Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20181205


Dossier : T-1887-17

Référence : 2018 CF 1198

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

LOUIS VUITTON MALLETIER S.A.; LOUIS VUITTON CANADA, INC.; CÉLINE; CHRISTIAN DIOR COUTURE, S.A.; GIVENCHY S.A.

demanderesses

et

AUDREY WANG, ALIAS NINI WANG, ALIAS NI YANG; M. UNTEL, ALIAS « MICHAEL »; CANADA ROYAL IMPORT & EXPORT CO. LTD.; FAISANT AFFAIRE COLLECTIVEMENT SOUS LE NOM DE NI FASHION, NIYANGBAZZA ET NI BAZZA, ET LIAN TONG COURIER SERVICE

défendeurs

ORDONNANCE MODIFIÉE ET MOTIFS

[1]  Le 17 janvier 2018, les défendeurs ont présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance annulant l’injonction Mareva accordée par la Cour le 14 décembre 2017, et condamnant les demanderesses à des dommages‑intérêts au montant de 10 000 $. À la fin de l’audience du 28 février 2018, la requête des défendeurs a été rejetée sur la base de brefs motifs exposés oralement. La question des dépens a été différée jusqu’au dépôt de nouvelles observations par les défendeurs. Ces observations ont maintenant été reçues.

I.  Contexte

[2]  Un bref exposé chronologique des faits et de l’historique des procédures sera utile pour replacer dans son contexte la requête des défendeurs.

[3]  Les demanderesses ont engagé la présente action contre les défendeurs par voie de déclaration datée du 6 décembre 2017. Les prétentions des demanderesses se fondent sur une contrefaçon et une commercialisation trompeuse de leurs marques déposées, ainsi que sur une production et une reproduction non autorisées de leurs œuvres protégées par le droit d’auteur.

[4]  Les demanderesses allèguent que les défendeurs personnes physiques, à savoir Audrey Wang, alias Nini Wang ou Ni Yang (Mme Wang), et son mari, Jun Yang, alias Michael Yang (M. Wang) (collectivement appelés les Wang), se livrent, depuis au moins 2008, à une contrefaçon constante, délibérée et flagrante des marques des demanderesses, ainsi qu’à une violation des droits d’auteur de la demanderesse, Louis Vuitton, par l’importation, l’offre en vente et la vente de marchandises contrefaites Louis Vuitton, Céline, Dior et Givenchy, y compris des articles revêtus de marques qui appartenaient aux demanderesses et étaient enregistrées à leurs noms, et qui reproduisaient largement les œuvres de Louis Vuitton protégées par le droit d’auteur.

[5]  Le 6 décembre 2017, après une longue enquête, les demanderesses ont déposé une requête ex parte afin d’obtenir une ordonnance Anton Piller contraignant les défendeurs à permettre l’accès à leurs locaux commerciaux et à leur lieu de résidence, et une injonction Mareva gelant les actifs des défendeurs. La requête devait être présentée aux prochaines sessions générales à Vancouver.

[6]  Une ordonnance Anton Piller a pour objet de garantir la préservation de documents qui intéressent le procès et qui, si avis du procès imminent est donné au défendeur, pourraient être détruits par celui-ci dans le dessein de se soustraire à ce procès. L’appellation a pour origine une affaire jugée par la Cour d’appel anglaise, Anton Piller KG c Manufacturing Processes Ltd. (1975), [1976] 1 Ch. 55 (C.A. Angl.). La Cour d’appel anglaise avait jugé qu’un tribunal était compétent pour rendre une ordonnance à l’égard d’une demande ex parte visant à obliger le défendeur à permettre au demandeur d’inspecter ses locaux pour en retirer des documents ou les y reproduire. Une injonction Mareva a pour objet la rétention d’actifs qui soient suffisants pour éviter au demandeur de se retrouver avec un jugement sans portée aucune, advenant que des dommages‑intérêts lui soient accordés à l’issue du procès.

[7]  Le 12 décembre 2017, la Cour a fait droit en partie à la requête des demanderesses. Elle a ordonné aux défendeurs d’autoriser l’entrée, dans leurs locaux, de personnes autorisées pour permettre à celles-ci de rechercher, inventorier, inspecter, préserver, reproduire et remettre sous la garde d’un avocat indépendant tout le matériel et tous les documents, éléments, dispositifs ou équipements ou toute marchandise ou partie de ceux‑ci (l’ordonnance Anton Piller). L’injonction Mareva a été refusée, cependant, car la preuve n’était pas suffisante pour établir un risque sérieux de dissipation d’actifs.

