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Date : 20190130


Dossier : IMM‑2252‑18

Référence : 2019 CF 128

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2019

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

NASSIM HABIB YOUSIF

ALIN BELLO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur principal (« DP »), Nassim Habib Yousif, est un citoyen de l’Iraq. Ancien membre de la Garde républicaine de l’Iraq, il a été déclaré interdit de territoire au Canada en raison de sa complicité dans des crimes contre l’humanité. Il sollicite le contrôle judiciaire du rejet de sa demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. Pour les motifs qui suivent, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée, car la décision de l’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire est raisonnable.

[2]  À titre préliminaire, l’intitulé de la cause est par les présentes modifié afin de désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration comme défendeur, à la demande de celui‑ci.

Contexte

[3]  La demande d’asile du DP a été rejetée en 2004 lorsque la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention par application de l’alinéa Fa) de l’article premier de la Convention et du protocole relatifs au statut des réfugiés (la « Convention ») du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, dont le Canada est signataire. Cette disposition prévoit que la Convention ne s’applique pas aux personnes qui ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité. Elle a également été enchâssée à l’alinéa 35(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[4]  Le DP aurait détenu le grade de soldat et aurait travaillé au sein de la Garde républicaine de l’Iraq, plus particulièrement dans la Division Hammurabi sous le régime de Saddam Hussein, qui a commis des crimes contre l’humanité dans les marais du sud de l’Iraq entre 1990 et 1995.

[5]  Le DP a repris contact avec Alin Bello, une citoyenne des États‑Unis (É.‑U.), lorsqu’il est arrivé aux É.‑U. et y a présenté une demande d’asile en mars 2002. Les deux s’étaient connus alors qu’ils vivaient en Iraq. En juin 2002, le DP est arrivé au Canada. Les demandeurs se sont mariés en octobre 2005 et ont commencé à vivre ensemble au Canada en septembre 2008. Ils ont deux fils nés au Canada qui ont la double citoyenneté, canadienne et américaine.

[6]  En 2004, le DP a déposé sa première demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. Cette demande a été rejetée en juillet 2012.

[7]  Entretemps, en septembre 2011, le DP a fait l’objet d’un examen des risques avant renvoi (ERAR) et a obtenu un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada le visant aux termes du paragraphe 114(1) de la LIPR, au motif qu’il serait exposé à des risques en tant que chrétien s’il devait retourner en Iraq.

[8]  Le DP a déposé une autre demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire avec son épouse en décembre 2012, qui a été rejetée en avril 2018. Bien qu’il ne puisse pas être renvoyé en Iraq, le DP n’a pas qualité de personne à protéger en raison de son interdiction de territoire. Il demande une dispense quant à l’interdiction de territoire afin de pouvoir devenir résident permanent du Canada et parrainer son épouse, une citoyenne des É.‑U. Le présent contrôle judiciaire vise le rejet de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

Décision faisant l’objet du contrôle

[9]  Le DP a présenté sa demande de résidence permanente avant l’entrée en vigueur des modifications législatives apportées à la Loi accélérant le renvoi des criminels étrangers, LC 2013, c 16, qui l’auraient empêché de présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en cas d’interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux.

[10]  Pour être considéré comme étant complice de crimes contre l’humanité et donc se voir refuser l’asile en application de l’alinéa 35(1)a) de la LIRP, le DP doit avoir apporté une contribution volontaire, consciente et significative aux crimes décrits. Ce critère a été établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 (Ezokola).

[11]  En l’espèce, l’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire a noté que, même si le critère de complicité avait été peaufiné dans l’arrêt Ezokola, les éléments de l’ancien critère établi dans l’affaire Ramirez c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 CF 306 (Ramirez) sur lequel la SPR a fondé sa décision du 29 mars 2004 constituaient des conclusions de fait qui demeuraient pertinentes.

