Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190129


Dossier : IMM‑2435‑18

Référence : 2019 CF 119

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

JOZSEF PEIMLI

ROLAND PEIMLI

GEORGINA PEIMLI

MARK JOZSEF PEIMLI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Jozsef Peimli, sa fille, Georgina, et ses fils mineurs, Roland et Mark Jozsef, demandent le contrôle judiciaire de la décision dans laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a conclu qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2]  La SPR a conclu que les demandeurs avaient été victimes de discrimination plutôt que de persécution en Hongrie. Elle a néanmoins procédé à l’évaluation du caractère adéquat de la protection de l’État en Hongrie, et s’est penchée sur la question de savoir si les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur (une PRI) viable à Budapest.

[3]  La conclusion de la SPR sur le caractère adéquat de la protection de l’État en Hongrie était raisonnablement étayée par la preuve. Quant à son analyse de Budapest à titre de PRI viable, elle pourrait faire l’objet de critiques. Cependant, compte tenu des conclusions de la SPR relatives à l’absence de persécution et au caractère adéquat de la protection de l’État, cela ne suffit pas pour entacher la décision. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II.  Contexte

[4]  Les demandeurs sont des citoyens hongrois. Ils ont quitté la Hongrie parce qu’ils étaient victimes de discrimination en raison de leur origine rom. Monsieur Peimli affirme qu’il a été victime d’agressions à caractère raciste en juillet 2011 et en janvier 2012.

[5]  Monsieur Peimli est venu au Canada en mars 2012, après avoir confié sa famille aux soins d’un refuge. Sa femme, Auguszta Peimline Virag, et leurs enfants sont venus le rejoindre en avril 2012. Monsieur Peimli et ses enfants ont demandé l’asile, et leurs demandes ont été renvoyées à la CISR en avril 2012, avant d’être ultérieurement combinées. La femme de M. Peimli n’avait pas le droit de demander l’asile parce qu’elle avait déjà présenté, sans succès, une demande d’asile au Canada. Elle a demandé un examen des risques avant renvoi, mais a été déboutée. Monsieur Peimli et elle sont séparés depuis février 2018.

[6]  La SPR a entendu les demandes d’asile des demandeurs le 3 avril 2018, et elle les a rejetées le 2 mai suivant.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[7]  La SPR s’est dite préoccupée par la question de la crédibilité de M. Peimli, mais a affirmé que cela n’avait pas eu d’incidence sur le fondement des demandes. Elle a accepté l’identité des demandeurs ainsi que leur origine rom.

[8]  La SPR a déclaré que la discrimination dont avaient été victimes les demandeurs en Hongrie n’équivalait pas à de la persécution. Les demandeurs n’ont fourni aucun élément de preuve démontrant que des services sociaux ou des soins de santé leur avaient été refusés. En outre, M. Peimli occupait un emploi et avait un logement en Hongrie. La SPR a constaté que le gouvernement hongrois mettait en place différentes initiatives pour améliorer la situation des Roms, et elle a rejeté l’affirmation de M. Peimli selon laquelle il serait emprisonné pour itinérance en Hongrie. La SPR a donc conclu que la discrimination à laquelle étaient exposés les demandeurs en Hongrie avait des répercussions sur leur qualité de vie, mais qu’elle ne menaçait pas leurs droits fondamentaux.

[9]  La SPR a néanmoins examiné le caractère adéquat de la protection de l’État. Elle a fait observer que la Hongrie était une démocratie, et que les demandeurs devaient donc s’acquitter du lourd fardeau de démontrer que la protection de l’État était inadéquate (citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kadendo, [1996] ACF No 1376 (CA), au paragraphe 5). La SPR a affirmé que les demandeurs d’asile provenant de pays démocratiques devaient démontrer qu’ils avaient pris toutes les mesures raisonnables pour obtenir une protection de l’État (citant Peralta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 989, au paragraphe 18).

[10]  Monsieur Peimli a raconté deux incidents de violence raciale, et il a affirmé que les autorités n’avaient pas porté d’accusations. La SPR a soutenu, à cet égard, que les défaillances des autorités locales en matière de protection n’équivalaient pas à une protection inadéquate de l’État, en l’absence d’une preuve de l’existence d’une politique étatique plus générale (citant Zhuravlvev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 CF 3 (1re inst.), au paragraphe 31).