[8]  L’ordonnance Anton Piller autorisait l’entrée dans le magasin des défendeurs, au centre commercial Parker Place, ainsi que dans le domicile des défendeurs personnes physiques (le domicile des Wang).

[9]  L’ordonnance Anton Piller a été signifiée le 13 décembre 2017 aux deux endroits, à savoir à Mme Wang, dans le magasin du centre Parker Place, et à la mère de Mme Wang, au domicile des Wang. L’ordonnance a été expliquée en détail à Mme Wang par Paul Smith, désigné comme avocat indépendant conformément à l’alinéa 9b) de l’ordonnance. Madame Wang s’est vu offrir la possibilité d’obtenir un avis juridique, et remettre à cette fin une liste de noms et de numéros de téléphone d’avocats possibles, mais elle ne s’en est pas prévalue.

[10]  Madame Wang a refusé de remettre son téléphone à l’avocat indépendant comme l’exigeait l’alinéa 19 de l’ordonnance Anton Piller, mais elle a autorisé l’équipe de recherche à faire une perquisition dans le magasin du centre Parker Place, et à en retirer les éléments de preuve qui s’y trouvaient. Un grand nombre de produits, emballages, sacs, étiquettes et étiquettes volantes et cartes d’authenticité revêtus des marques de commerce des demanderesses ont été trouvés, puis retirés des lieux par l’avocat indépendant. Les demanderesses ont plus tard été en mesure de confirmer, à partir de photographies d’un échantillon représentatif de tels articles, que bon nombre de ceux-ci étaient des contrefaçons et non des marchandises authentiques des demanderesses.

[11]  L’ordonnance Anton Piller a aussi été exécutée au domicile des Wang. Comme dans le cas du magasin du centre Parker Place, un large éventail d’articles paraissant être des contrefaçons y était conservé, dont quelque 330 petits « sacs à main pour homme » arborant le motif de la marque Louis Vuitton, 17 petits sacs à main noirs et une série de documents qui semblaient se rapporter à l’achat de marchandises originaires de Chine. Durant l’exécution de l’ordonnance Anton Piller au domicile des Wang, un paquet adressé à Ni Ni Wang y a été livré. Il contenait des marchandises arborant toutes sortes de noms de marques, notamment des articles revêtus des marques de commerce des demanderesses dont plusieurs ont depuis été confirmés comme étant des contrefaçons.

[12]  Après l’exécution de l’ordonnance Anton Piller, les demanderesses ont déposé une deuxième requête en vue d’obtenir ex parte une injonction Mareva, requête qui se fondait sur deux faits additionnels ayant été portés à la connaissance des demanderesses durant l’exécution de cette même ordonnance. Premièrement, Mme Wang avait refusé de remettre son iPhone à l’avocat indépendant ainsi que l’exigeaient les dispositions de l’ordonnance. Les demanderesses ont allégué que Mme Wang avait subrepticement utilisé son téléphone pendant que les locaux commerciaux étaient perquisitionnés, dans le but d’en effacer ou d’en supprimer les éléments de preuve se rapportant aux prétentions des demanderesses, notamment des conversations sur WeChat et des images publiées montrant des articles contrefaits. Deuxièmement, parmi les éléments de preuve conservés par les demanderesses durant l’exécution de l’ordonnance Anton Piller se trouvait une série de documents faisant état de virements de fonds vers la Chine effectués par un ou plusieurs des défendeurs. Selon les allégations des demanderesses, les défendeurs avaient la capacité de virer des fonds de manière à ce que ceux-ci échappent à la juridiction de la Cour, et ils l’avaient d’ailleurs déjà fait par le passé. À la lumière de ces faits nouveaux, une injonction Mareva a été accordée au moyen d’une ordonnance datée du 14 décembre 2017, injonction qui avait essentiellement pour effet de geler les actifs des défendeurs.