[12]  Lorsqu’il a examiné le critère établi dans l’arrêt Ezokola selon lequel la contribution doit être volontaire, consciente et significative pour que la personne soit considérée comme étant complice d’un crime ou de l’intention criminelle d’un groupe, l’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire a tenu compte de la taille et de la nature de l’organisation ainsi que de la division particulière à laquelle le DP appartenait. Le DP faisait partie de la Division Hammurabi de la Garde républicaine. Étant donné les conclusions de fait antérieures et la preuve documentaire sur la situation dans le pays, le décideur a conclu que la Garde républicaine avait commis des crimes contre l’humanité dans les marais du sud de l’Iraq dans les années 1990, soit durant la période où le DP servait dans la Garde dans la région où ces crimes ont été commis.

[13]  L’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire a également tenu compte du poste, du grade, des fonctions et des activités du DP au sein de l’organisation. Le DP a affirmé qu’il était mécanicien pour l’armée iraquienne et qu’après avoir reçu une formation de base, il avait été muté à la Garde républicaine, mais n’avait pas suivi de formation sur le maniement d’armes et n’avait pas reçu d’arme non plus. La SPR a conclu qu’il était peu probable qu’une nouvelle recrue ne reçoive aucune formation sur le maniement d’armes pour ensuite être mutée à la Garde républicaine d’élite, particulièrement vu la preuve documentaire démontrant le contraire. Le DP n’avait pas été franc à propos de ses activités au sein de la Garde républicaine et de la Division Hammurabi entre 1990 et 1995 et il avait fourni des renseignements incohérents à plusieurs reprises, en plus de soumettre ce qui, selon la SPR, était des éléments de preuve frauduleux. Par conséquent, la SPR a tiré la conclusion de fait selon laquelle il n’était pas un soldat conscrit ordinaire, mais plutôt un membre actif de la Garde républicaine d’élite, connue pour sa grande loyauté envers le régime de Saddam Hussein. L’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire a en fin de compte accepté les conclusions originales de la SPR concernant l’interdiction de territoire.

[14]  Sur ce fondement, l’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire a conclu que le DP était au courant des crimes commis et qu’il devait avoir sciemment contribué à la perpétration de ces crimes d’une manière volontaire. L’agent a reconnu que, même si le DP était incapable d’obtenir le statut de résident permanent en raison des principes de la LIPR, il pouvait néanmoins rester au Canada et demander un permis de travail ou d’études en raison des obligations internationales du Canada en matière de non‑refoulement.

[15]  L’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire a jugé qu’il n’était pas nécessaire de prendre en considération les risques auxquels le DP pourrait être exposé en Iraq, car ces risques ne seraient que conjecturaux puisqu’il a été sursis à l’exécution de la mesure de renvoi le visant.

[16]  Lorsqu’il a examiné l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a reconnu que le rejet de la demande de résidence permanente du DP pourrait signifier que les enfants allaient être élevés par un seul parent jusqu’à ce que le DP obtienne un statut aux É.‑U., vu que son épouse est une citoyenne de ce pays. L’agent a noté que la famille avait plusieurs options, par exemple l’épouse du DP et leurs enfants pouvaient déménager dans une ville américaine située près de la frontière de Windsor (Ontario) où la famille demeure actuellement. Il a également noté qu’il s’agit des problèmes habituels découlant de la séparation d’une famille et que cela n’était pas suffisant pour accorder une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire.

[17]  Lorsqu’il a examiné tous les facteurs et les solutions de rechange, l’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire a jugé que le rejet de la demande de résidence permanente était approprié et légal, particulièrement compte tenu de l’engagement du Canada à l’égard des objectifs de la LIPR liés au refus d’octroyer un statut à ceux qui ont commis des crimes internationaux.

Norme de contrôle

[18]  La décision d’un agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire de ne pas accorder de dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR relève de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 39 (Kanthasamy)).

