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Date : 20190122


Dossier : IMM­2596­18

Référence : 2019 CF 91

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

TARSEM SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire contestant la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) a refusé de rouvrir l’appel du demandeur à l’encontre d’une conclusion antérieure de désistement.

[2]  Les faits sous­jacents qui ont mené à la décision attaquée ne sont pas contestés. Le demandeur a tenté de parrainer son enfant adopté à titre de résident permanent, même s’il n’a pas déclaré l’enfant comme personne à charge dans sa propre demande de résidence permanente déposée le 20 mars 2012. Ce n’est qu’en février 2013 que le demandeur a présenté une demande en vue de parrainer l’enfant dans la catégorie du regroupement familial. Sans surprise, la demande a été refusée le 9 décembre 2016. Cette décision de refus de visa était fondée sur le fait que le demandeur n’avait pas déclaré l’enfant comme personne à charge et que la validité de l’adoption indienne n’avait pas été établie. Voici comment l’agent des visas a formulé ses préoccupations au sujet de l’authenticité de l’adoption :

[traduction]

Comme nous en avons discuté à l’entrevue, je ne suis pas convaincu que vos parents biologiques ont donné leur consentement libre et éclairé à votre adoption. Votre père adoptif était le patron de votre père biologique, et ce dernier avait récemment déménagé dans un nouvel état pour son travail lorsque l’arrangement a été conclu, ce qui constitue une dynamique de pouvoir inégale. Vous étiez sous la garde de votre mère biologique après qu’elle et votre père biologique ont divorcé, mais je ne suis pas satisfait des explications fournies quant aux raisons pour lesquelles elle serait prête à confier votre garde à votre père biologique, ce qui permettrait à ce dernier de vous donner en adoption à son patron. Compte tenu de ces préoccupations, je ne suis pas convaincu que vos parents biologiques aient donné leur consentement libre et éclairé à votre adoption, conformément à l’alinéa R117(2)b).

Comme nous en avons discuté à l’entrevue, je ne suis pas convaincu que l’adoption a créé un véritable lien affectif parent­enfant. Dans une telle relation, un père adoptif devrait être en mesure de fournir des détails de base sur la vie de son enfant. Lors de l’entrevue, votre père adoptif a fait preuve d’un manque de connaissances en ce qui a trait à votre scolarité, à vos amis et à votre routine quotidienne. Lorsque votre père adoptif reste en Inde, vous ne restez pas avec lui pendant la semaine; vous restez plutôt avec votre mandataire. Compte tenu de ces préoccupations, je ne suis pas convaincu que l’adoption a créé un véritable lien affectif parent­enfant, conformément à l’alinéa R117(2)c).

Comme nous en avons discuté à l’entrevue, je ne suis pas non plus convaincu que l’adoption a été faite conformément au droit du pays où elle a eu lieu. Le Hindu Adoptions and Maintenance Act ne s’applique qu’aux adoptions chez les hindous. Vous et votre père biologique êtes nés musulmans. Le jour de l’adoption, vous et votre père biologique avez été convertis à l’hindouisme/sikhisme au temple Arya Samaj. Selon une recherche en ligne, la police a enquêté sur ce temple parce qu’il n’était pas légalement enregistré et qu’il avait été impliqué dans diverses irrégularités. Votre père biologique a également déclaré à l’entrevue que l’adoption était la seule raison pour laquelle il s’est converti. Lors de l’entrevue, aucune photo de quelque rituel ou tradition que ce soit pendant l’adoption n’a été fournie, et aucune tradition ni aucun rituel autre que le simple fait de suivre les étapes juridiques de base n’a été mentionné. Compte tenu des préoccupations soulevées, je ne suis pas convaincu que l’adoption a été faite conformément au droit du pays où elle a eu lieu, conformément à l’alinéa R117(2)d).

[3]  À l’aide des services d’un consultant en immigration, le demandeur a interjeté appel de la décision susmentionnée à la SAI.

[4]  Le 1er février 2017, la SAI a écrit au demandeur et à son consultant (Gurpreet Khaira) pour leur demander les renseignements suivants :

[traduction]

Pour que nous puissions déterminer s’il y a lieu de mettre votre appel au rôle en vue d’une audience ou s’il peut être jugé sur dossier, nous vous demandons de fournir des observations écrites et des documents à l’appui concernant 1) la validité juridique de l’adoption du ressortissant étranger susmentionné par vous, le répondant. Nous vous demandons également de nous faire part de votre position concernant 2) le motif de refus selon lequel l’enfant adopté n’a pas fait l’objet d’un examen en tant que membre de la famille qui ne vous accompagnait pas au moment où vous avez immigré au Canada. Ces observations et documents doivent parvenir au greffe de la SAI et au conseil du ministre. Si vous souhaitez présenter des documents qui ne sont rédigés ni en français ni en anglais, vous devez également fournir une traduction en français ou en anglais ainsi qu’une déclaration signée du traducteur. Ces documents doivent être reçus d’ici le 22 février 2017.