[13]  Par une nouvelle ordonnance datée du 17 janvier 2018, la Cour a fixé un calendrier pour permettre aux défendeurs de déposer une requête en réexamen de l’injonction Mareva. En parallèle, l’ordonnance Anton Piller a été maintenue en tant qu’ordonnance interlocutoire de la Cour; M. Wang a été substitué à M. Untel à titre de défendeur; et la question des dépens afférents aux requêtes des demanderesses datées des 12 décembre 2017 et 14 décembre 2017 a été reportée jusqu’à l’instruction de la requête des défendeurs. Les défendeurs n’ont pris aucune mesure pour contester l’ordonnance Anton Piller.

[14]  Le 15 janvier 2018, les défendeurs ont déposé un dossier de requête visant à faire invalider l’injonction Mareva accordée le 14 décembre 2017, en alléguant que rien ne justifiait le dépôt d’une requête ex parte; que les demanderesses n’avaient pas fait une divulgation pleine et entière de tous les faits matériels; et que la preuve ne permettait pas de conclure à un risque sérieux que les défendeurs dissipent des actifs avant que le jugement ne soit rendu. Madame Wang a déposé un affidavit au soutien de la requête. Elle a été contre-interrogée de manière approfondie sur une période de deux jours.

II.  Le critère à appliquer relativement à une requête en annulation d’une injonction Mareva

[15]  Il s’agit ici d’une audience de novo, en ce sens que la Cour peut examiner des éléments de preuve auxquels n’a pas eu accès le juge ayant accordé l’ordonnance ex parte. À ce propos, c’est aux demanderesses qu’incombe le fardeau de prouver qu’elles ont droit à une injonction.

[16]  Le critère en trois volets à appliquer pour savoir si une injonction ordinaire devrait ou non être accordée consiste à se poser les questions suivantes : y a‑t‑il une question sérieuse à juger? Le demandeur subira‑t‑il un préjudice irréparable si l’injonction n’est pas accordée? Et la prépondérance des inconvénients milite‑t‑elle en faveur du demandeur? Le critère qui préside à l’obtention d’une injonction Mareva est semblable à celui qui s’applique à l’obtention d’une injonction ordinaire, sauf pour ce qui est de trois exigences. D’abord, le demandeur est astreint à une norme plus rigoureuse. En effet, il ne lui suffit pas de démontrer qu’il existe une question sérieuse à juger : il doit aussi établir une forte apparence de droit. Deuxièmement, le demandeur doit démontrer l’existence d’un risque réel d’aliénation ou de dissipation d’actifs faisant en sorte que, sans l’injonction recherchée, tout jugement rendu sera vide de sens. Troisièmement, le demandeur doit aussi établir qu’il subirait un préjudice irréparable si l’injonction n’était pas accordée. Une injonction de type Mareva n’est accordée que de manière occasionnelle, et dans les cas les plus manifestes.

III.  Analyse

A.  La forte apparence de droit

[17]  Les défendeurs ne contestent pas que les demanderesses ont satisfait à la première exigence. De fait, l’avocat des défendeurs a reconnu, durant l’instruction de la requête, que les demanderesses avaient présenté des arguments de poids, en particulier contre Mme Wang. Celles-ci ont produit huit affidavits au soutien de leur requête du 6 décembre 2017 visant à obtenir une ordonnance Anton Piller et une injonction Mareva. Les demanderesses ont aussi présenté deux affidavits supplémentaires au soutien de leur requête déposée le 14 décembre 2017 en vue de l’obtention d’une ordonnance contraignant Mme Wang à comparaître devant la Cour pour répondre à des accusations d’outrage au tribunal, et en vue d’un renouvellement de leur requête en injonction Mareva.

[18]  Les dix affidavits apportent une preuve détaillée et convaincante que les Wang se sont livrés à une contrefaçon et à une commercialisation trompeuse des marques déposées des demanderesses, ainsi qu’à une production et une reproduction non autorisées des œuvres des demanderesses protégées par le droit d’auteur. Il importe de noter qu’il n’y a pas eu contre‑interrogatoire des auteurs des affidavits des demanderesses, et que la preuve des demanderesses demeure non contredite.

[19]  Les demanderesses ont établi, grâce à leurs affidavits, une forte apparence de droit donnant à penser que Mme Wang, aidée de son mari et en se servant de leur commerce comme couverture, a, à maintes reprises et d’une manière flagrante et répétée, offert à la vente, et vendu, des contrefaçons d’articles « Louis Vuitton », entre autres produits contrefaits, que ce soit dans leur magasin ou en ligne.