[19]  La norme de contrôle applicable aux décisions concernant l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard de questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable. La norme de la décision raisonnable est une norme déférente, et le caractère raisonnable d’une décision tient principalement à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

Questions en litige

[20]  Le DP soulève plusieurs questions qui peuvent être catégorisées ainsi :

a.  Considérations liées à l’interdiction de territoire

b.  Intérêt supérieur des enfants

c.  Autres facteurs d’ordre humanitaire

Analyse

a.  Considérations liées à l’interdiction de territoire

[21]  Le DP soutient que l’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire aurait dû suivre les conclusions qui ont été tirées à la suite de sa demande d’ERAR selon lesquelles il n’existe aucune preuve d’actes très graves. Il fait valoir que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte de la conclusion du délégué du ministre, qui a déclaré qu’il ne pouvait pas affirmer que la nature et la gravité des actes commis par le DP alors qu’il était membre de la Garde républicaine étaient importantes.

[22]  Cependant, la position du DP est incorrecte, car il a confondu le critère de non‑refoulement avec le critère d’interdiction de territoire pour complicité. La conclusion selon laquelle il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer l’existence d’actes très graves justifiant que le DP soit renvoyé dans un pays où il serait exposé à un risque n’est pas la même que la conclusion selon laquelle le DP est interdit de territoire pour avoir commis des crimes de guerre.

[23]  Le critère prévu à l’alinéa 115(2)b) de la LIPR est un critère bien précis qui établit dans quelles circonstances le principe de non‑refoulement peut être écarté, à savoir lorsque la personne a participé directement à des actes si graves ou été complice d’actes si graves qu’elle pourrait être renvoyée dans un pays où elle serait exposée à des risques (voir Nagalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 153, au paragraphe 84). Il s’agit d’un critère très exigeant à satisfaire et il diffère de celui de l’interdiction de territoire.

[24]  Le critère pour déterminer s’il y a interdiction de territoire aux termes de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR est établi dans l’arrêt Ezokola. Il s’agit de savoir si le DP a apporté une contribution volontaire, consciente et significative aux crimes contre l’humanité.

[25]  En l’espèce, l’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire n’avait pas à se pencher sur la question du renvoi du DP en Iraq. Il a reconnu que la mesure de renvoi faisait l’objet d’un sursis. L’agent devait plutôt se demander si le DP avait présenté suffisamment de facteurs d’ordre humanitaire permettant d’écarter la conclusion d’interdiction de territoire tirée à son égard. Lorsqu’il a examiné cette question, l’agent a adéquatement tenu compte de l’arrêt Ezokola pour appliquer le critère relatif à la complicité au titre de l’alinéa Fa) de l’article premier de la Convention et de la LIPR. Il s’agit d’un critère axé sur la contribution qui requiert une contribution à la fois « volontaire, consciente et significative au crime ou au dessein criminel d’un groupe » (au paragraphe 36).

[26]  L’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire a examiné le caractère volontaire de la contribution et a reconnu que, même si le service militaire est obligatoire en Iraq, le DP a choisi de rester dans les forces militaires plus longtemps que la période requise. Le DP a modifié son récit plusieurs fois concernant le temps passé dans l’armée, déclarant d’abord qu’il avait servi pendant 36 mois, puis qu’il n’avait servi que pendant un an avant de payer pour quitter l’armée. L’agent ne disposait d’aucune preuve pour en arriver à une conclusion différente de celle de la SPR. En outre, le DP est allé bien au‑delà de ce que l’on attendait de lui en rejoignant les rangs non seulement de la Garde républicaine d’élite, mais aussi de la Division Hammurabi d’élite au sein de la Garde républicaine. Ces promotions indiquent que son service était volontaire.

