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Date : 20190115


Dossier : IMM-913-18

Référence : 2019 CF 52

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

GENTJAN GJETA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Gentjan Gjeta, est un citoyen de l’Albanie âgé de 35 ans. Il craint que le clan Gjetani s’en prenne à lui en raison de son intérêt amoureux pour une femme Gjetani promise à un autre homme dans le cadre d’un mariage arrangé.

[2]  M. Gjeta est arrivé au Canada le 8 septembre 2011 et a présenté une demande d’asile 10 jours plus tard. La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande une première fois dans une décision datée du 7 mai 2013. Cette décision a été annulée parce que la SPR n’avait pas tenu compte de la question à savoir si le demandeur pouvait se prévaloir de la protection de l’État, et l’affaire a été renvoyée à la SPR pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un tribunal différemment constitué (Gjeta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 905, 244 ACWS (3d) 412).

[3]  Dans une nouvelle décision datée du 20 décembre 2017, la SPR a de nouveau rejeté la demande d’asile de M. Gjeta au motif qu’il n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants. Il sollicite maintenant, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision de la SPR. Il demande à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire pour qu’un autre commissaire de la SPR rende une nouvelle décision.

I.  Contexte

[4]  En juin 2009, la voisine du demandeur, Mme Bardhe Vokrri, l’a présenté à sa nièce, Najada Gjetani, qui était de passage. Une relation étroite a pris naissance entre M. Gjeta et Mme Gjetani, et ce, même si le père de cette dernière avait pris des dispositions pour qu’elle épouse Jetmir Ndoja. Des terres et de l’argent ont été échangés en prévision du mariage, mais le mariage a été retardé en raison de l’incarcération de M. Ndoja en septembre 2010.

[5]  À la mi-février 2011, un membre de la famille de Jetmir Ndoja a vu Mme Gjetani et le demandeur ensemble, et a demandé une explication au père de Mme Gjetani.  Plus tard au cours du mois, le père et les deux frères de Mme Gjetani ont agressé le demandeur. Le demandeur a appelé un membre de sa famille pour le conduire à l’hôpital. Les documents médicaux confirment que le demandeur a été traité pour des saignements à la bouche et au nez, des hématomes à la poitrine, des blessures abdominales, des ecchymoses à l’œil droit, des étourdissements et des vomissements.

[6]  Alors qu’il était à l’hôpital, le demandeur a contacté la police pour obtenir de l’aide. Un policier s’est présenté et, après avoir été mis au courant de la situation, il a dit au demandeur qu’il méritait de mourir parce qu’il essayait de voler le bien d’un autre homme. Le demandeur a reçu son congé après deux jours à l’hôpital.

[7]  Le 11 avril 2011, le demandeur a de nouveau été intercepté par deux membres du clan Gjetani. Ils l’ont poignardé et l’ont traité de sale chrétien qui méritait de mourir. Le demandeur a bloqué la trajectoire du couteau avec sa main, et l’intervention de civils a mis fin à l’attaque. Le demandeur a été conduit à l’hôpital, où il a été traité pour une perforation totale de la paume de la main gauche et des hématomes au visage.

[8]  Le demandeur a contacté la police. Deux policiers se sont rendus à l’hôpital. Après avoir entendu le récit de l’incident, le policier qui prenait les notes a cessé d’écrire et a dit au demandeur qu’il était un idiot qui ne comprenait rien. Il a déchiré ses notes et quitté les lieux avec son collègue.

[9]  Le demandeur a quitté l’hôpital avant d’obtenir le congé de son médecin, puis a volontairement disparu de la circulation.

[10]  Après le départ du demandeur de l’hôpital, le clan Gjetani a déclaré qu’il le tuerait pour venger l’humiliation et l’insulte causées par le fait d’avoir fréquenté Mme Gjetani, une femme musulmane. Le demandeur a ensuite appris que le clan Gjetani avait soudoyé un propriétaire de bar pour être informé de ses allées et venues. Il s’est donc rendu à la frontière grecque pour rencontrer un passeur. Celui‑ci a amené le demandeur en Grèce, puis de la Grèce à l’Allemagne, de l’Allemagne à New York, et enfin au Canada, où le demandeur est arrivé le 8 septembre 2011.