B.  Le risque de dissipation d’actifs

[20]  Devant les preuves accablantes ainsi produites, les défendeurs ont plutôt choisi de faire porter leurs observations sur la seconde exigence. Il n’y a là rien d’étonnant, puisque la principale raison justifiant qu’une injonction Mareva soit accordée est la forte probabilité que des actifs soient soustraits à la juridiction de la Cour ou dissipés par un défendeur soucieux d’échapper à l’exécution d’un jugement. La réalité d’une menace de disparition d’actifs pour faire échec à un jugement ou pour en éviter les conséquences est essentielle : Marine Atlantic Inc c Blyth et al (1993) 113 DLR (4th) 501(CAF), au paragraphe 9.

[21]  Les défendeurs soutiennent que les demanderesses n’ont pas présenté à la Cour un portrait exact de leurs pratiques commerciales et, plus précisément, qu’elles ne se sont pas suffisamment renseignées sur les virements de fonds auxquels recourent les défendeurs. Selon les défendeurs, si l’on avait examiné minutieusement des documents financiers saisis lors de la perquisition menée dans leurs locaux, il serait apparu clairement que les défendeurs recouraient à des virements de fonds dans le cours normal de leurs activités. Je ne suis pas de cet avis.

[22]  Les documents trouvés au cours de l’exécution de l’ordonnance Anton Piller au domicile des Wang témoignent d’un nombre important de virements internationaux vers la Chine. Madame Wang déclare, au paragraphe 22 de son affidavit, qu’elle [traduction] « ne croit pas » que les virements se rapportent à des produits de marques de luxe. Cependant, elle n’a soumis aucune preuve pour établir que ces virements étaient, de fait, liés à un commerce légitime. Le bordereau d’expédition et les autres éléments produits par les demanderesses donnent à penser que quelques-uns au moins des virements se rapportaient vraisemblablement à l’achat de contrefaçons. En tout état de cause, même si les virements ont été faits pour des raisons personnelles ou commerciales légitimes, ils montrent l’aisance avec laquelle les défendeurs sont à même d’effectuer des virements internationaux. Ils ont la capacité de virer des fonds de manière à ce que ceux-ci échappent à la compétence de la Cour, et ils l’ont d’ailleurs fait par le passé. Les demanderesses n’ont pas à prouver que Mme Wang était précisément en train de transférer des actifs hors de la juridiction de la Cour dans le but de se soustraire aux effets de l’éventuel jugement, puisque l’action des demanderesses n’avait pas encore été engagée à la date de tels transferts. Or le risque de dissipation d’actifs est aggravé par l’exaspération non dissimulée de Mme Wang à l’égard des lois du Canada, et par la menace de déménager sa famille ailleurs qu’elle a proférée durant l’exécution de l’ordonnance Anton Piller.

[23]  J’en arrive à la question de la crédibilité de Mme Wang. Comme indiqué plus haut, les demanderesses ont apporté un solide commencement de preuve de contrefaçon impliquant l’importation continue et volumineuse, l’offre à la vente et la vente de marchandises contrefaites. Tout au long de son affidavit, Mme Wang s’efforce de paraître innocente. Elle affirme que son anglais écrit n’est pas aussi bon que son anglais parlé, et qu’elle connaît peu le système juridique et le monde des avocats. En outre, bien qu’elle reconnaisse, au paragraphe 16 de son affidavit, avoir été approchée en 2009 par des gens représentant diverses marques de luxe et avoir été avertie par eux qu’elle devait cesser de vendre des contrefaçons, sous peine de poursuites, elle ajoute qu’elle ne croyait pas que le public pourrait confondre la marchandise qu’elle vendait avec des produits de luxe.

[24]  Je ne suis pas impressionné par la prétendue naïveté ni le prétendu manque d’expérience de Mme Wang. L’ampleur et la portée considérable de la preuve non contredite produite par les demanderesses donnent à penser que les défendeurs se sont, sciemment et de façon répétée, livrés à une conduite malhonnête qui tient de la fraude et du vol. Cela étant, une conclusion défavorable est tirée contre les défendeurs en conséquence de leurs activités tout à fait clandestines, ainsi que de leurs antécédents de près d’une décennie dans la contrefaçon de marques.