[27]  En ce qui concerne l’analyse de la question de savoir si le DP a apporté une contribution significative au crime ou au dessein criminel d’un groupe, l’arrêt Ezokola reconnaît au paragraphe 87 qu’une telle contribution n’a pas besoin de viser la perpétration de crimes identifiables précis, mais peut viser un dessein commun plus large d’une organisation. Comme le DP était membre du groupe le plus élite de l’armée iraquienne durant la période des crimes connus, cela indique en soi qu’il a contribué à un dessein criminel. L’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire a tenu compte de la preuve documentaire bien garnie pour déterminer que la Division Hammurabi était précisément affectée dans les marais du sud de l’Iraq dans le but d’y commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité pendant la période où le DP servait dans l’armée. De plus, le témoignage à l’effet contraire du DP était incohérent et non fondé. Ce dernier a été réputé avoir apporté une contribution significative aux crimes ou au dessein criminel du groupe.

[28]  Le DP soutient que la Garde républicaine comptait 150 000 membres au moment de son service, ce qui réduit considérablement la probabilité que ses actes aient eu une incidence significative sur les desseins criminels du groupe. Cependant, son argument selon lequel il n’aurait pas pu apporter une contribution significative parce qu’il n’était qu’un membre parmi 150 000 n’est pas fondé. Le fait qu’il y ait eu 150 000 membres dans l’armée ne l’absout pas de toute complicité. Même si la décision de principe antérieure Ramirez exigeait une « participation personnelle et consciente à des actes de persécution » (au paragraphe 15) pour qu’il soit possible de conclure à la complicité, ce n’est plus le cas depuis que le critère a été révisé dans l’arrêt Ezokola.

[29]  Le DP continue de se fonder sur les motifs rendus par le délégué du ministre à la suite de sa demande d’ERAR, selon lesquels les actes du DP ne peuvent être qualifiés de très graves. Cependant, des actes très graves et une contribution significative ne sont pas synonymes, comme le DP le fait valoir. Même si le DP affirme qu’il faut faire preuve de retenue envers les conclusions du délégué du ministre conformément à l’article 16 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, ces conclusions ne sont pas pertinentes dans le cadre de l’examen des motifs d’interdiction de territoire dont l’agent était saisi.

[30]  Enfin, pour être complice, la personne doit être au courant de la perpétration des crimes ou du dessein criminel du gouvernement et savoir que son comportement facilitera la perpétration des crimes ou la réalisation du dessein criminel (Ezokola, au paragraphe 89). D’après les renseignements sur le poste, le grade, la durée du service, les fonctions et les activités du DP au sein de l’organisation, et d’après la taille et la nature de l’organisation concernée, l’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire a jugé qu’il était déraisonnable de conclure que le DP n’était pas au courant des crimes commis par les forces armées iraquiennes en général et la Division Hammurabi de la Garde républicaine plus précisément. Le dossier du personnel militaire du DP, par exemple, indique qu’il a été formé pour manier des fusils d’assaut AK47 et que son certificat confirmant qu’il était mécanicien en Iraq n’était pas fiable, car il était truffé d’erreurs et avait été délivré des années après qu’il eut quitté l’Iraq. Même sans preuve documentaire pertinente, la déclaration du DP selon laquelle une nouvelle recrue sans aucune formation sur le maniement d’armes aurait eu le droit de se joindre à la Division Hammurabi de la Garde républicaine, une division d’élite, n’est pas crédible.

[31]  L’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire a raisonnablement conclu que le DP avait apporté une contribution volontaire, consciente et significative aux crimes contre l’humanité. Cette conclusion est raisonnable et appartient aux issues possibles et acceptables étant donné la preuve. Il faudrait des facteurs d’ordre humanitaire importants pour écarter cette conclusion d’interdiction de territoire.

Intérêt supérieur des enfants

[32]  Le DP soutient que l’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire a commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants. Il affirme que l’agent a formulé des hypothèses qui ne sont pas fondées sur la preuve.

