCS 264). Cette opinion incidente dans une cause antérieure mérite le respect. La Cour saisie de l’affaire Sellars a cité le juge en chef de l’Ontario qui s’était exprimé comme suit dans la décision Ottawa c Nepean Township et al., [1943] 3 DLR 802, à la page 804 : [traduction« [c]e qui a été dit peut être un obiter, mais ces mots sont considérés comme l’opinion de la Cour suprême du Canada et nous devrions la respecter et la suivre, même si nous ne sommes pas, à strictement parler, liés par cette opinion incidente ». Il a suivi l’opinion incidente. J’aurais pensé que l’opinion exprimée dans les arrêts B010 et Poshteh était l’opinion arrêtée de ces tribunaux. Elle pourrait mériter davantage de respect, plutôt que d’être simplement mise de côté sous prétexte qu’il s’agit d’une banale opinion incidente.

[87]  Selon la justification qui sous‑tend des décisions comme B010 et Poshteh ainsi que Najafi et Febles, le processus menant à l’interdiction de territoire et au renvoi du Canada est au mieux partiellement achevé devant la SI. D’autres avenues qui feraient entrer en jeu l’article 7 de la Charte sont ouvertes, y compris la dispense du ministre (Najafi) et l’ERAR, pour protéger les membres innocents ou les gens qui ont besoin de protection. Comme la jurisprudence l’a établi, on dit que c’est à l’approche du renvoi du Canada que les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne doivent être pris en considération. Dans ce cas, c’est le renvoi qui déclenche l’application de l’article 7.

[88]  La SI a statué que l’article 7 n’entrait pas en jeu, parce que la vie, la liberté et la sécurité de la personne de M. Ali ne seraient pas compromises par un constat d’interdiction de territoire (décision de la SI, par. 99). Elle s’en est remise aux précédents B010 et Poshteh pour conclure qu’il existe d’autres démarches, lorsque la question se pose réellement, avant que le renvoi puisse avoir lieu. Autrement dit, c’est la menace de renvoi qui est l’élément déclencheur de l’application de l’article 7. C’est à ce stade, si l’élément déclencheur est le renvoi, qu’il existe d’autres étapes permettant de faire valoir l’article 7 à meilleur escient. Mais que répondre à un argument selon lequel le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne est violé plus tôt qu’à l’étape du renvoi? C’est là que le demandeur devrait ancrer son argument. Le fait qu’il est réputé être une personne interdite de territoire, même s’il n’est pas à la veille d’être renvoyé du Canada, le priverait au moins de son droit à la sécurité de sa personne.

[89]  En toute déférence, j’estime que la décision de la SI ne traite pas de la question que le demandeur a soulevée devant elle. Dans les observations qu’il a formulées devant la SI, M. Ali a fait valoir que son droit à la sécurité entre en jeu avant le renvoi, en raison du stress psychologique auquel il fait face depuis le début et des autres conséquences qui découlent de son interdiction de territoire à cette étape hâtive. Il s’en remet aux arrêts Chaoulli c Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, [2005] 1 RCS 791, et Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 RCS 307[Blencoe] comme décisions faisant autorité à ce propos.

[90]  La SI paraît s’être penchée sur une question différente lorsqu’elle a conclu que les arrêts B010, Poshteh et Stables avaient établi de façon concluante que l’article 7 n’entrait pas en jeu. Dans ces affaires, le renvoi était considéré comme l’élément déclencheur; l’argument de M. Ali est de nature différente. La meilleure illustration du fait qu’une question différente a été traitée dans la jurisprudence invoquée par la SI se trouve au paragraphe 56 de la décision Stables, que la SI cite à l’appui de sa conclusion voulant que l’argumentaire concernant l’article 7 n’a pas à être pris en considération à cette étape. Au paragraphe 42, le juge de Montigny a fait remarquer que « le demandeur n’a soulevé aucun argument suivant lequel sa vie, sa liberté ou sa sécurité serait en danger s’il était renvoyé en Écosse et il n’a pas voulu demander un examen des risques avant renvoi ». La seule question tranchée dans cette affaire consiste donc à interpréter le paragraphe 56 comme s’il confirmait que la démarche aboutissant au renvoi est compatible avec l’article 7 de la Charte :

[56]  Je souscris à l’opinion du défendeur qu’il ressort de l’examen de l’ensemble du processus par lequel un demandeur pourrait se voir déclarer interdit de territoire et imposer l’exécution consécutive d’une mesure de renvoi que le processus est compatible avec les principes de justice fondamentale :

  Le demandeur se voit accorder la possibilité de présenter des observations expliquant pourquoi le rapport prévu à l’article 44 ne devrait pas être établi ou déféré à la Section de l’immigration pour examen;

  Le demandeur se voit accorder le droit d’être entendu par la Section de l’immigration pour qu’elle décide du bien‑fondé de l’allégation d’interdiction de territoire (article 45 de la LIPR). La procédure devant la Section de l’immigration permet au demandeur d’avoir droit à une enquête devant un arbitre impartial et à une décision fondée sur les faits et le droit et lui reconnaît le droit d’être informé de la preuve produite contre lui et d’y répondre, soit tout ce que la justice fondamentale exigerait dans les circonstances;

  Avant le renvoi, le demandeur se voit accorder la possibilité de demander un ERAR pour faire évaluer les risques allégués auxquels il serait exposé dans son pays d’origine (article 112 de la LIPR);

  Si l’ERAR permet d’établir que le demandeur est une personne à protéger, son renvoi ne pourra avoir lieu à moins qu’on estime qu’il constitue un danger pour le public (paragraphe 115(2) de la LIPR);

  Chacun de ces processus est assujetti à la surveillance de notre Cour par voie de contrôle judiciaire.

[Non souligné dans l’original.]

En deux mots, M. Ali a cherché à soulever une nouvelle question qui n’a pas été abordée de front comme question juridique dans la jurisprudence présentée.