[25]  La preuve qui m’a été soumise donne à penser que Mme Wang a vraisemblablement effacé de son iPhone des enregistrements de messages WeChat, et supprimé des images de produits contrefaits associées à son compte NiBazza WeChat, ou qu’elle a demandé à quelqu’un de le faire pour elle. Avant l’exécution de l’ordonnance Anton Piller, Mme Wang, en se servant de son application de messagerie WeChat, a informé Mme Christine Li Zhou, auxiliaire juridique travaillant pour le cabinet d’avocats des demanderesses à Vancouver, qu’elle serait présente au centre commercial Parker Place le 13 décembre 2017. Or, quand le contenu de l’iPhone de Mme Wang a été fouillé, les messages que Mme Wang avait échangés avec Mme Li Zhou, que ce soit le 13 décembre 2017 ou avant, n’y figuraient pas.

[26]  Il semble que les images de contrefaçons qui étaient publiées sur le compte NiBazza WeChat de Mme Wang, ou qui étaient associées à ce compte, aient toutes été supprimées le 13 décembre 2017, soit quelque temps après que Mme Zhou eut échangé des messages WeChat au moyen du compte NiBazza, juste avant l’exécution de l’ordonnance Anton Piller, et avant 23 heures. Même si ces images n’ont pas été supprimées par Mme Wang en personne, l’ordonnance Anton Piller interdisait aux défendeurs d’informer toute autre partie de l’action engagée ou de l’exécution de l’ordonnance. Mais aucune explication plausible n’a été donnée par les défendeurs pour justifier la suppression des renseignements. Au vu de la preuve que j’ai devant moi, une destruction d’éléments de preuve semble avoir été commise par Mme Wang.

[27]  Dans les paragraphes 22 à 54 de leurs observations écrites, les demanderesses ont énuméré de nombreuses contradictions ressortant du témoignage livré par Mme Wang en contre‑interrogatoire. Les voici : (i) contradictions concernant le profil WeChat de Mme Wang; (ii) contradictions concernant sa possession d’emballages et de produits contrefaits trouvés sur les lieux durant l’exécution de l’ordonnance Anton Piller; (iii) affirmation de Mme Wang selon laquelle elle se trouvait au centre commercial Parker Place, et non au domicile des Wang, avant l’exécution de l’ordonnance Anton Piller; (iv) contradictions concernant la signature de Mme Wang; (v) contradictions concernant des messages Facebook extraits de la tablette HTC recueillie au domicile des Wang; (vi) contradictions concernant des ventes réalisées au centre commercial Parker Place; et (vii) volonté manifeste de se soustraire aux exigences légales. Tout bien considéré, je suis d’avis que Mme Wang, au mieux, n’a aucune notion de ce qu’est la vérité.

[28]  Les éléments et pièces que la Cour a devant elle, en particulier les articles pris au domicile des Wang, ainsi que les extraits de dossiers en ligne et de relevés de téléphone cellulaire, témoignent d’une personne qui a une connaissance intime du monde de la contrefaçon. À titre d’exemple, Mme Wang a admis, devant un enquêteur, qu’à au moins une occasion, elle avait tout simplement abandonné des marchandises de contrefaçon quand elle avait dû s’en expliquer à la frontière Canada‑États‑Unis. De plus, les défendeurs ont à maintes reprises dissimulé leur négoce d’articles de contrefaçon en les soustrayant à la vue des consommateurs moyens, et en exposant [traduction] « quelques produits véritables » pour montrer aux clients qu’ils achetaient des produits authentiques. Il est impossible de croire Mme Wang quand elle prétend aujourd’hui qu’elle ne savait pas que les produits qu’elle vendait n’étaient pas authentiques. Un indice particulièrement accablant est une carte de visite provenant d’une entreprise en Chine et saisie au domicile des Wang. Elle portait, écrits à la main, les mots « Fendi » et [TRADUCTION] « contrefaçons ».

[29]  Les demanderesses ont également établi que Mme Wang n’avait pas fait preuve de diligence pour ce qui est de respecter l’injonction Mareva. Elle a concédé, en contre‑interrogatoire, avoir dépensé une partie des 3 000 $ en espèces provenant de sa maison sans en informer les demanderesses. Priée de dire si cet argent avait été dépensé, elle est restée évasive, refusant finalement de dire si l’argent avait été dépensé et, si oui, à quelle fin. Contrairement aux dispositions de l’injonction Mareva, les défendeurs n’ont pas informé les demanderesses que Mme Wong avait disposé de l’argent, puis l’avait dépensé, en plus des sommes retirées de la banque pour assumer les frais de subsistance.