[11]  La SPR a aussi conclu que M. Peimli n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables pour obtenir la protection de l’État. En se fondant sur les rapports sur la situation en Hongrie, la SPR a conclu qu’il existait plusieurs organismes indépendants de surveillance de la police au pays, et que les individus avaient la possibilité de déposer des plaintes s’ils estimaient que la police n’avait pas traité leur cas de façon appropriée. La SPR a conclu que l’existence d’organismes de surveillance de la police appuyait le caractère adéquat de la protection de l’État (citant Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 188, au paragraphe 81).

[12]  La SPR a déterminé, après avoir appliqué le critère à deux volets établi dans Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, à la page 710 (CAF), que Budapest constituait une PRI viable pour les demandeurs. Selon ce critère, la SPR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté ou mis en danger dans la région du pays où se trouve la PRI. Par ailleurs, la situation dans la région de la PRI doit être telle qu’il serait raisonnable que le demandeur y cherche refuge.

[13]  En ce qui concerne le premier volet du critère, la SPR a fait observer que Budapest était le siège social de plusieurs organismes qui se consacraient à la protection des droits des minorités, et à ceux des Roms en particulier. Elle a conclu que la discrimination à laquelle étaient exposés les Roms à Budapest n’était pas particulièrement vive, mais qu’elle avait tendance à s’aggraver dans les régions rurales. Pour ce qui est du deuxième volet du critère, la SPR ne voyait rien qui puisse empêcher les demandeurs de déménager à Budapest.

IV.  Questions en litige

[14]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions en litige suivantes :

  1. L’évaluation faite par la SPR du caractère adéquat de la protection de l’État en Hongrie était‑elle raisonnable?

  2. L’évaluation faite par la SPR de l’existence d’une PRI était‑elle raisonnable?

V.  Analyse

[15]  Les conclusions de fait de la SPR, de même que son évaluation de la preuve, sont susceptibles de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Racz c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 824, aux paragraphes 19 à 21). La Cour n’interviendra que si la décision de la SPR n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[16]  Au paragraphe 17 de sa décision, la SPR a affirmé ce qui suit :

Après avoir examiné la preuve présentée en l’espèce, la SPR estime que la discrimination vécue par [M. Peimli] ne menace pas ses droits fondamentaux, mais nuit plutôt à sa qualité de vie dans son pays d’origine. […] La SPR conclut que, dans cette affaire, le demandeur d’asile a été victime de discrimination et que ce traitement n’atteint pas le niveau de la persécution.

[17]  Les demandeurs ne contestent pas cette conclusion. Cependant, ils soutiennent que les décisions sur les demandes d’asile nécessitent une analyse prospective, et que la SPR était donc tenue d’examiner le caractère adéquat ou non de la protection de l’État et l’existence d’une PRI. Ils affirment que l’analyse de la SPR comporte des lacunes sur ces deux points.

A.  L’évaluation faite par la SPR du caractère adéquat de la protection de l’État en Hongrie était‑elle raisonnable?

[18]  Les demandeurs affirment que la SPR leur a imposé un fardeau trop lourd en exigeant qu’ils démontrent le caractère inadéquat de la protection de l’État. Ils prétendent que la primauté du droit s’érode en Hongrie, et que les lois qui visent à lutter contre la discrimination peuvent ne pas être respectées. Comme l’a affirmé la juge Susan Elliott dans la décision Olah c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 899, au paragraphe 22 : « si la primauté du droit est entièrement érodée, il n’existe aucune institution démocratique de laquelle la présomption de la protection de l’État peut survenir ».

[19]  Les demandeurs soutiennent que la SPR s’est concentrée à tort sur l’existence de mécanismes de surveillance policière et d’initiatives gouvernementales visant à améliorer la protection de l’État pour les Roms, plutôt que sur l’efficacité de ces initiatives. Le ministre répond que l’analyse de la SPR a tenu compte tant des efforts de l’État que de leurs résultats, et que le niveau de protection doit être adéquat, pas parfait.

[20]  La SPR a reconnu que le système éducatif hongrois pouvait être discriminatoire à l’égard des enfants roms. Elle a néanmoins conclu que les programmes visant à aider les jeunes Roms dans leurs études étaient efficaces sur le plan opérationnel. Elle a également mentionné une poursuite d’intérêt public dans le cadre de laquelle un tribunal hongrois avait déterminé, pour la première fois, que la police s’était livrée à une discrimination négative à l’encontre de citoyens roms.