[91]  Il n’est peut‑être pas évident que le demandeur a une argumentation gagnante à faire valoir. Pour avoir gain de cause, il devra décider quel cadre est applicable. Les mesures législatives elles‑mêmes ne sont pas contestées, ce qui semble probablement mener au cadre des arrêts Doré, Loyola et Trinity Western University (École secondaire Loyola c Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 RCS 613 [Loyola]; Law Society of British Columbia c Trinity Western University, 2018 CSC 32 [Trinity Western University]). Il doit ensuite convaincre la Cour que l’article 7 de la Charte entre en jeu, même à l’étape hâtive qui précède de loin le renvoi pour interdiction de territoire. Une fois qu’il aura établi que l’un des trois droits entre en jeu, le demandeur devra démontrer que la privation de ce droit déroge à nos principes de justice fondamentale.

[92]  À la lumière de ce qui a été plaidé devant la Cour, le demandeur doit en premier lieu convaincre le décideur que la sécurité de sa personne est menacée. Dans la décision Stables, la Cour a rappelé aux parties que « [l]a Cour suprême a bien précisé dans Blencoe, précité (au paragraphe 82), que seule “ l’atteinte grave à l’intégrité psychologique résultant de l’atteinte de l’État à un droit individuel d’importance fondamentale ” constituera une atteinte à la sécurité de la personne. Aucune preuve n’a été présentée en ce sens en l’espèce » (par. 42). Il se peut que ce genre de preuve fasse aussi défaut dans le présent dossier. En fait, l’affaire Stables était rendue à une étape beaucoup plus rapprochée du renvoi que ce que nous voyons à ce stade‑ci, mais le principe absolument fondamental du droit canadien de l’immigration a de toute évidence joué un rôle important dans l’étude de la disponibilité et de la portée des garanties constitutionnelles :

[41]  Pareille conclusion est compatible avec le fondement constitutionnel du droit canadien en matière d’immigration, à savoir que seuls les citoyens canadiens disposent du droit absolu d’entrer au Canada et d’y demeurer. Les non‑citoyens ne disposent pas d’un droit absolu d’entrer au Canada ou d’y demeurer et leur capacité à le faire dépend strictement de la question de savoir s’ils satisfont aux critères d’admissibilité prévus par le législateur.

[93]  M. Ali doit donc convaincre le décideur qu’il a été privé du droit à la sécurité de sa personne et qu’il en a été privé en violation des principes de justice fondamentale (Carter c Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 RCS 331 [Carter], au par. 55). Comme les tribunaux l’ont maintes fois fait remarquer depuis le Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.‑B.), [1985] 2 RCS 486, « les principes de justice fondamentale se trouvent dans les préceptes fondamentaux de notre système juridique » (p. 503).

[94]  Lae Cour d’appel nous a rappelé, il y a à peine trois ans, ce que ne sont pas les principes de justice fondamentale et ce qui doit être présent pour remplir les conditions rigoureuses. Dans l’arrêt Erasmo c Canada (Procureur général), 2015 CAF 129, le juge Stratas énonce des postulats qui n’ont pas été infirmés :

[45]  Les principes de justice fondamentale ne sont pas une série de principes portant sur l’iniquité ou de « vagues généralisations sur ce que notre société estime juste ou moral » (R. c. Malmo‑Levine; R. c. Caine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571, au paragraphe 112 (motifs des juges Gonthier et Binnie pour les juges majoritaires) et au paragraphe 224 (motifs de la juge Arbour, dissidente). Ils ne relèvent pas du domaine de l’ordre public en général (Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C. ‑B.), [1985] 2 R.C.S. 486, à la page 503, 24 D.L.R. (4th) 536. Ils ne sont pas non plus « [de] simple[s] contenant[s], à même de recevoir n’importe quelle interprétation qu’on pourrait vouloir lui donner » Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, à la page 394, 38 D.L.R. (4th) 161 (motifs du juge McIntyre).

[46]  En réalité, les principes de justice fondamentale « se trouvent dans les préceptes fondamentaux de notre système juridique » (Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C. ‑B.), précité, à la page 503, cité et approuvé dans l’arrêt Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75, 132 D.L.R. (4th) 56, au paragraphe 39; Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44, au paragraphe 23; Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 2015 CSC 7, 17 C.R. (7th) 87, au paragraphe 89; et bien d’autres). Ces principes « doivent être le fruit d’un certain consensus quant à leur caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société » (R. c. D.B., précité, aux paragraphes 46, 61, 67 et 68, 125, 131 et 138; R. c. Malmo‑Levine; R. c. Caine, précité, aux paragraphes 112 et 113; Kazemi (Succession) c. République islamique d’Iran, 2014 CSC 62, [2014] 3 R.C.S. 176, au paragraphe 139). Les principes de justice fondamentale sont « les postulats communs qui sous‑tendent notre système de justice » qui « trouvent leur sens dans la jurisprudence et les traditions qui, depuis longtemps, exposent en détail les normes fondamentales applicables au traitement des citoyens par l’État » (Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 R.C.S. 76, au paragraphe 8).

[47]  Les principes de justice fondamentale peuvent invalider toute loi ou mesure prise en vertu d’une loi. En d’autres termes, ils peuvent avoir préséance sur le principe de la suprématie du Parlement, un principe qui se situe au cœur même des arrangements constitutionnels anglo‑canadiens depuis plus de quatre siècles. Pour cette raison, seules les valeurs essentielles les plus importantes enracinées dans nos pratiques et nos conventions consacrées par l’usage peuvent être considérées comme des principes de justice fondamentale. L’iniquité au sens courant du terme, les opinions politiques personnelles ou les opinions répandues sur ce qui est juste – qui sont toutes des questions d’appréciation personnelle – ne peuvent être considérées comme des principes de justice fondamentale et ne peuvent jouer quelque rôle que ce soit en ce qui concerne leur définition ou leur application. Ces questions sont la chasse gardée de la classe politique.

