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Date : 20190123


Dossier : IMM-3140-18

Référence : 2019 CF 95

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Québec (Québec), le 23 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

SHOU CHENG LI

demandeur

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre  du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) à l’encontre d’une décision relative à un examen des risques avant renvoi (ERAR) rendue par un agent principal d’immigration travaillant pour le défendeur (l’agent).

[2]  Pour les motifs exposés ci-dessous, j’ai conclu que la demande devait être rejetée.

II.  LE CONTEXTE

[3]  Le demandeur, Shou Cheng Li, est un citoyen de la République populaire de Chine (Chine). Il est marié et père de trois enfants nés au Canada.

[4]  Le demandeur est arrivé au Canada le 2 février 2010. Il a présenté une demande d’asile le 11 mars 2010, laquelle a été rejetée le 11 octobre 2011. Il a alors sollicité le contrôle judiciaire de ce rejet, mais a ensuite retiré sa demande après qu’une demande de parrainage conjugal en vue d’obtenir le statut de résident permanent ait été présentée pour lui.

[5]  Cette demande a été rejetée le 20 août 2015, puisqu’il a été jugé que l’épouse du demandeur a obtenu son statut de résidente permanente suite à  une fausse déclaration. À la suite de ce rejet, le demandeur a été invité à présenter une demande d’ERAR, ce qu’il a fait le 9 novembre  2017. La conclusion de fausse déclaration fait actuellement l’objet d’un appel de la part de l’épouse du demandeur.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[6]  Le demandeur a allégué que, en Chine, il serait exposé à un risque de persécution ou de mauvais traitement, aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR, pour avoir enfreint la politique des deux enfants, ou politique de planification familiale, en vigueur dans le pays.

[7]  L’agent a rejeté la demande d’ERAR du demandeur pour les motifs suivants :

  1. Les enfants du demandeur sont des citoyens canadiens et ne risquent pas l’expulsion, et leur mère n’est pas non plus menacée de renvoi immédiat. Il semblerait donc que le demandeur retournerait en Chine sans sa famille. Par conséquent, les éléments de preuve ne suffisent pas à démontrer que le demandeur serait considéré par les autorités chinoises comme ayant enfreint la politique de planification familiale.
  2. La Chine fait preuve d’une plus grande tolérance à l’égard des enfants nés à l’extérieur du Canada.
  3. Même si les autorités chinoises en arrivaient à la conclusion que le demandeur a enfreint la politique de planification familiale, celui-ci ne serait vraisemblablement passible que d’une amende, appelée notamment « frais d’assistance sociale » ou « frais de compensation sociale ». Comme cette pénalité s’applique à tous les particuliers en Chine, elle ne peut pas être considérée comme un traitement du type de ceux visés par les articles 96 et 97 de la LIPR.
  4. Le demandeur pourrait éviter de se voir imposer une amende si sa femme et lui se conformaient aux dispositions des lois locales et provinciales de la Chine relatives à un troisième enfant.

IV.  ANALYSE

[8]  Le demandeur conteste tous les motifs avancés par l’agent, mais pour les besoins  du présent contrôle judiciaire, il n’est nécessaire de se pencher que sur le premier motif, soit l’insuffisance des éléments de preuve démontrant que le demandeur serait considéré par les autorités chinoises comme ayant enfreint la politique de planification familiale.

[9]  Voici un passage clé de la décision de l’agent portant sur cette question :

[traduction]

Selon les renseignements qui ont été portés à ma connaissance, je remarque qu’un « permis de naissance » doit être obtenu avant la naissance d’un enfant en Chine. Je constate que les enfants du demandeur ne risquent pas d’être expulsés du Canada, puisqu’ils sont citoyens canadiens de naissance. Je constate également que bien qu’une mesure de renvoi ait été prononcée contre la mère des enfants, cette mesure est actuellement suspendue en attendant l’issue de l’audience de l’appel interjeté devant la Section d’appel de l’immigration. Au vu de la preuve qui m’a été présentée, je ne peux pas conclure que l’épouse et les enfants du demandeur s’installeront avec lui en Chine. De ce fait, je conclus que les éléments de preuve dont je dispose ne suffisent pas à démontrer que le demandeur serait considéré par les autorités chinoises comme ayant enfreint la politique de planification familiale.

[10]  Le paragraphe suivant de la décision de l’agent commence par [traduction« [d]e plus » et traite d’un élément de preuve documentaire daté de 2009 selon lequel la Chine fait preuve d’une plus grande tolérance à l’égard des enfants nés à l’extérieur de la Chine. De l’expression « [d]e plus », je déduis que l’élément de preuve daté de 2009 constituait un élément de preuve supplémentaire sur lequel l’agent ne s’est pas fondé pour conclure à l’insuffisance des éléments de preuve démontrant que le demandeur serait considéré comme ayant enfreint la politique de planification familiale.

[11]  Le demandeur fait valoir que la conclusion de l’agent, citée plus haut, reposait sur la supposition que les autorités chinoises ne sauraient rien quant aux  enfants qu’il avait eus à l’étranger puisqu’il ne leur dirait rien à ce sujet. Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en présumant qu’il mentirait aux autorités chinoises.