[21]  Les demandeurs affirment que la SPR a mal interprété la preuve selon laquelle la criminalisation de l’itinérance a bel et bien été sanctionnée par les associations de défense des libertés civiles et les tribunaux. Toutefois, la SPR a été saisie d’éléments de preuve démontrant que les personnes qui se présentent dans les bureaux d’entraide de la minorité rom dans la plupart des villes hongroises reçoivent une aide sociale et obtiennent un logement.

[22]  Bien que l’examen, par la SPR, des programmes gouvernementaux et des organismes de surveillance semble avoir été axé sur les efforts visant à améliorer les conditions sociales des Roms en Hongrie, il a également porté sur un certain nombre d’initiatives, notamment en matière d’éducation, de logement et de services de police, qui ont donné des résultats positifs. Je suis donc convaincu que la conclusion de la SPR concernant le caractère adéquat de la protection de l’État en Hongrie était raisonnablement étayée par la preuve. Il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve et de substituer son point de vue à celui du tribunal.

[23]  M. Peimli n’a pas été sans‑abri dans le passé, et il n’y a aucune raison de croire qu’il le sera s’il retourne en Hongrie. Les deux incidents violents qu’il a racontés ont donné lieu à des enquêtes policières. Rien dans la situation particulière des demandeurs ne donne à penser qu’ils seront victimes de persécution plutôt que de discrimination s’ils retournent en Hongrie.

B.  L’évaluation faite par la SPR de l’existence d’une PRI était‑elle raisonnable?

[24]  Les demandeurs s’appuient sur la conclusion du juge Yves de Montigny dans la décision Katinszki c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1326 [Katinszki], selon laquelle Budapest ne constitue pas une PRI viable pour les Roms en Hongrie :

[16] Par conséquent, je conclus qu’il n’était pas loisible à la Commission de conclure selon la prépondérance des probabilités qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés à Budapest. Le demandeur a subi des agressions à Budapest en raison de son origine ethnique rom. Il n’y a rien dans l’analyse de la Commission se rapportant à la PRI et il n’y a rien dans la preuve qui suggère que Budapest est plus sûre que tout autre endroit au pays, à part le fait que « Budapest est une grande ville » et qu’elle « héberge diverses organisations, et le gouvernement hongrois y offre des services gouvernementaux aux Roms qui sont victimes de discrimination […] » Ni la taille de la ville, ni les organisations énumérées n’offrent une protection efficace contre la persécution à Budapest.

[25]  Le ministre affirme que la SPR n’a pas jugé que Budapest était une PRI viable du seul fait de sa taille. Car sa conclusion selon laquelle les demandeurs n’étaient pas susceptibles d’être persécutés à Budapest reposait en partie sur son évaluation du caractère adéquat de la protection de l’État, qui tend à être plus solide dans les zones urbaines que dans les zones rurales. Au paragraphe 70 de sa décision, la SPR a déclaré ce qui suit :

Il est évident que Budapest n’est pas située dans une région reculée du pays. Budapest est la ville la plus densément peuplée de la Hongrie et c’est le principal centre politique et commercial du pays. La SPR estime que, si les demandeurs d’asile devaient déménager à Budapest, ils ne seraient pas exposés à la discrimination dont ils prétendent avoir été victimes dans les plus petites agglomérations où ils ont déjà vécu. En outre, même si les demandeurs d’asile devaient faire l’objet de discrimination à Budapest, j’estime que la protection de l’État à Budapest est plus qu’adéquate pour régler de tels problèmes éventuels. C’est pourquoi j’estime que les demandeurs d’asile disposent d’une PRI à Budapest.

[26]  Pour les raisons exprimées par le juge de Montigny dans la décision Katinszki, l’analyse faite par la SPR de Budapest en tant que PRI viable peut faire l’objet de critiques. Toutefois, étant donné les conclusions de la SPR concernant l’absence de persécution et le caractère adéquat de la protection de l’État, cela n’est pas suffisant pour entacher sa décision.

VI.  Conclusion

[27]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de mars 2019.

Karine Lambert, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2435‑18

 

INTITULÉ :

JOZSEF PEIMLI, ROLAND PEIMLI, GEORGINA PEIMLI ET MARK JOZSEF PEIMLI c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 JANVIER 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 JANVIER 2019

 

COMPARUTIONS :

Stephanie Fung

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.