[95]  En l’espèce, le demandeur introduit deux principes de justice fondamentale : le droit à la protection contre le refoulement et la disproportion flagrante. On peut présumer qu’il y a une disproportion entre la restriction de la sécurité de la personne et l’objet de la mesure. Comme l’a expliqué la Cour suprême dans l’arrêt Carter, « [p]our analyser le caractère totalement disproportionné de la loi, il faut comparer son objet “ de prime abord ” et ses effets préjudiciables sur les droits du demandeur, et déterminer si cette incidence est sans rapport aucun avec l’objet de la loi » (par. 89). Je remarque que la constitutionnalité de la loi a été invoquée dans l’affaire Carter, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[96]  L’autre principe de justice fondamentale que propose le demandeur (le principe du non‑refoulement) est censé remplir le critère pour être reconnu, lequel est énoncé dans l’arrêt Canadian Foundation for Children (précité). Il n’est pas vain de répéter que l’arrêt Canadian Foundation for Children n’a pas reconnu qu’un principe aussi important que l’intérêt supérieur de l’enfant était un principe de justice fondamentale :

12.  Pour conclure, « l’intérêt supérieur de l’enfant » est un principe juridique très puissant dans de nombreux contextes. Cependant, il ne constitue pas un principe de justice fondamentale.

Si le principe du non‑refoulement demeure controversé parmi les spécialistes du droit international, il pourrait être difficile de les convaincre qu’il s’est élevé au rang d’un principe qui est crucial et fondamental pour la notion que notre société se fait de la justice et qu’il est considéré par la société comme essentiel à l’administration de la justice ou qu’il est assimilable à la nécessité de la mens rea et de lois raisonnablement claires.

[97]  En dernier lieu, la façon d’aborder l’article 7 de la Charte en l’espèce n’est pas évidente. La constitutionnalité des dispositions de la LIPR n’est pas contestée. Le cadre de l’arrêt Doré ne paraît pas avoir été envisagé. Le demandeur devra donner des précisions qui ont clairement fait défaut jusqu’à maintenant en ce qui concerne le redressement qu’il recherche et le cadre juridique qui devrait en régir l’analyse. S’il n’a pas recours au cadre des arrêts Doré, Loyola et Trinity Western University, que propose‑t‑il? Une question aussi fondamentale ne peut rester sans réponse. Il incombe au demandeur de faire son nid. À mon avis, il a évité de le faire jusqu’à maintenant. La confusion ne peut pas être une bonne politique dans des affaires de cette nature. Il manque de clarté.

[98]  Essentiellement, il ne s’agit pas de voir la Cour régler ces questions et peut‑être d’autres, mais plutôt de rappeler aux parties les questions qui auraient dû être traitées avec clarté. Toutefois, il revient à la SI de se prononcer sur la question constitutionnelle dont elle a été saisie (Stables, précité, par. 28). Il n’est pas acceptable de refuser d’étudier une question en se fondant sur de la jurisprudence qui traite d’une question différente. Pour ce motif, la décision n’est pas raisonnable. M. Ali se plaint du fait que [traduction« [l]e membre a rejeté ces observations sans en tenir compte » (mémoire des faits et du droit supplémentaire, par. 75). C’est sur ce point limité que la Cour statue en faveur de M. Ali, sans exprimer d’avis sur les questions formulées par le demandeur, si ce n’est que pour suggérer qu’elles soient traitées avec clarté par les parties.

[99]  Le demandeur a demandé que l’affaire soit renvoyée pour que soit rendue une décision conforme aux instructions que la Cour estime appropriées. À mon avis, seule la question de l’application de l’article 7 de la Charte doit être renvoyée, parce que la SI a rejeté ses observations sans en avoir tenu compte. Ce dossier est assez volumineux et complexe et le tribunal qui a instruit l’affaire a eu le temps de se familiariser avec les faits et les arguments. La Cour n’ordonnerait pas que la question soit nécessairement tranchée par un tribunal composé différemment, étant donné qu’il ne s’agit pas de rendre une nouvelle décision et qu’il serait très avantageux pour l’administration de la justice ainsi que pour les parties de faire appel à un décideur qui connaît déjà le dossier.

VI.  Arguments et analyse sur l’irrecevabilité

[100]  En ce qui concerne la conclusion selon laquelle la demande d’asile de M. Ali est devenue irrecevable en raison de l’interdiction de territoire dont fait l’objet M. Ali, le demandeur fait valoir qu’on ne lui a pas donné l’occasion d’être entendu et que la conclusion constitue un exercice déraisonnable, par l’agent, de son pouvoir discrétionnaire.

A.  Arguments

[101]  Voici la chronologie des événements. La décision de la SI a été rendue le 11 décembre 2017. L’avis indiquant que la demande d’asile était devenue irrecevable a été donné une semaine plus tard, le 18 décembre. La demande d’autorisation d’exercer un contrôle judiciaire de la décision de la SI a été produite neuf jours plus tard, soit le 27 décembre 2017. Le demandeur veut obtenir le contrôle judiciaire de la « décision » de donner l’avis (IMM‑5604‑17).

[102]  Dans la demande parallèle (IMM‑5604‑17), le demandeur affirme qu’il a l’intention de demander une dispense du ministre en vertu de l’article 42.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Le demandeur se plaint du fait qu’on ne lui a jamais donné la possibilité de s’exprimer sur le caractère prématuré de la décision rendue par un agent qui a déclaré sa demande irrecevable par la SPR, étant donné qu’il avait été déclaré interdit de territoire au Canada. Le demandeur prétend que son droit à l’équité procédurale a été violé.

[103]  Il était aussi déraisonnable et prématuré de rendre la décision sur l’irrecevabilité, étant donné qu’il n’y avait pas de décision définitive sur l’interdiction de territoire de M. Ali, compte tenu de la demande de contrôle judiciaire de la décision de la SI, de la possibilité d’obtenir une dispense du ministre en vertu de l’article 42.1 de la LIPR et de l’éventualité d’un autre contrôle judiciaire si la dispense du ministre n’est pas accordée. Il faut comprendre que la LIPR sous‑entend que l’irrecevabilité peut être établie seulement après une décision définitive sur l’interdiction de territoire. En dernier lieu, l’interprétation à donner doit assurer le respect des obligations du Canada en droit international qui, fait‑on valoir en l’espèce, comprennent l’obligation de procurer l’accès au processus décisionnel en matière d’asile.

