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Date : 20190124


Dossier : IMM-719-18

Référence : 2019 CF 97

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

SHAMSAN MOFREH, REEM AL-SOUFI, LAYAN MOFREH ET LEEN MOFREH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 10 janvier 2018 par laquelle un membre de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAR) a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs à l’encontre de la décision du 20 mars 2017 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugiés en sens de la Convention, ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la  LIPR).

II.  Contexte

[2]  Les demandeurs, Shamsan Mofreh (le demandeur), sa femme Reem Al-Soufi (la demanderesse), et leurs enfants Layan Mofreh et Leen Mofreh, sont citoyens du Yémen.

[3]  Jusqu’en 2016, les demandeurs habitaient en Arabie saoudite, où le demandeur était employé dans une société de commerce.

[4]  Les demandeurs ont quitté l’Arabie saoudite après que le demandeur ait reçu un avis de cessation d’emploi de la part de son ancien employeur. Les demandeurs allèguent craindre de retourner au Yémen en raison des activités politiques du demandeur.

[5]  Les demandeurs ont quitté l’Arabie saoudite pour se rendre aux États‑Unis, après quoi ils sont allés au Canada. Ils ont demandé l’asile au Canada aux alentours du 6 septembre 2016. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié a reçu le formulaire de fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA) des demandeurs le 29 septembre 2016.

[6]  Les demandeurs ont comparu à l’audience devant la SPR les 10 novembre et 6 décembre 2016, dans le cadre de laquelle le demandeur et la demanderesse ont tous deux été interrogés.

[7]  Dans sa décision du 27 mars 2017, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils avaient la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR (la décision de la SPR).

[8]  La décision de la SPR comportait essentiellement plusieurs conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées contre les demandeurs sur la foi d’omissions importantes dans leur formulaire FDA.

I.  La décision faisant l’objet du contrôle

[9]  Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR, dans lequel ils alléguaient notamment que la SPR a commis une erreur en tirant des conclusions défavorables quant à la crédibilité sur la foi d’omissions dans leur formulaire FDA. Les demandeurs voulaient faire valoir que les omissions étaient attribuables aux conseils qu’ils avaient reçus de la part de l’avocat qui les avait représentés devant la SPR.

[10]  L’avocat qui représentait les demandeurs devant la SAR a écrit à l’avocat qui les avait représentés devant la SPR le 12 mai 2017 pour lui donner l’occasion de répondre à ces allégations. Un avis signé par le demandeur et la demanderesse, daté du 1er mai 2017, qui autorisait l’avocat qui les avait représentés devant la SPR à communiquer tout renseignement concernant leur dossier à l’avocat qui les représentait devant la SAR, était joint à cette lettre.

[11]  Comme les demandeurs n’avaient reçu aucune réponse de la part l’avocat qui les avait représentés devant la SPR à la date limite de réponse précisée dans la lettre, ils ont ajouté ces allégations et la déclaration dans leur dossier d’appel.

[12]  Les demandeurs ont essentiellement fait valoir devant la SAR que la SPR avait commis une erreur parce que les faits omis n’étaient que de simples détails explicatifs et non des omissions importantes. À titre subsidiaire, les demandeurs ont fait valoir que les omissions n’étaient pas suffisantes pour fonder une conclusion défavorable quant à la crédibilité parce que l’avocat qui les avait représentés devant la SPR avait conseillé au demandeur de ne pas inclure la quantité de détails qui était exigée par la SPR. Le demandeur a souscrit une déclaration solennelle à cette fin (la déclaration).

[13]  Les demandeurs ont présenté deux documents à titre de nouvel élément de preuve devant la SAR :

  1. La déclaration;
  2. Une version retraduite d’une lettre dont disposait la SPR au motif que la traduction précédente comportait des erreurs importantes.

[14]  Les demandeurs ont demandé la tenue d’une audience orale sur le fondement de ces nouveaux éléments de preuve.

[15]  L’avocat qui les avait représentés devant la SPR a subséquemment retenu les services de son propre avocat, qui a écrit une lettre à la SAR, en date du 9 juin 2017, pour indiquer que son client avait l’intention de répondre aux allégations et pour demander à la SAR de suspendre l’appel des demandeurs jusqu’à ce que son client puisse déposer et signifier son dossier de demande. La SAR a accueilli cette demande.