[11]  Dans sa décision du 7 mai 2013, la SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible et que, comme il était le seul membre de sa famille faisant face à la persécution, il n’y avait pas de « vendetta ». La SPR a également conclu qu’il était déraisonnable de la part du demandeur, s’il craignait véritablement pour sa vie, de ne pas avoir demandé l’asile en Grèce ou aux États‑Unis.

II.  La décision de la SPR

[12]  Après avoir résumé les allégations du demandeur et pris note que le cousin de celui‑ci avait été attaqué en décembre 2016 par des membres de la famille Gjetani, la SPR a conclu que la question déterminante était de savoir si le demandeur avait réussi à réfuter la présomption de protection de l’État.  Bien que la SPR ait accepté les allégations générales du demandeur, y compris l’attaque de 2016 contre son cousin, elle a écrit ceci :

[21]  Le problème lié au témoignage du demandeur d’asile concernant la manière dont la police l’a traité en 2011, même s’il est digne de foi, est qu’il est tellement dépassé, étant donné la longue période écoulée entre le moment de son départ et l’audience tenue devant moi en 2017. [...] [D]’importants changements opérationnels sont survenus en Albanie au chapitre de la protection de l’État au cours de l’intervalle de six ans. Compte tenu des nouveaux éléments de preuve au sujet des conditions dans le pays, j’estime que le témoignage personnalisé du demandeur d’asile concernant la protection de la police est tellement dépassé que je ne peux y accorder que peu de valeur probante. Je ne crois pas le demandeur d’asile lorsqu’il dit qu’il ne peut pas obtenir la protection de la police en Albanie en 2017.

[13]  La SPR a ensuite conclu que le demandeur n’avait pas démontré, par des éléments de preuve clairs et convaincants, que la protection de l’État était, de manière prospective, insuffisante sur le terrain et qu’elle était pertinente quant à sa situation personnelle en Albanie. Après avoir examiné les interactions du demandeur avec la police en 2011, la SPR a de nouveau souligné que le témoignage du demandeur était « considérablement dépass[é] et désue[t] et [...], en fin de compte, ne correspond[ait] pas à la preuve actuelle concernant la protection de la police en Albanie ». De l’avis de la SPR, la preuve documentaire actuelle indiquait que la police albanaise pouvait et était prête à offrir au demandeur une protection de l’État adéquate et efficace contre tout acte criminel perpétré à son endroit par le clan Gjetani, qui désirait le tuer afin de laver le déshonneur qu’il a jeté sur eux.

[14]  La SPR a rejeté l’argument du demandeur selon lequel, dans les cas de représailles ou de meurtre par représailles, il est impossible d’obtenir une protection adéquate de l’État, contrairement aux cas de « vendetta » déclarée. La SPR a conclu que les récentes modifications apportées au droit pénal albanais étaient suffisamment vastes pour gérer la menace de meurtre du clan Gjetani à l’encontre du demandeur. Selon la SPR, si le demandeur s’adressait à la police albanaise aujourd’hui ou à l’avenir, sa situation serait reconnue comme une vendetta, des représailles ou une situation suffisamment grave pour justifier une protection policière renforcée de manière appropriée.

[15]  Après avoir passé en revue les mesures destinées aux victimes de vendetta, mises en œuvre depuis le départ du demandeur de l’Albanie en 2011, la SPR a conclu que la preuve relative à la situation dans le pays indiquait que ces mesures sur le terrain, ainsi que la criminalisation des menaces de mort proférées dans le cadre de vendettas ou de représailles, ont été efficaces en Albanie, et qu’elles ont mené à une réduction du nombre de meurtres liés à des vendettas. De plus, la SPR a conclu que les changements apportés au droit pénal en Albanie étaient suffisants pour protéger le demandeur et qu’il n’existait pas d’éléments de preuve suffisants indiquant que le demandeur serait exclu des mesures de protection destinées aux victimes de représailles ou de vendetta.