[104]  Le demandeur prétend que la décision est prématurée, parce qu’elle ne devrait pas être rendue avant qu’il ait épuisé tous ses recours possibles.

[105]  Le ministre est d’avis que le pouvoir discrétionnaire de ne pas donner l’avis d’irrecevabilité n’existe plus une fois que la SI a décrété l’interdiction de territoire. Aux yeux du ministre, cette question a été définitivement réglée dans les décisions Tjiueza c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 1247, [2010] 4 RCF 523 [Tjiueza], et Haqi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 256 [Haqi]. De plus, étant donné l’absence de pouvoir discrétionnaire, il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale, parce qu’il n’existe aucun droit de participation dans ces circonstances.

B.  Analyse

[106]  Le demandeur a cherché à prendre appui sur la décision Handasamy c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 1389, 48 Imm LR (4th) 268 [Handasamy]. Il n’est pas possible de savoir pourquoi. En fait, il cite seulement la première phrase du paragraphe 43 de la décision Handasamy qui fait autorité quant au postulat selon lequel si un demandeur a gain de cause dans sa contestation d’une décision de la SI statuant qu’il est interdit de territoire, l’avis de demande irrecevable devant la SPR ne peut pas se justifier et devient donc déraisonnable. La décision Handasamy ne traitait pas de la portée, le cas échéant, du pouvoir discrétionnaire de l’agent sous le régime de l’article 104 de la LIPR. Je reproduis intégralement le paragraphe 43 de la décision Handasamy :

[43]  La décision de l’agent de donner l’avis et de mettre fin à la demande d’asile du demandeur en application de l’article 104 de la LIPR ne peut se justifier et elle est donc déraisonnable parce qu’elle repose sur une conclusion d’interdiction de territoire erronée et déraisonnable de la part de la SI. Il est inutile de traiter des arguments des parties au sujet de l’étendue du pouvoir discrétionnaire qu’accorde à l’agent l’article 104 de la LIPR, ou de la question de savoir si l’agent aurait dû attendre l’issue des demandes de contrôle judiciaire et d’exemption ministérielle avant de mettre fin à la demande d’asile du demandeur.

[107]  En l’espèce, la Cour a statué que le contrôle judiciaire de l’interdiction de territoire du demandeur en raison de son appartenance à une organisation qui se livre à des actes de renversement et de terrorisme a échoué. Toutefois, la question de savoir si l’article 7 de la Charte est en jeu demeure entière et devra être résolue. Le demandeur indique maintenant qu’il demandera une dispense du ministre en vertu de l’article 42.1 de la LIPR, mais il continue de faire valoir que l’agent a mal exercé son pouvoir discrétionnaire en donnant avis le 18 décembre 2017 que la demande d’asile était irrecevable. En fait, au moment où l’avis a été donné, il n’y avait pas de demande de contrôle judiciaire ni de demande de dispense du ministre. De toute évidence, le demandeur laisse entendre que l’agent a un pouvoir discrétionnaire considérable qui lui permet de suspendre l’avis de demande irrecevable, y compris quant au moment où l’avis devrait être donné.

[108]  L’enquête devant la SI doit aboutir à l’un des quatre résultats possibles en vertu de l’article 45 de la LIPR. L’une des conclusions prévoit que l’étranger est interdit de territoire (al. 45d)).

[109]  Parmi les motifs d’irrecevabilité que peut invoquer la SPR, se trouve le demandeur qui a été « prononcé d’interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux – exception faite des personnes interdites de territoire au seul titre de l’alinéa 35(1)c) –, grande criminalité ou criminalité organisée » (al. 101(1)f) de la LIPR). L’interdiction de territoire pour raison de sécurité emporte l’irrecevabilité d’une demande d’asile.

[110]  Par le jeu de l’alinéa 103(1)a) de la LIPR, il se pourrait très bien que l’interdiction de territoire du demandeur soit à nouveau suspendue, maintenant que l’affaire doit être renvoyée pour une décision sur la question de savoir si l’article 7 de la Charte est en jeu. La question soulevée dans le dossier no IMM‑5604‑17 pourrait donc n’avoir aucune portée pratique (Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342). Quoi qu’il en soit, la question a été plaidée en long et en large et elle sera de nouveau soulevée. Les commentaires pourraient donc être d’une utilité certaine.

[111]  L’esprit de la loi semble être plutôt simple. Les instances devant la SPR concernant une demande d’asile sont suspendues « sur avis de l’agent portant que le cas a été déféré à la Section de l’immigration pour constat d’interdiction de territoire pour raison de sécurité […] » (al. 103(1)a) de la LIPR). Il paraît normal qu’un autre avis doive être donné pour signaler que la demande d’asile est devenue irrecevable une fois que la SI a statué que la personne qui demande l’asile est interdite de territoire (al. 101(1)f)). En vertu de l’article 42.1, la question de la sécurité (art. 34) peut ne pas emporter interdiction de territoire si la dispense du ministre est accordée. Mais pour l’instant, le demandeur est interdit de territoire. C’est ainsi que fonctionne la loi.

[112]  La décision de la Cour d’appel dans l’affaire Haqi traitait très précisément de la situation qui se présente en l’espèce. Un juge de la Cour a statué (Haqi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 1246, [2015] 3 RCF 612 [Haqi]) que l’agent n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de ne pas mettre fin à l’instance sur la demande d’asile, comme il avait été établi dans la décision Tjiueza (précitée). À mon avis, la question a été tranchée par la Cour d’appel fédérale dans la décision Haqi.