[30]  Madame Wang a avoué avoir retiré des fonds de plusieurs de ses comptes après le 18 décembre 2017, moment où l’injonction Mareva lui fut signifiée, sans en informer les demanderesses ni rendre compte de ces retraits. Elle a aussi reconnu avoir tiré environ 2 500 $ de ventes réalisées au magasin du centre Parker Place, et avoir dépensé cet argent [traduction] « principalement pour assumer des frais de subsistance ». Ces sommes ont été dissipées sans avis aux demanderesses, ni compte rendu des dépenses totales autorisées selon l’injonction Mareva.

[31]  Madame Wang a tenté de minimiser ces manquements durant son contre‑interrogatoire; toutefois, cela montre simplement, de sa part, une attitude désinvolte à l’égard des obligations qui lui étaient imposées par l’injonction Mareva.

[32]  La conduite de Mme Wang permet amplement à la Cour de conclure qu’il existe un risque réel que les défendeurs aient dissipé leurs actifs, ou qu’ils les dissipent à l’avenir, s’ils n’en sont pas empêchés. Le fait d’agir en faisant peu de cas des obligations imposées à une partie par la Cour, ou d’une manière qui témoigne d’une volonté d’entraver le processus judiciaire, est un autre facteur justifiant d’accorder une injonction Mareva : Soleil Hospitality Inc c Louie, 2009 BCSC 1442, aux paragraphes 10 et 11.

C.  Le préjudice irréparable

[33]  Finalement, lorsqu’elles ont sollicité l’injonction Mareva, les demanderesses sont parvenues à établir que la dissipation d’actifs aurait pour effet d’affaiblir ou d’entraver leur aptitude à faire exécuter tout jugement qu’elles pourraient obtenir. Les défendeurs, pour leur part, n’ont produit aucune preuve indiquant le contraire. Ils soutiennent que la preuve conservée en conséquence de l’ordonnance Anton Piller donne aux demanderesses [traduction] « le moyen d’évaluer l’état des actifs des défendeurs ». Toutefois, bien que les demanderesses aient eu accès à certains documents financiers, elles n’avaient aucun moyen de vérifier si ces documents rendaient compte de la totalité des actifs des défendeurs.

[34]  Pour les motifs qui précèdent, la requête des défendeurs en annulation de l’injonction Mareva est rejetée.

[35]  La réclamation en dommages‑intérêts des défendeurs sera elle aussi rejetée, puisqu’elle dépendait de ce que les défendeurs démontrent que l’injonction Mareva n’avait pas été obtenue validement. Ils ne l’ont pas prouvé. Tout préjudice qu’ils ont pu subir est la conséquence naturelle de l’ordonnance gelant leurs actifs.

IV.  Dépens

[36]  Dans leurs observations écrites, les demanderesses réclamaient les dépens avocat‑client afférents à la requête des défendeurs, ainsi que les dépens afférents à leurs propres requêtes du 6 décembre 2017 (pour une ordonnance Anton Piller et une injonction Mareva) et du 14 décembre 2017 (pour un renouvellement de leur requête en injonction Mareva). À l’audience, les avocats des demanderesses ont fait savoir que celles-ci souhaitaient obtenir des dépens dans les six chiffres. Avec le consentement des parties, un ajournement a été accordé pour donner aux défendeurs l’occasion de déposer en réponse des observations à propos des dépens.

[37]  L’affaire a été retardée par suite de la décision des Wang de congédier leur avocat et d’agir en leur propre nom, et de leur requête pour que Mme Wang soit autorisée à représenter la défenderesse personne morale, Canada Royal Import & Export Co. Ltd. (Canada Royal). La requête a été finalement rejetée par le protonotaire Ring durant une conférence de gestion de l’instance.

[38]  Vu le passage du temps, et comme les défendeurs n’étaient pas représentés par un avocat, les demanderesses ont été priées de déposer des observations écrites justifiant les dépens sollicités, de même qu’un projet de mémoire de dépens. Le 13 août 2018, les Wang et le nouvel avocat de Canada Royal ont déposé des observations écrites en réponse.