[12]  Je ne suis pas d’accord avec le demandeur sur ce point. La décision de l’agent ne suggère en rien que le demandeur mentirait ou dissimulerait la vérité. Du passage précité, je comprends que l’agent a conclu, en l’absence d’autres éléments de preuve, que la preuve ne suffisait pas à démontrer que les autorités chinoises considéreraient qu’il y avait eu violation de la politique de planification familiale, qu’elles soient ou non informées de l’existence des enfants du demandeur, nés et domiciliés au Canada.

[13]  Pour réfuter ce point, le demandeur affirme qu’il existe de nombreux éléments de preuve qui démontrent que, de manière générale, le fait d’avoir trois enfants constitue une violation de la politique de planification familiale. Le demandeur affirme également qu’il n’existe aucun élément de preuve, à part celui daté de 2009 mentionné plus haut (qui n’a pas été pris en compte), pour appuyer le point de vue selon lequel sa situation en Chine serait différente si ses enfants n’allaient pas s’y installer avec lui. Bien que l’agent n’ait pas abordé les raisons pour lesquelles les autorités chinoises ne se préoccuperaient pas des enfants que le demandeur a eus à l’étranger, il était clairement de cet avis. Par conséquent, je dois déterminer si la conclusion de l’agent à ce sujet était raisonnable.

[14]  Il existe des motifs sur lesquels l’agent a pu s’appuyer. Par exemple, puisque les enfants du demandeur sont nés au Canada (et sont donc des citoyens canadiens), ils ne seraient vraisemblablement pas considérés comme des citoyens chinois. Plus important encore, tant que les enfants demeurent au Canada, ils ne représentent ni un fardeau ni des coûts que la Chine doit assumer. Il serait étonnant que des sanctions pour violation de la politique de planification familiale soient imposées relativement à des enfants qui ne sont pas citoyens du pays et n’y habitent pas. Selon moi, il était tout à fait raisonnable pour l’agent de s’attendre à ce que le demandeur s’acquitte du fardeau de prouver le bien-fondé de son affirmation selon laquelle il serait considéré comme ayant enfreint la politique de planification familiale et serait, de ce fait, passible de sanctions.

[15]  Puisque l’agent n’a pas commis d’erreur en concluant que les éléments de preuve ne suffisaient pas à démontrer que le demandeur serait considéré par les autorités chinoises comme ayant enfreint la politique de planification familiale, il n’est pas nécessaire de se pencher sur les autres questions portant sur le fait que le demandeur serait passible de sanctions. En outre, l’agent ne s’étant pas appuyé sur l’élément de preuve daté de 2009, qui indique que la Chine fait preuve d’une plus grande tolérance à l’égard des enfants nés à l’extérieur du pays, il n’est pas non plus nécessaire de se pencher sur l’argument du demandeur selon lequel toute référence à l’élément de preuve daté de 2009 constituait un manquement à l’équité procédurale.

[16]  Le demandeur souligne que le statut de son épouse au Canada est précaire. Elle pourrait éventuellement être forcée de quitter le Canada pour retourner en Chine. Le cas échéant, comme leurs deux parents seraient en Chine, les enfants du demandeur pourraient devoir y déménager eux aussi. Cette situation aurait pour effet de modifier les circonstances actuelles selon lesquelles les enfants ne représentent ni un fardeau ni des coûts que la Chine doit assumer. L’agent a pris note de la situation, mais il n’a pas pu [traduction« conclure que l’épouse et les enfants du demandeur s’installeront avec lui en Chine ». À mon avis, la préoccupation du demandeur selon laquelle ses enfants devront éventuellement déménager en Chine est de nature purement hypothétique. Au besoin, une demande d’ERAR distincte pourrait être présentée plus tard par l’épouse du demandeur ou par ses enfants afin que cette préoccupation soit étudiée. Je suis convaincu que l’analyse de l’agent à l’égard de cette question était raisonnable.

V.  CONCLUSION

[17]  Pour les motifs qui précèdent, la présente demande sera rejetée.

[18]  Lors de l’audience, les parties ont convenu qu’il n’y avait pas de question grave de portée générale à certifier. Par la suite, le demandeur a présenté une question à certifier. Cependant, cette question visait à déterminer si toute amende ou tous frais qui pourraient être imposés par les autorités chinoises justifieraient l’annulation de la mesure de renvoi prise à l’endroit du demandeur. Puisque j’ai jugé que l’agent avait, de façon raisonnable, conclu que les éléments de preuve n’indiquaient pas que le demandeur se verrait imposer une amende ou des frais, je conclus que la question proposée n’est pas déterminante en l’espèce et qu’elle ne devrait donc pas être certifiée.


JUGEMENT dans le dossier no IMM‑3140‑18

LA COUR STATUE ce qui suit :

  1. La présente demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de mars 2019.

Geneviève Bernier, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3140‑18

INTITULÉ :

SHOU CHENG LI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

tORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 JANVIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE lOCKE

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 23 JANVIER 2019

COMPARUTIONS :

Raoul Boulakia

POUR LE DEMANDEUR

Suzanne Bruce

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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