[16]  Devant la SPR, le demandeur a fait valoir qu’étant donné que de nombreuses personnes impliquées dans une vendetta vivent isolées, la protection de l’État devait être insuffisante. En réponse à cet argument, la SPR a déclaré que cette tendance à l’isolement pourrait être fondée sur une réticence bien subjective. En ce qui concerne les éléments de preuve indiquant que les policiers réagissent rarement aux vendettas par crainte qu’on s’en prenne à eux aussi, la SPR n’a pas accordé de poids à ces éléments de preuve, étant donné qu’ils sont directement contredits par une étude plus récente menée en 2017 par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides. La SPR a fait remarquer que le directeur général de la police nationale albanaise avait été interrogé dans le cadre de cette étude et a conclu que la police nationale albanaise était au courant des nuances entre une vendetta et un meurtre par représailles, de la façon dont l’un peut parfois mener à l’autre, et que les nouvelles dispositions du code pénal s’appliquaient à la situation de vendetta du demandeur.

[17]  La SPR a pris bonne note de la corruption au sein du service de police albanais, mais a soutenu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve personnalisés pour établir un lien entre ce problème et la situation du demandeur. La SPR a noté qu’aucun élément de preuve documentaire ne venait étayer la conclusion selon laquelle le clan Gjetani avait corrompu des représentants de l’État par le passé, et que, bien que le clan Gjetani ait soudoyé un propriétaire de bar pour connaître l’emplacement du demandeur après qu’il soit allé en réclusion, il s’agissait d’un acte de corruption qui ne concernait pas les autorités. Selon la SPR, cette affaire de corruption d’un acteur non étatique ne vient pas appuyer une conclusion selon laquelle le demandeur ne pourrait pas demander la protection de l’État.

[18]  La SPR a terminé ses motifs en affirmant que le demandeur n’avait pas été en mesure de démontrer, au  moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants, que la protection de l’État sur le terrain était insuffisante dans sa situation personnelle, puis a conclu que, si le demandeur retournait en Albanie et qu’il s’adressait à la police et aux autorités de l’État, il recevrait la protection dont il a besoin pour vivre normalement et non dans l’isolement.

III.  Analyse

[19]  Bien que les parties aient soulevé plusieurs questions distinctes concernant la décision de la SPR, ces questions se recoupent toutes, à mon avis, sous une question plus générale : était-il raisonnable de la part de la SPR de conclure que le demandeur pouvait se prévaloir de la protection de l’État en Albanie?

A.  La norme de contrôle

[20]  L’évaluation par la SPR du dossier de preuve en ce qui concerne la protection de l’État comporte des questions mixtes de fait et de droit; par conséquent, elle est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable (Kina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 284, aux paragraphes 24 et 25, [2014] ACF nº 304).

[21]  La norme de la décision raisonnable oblige la Cour à examiner une décision administrative pour apprécier « la justification de la décision [ainsi que] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel » et déterminer si elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708).

B.  Était-il raisonnable de la part de la SPR de conclure que le demandeur pouvait se prévaloir de la protection de l’État en Albanie?

[22]  Le demandeur soutient que la SPR n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve subjective et objective : elle se serait concentrée sur son analyse des conditions dans le pays et aurait rejeté de façon inappropriée ses expériences personnelles. Le demandeur allègue que la SPR n’a pas analysé la question à savoir s’il pouvait effectivement se prévaloir de la protection de l’État. Il ajoute qu’au vu de certaines décisions, notamment Hasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 270, 289 ACWS (3d) 795 (Hasa) et Kulla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 737, 282 ACWS (3d) 586 (Kulla), des personnes comme lui ne peuvent se prévaloir de la protection policière en Albanie, et que pour cette raison, il était déraisonnable de la part de la SPR de ne pas en venir à la même conclusion.

[23]  Le défendeur affirme que le demandeur avait le fardeau de démontrer que les conclusions de la SPR étaient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve. Selon le défendeur, il ne suffit pas qu’il y ait une autre interprétation des éléments de preuve; le demandeur doit plutôt démontrer que l’interprétation de la SPR n’était d’aucune façon possible d’après la preuve au dossier.