[5]  M. Khaira a demandé une prorogation du délai de la SAI et le ministre y a consenti. La SAI a accueilli la demande dans une lettre datée du 8 mars 2017 et a accordé une prorogation jusqu’au 22 mars 2017. Cette lettre a été envoyée au demandeur et à M. Khaira.

[6]  Le 22 mars 2017, M. Khaira a écrit à la SAI pour demander une autre prorogation afin de permettre un délai dans la réception du dossier d’appel. Encore une fois, la SAI a accordé la prorogation autorisant le demandeur à présenter ses observations dans les trois semaines suivant la réception du dossier d’appel. Cette décision a été communiquée à M. Khaira et au demandeur dans une lettre datée du 18 avril 2017.

[7]  La SAI n’a rien reçu de plus de la part de M. Khaira ou du demandeur, et le personnel de la SAI a effectué des rappels téléphoniques auprès de M. Khaira les 4 et 17 août 2017. N’ayant reçu aucune réponse, la SAI a rejeté l’appel, dont le désistement a été prononcé par une décision le 27 septembre 2017.

[8]  Le 20 octobre 2017, M. Khaira a demandé à la SAI de rouvrir l’appel du demandeur. Nulle part dans cette demande M. Khaira n’a­t­il tenté d’expliquer pourquoi le délai de dépôt final imposé par la SAI n’avait pas été respecté. Au lieu de cela, M. Khaira a accusé le consultant précédent du demandeur d’avoir donné de mauvais conseils au sujet de la nécessité de déclarer l’enfant adopté. Il va sans dire que la SAI a rejeté la requête en réouverture pour les motifs suivants :

[21] Bien que la demande du conseil de l’appelant soit fondée sur l’article 51 des Règles de la section d’appel de l’immigration, je vais aller plus loin et procéder à une interprétation générale de la teneur de la demande et de ses observations, en partant du principe que le conseil de l’appelant fait valoir que la décision de prononcer le désistement de l’appel en l’absence d’observations constitue un manquement à un principe de justice naturelle.

[22] Il convient de mentionner que les deux premières demandes de prorogation de délai ont été accueillies, en dépit du fait que la première demande comportait des explications pouvant être qualifiées, au mieux, de succinctes. Une fois le dossier d’appel entre les mains de l’appelant, ce dernier avait jusqu’au 27 juin 2017 pour faire parvenir ses observations. Or, ni l’appelant ni son conseil n’a communiqué avec la SAI. Constatant que plus d’un mois s’était écoulé depuis la date limite et que l’appelant ou son conseil n’avait toujours pas communiqué avec la SAI, le personnel de cette dernière a téléphoné au conseil de l’appelant pour lui rappeler que les observations auraient dû être présentées. Je tiens à souligner que la SAI n’est aucunement tenue de prendre de telles mesures. La courtoisie dont a fait preuve le personnel de la SAI en téléphonant au conseil de l’appelant à plus d’une reprise pour lui rappeler de faire parvenir les observations ne saurait servir de précédent pour les décisions à venir. Un autre mois s’est écoulé sans aucune communication de la part de l’appelant ou de son conseil.

[23] Le paragraphe 168(1) de la Loi a pour objet de donner à la SAI le pouvoir nécessaire sur ses propres processus. Le nombre des affaires en instance devant la SAI est très élevé et les appelants doivent attendre longtemps avant que leur affaire soit entendue. Les arriérés ne font que s’accumuler et les délais s’allonger lorsque les appelants font fi des directives qui leur sont données par la SAI.

[24] Il n’y a eu aucune précipitation en l’espèce entre la date limite pour faire parvenir les observations et la décision de prononcer le désistement de l’appel, comme en témoigne la période de deux mois et demi qui s’est écoulée entre les deux. La SAI n’a pas volontairement enfreint un principe de justice naturelle. L’appelant et son conseil ont reçu toutes les mises en garde requises et rien n’indique qu’il y a eu ne serait‑ce qu’un manquement à un principe de justice naturelle. L’appelant et son conseil, et personne d’autre, sont à blâmer pour le désistement de l’appel. La justice naturelle a été respectée en l’espèce. La demande est rejetée.

[9]  C’est cette dernière décision qui a donné lieu à la présente demande.

[10]  L’argumentation du demandeur concernant cette demande n’est pas tout à fait claire. Le demandeur semble laisser entendre que la SAI a agi de façon déraisonnable ou injuste en ne rouvrant pas son appel, compte tenu de ses observations selon lesquelles son premier consultant, Parvinder Sandhu, avait donné de mauvais conseils au sujet de la nécessité de déclarer son enfant adopté comme personne à charge.