[113]  Dans la décision Haqi, une fois que la question de l’interdiction de territoire a été tranchée (interdiction de territoire pour appartenance à une organisation qui s’était livrée à des actes de renversement) le 27 décembre 2013, l’avis d’irrecevabilité de la demande a été donné quelques jours plus tard, soit le 7 janvier 2014. Comme en l’espèce, il n’y avait pas de demande de dispense du ministre (Haqi, CF, aux par. 90 et 91).

[114]  Les arguments formulés dans l’affaire Haqi, sur des faits très semblables à ceux qui caractérisent la question en litige en l’espèce, sont à peu près identiques à ceux qui ont été soulevés dans la présente instance : l’interprétation faite de l’article 34 de la LIPR nécessite que l’agent ait la discrétion de mettre fin à une demande d’asile; l’équité exige qu’une occasion soit offerte de présenter des observations; les recours à la disposition des plaignants ont été limités, y compris par la restriction alléguée de la possibilité d’obtenir une dispense du ministre en vertu de l’article 42.1 (Haqi, CF, aux par. 62 et 63). Selon M. Haqi, il s’ensuit « qu’un demandeur qui se trouve dans sa situation aura un statut incertain pendant de nombreuses années et ne pourra pas voyager ou parrainer des membres de sa famille, ce qui va directement à l’encontre des obligations du Canada aux termes de la Convention relative au statut des réfugiés. M. Haqi affirme que cette situation lui cause du stress et viole les droits qui lui sont garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 » (Haqi, CF, par. 64). En dernier lieu, comme en l’espèce, la constitutionnalité de l’article 104 n’était pas contestée; il semble plutôt que l’argument soutenait que les dispositions législatives devaient être interprétées de manière à éviter toute atteinte aux droits garantis par la Charte.

[115]  Dans la décision Haqi, la juge Mactavish a suivi le raisonnement du juge de Montigny, alors de la Cour, dans la décision Tjiueza, et elle a statué que l’agent n’a aucun pouvoir discrétionnaire lorsqu’il agit en vertu de l’article 104. Elle a étudié attentivement le raisonnement de Tjiueza et elle a cité au long les passages essentiels de cette décision. De l’avis de mes deux collègues, l’économie de la loi (de l’art. 100 à l’art. 104 de la LIPR) ainsi que le libellé de l’article 104 lui‑même mènent à une seule conclusion : l’agent n’a pas de pouvoir discrétionnaire sur la question de savoir s’il doit ou non donner un avis de demande irrecevable. Le juge de Montigny a établi qu’il n’était pas nécessaire d’étudier les arguments au sujet de la portée d’un pouvoir discrétionnaire inexistant ou de l’équité d’une démarche qui ne met pas en jeu l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par l’agent.

[116]  Il n’existe aucune raison pour que la Cour refuse de suivre les décisions clairement énoncées dans les affaires Tjiueza et Haqi. En fait, la juge Mactavish a étudié attentivement le droit sur la courtoisie judiciaire avant de suivre le juge de Montigny dans les conclusions qu’il avait formulées.

[117]  Le juge de Montigny a énoncé une question certifiée dans la décision Tjiueza, mais il semble qu’aucun pourvoi en appel n’ait été interjeté (Haqi, CF, par. 46). Quoi qu’il en soit, non seulement la Cour ne refuse‑t‑elle pas de suivre les précédents Haqi et Tjiueza, mais elle endosse entièrement le raisonnement dans les deux causes. J’aimerais ajouter, comme l’a fait la juge Mactavish dans ses observations finales, que l’emploi du mot « may » dans la version anglaise de l’article 104 n’a pas d’équivalent dans la version française de cette disposition. Comme le prévoit la version française de l’article 11 de la Loi d’interprétation (LRC 1985, c I‑21), l’emploi de l’indicatif présent exprime une obligation. Cela correspond au libellé employé dans la version française de l’article 104 de la LIPR, qui est compatible avec l’esprit de la loi qui exige des avis à la SPR pour suspendre ses instances ou pour en annuler la suspension. Se contenter du mot « may » ne suffit pas. L’interprétation de l’économie de la loi qui a été faite dans les deux causes mène à une seule conclusion.

[118]  Mais il y a beaucoup plus. La Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la question dans l’arrêt Haqi (2015 CAF 256); la question certifiée qui a mené l’affaire devant la Cour d’appel se lisait comme suit :

Une fois qu’une audition de la Section de la protection des réfugiés a été suspendue en vertu de l’alinéa 103(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés en attendant que la Section de l’immigration se prononce sur l’admissibilité d’un demandeur d’asile, si la Section de l’immigration décide, en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, que le demandeur est interdit de territoire pour raison de sécurité, l’agent de l’ASCF a‑t‑il, en vertu de l’alinéa 104(1)b) de la LIPR, le pouvoir discrétionnaire de ne pas réexaminer la recevabilité de la demande et de ne pas aviser la Section de la protection des réfugiés de sa décision au sujet de la recevabilité?

Il n’y a aucun doute que la Cour d’appel a été saisie sans équivoque de la question. La Cour a rejeté l’appel « essentiellement pour les motifs exprimés par la juge » (par. 3). Mais les motifs énoncés par la Cour d’appel demeurent intéressants. Ils sont brefs et ils sont reproduits ci‑dessous :

[4]  Contrairement à la position de l’appelant, nous sommes d’accord avec la juge lorsqu’elle affirme que ni la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678, ni la promulgation de la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, ch. 17 (la Loi) n’ont d’incidence sur l’article 104 de la LIPR. De plus, nous concluons que l’interprétation du juge de Montigny dans la décision Tjiueza c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 1247 [Tjiueza] n’est pas incompatible avec la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. chapitre C‑12, ou avec les obligations internationales du Canada découlant de la Convention sur les réfugiés.