[24]  Le critère permettant de déterminer si un État est incapable de protéger un ressortissant est bien établi (voir : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, paragraphes 52 à 59, [1993] ACS nº 74). Le critère comporte deux volets : (1) le demandeur doit éprouver une crainte subjective d’être persécuté et (2) cette crainte doit être objectivement justifiée. Le demandeur doit démontrer d’une façon claire et convaincante que l’État n’est pas en mesure d’assurer sa protection, en l’absence d’un aveu en ce sens par l’État dont il est le ressortissant. Sauf effondrement complet de l’appareil d’État, il faut présumer qu’un État est en mesure de protéger ses citoyens.

[25]  La principale question dans les cas de protection de l’État consiste à déterminer si les éléments de preuve entre les mains du décideur démontrent que la protection de l’État dont peut se prévaloir le demandeur d’asile est suffisante sur le terrain. En d’autres mots, « si l’on examine la preuve dans son ensemble, y compris la preuve au sujet de la capacité de l’État de protéger ses citoyens, le demandeur a-t-il montré qu’il existe un risque raisonnable qu’il soit exposé à de la persécution dans son pays d’origine? » Moczo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 734, au paragraphe 10 [2013] ACF no 776). Autrement dit, les éléments de preuve portant sur les ressources de l’État dont peut se prévaloir un demandeur d’asile démontrent‑ils qu’il n’existe probablement pas de risque raisonnable de persécution s’il retournait dans son pays d’origine?

[26]  Voici ce que la Cour d’appel fédérale a déclaré, dans l’arrêt Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Flores Carrillo, 2008 CAF 94, au paragraphe 38, (2008) 4 RCF 636 (CAF) :

Le réfugié qui invoque l’insuffisance ou l’inexistence de la protection de l’État supporte la charge de présentation de produire des éléments de preuve en ce sens et la charge ultime de convaincre le juge des faits que cette prétention est fondée. La norme de preuve applicable est celle de la prépondérance des probabilités, sans qu’il soit exigé un degré plus élevé de probabilité que celui que commande habituellement cette norme. Quant à la qualité de la preuve nécessaire pour réfuter la présomption de la protection de l’État, cette présomption se réfute par une preuve claire et convaincante de l’insuffisance ou de l’inexistence de ladite protection.

[27]  Dans l’arrêt Kadenko c Canada (Solliciteur général), [1996] ACF nº 1376, 143 DLR (4e) 532, la Cour d’appel a conclu que, s’il n’y a pas effondrement complet de l’appareil gouvernemental et si un État s’est doté des institutions politiques et judiciaires pour assurer la protection de ses citoyens, le refus d’agir de certains policiers ne permet pas de conclure que l’État en question est incapable ou non désireux de protéger ses citoyens.

[28]  Le degré de démocratie du pays d’origine d’un demandeur d’asile peut être tel que ce dernier doive démontrer, en l’absence de circonstances exceptionnelles, que toutes les protections possibles ont été épuisées. Par exemple, dans l’arrêt Hinzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, 282 DLR (4th) 413, la Cour d’appel fédérale a fait observer ceci :

[57]  Les arrêts Kadenko et Satiacum ensemble montrent que, dans le cas de démocraties bien établies, il incombe au demandeur de prouver qu’il a épuisé tous les recours dont il pouvait disposer et celui‑ci ne sera exempté de son obligation de solliciter la protection de son pays qu’en certaines circonstances exceptionnelles [renvois omis] [...] le demandeur d’asile provenant d’un pays démocratique devra s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer qu’il n’était pas tenu d’épuiser tous les recours dont il pouvait disposer dans son pays avant de demander l’asile [...] les États‑Unis sont une démocratie ayant adopté un ensemble complet de mesures garantissant que les personnes s’objectant au service militaire font l’objet d’un traitement juste [...] les appelants n’ont pas produit suffisamment de preuve pour satisfaire à ce critère exigeant.

[29]  L’affaire qui nous occupe est différente de Taho c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 718, au paragraphe 42, [2015] ACF nº 717 (Taho), où la décision de la SPR a été écartée, car la preuve documentaire concernant le caractère adéquat de la protection de l’État à laquelle renvoyait la SPR était limitée, et où l’analyse de la SPR ne portait pas suffisamment sur le caractère adéquat, car une baisse du nombre de vendettas n’établissait pas le caractère adéquat de la protection de l’État.