[11]  Dans ses observations écrites à la Cour, le demandeur se contente de faire allusion à l’omission de transmettre ses observations avant la date limite fixée par la SAI. Aucune tentative n’est faite pour expliquer ou justifier cette omission au­delà de l’assertion inexacte selon laquelle M. Sandhu était la source du problème [1] . Selon le demandeur, il n’était pas au courant des prorogations de délai demandées par son représentant et il n’était pas au courant de la nécessité de recueillir plus de renseignements (voir les paragraphes 12 à 20 de l’affidavit du demandeur).

[12]  L’argumentation du demandeur soulève deux problèmes de fond. Le premier est que l’explication fournie à la Cour n’a pas été donnée à la SAI concernant la requête en réouverture. Tout ce que le demandeur a fait valoir, c’est que M. Sandhu l’avait induit en erreur au sujet de la nécessité de déclarer son enfant adopté.

[13]  Le demandeur soulève essentiellement le même argument dans la présente demande. Il soutient une fois de plus, en dépit du fait qu’il n’a pas respecté le délai fixé par la SAI pour présenter des observations, que la SAI aurait dû accueillir sa demande de réouverture d’appel en raison de la négligence alléguée de M. Sandhu. En d’autres termes, le demandeur cherche qu’on l’excuse d’avoir dissimulé des renseignements aux autorités de l’immigration afin de faciliter son entrée au Canada, simplement parce que M. Sandhu l’aurait suggéré.

[14]  Je ne vois pas du tout en quoi le récit qui précède est pertinent par rapport à la question dont je suis saisi. La question que la SAI était tenue de traiter relativement à la requête en réouverture n’avait rien à voir avec la négligence alléguée de M. Sandhu dans la présentation de la demande de résidence permanente du demandeur. La SAI devait tenir compte du dossier de preuve concernant l’omission du demandeur de mettre en état l’appel. Cette omission n’avait absolument rien à voir avec M. Sandhu. Comme la SAI l’a fait remarquer dans sa décision, c’est au demandeur et à son représentant ultérieur, Gurpreet Khaira, que revient la faute de ne pas avoir mis en état l’appel. C’est M. Khaira qui a omis de répondre à la demande de renseignements de la SAI après deux prorogations et deux rappels téléphoniques.

[15]  Un autre problème fondamental concernant l’argumentation du demandeur découle d’une discordance importante entre son affidavit et le dossier documentaire. Le demandeur affirme qu’il n’était pas au courant des prorogations demandées ou du fait que son appel n’avait pas été mis en état. Ce témoignage sous serment est tout à fait incompatible avec les documents contenus dans le dossier. Le demandeur a reçu une copie des deux lettres envoyées par la SAI à M. Khaira confirmant l’octroi de deux prorogations pour fournir les renseignements demandés. La SAI a également écrit directement au demandeur le 1er février 2017 pour lui dire qu’une omission de mettre en état son appel pourrait mener à un désistement.

[16]  Je rejette le témoignage du demandeur selon lequel il n’était absolument pas au courant du problème et qu’il a été trompé par ses représentants. Compte tenu de ce qu’il savait, il incombait au demandeur de prendre des mesures. Il n’avait pas la possibilité d’ignorer ce qu’on lui avait dit puis de blâmer son représentant de ne pas avoir répondu.

[17]  Il y a un autre manquement de nature procédurale qui est fatal pour la présente demande en raison du fait que le demandeur n’a pas suivi le protocole de la Cour fédérale concernant les allégations d’incompétence professionnelle ou de négligence contre un avocat ou un consultant. Ce protocole exigeait que le demandeur avise M. Sandhu et M. Khaira des allégations d’incompétence formulées dans le cadre de la présente instance. Le but de l’avis est de permettre au représentant de répondre aux allégations.

[18]  Étant donné que l’avis requis n’a pas été donné à M. Sandhu ou à M. Khaira, il est interdit au demandeur d’utiliser ces allégations à l’appui de sa demande, voir Shabuddin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 428, aux paragraphes 18 à 20, 280 ACWS (3d) 20.

[19]  Pour les motifs qui précèdent, la présente demande est rejetée.

[20]  Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et aucune question de portée générale n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier IMM­2596­18

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de février 2019.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM­2596­18

INTITULÉ :

TARSEM SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie­Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 janvier 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

DATE DES MOTIFS :

Le 22 janvier 2019

COMPARUTIONS :

Armarpreet Cheema

Pour le demandeur

Kimberly Sutcliffe

Pour lE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rahual Aggarwal Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie­Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie­Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1] À ce stade, le représentant du demandeur était M. Khaira et non M. Sandhu.

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