[39]  Les demanderesses soutiennent que les dépens avocat‑client sont justifiés puisqu’elles ont eu gain de cause à l’égard des trois requêtes, ce à quoi il faut ajouter la masse de travail investie, la quantité de documents et, plus particulièrement, les frais additionnels engagés en raison de la conduite répréhensible des défendeurs, une conduite qui a indûment compliqué et prolongé les procédures.

[40]  Les défendeurs affirment que la question des dépens devrait être tranchée après le procès sur le fond. Subsidiairement, ils soutiennent que les demanderesses n’ont pas satisfait au critère de l’attribution de dépens avocat‑client. Selon les défendeurs, aucun élément de preuve suffisant ne démontre qu’ils vendaient des marchandises contrefaites portant atteinte aux marques des demanderesses, qu’ils ont agi incorrectement ou que Mme Wang a livré un faux témoignage ou ne s’est pas conformée aux ordonnances de la Cour.

[41]  Je pars du principe que, d’ordinaire, les dépens suivent le sort du principal. Les demanderesses ont pour l’essentiel obtenu gain de cause sur leur première requête, malgré l’injonction Mareva qui leur a été refusée. Par ailleurs, elles ont entièrement obtenu gain de cause relativement à leur deuxième requête et à leur contestation de la présente requête des défendeurs. En conséquence, je suis d’avis que les dépens afférents aux trois requêtes devraient être accordés aux demanderesses. Les points à décider sont alors les suivants : a) Quel est le juste montant des dépens? et b) Les dépens devraient‑ils être exigibles sans délai?

[42]  S’agissant du montant, le principe de base est qu’une adjudication de dépens doit être juste et raisonnable. En outre, il est de jurisprudence constante que les dépens avocat‑client sont accordés uniquement dans des circonstances exceptionnelles, lorsque la conduite d’une des parties au litige est jugée répréhensible, scandaleuse ou outrageante et mérite une réprimande ou un blâme (Microsoft Corp c Cerrelli, 2007 CF 1364, au paragraphe 5).

[43]  Les deux requêtes des demanderesses ont été déposées ex parte, et n’ont donc pas été contestées. Il n’y a par conséquent pas lieu d’accorder des dépens avocat‑client contre les défendeurs pour ce qui concerne ces deux requêtes. Toutefois, gardant à l’esprit la masse de travail investie et l’issue des requêtes, j’arrive à la conclusion que des dépens forfaitaires dépassant ceux prévus au milieu de la colonne III du tarif B devraient être accordés.

[44]  Des considérations différentes s’appliquent à la requête en annulation de l’injonction Mareva présentée par les défendeurs. Je conviens avec les demanderesses que la conduite des défendeurs lorsqu’ils ont déposé la requête était entachée de mauvaise foi. Madame Wang a produit, sous serment et en contre‑interrogatoire, un témoignage qui à plusieurs égards était manifestement faux. C’est le cas lorsqu’elle a affirmé, par exemple, qu’elle ne poursuivait pas d’activités commerciales en utilisant le compte NiBazza WeChat, ou qu’elle n’avait acheté que six ou sept articles de contrefaçon. Et, à d’autres égards, ce témoignage a fait ressortir des incohérences internes, par exemple à propos des ventes réalisées au magasin du centre Parker Place. Ailleurs, le témoignage de Mme Wang est faux, sans motif évident; par exemple lorsqu’elle a nié avoir reçu signification de l’injonction Mareva le 18 décembre 2017. Il est également raisonnable de conclure que Mme Wang, ou quelqu’un agissant sur ses instructions, a effacé ou supprimé des preuves pertinentes de ses appareils électroniques et du profil NiBazza WeChat, après l’exécution de l’ordonnance Anton Piller. Le choix de Mme Wang de produire des témoignages faux et incohérents, et sa volonté de faire fi de l’ordonnance Anton Piller —  vraisemblablement dans le dessein de supprimer ou d’effacer des preuves — ont considérablement accru la difficulté d’exécution de l’ordonnance Anton Piller et de l’injonction Mareva, et entravé la capacité des demanderesses de répondre à la requête des défendeurs.