[16]  L’avocat qui avait représenté les demandeurs devant la SPR a ensuite déposé une demande de réparation procédurale, qui comportait les documents suivants :

  1. Une lettre du 23 juin 2017 dans laquelle il indiquait que ni lui ni le personnel de son bureau n’avait conseillé au demandeur de fournir moins de détails, et que les détails omis n’étaient pas connus de quiconque dans son bureau;
  2. Un affidavit souscrit par un membre du personnel de son bureau, ainsi que des documents à l’appui.

[17]  L’avocat qui avait représenté les demandeurs devant la SAR a écrit une lettre à la SAR le 4 juillet 2017 dans laquelle il l’informait que les demandeurs avaient retiré leurs allégations contre lui.

[18]  La SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR, dans une décision du 17 janvier 2018 (la décision de la SAR).

[19]  La SAR a admis les nouveaux éléments de preuve, mais a conclu qu’une audience orale n’était pas requise.

[20]  La SAR s’est penchée sur l’argument principal des demandeurs concernant les omissions et a confirmé en général la décision de la SPR selon laquelle les demandeurs avaient fait des omissions importantes qui justifiaient des conclusions défavorables quant à leur crédibilité. À deux reprises, la SAR était d’accord avec les demandeurs pour dire que les omissions étaient de simples détails explicatifs qui ne justifiaient pas des conclusions défavorables quant à leur crédibilité.

[21]  La SAR s’est ensuite penchée sur la déclaration, sur la demande de l’avocat qui avait représenté les demandeurs devant la SPR, ainsi que sur le retrait par les demandeurs de leurs allégations contre ce dernier. La SAR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité au motif que le demandeur avait fait de fausses déclarations dans sa déclaration.

[22]  La SAR a ensuite examiné d’autres questions en litige, avant de conclure que bien qu’elle ne souscrivait pas à deux des conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité des demandeurs concernant les omissions, elle a convenu que le demandeur n’était pas un témoin crédible en général. Par conséquent, la SAR a confirmé la décision de la SPR.

II.  Les questions en litige

[23]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en privant les demandeurs d’une audience orale?
  2. Les demandeurs ont‑ils renoncé au secret professionnel de l’avocat?
  3. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité des demandeurs sur le fondement de la demande présentée par l’avocat qui les avait représentés devant la SPR?

III.  La norme de contrôle

[24]  La norme de la décision raisonnable s’applique aux questions qui nécessitent un examen au fond. La norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93).

IV.  Analyse

A.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en privant les demandeurs d’une audience orale?

[25]  Les demandeurs affirment que la SAR a commis une erreur en les privant de leur droit à une audience orale. Ils soutiennent que dès lors que la SAR a admis la déclaration en preuve, une audience orale était requise pour leur permettre d’expliquer les questions liées aux conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la SPR. Le refus de tenir une audience orale a fait en sorte qu’ils n’étaient pas en mesure de témoigner quant au contexte entourant le remplissage de leur formulaire FDA.

[26]  La tenue d’une audience n’est pas automatique dès lors qu’un nouvel élément de preuve est admis devant la SAR (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 71). En fait, les nouveaux éléments de preuve doivent d’abord satisfaire aux trois critères énoncés au paragraphe 110(6) de la LIPR avant qu’une audience puisse être tenue :

(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

[27]  La SAR a expressément examiné ces critères aux paragraphes 18 et 19 de sa décision et a déterminé qu’une audience orale n’était pas requise. La SAR a fait remarquer que la déclaration se rapportait à son argument subsidiaire qui a été subséquemment retiré, et la lettre retraduite se rapportait à des questions qui n’étaient pas déterminantes dans l’appel.

[28]  Peu importe que les demandeurs allèguent un manquement à l’équité procédurale, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, ou qu’ils soulèvent la question de savoir si la SAR interprète une disposition de sa propre loi constitutive, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, j’estime qu’aucune erreur susceptible de contrôle n’a été commise en l’espèce – l’analyse de la SAR était raisonnable et correcte.