[30]  La présente affaire diffère aussi de Kapllaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 23, au paragraphe 21, 249 ACWS (3d) 180 où, selon la preuve dont disposait la SPR, la police n’était pas capable de protéger des personnes prises pour cibles dans le cadre d’une vendetta, et la SPR aurait dû tenir compte de cet élément de preuve avant de conclure que M. Kapllaj n’avait pas réussi à réfuter la présomption relative à la protection de l’État.

[31]  En l’espèce, la SPR a effectué un examen approfondi des éléments de preuve contradictoires quant au niveau actuel de protection de l’État en Albanie à l’égard de personnes comme le demandeur et a expliqué pourquoi elle accordait plus de poids à certains éléments de preuve. Il est loisible à la SPR de préférer s’appuyer sur des preuves documentaires plutôt que sur d’autres éléments et un témoignage, même lorsque la crédibilité d’un demandeur d’asile est admise, dans la mesure où la SPR justifie clairement sa préférence (Csoke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1169, au paragraphe 17, 259 ACWS (3d) 540). La SPR s’est fondée sur les éléments de preuve les plus récents provenant d’une tierce partie neutre, notamment un rapport de 2017 du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides intitulé « Blood Feuds in contemporary Albania. Characterisation, Prevalence and Response by the State. » Cela n’était pas déraisonnable.

[32]  Le fait que le demandeur s’appuie sur des décisions comme Hasa et Kulla pour faire valoir que des personnes comme lui ne peuvent se prévaloir de la protection policière en Albanie est déplacé.

[33]  L’affaire Hasa se distingue de celle dont nous sommes saisis en ce qu’elle concernait la capacité d’une personne LGBTI en Albanie de bénéficier de la protection de l’État. Contrairement à la SPR en l’espèce, la SPR dans l’affaire Hasa ne s’est pas penchée sur le caractère adéquat des efforts déployés pour assurer la protection de l’État. Dans l’affaire Hasa, la SPR a cité des éléments de preuve portant uniquement sur les avancées juridiques qui seraient réalisées, alors que, dans la présente affaire, la SPR a souligné la mise en œuvre réelle de nouvelles lois. Les éléments de preuve contradictoires n’ont pas été examinés par la SPR dans l’affaire Hasa, mais la SPR a clairement traité en l’espèce de la preuve documentaire contradictoire. Elle a choisi la preuve qu’elle préférait et en a expliqué la raison.

[34]  L’affaire Kulla est aussi différente de celle qui nous occupe. Dans cette affaire, l’agent d’examen des risques avant renvoi a axé l’analyse de la protection de l’État sur les efforts déployés en Albanie pour assurer la protection de l’État aux personnes victimes de persécution découlant d’une vendetta plutôt que sur l’efficacité de ces efforts. L’agent n’a pas examiné les éléments de preuve contradictoires directement liés au caractère adéquat de la protection de l’État, alors qu’en l’espèce, la SPR a de façon claire abordé la preuve documentaire contradictoire; ensuite, elle a choisi la preuve qu’elle préférait et en a expliqué la raison.

[35]  La protection de l’État et sa disponibilité doivent être évaluées au cas par cas (Perez Mendoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 119, au paragraphe 33(3), 185 ACWS (3d) 447; Murati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1324, au paragraphe 39, 384 FTR 1, et Taho, au paragraphe 44). En l’espèce, il était raisonnable pour la SPR, compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait, de conclure qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve fiables indiquant que le demandeur serait exclu des mesures de protection destinées aux victimes de représailles ou d’une vendetta, lesquelles ont été mises en œuvre depuis son départ de l’Albanie en 2011.

IV.  Conclusion

[36]  Les motifs donnés par la SPR pour rejeter la requête du demandeur sont intelligibles, transparents et justifiables, et la décision s’inscrit dans une gamme d’issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est donc rejetée.

[37]  Comme aucune des parties n’a proposé la certification d’une question grave de portée générale au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR, aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-913-18

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de février 2019

Sandra de Azevedo, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-913-18

 

INTITULÉ :

GENTJAN GJETA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 octobre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Boswell

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 janvier 2019

 

COMPARUTIONS :

H.J. Yehuda Levinson

POUR LE DEMANDEUR

 

Nicholas Dodokin

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levinson and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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