[45]  Compte tenu du refus de Mme Wang de reconnaître des faits évidents, les demanderesses ont été contraintes de réexaminer la preuve avec minutie, et dans certains cas, de produire une preuve supplémentaire pour clarifier des points factuels d’importance mineure, afin de pouvoir démontrer clairement les contradictions de Mme Wang et réfuter sa [traduction] « version des faits ». En outre, un temps considérable a été consacré au contre‑interrogatoire de Mme Wang.

[46]  En se comportant ainsi, les défendeurs ont fait perdre beaucoup de temps et d’argent aux demanderesses. Ils se sont comportés d’une manière déplacée et outrageante au point que des dépens majorés sont justifiés pour ce qui concerne la requête des défendeurs, mais non les dépens avocat‑client.

[47]  Les demanderesses ont produit un mémoire de dépens faisant état de dépens avocat‑client s’élevant à 182 309,50 $, et de débours établis à 98 707,72 $ pour les trois requêtes. Par souci de simplicité, je suis disposé à accorder aux demanderesses les dépens qu’elles réclament pour leur première requête, pour leur présence à l’exécution de l’ordonnance Anton Piller et pour la deuxième requête en injonction Mareva, taxée approximativement d’après l’échelon supérieur du tarif B, et fixée à la somme de 27 000 $. Cette somme, ainsi que les débours connexes, sera payée aux demanderesses à l’issue de la cause, au lieu de l’être sans délai, le bien‑fondé de l’action des demanderesses restant encore à déterminer de façon définitive.

[48]  Quant aux dépens afférents à la requête des défendeurs, je considère qu’une somme de 44 000 $, représentant grosso modo la moitié des dépens avocat‑client des demanderesses, est raisonnable. Bien que cette approche soit imprécise, le calcul de dépens forfaitaires « n’est pas une science exacte, mais le résultat correspond à ce que le tribunal estime être une contribution raisonnable aux frais judiciaires effectivement engagés par la partie victorieuse » (Consorzio del prosciutto di Parma c Maple Leaf Meats Inc, 2002 CAF 417, au paragraphe 8). Cette somme, avec les débours, sera payée sans délai et quelle que soit l’issue de la cause : voir le paragraphe 401(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête des défendeurs est rejetée.

  2. L’injonction Mareva accordée par ordonnance le 14 décembre 2017 est maintenue en tant qu’injonction interlocutoire.

  3. Les défendeurs paieront les dépens afférents aux requêtes des demanderesses, datées du 6 décembre 2017 et du 14 décembre 2017, dépens fixés ici à la somme de 27 000 $, plus les débours de 71 835,81 $, suivant l’issue de la cause.

  4. Les défendeurs paieront les dépens afférents à leur requête datée du 17 janvier 2018, dépens fixés ici à la somme de 44 000 $, plus les débours de 26 871,91 $, quelle que soit l’issue de la cause.

  5. Chacun des défendeurs signifiera aux demanderesses, au plus tard le 15 janvier 2019, un affidavit donnant le détail de tous leurs actifs [évalués à 1 000 $ ou davantage], que les biens se trouvent au Canada ou à l’étranger, qu’ils soient inscrits ou non à leur propre nom et qu’ils leur appartiennent individuellement ou conjointement.

« Roger R. Lafrenière »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de février 2019.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1887-17

 

INTITULÉ :

LOUIS VUITTON MALLETIER S.A.; LOUIS VUITTON CANADA, INC.; CÉLINE; CHRISTIAN DIOR COUTURE, S.A.; GIVENCHY S.A. c AUDREY WANG, ALIAS NINI WANG, ALIAS NI YANG; M. UNTEL, ALIAS « MICHAEL »; CANADA ROYAL IMPORT & EXPORT CO. LTD.; FAISANT AFFAIRE COLLECTIVEMENT SOUS LE NOM DE NI FASHION, NIYANGBAZZA ET NI BAZZA, ET LIAN TONG COURIER SERVICE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 février 2018

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

Le juge LAFRENIÈRE.

 

DATE DES MOTIFS :

Le 28 novembre 2018

 

MODIFICATION DES MOTIFS

Le 5 décembre 2018

COMPARUTIONS :

Karen MacDonald

Mat Brechtel

 

POUR LES DEMANDEresses

 

Christopher M. Dafoe

 

POUR LES DÉFENDEurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DEMANDeresses

 

Taylor Veinotte Sullivan

Avocat

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DÉFENDEurs

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.