[29]  La décision de la SAR est principalement fondée sur les omissions dans le formulaire FDA, sur le « témoignage changeant, évasif et incohérent [du demandeur] au sujet d’événements clés », et sur les conclusions défavorables quant à la crédibilité qui en découlent. La SAR a correctement refusé de tenir une audience orale au motif que les nouveaux éléments de preuve ne seraient pas déterminants dans l’appel.

B.  Les demandeurs ont‑ils renoncé au secret professionnel de l’avocat?

[30]  Les demandeurs allèguent que, bien que l’avocat qui les représentait devant la SAR ait demandé à ce que l’avocat qui les avait représentés devant la SPR commente leurs allégations, ils n’ont jamais expressément renoncé au secret professionnel de l’avocat pour permettre à l’avocat qui les avait représentés devant la SPR de présenter des observations devant la SAR. Les demandeurs soutiennent que, en l’absence d’une renonciation expresse de la part de chacun des demandeurs, l’avocat qui les avait représentés devant la SPR a enfreint le secret professionnel de l’avocat en présentant une demande devant la SAR.

[31]  Cet argument ne saurait être retenu pour trois raisons :

  1. Comme l’a énoncé le juge Blanchard au paragraphe 10 de la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mahjoub, 2011 CF 887, lorsqu’une partie se fonde sur un avis juridique en tant qu’élément de sa demande ou de sa défense, le privilège qui se rattacherait par ailleurs à cet avis est perdu. J’estime qu’en soulevant la conduite de leur ancien avocat devant la SAR, les demandeurs ont implicitement renoncé au privilège du secret professionnel de l’avocat;
  2. Les demandeurs ont reçu copie de la lettre du 9 juin 2017 que l’avocat qui les avait représentés devant la SPR a envoyé à la SAR, et étaient donc tout à fait conscients de son intention de répondre aux allégations des demandeurs. Les demandeurs n’ont soulevé aucune objection à ce moment précis, et il leur est interdit de le faire de novo devant notre Cour;
  3. Avant qu’une partie puisse invoquer l’incompétence, la négligence ou toute autre conduite de leur ancien avocat comme motifs de réparation dans une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire fondée sur laLIPR, l’avocat actuel doit aviser l’ancien avocat par écrit et lui offrir la possibilité de répondre (Gombos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 850, aux paragraphes 17-18). Aucun avis de cette nature n’a été donné relativement à la présente demande.

C.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité des demandeurs sur le fondement de la demande présentée par l’avocat qui les avait représentés devant la SPR?

[32]  Les demandeurs font valoir que dès lors que les allégations contre l’avocat qui les avait représentés devant la SPR ont été retirées, la SAR aurait dû accorder peu de poids, voire aucun, à la preuve associée à ces allégations.

[33]  Je ne suis pas d’accord. La SAR disposait d’une déclaration solennelle souscrite par les demandeurs dans laquelle ils alléguaient l’inconduite de l’avocat qui les avait représentés devant la SPR, ainsi qu’une demande présentée par ce dernier comportant, entre autres, un affidavit souscrit qui disait le contraire. Bien que les demandeurs aient retiré leurs allégations, la preuve associée à ces allégations était toujours devant la SAR. La SAR a eu raison d’examiner la preuve contradictoire, de privilégier la preuve de l’avocat qui les avait représentés devant la SPR et de tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité des demandeurs dans son ensemble.

[34]  Qui plus est, il ressort de la décision de la SAR que sa conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas un témoin crédible reposait principalement sur les omissions dans le formulaire FDA et sur le « témoignage changeant, évasif et incohérent [du demandeur] au sujet d’événements clés ». La conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée sur la foi des déclarations solennelles contradictoires constituait simplement un facteur additionnel à l’appui de la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur n’était pas un témoin crédible.

V.  Conclusion

[35]  La demande est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-719-18

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de mars 2019.

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-719-18

 

INTITULÉ :

SHAMSAN MOFREH ET AL c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 JANVIER 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 JANVIER 2019

 

COMPARUTIONS :

Lawrence Cohen

POUR LES DEMANDEURS

Elinor J. Elstub

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Laurence Cohen

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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