[33]  Cependant, la décision montre que l’agent a tenu compte des options qui s’offrent aux demandeurs pour atténuer les conséquences de la séparation de la famille. Par exemple, il a noté que l’épouse et les enfants du DP pouvaient déménager dans une ville du Michigan près de la frontière afin d’être plus près de lui. Comme l’épouse du DP est une citoyenne américaine et que les enfants ont la double citoyenneté, canadienne et américaine, il s’agit d’une solution de rechange à la séparation de la famille.

[34]  L’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une situation où les circonstances de la famille justifiaient une dispense quant à une interdiction de territoire aussi grave que celle du DP. Bien qu’il soit idéal pour des enfants d’être élevés par leurs deux parents, la simple absence de l’un d’eux n’est pas nécessairement préjudiciable à l’intérêt supérieur des enfants.

[35]  L’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire a convenablement tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants du DP. Leurs intérêts ont été bien identifiés et définis et ont été examinés avec beaucoup d’attention eu égard à l’ensemble de la preuve (voir Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 39). Il est évident, d’après la décision, que l’agent a été « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants du demandeur (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 75).

[36]  Dans l’ensemble, il s’agit d’une conclusion raisonnable, car la difficulté de laisser sa famille derrière soi est inhérente au processus de renvoi et ne suffit généralement pas à justifier une décision favorable quant à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, particulièrement dans le cas d’une conclusion relative à l’interdiction de territoire pour un motif grave (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 612, au paragraphe 17).

[37]  Comme la Cour l’a déclaré dans l’affaire Sabadao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 815, au paragraphe 32, « [l]e degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi du parent exposera l’enfant doit être pondéré par rapport à d’autres considérations d’intérêt public, comme la répulsion que les crimes contre l’humanité inspirent au Canada ».

[38]  Vu ces considérations, la décision de l’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire selon laquelle le DP n’a pas démontré que les circonstances justifiaient l’octroi d’un statut de résident permanent pour des motifs d’ordre humanitaire est raisonnable.

Autres facteurs d’ordre humanitaire

[39]  Le DP soutient que l’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire n’a pas tenu compte adéquatement de son degré d’établissement au Canada, notamment du fait qu’il est au Canada depuis 16 ans, qu’il participe à la vie communautaire et qu’il a un emploi.

[40]  Bien que ces facteurs aient été pris en considération par l’agent, ils contrastaient avec ses préoccupations concernant la crédibilité du DP et, à la lumière des conclusions relatives à l’interdiction de territoire et de l’intérêt supérieur des enfants, ils ne suffisaient pas pour faire pencher la balance en faveur du DP. L’agent était particulièrement préoccupé par le fait que le DP ne pouvait expliquer pourquoi il avait quitté les É.‑U. et renoncé à sa demande d’asile dans ce pays alors que son épouse en était citoyenne.

[41]  L’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire a tenu compte du souhait de la famille de vivre ensemble au Canada, des antécédents professionnels positifs du DP au Canada, de sa longue période de résidence au Canada, du sursis de la mesure de renvoi le visant qui lui permet de rester au Canada et de ses liens sociaux au Canada. Toutefois, ces éléments pesaient moins lourd dans la balance que les facteurs justifiant l’interdiction de territoire.

[42]  L’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire a exercé son pouvoir discrétionnaire correctement; sa conclusion était raisonnable et elle commande la retenue.

[43]  Pour les motifs qui précèdent, le contrôle judiciaire est rejeté.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2252‑18

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé de la cause est modifié afin de désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration comme défendeur;

  2. Le contrôle judiciaire est rejeté;

  3. Il n’y a pas de question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de mars 2019

Mélanie Vézina, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2252‑18

INTITULÉ :

NASSIM HABIB YOUSIF et al c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

DATE DE LAUDIENCE :

LE 19 DÉCEMBRE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 30 JANVIER 2019

COMPARUTIONS :

Daniel L. Winbaum

POUR LE DEMANDEUR

Allison Engel‑Yan

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel L. Winbaum

Windsor (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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