[5]   L’appelant a demandé une exception ministérielle de l’interdiction de territoire suivant le paragraphe 42(1) de la LIPR après que la juge a rendu jugement. Nous rejetons son argument voulant que la demande d’exception ministérielle soit liée en quoi que ce soit à l’application de l’article 104. Le fait que ce soit une personne physique, l’agent, qui prend connaissance des faits et qui en communique la conséquence juridique qui découle de la Loi à la partie impliquée et à la Section de la protection des réfugiés ne fait pas de l’agent un décideur investi d’un pouvoir discrétionnaire.

[Non souligné dans l’original.]

[119]  Une décision de la Cour d’appel est évidemment d’application obligatoire pour la Cour. Comme l’a indiqué récemment la Cour d’appel dans l’arrêt Tan c Canada (Procureur général), 2018 CAF 186 [Tan], la doctrine du stare decisis s’applique tant verticalement qu’horizontalement :

[traduction]

[24]  Les décisions d’une formation de la Cour sont des décisions de l’ensemble de la Cour. Quand une formation de juges d’appel s’exprime, elle ne parle pas en son nom, mais bien au nom de la cour. Cela se traduit par le principe du stare decisis horizontal, selon lequel les décisions d’une formation d’une cour d’appel lient les formations futures de la cour.

[120]  La seule justification qu’énonce le demandeur pour écarter l’arrêt Haqi est le fait que cette décision ne tranche pas la question en litige. Il tente de poser la question comme s’il s’agit de savoir quand une décision peut être légalement prise, et non si elle peut être prise. Le demandeur semble admettre qu’il n’existe pas de pouvoir discrétionnaire de ne pas donner l’avis, mais qu’il existe un quelconque pouvoir discrétionnaire de suspendre indéfiniment la délivrance de l’avis. Le demandeur est muet sur les circonstances qui pourraient permettre de le retarder et sur les raisons pour lesquelles la délivrance de l’avis en l’espèce se révélerait déraisonnable.

[121]  Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une distinction sans différence. Si l’agent n’a pas de pouvoir discrétionnaire à l’égard de l’avis de demande irrecevable, cela doit uniquement signifier qu’une fois que les conditions sont remplies, l’avis doit être donné. C’est la conclusion non ambiguë qu’a exprimée la Cour d’appel au paragraphe 5. En fait, il est difficile de voir comment un pouvoir discrétionnaire qui n’existe pas aurait pu tenir compte d’une demande de dispense du ministre qui n’avait pas été faite quand l’avis a été donné.

[122]  L’argument du demandeur aurait comme conséquence qu’il existerait un pouvoir discrétionnaire de suspendre indéfiniment les instances devant la Section de la protection des réfugiés (Haqi, CF, par. 92), parce que l’avis ne devrait pas être donné avant que la dispense du ministre, qui n’a même pas été demandée en l’espèce, ait été traitée et, probablement, jusqu’à ce que les procédures judiciaires concernant la dispense du ministre soient terminées. Cela n’est évidemment pas compatible avec l’économie de la loi. Qui plus est, la Cour d’appel a abordé sans détour la question quand elle a fait remarquer qu’elle rejetait l’argument selon lequel « la demande d’exception ministérielle [est] liée en quoi que ce soit à l’application de l’article 104 » (par. 5). La Cour d’appel avait l’avantage de pouvoir compter sur des motifs exhaustifs de jugement tirés des décisions Tjiueza et Haqi, y compris sur les commentaires de la juge Mactavish dans Haqi à propos de l’article 42.1. Il est impossible de prétendre que la décision a été rendue par inadvertance.

[123]  Dans l’arrêt Tan, une formation de cinq juges a décrit les situations dans lesquelles une formation de trois membres peut s’écarter d’une décision antérieure :

[traduction]

[31]  La première se présente quand la formation est convaincue que la décision est « manifestement erronée, du fait que la Cour n’aurait pas tenu compte de la législation applicable ou d’un précédent qui aurait dû être respecté » (Miller c Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, au par. 10, 220 D.L.R. (4th) 149 [Miller]. La deuxième se présente quand la décision a été renversée par un ou des arrêts subséquents de la Cour suprême. La troisième se présente quand il y a des raisons graves et impérieuses pour le faire et que la cour doit privilégier la décision correcte par rapport à la certitude (J.P. c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CAF 262, au par. 72, [2014] 4 RCF 371 (J.P.)) [1] .

Un tribunal d’instance inférieure est tenu de suivre la décision claire de sa cour d’appel, d’autant plus qu’une formation d’une cour d’appel doit suivre une décision antérieure d’une autre formation de la même cour. Deux décisions de la Cour qui ont été confirmées sans équivoque par la Cour d’appel fédérale suffisent à nous convaincre que l’agent n’a pas commis d’erreur quand il a donné l’avis suivant : [traduction« en vertu de l’alinéa 104(1)b) au titre de l’alinéa 101(1)f) de la LIPR, la demande d’asile de M. Ali est irrecevable devant la Section de la protection des réfugiés ».

[124]  Il convient de souligner que le défendeur a affirmé ce qui suit dans son mémoire des faits et du droit supplémentaire, au paragraphe 25 :

[traduction]

Si le demandeur a gain de cause sur sa demande de dispense du ministre, il sera en mesure de demander le droit de s’établir. Si la décision de la SI est écartée, la décision sur l’irrecevabilité sera aussi écartée. Si, dans sa décision, la SI statue que le demandeur n’est pas décrit et n’est donc pas interdit de territoire, l’agent devrait, en vertu du paragraphe 103(2) de la LIPR, donner avis à la SPR que la demande doit continuer à cheminer. Quoi qu’il en soit, avant le renvoi, le demandeur a le droit de faire évaluer ses risques et de chercher à demeurer au Canada au moyen d’une demande d’ERAR ou d’un sursis du renvoi.

[Non souligné dans l’original.]

[125]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire dans le dossier no IMM‑5604‑17 est rejetée.

VII.  Question à certifier

[126]  Dans ses observations supplémentaires, M. Ali a laissé entendre que des questions devaient être certifiées pour être prises en considération par la Cour d’appel, conformément à l’article 74 de la LIPR. Le défendeur s’est opposé à ses suggestions.

[127]  Dans le dossier no IMM‑5063‑17, le demandeur soulève trois questions. La définition de « membre » en common law devrait être moins libérale et plus restrictive à la lumière de la lecture que le demandeur fait de l’article 42.1 de la LIPR qui a remplacé le paragraphe 34(2). Ensuite, le demandeur aimerait que la Cour d’appel se prononce sur la question de savoir si l’article 7 de la Charte entre ou n’entre pas en jeu à l’étape préalable de l’instance sur l’interdiction de territoire, avant que le processus ait atteint le stade de la dispense du ministre ou de l’examen des risques avant renvoi.

[128]  Dans le dossier no IMM‑5064‑17 cette fois, le demandeur soulève les trois questions suivantes :

  1. Un demandeur d’asile dont la demande a été suspendue en application de l’alinéa 103(1)a) de la LIPR a‑t‑il un droit de participation à l’égard de la décision de mettre fin à sa demande d’asile en vertu de l’alinéa 104(1)b) et de donner avis en ce sens à la Section de la protection des réfugiés? Dans l’affirmative, est‑ce que le fait de mettre fin à la demande en l’absence de l’intéressé et sans avis viole l’équité procédurale?

  2. Un agent est‑il tenu de donner avis à la SPR en application de l’alinéa 104(1)b) de la LIPR pendant qu’une demande de contrôle judiciaire de la conclusion de la Section de l’immigration portant que le demandeur est interdit de territoire pour l’une ou l’autre des raisons prévues à l’alinéa 101(1)f) de la LIPR est en instance?

  3. Un agent est‑il tenu de donner avis à la SPR en application de l’alinéa 104(1)b) de la LIPR pendant qu’une demande de dispense du ministre en vertu de l’article 42.1 de la LIPR est soit en instance, soit non encore permise à l’égard de l’interdiction de territoire qui a rendu applicable l’alinéa 101(1)f) de la LIPR?

[129]  L’article 74 de la LIPR exige qu’il y ait une question grave de portée générale qui se dégage de l’instance. Cette disposition a été interprétée par la Cour d’appel et le critère donnant ouverture à la certification est rigoureux.

[130]  Récemment, la Cour d’appel a réitéré les limites inhérentes d’un système dans lequel « la décision rendue par la Cour fédérale […] est censée être définitive et sans appel, sauf dans un cas, à savoir lorsque le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et qu’il l’énonce » (Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 RCF 129, [Varela], au par. 22). Dans l’arrêt Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, [2018] 2 RCF 229, le juge Gleason a rappelé à nouveau que la question certifiée doit se dégager de la cause elle‑même. Une question certifiée ne doit pas être confondue avec un renvoi à la Cour d’appel. Dans la décision Liyanagamage c Canada), [1994] A.C.F. no 1637, le juge Décary s’est exprimé comme suit au nom de la Cour :

[4]  Lorsqu’il certifie une question sous le régime du paragraphe 83(1), le juge des requêtes doit être d’avis que cette question transcende les intérêts des parties au litige, qu’elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale [voir l’excellente analyse de la notion d’« importance » qui est faite par le juge Catzman dans la décision Rankin v. McLeod, Young, Weir Ltd. et al., (1986) 57 O.R. (2d) 569 (H.C. de l’Ont.)] et qu’elle est aussi déterminante quant à l’issue de l’appel. Le processus de certification qui est visé à l’article 83 de la Loi sur l’immigration ne doit pas être assimilé au processus de renvoi prévu à l’article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale ni être utilisé comme un moyen d’obtenir, de la cour d’appel, des jugements déclaratoires à l’égard de questions subtiles qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour régler une affaire donnée.

[Caractères gras dans l’original, mais non souligné dans l’original.]

[131]  La Cour d’appel est cohérente. Elle a rejeté la question certifiée par la Cour dans l’arrêt Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22. La question en litige dans cette affaire portait sur le refus de coopérer au renvoi de la part de l’intéressé, ce qui peut entraîner une longue détention révisable mensuellement. Cette question paraît certes avoir une portée générale. Toutefois, ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé une question à certifier. C’est le juge de la demande qui a certifié une question et la Cour d’appel a statué qu’elle n’avait pas compétence pour instruire l’appel, même si elle avait entendu la cause au fond. Voici comment le juge Laskin s’est exprimé à ce sujet :

[46] La Cour a récemment réitéré, dans l’arrêt Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile) 2017 CAF 130, au paragraphe 36, les critères de certification.
La question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. Cela signifie que la question doit avoir été examinée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle‑même, et non simplement de la façon dont la Cour fédérale a statué sur la demande. Un point qui n’a pas à être tranché ne peut soulever une question dûment certifiée (arrêt Lai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, 29 Imm. L.R. (4th) 211, au paragraphe 10). Il en est de même pour une question qui est de la nature d’un renvoi ou dont la réponse dépend des faits qui sont uniques à l’affaire (arrêt Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, 485 N.R. 186, aux paragraphes 15 et 35).

[Non souligné dans l’original.]

Compte tenu des faits, la Cour a conclu qu’il s’agissait davantage d’un renvoi que d’un appel.

[132]  Le fait que le demandeur a soulevé cinq questions est en soi digne de mention. Dans l’arrêt Varela (précité), le juge Pelletier a donné l’explication suivante :

[28]  Dans le même ordre d’idées, il convient de signaler que l’article 74 parle d’« une » question grave de portée générale et non d’« une ou plusieurs » questions graves de portée générale. Bien que je n’écarte pas la possibilité qu’une seule et même affaire puisse soulever plusieurs questions de portée générale, j’estime que cette situation serait l’exception plutôt que la règle. Une question grave de portée générale est une question qui permet de trancher l’appel (voir Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, 318 N.R. 365 (Zazai) et les décisions citées au paragraphe 11 de cet arrêt). Le nombre de questions qui répondent à cette définition dans un appel donné est limité.

[29]  Qui plus est, une question grave de portée générale découle des questions en litige dans l’affaire et non des motifs du juge. Le juge, qui a instruit la cause et qui a eu l’avantage d’entendre les meilleurs arguments présentés par les avocats des deux parties, devrait être en mesure de dire si les faits de l’affaire soulèvent ou non une telle question, sans avoir à soumettre une ébauche de ses motifs aux avocats. Une telle façon de procéder ouvre la porte, comme c’est le cas en l’espèce, à une longue liste de questions qui peuvent ou non satisfaire au critère prévu par la loi. Dans le cas qui nous occupe, aucune des questions proposées ne répond à ce critère.

[133]  Dans le dossier no IMM‑5603‑17, la décision est renvoyée parce que la SI a conclu à tort qu’elle n’était pas tenue de décider si l’article 7 de la Charte entrait en jeu. Pour ce motif, la décision est déraisonnable. Compte tenu du résultat, il n’y a donc pas ouverture à un appel d’une demande de contrôle judiciaire accueillie.

[134]  En ce qui concerne le dossier no IMM‑5604‑17, je suis du même avis que l’avocat du défendeur et je conviens que la Cour d’appel s’est déjà penchée sur l’affaire. Dans la décision Haqi, la Cour a statué que l’avis est donné par effet de la loi, ce qui « ne fait pas de l’agent un décideur investi d’un pouvoir discrétionnaire » (par. 5).

[135]  La première question repose sur une discrétion qui n’existe pas. La deuxième et la troisième questions sont une variation sur un même thème : l’agent est‑il tenu de donner l’avis? Dans un cas, le demandeur veut savoir si l’agent est tenu de donner avis alors qu’une demande de contrôle judiciaire est en instance. Dans l’autre cas, il pose la même question, mais cette fois alors qu’une demande de dispense du ministre est en cours ou n’est pas encore disponible.

[136]  En ce qui a trait à la première question, l’absence de pouvoir discrétionnaire est déterminante, étant donné qu’il existe un arrêt de la Cour d’appel qui lie la Cour. Pour que la Cour d’appel renverse un de ses propres jugements comme on l’a vu dans l’arrêt Tan, il doit exister des circonstances spéciales. Le demandeur ne fait même pas allusion à l’une ou l’autre des circonstances qui permettraient d’envisager une telle annulation (Tan, précité, par. 31) et il n’a pas pris la peine de s’exprimer de façon convaincante à ce sujet.

[137]  Les deux autres questions reposent également sur pouvoir discrétionnaire qui a été jugé ne pas exister, de telle sorte que l’avis peut demeurer en suspens pendant de longues périodes. Mais il y a plus. Ces deux questions sont de la nature d’un renvoi ou d’une demande de jugement déclaratoire. Premièrement, l’avis en l’espèce a été donné avant qu’il y ait une demande de contrôle judiciaire ou une demande de dispense du ministre : les faits en cause ne soulèvent pas ces questions, ce qui est une exigence fondamentale. La réponse aux questions ne pourrait pas être déterminante pour l’appel, parce que les faits ne correspondent pas à la question à laquelle il faut trouver réponse. Les questions ne découlent pas de la cause elle‑même. Deuxièmement, les questions elles‑mêmes ne mènent pas à une décision finale. Comment le pouvoir discrétionnaire, si il existait, devrait‑il être exercé pour que son exercice soit raisonnable à la lumière des faits en l’espèce? Étant donné qu’aucune demande de cette nature n’est en instance devant la Cour ou devant le ministre, les questions peuvent seulement être hypothétiques. Elles sont manifestement de la nature des questions susceptibles de faire l’objet d’un renvoi, étant donné qu’elles sont ouvertes et qu’elles nécessitent l’examen de divers cas de figure.

[138]  Pour terminer, en ce qui concerne la dernière question, celle‑ci porte expressément sur la dispense du ministre prévue à l’article 42.1. Elle présente deux cas de figure : l’un dans lequel une demande de dispense a déjà été présentée et l’autre dans lequel la dispense n’est pas encore disponible (nous ne savons pas pourquoi). La Cour a déjà répondu directement à cette question dans la décision Haqi, dans laquelle la Cour a rejeté sans ambiguïté l’argument voulant que « la demande d’exception ministérielle [est] liée en quoi que ce soit à l’application de l’article 104 ».

[139]  En toute déférence, la Cour refuse de certifier des questions qui ont été tranchées récemment par la Cour d’appel ou qui peuvent être de la nature d’un renvoi, lequel ne peut être déterminant pour la cause devant la Cour, compte tenu des faits.


JUGEMENT dans les dossiers no IMM‑5603‑17 et no IMM‑5604‑17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire dans le dossier no IMM‑5603‑17 est accueillie. La question de savoir si l’article 7 de la Charte entre ou n’entre pas en jeu au stade de l’instance sur l’interdiction de territoire devant la Section de l’immigration doit être tranchée par la Section de l’immigration.

  2. La demande de contrôle judiciaire dans le dossier no IMM‑5604‑17 est rejetée.

  3. Il n’y a aucune question grave de portée générale qui découle des faits dans le dossier no IMM‑5604‑17.

  4. Une copie des motifs et du jugement sera classée dans chacun des dossiers de la Cour portant les numéros IMM‑5603‑17 et IMM‑5604‑17. Les présentes constituent le jugement de notre Cour dans chaque dossier.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de janvier 2019

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5603‑17

INTITULÉ :

ABDIAZIIZ MOHAMED ALI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

ET DOSSIER :

IMM‑5604‑17

INTITULÉ :

ABDIAZIIZ MOHAMED ALI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

toronto (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 JUILLET 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

le JUGE ROY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 27 NOVEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

Jared Will

POUR LE demandeur

 

John Loncar

POUR Le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR Le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR Le défendeur

 



[1]   Voir aussi DN (Rwanda) c Secretary of State for the Home Department, [2018] 3 All ER 772, Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles, motifs du juge Arden, maintenant de la Cour Suprême du Royaume‑Uni.

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