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Date : 20190305


Dossier : IMM‑3724‑18

Référence : 2019 CF 274

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 mars 2019

En présente de monsieur le juge Brown

ENTRE :

NAZAR BUTTRUS MOUSA AL‑HADDAD, FATIN ADWER ABDULMASIH HABABA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par les demandeurs en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, à l’encontre d’une décision rendue le 28 juin 2018 par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle les demandeurs n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger [la décision].

II.  Faits

[2]  Les demandeurs, qui sont mari et femme, sont des citoyens de l’Iraq. Leurs allégations sont résumées au paragraphe 3 de la décision :

[3]  Les demandeurs d’asile soutiennent qu’ils sont des Iraquiens chrétiens qui vivaient à Kirkuk, en Iraq. Ils affirment qu’ils étaient exposés à des préjudices dans cette ville du fait de leur religion, le demandeur d’asile ayant été menacé et agressé à son lieu de travail, une école publique où il exerçait les fonctions de directeur depuis 2003. Ils soutiennent que leur domicile a été la cible d’une attaque en août 2016, ce pour quoi ils se sont servis de visas des États‑Unis pour se rendre dans ce pays puis au Canada, où ils ont rejoint leur fille. Cette fille avait également présenté une demande d’asile; cette demande d’asile avait été rejetée, mais l’appel interjeté contre ce refus a été classé parce qu’elle a obtenu le statut de résident permanent au Canada grâce à une demande d’asile distincte de son époux, laquelle a été accueillie.

[3]  La demande d’asile de la fille des demandeurs, qui n’est pas une demanderesse en l’espèce, a été instruite le 13 février 2015 par le même commissaire de la SPR qui a instruit les demandes d’asile des demandeurs. Ce commissaire a rejeté la demande d’asile de la fille des demandeurs le 28 avril 2015 en se fondant en partie sur sa crédibilité. Comme nous le verrons, ce fait est important, car le commissaire de la SPR en l’espèce s’est fortement appuyé sur le témoignage antérieur de la fille des demandeurs pour rejeter la demande d’asile de ces derniers. D’autant plus, ce même commissaire avait conclu que la demande d’asile de la fille des demandeurs n’était en partie pas crédible. C’est d’ailleurs ce que démontre le passage suivant, dans lequel la SPR a privilégié les éléments de preuve qu’avait présentés la fille des demandeurs à ceux déposés par les demandeurs :

[4]  La principale question à trancher relativement à la présente demande d’asile est celle de la crédibilité. Les demandeurs d’asile soutiennent qu’ils vivaient à Kirkuk et qu’ils ont éprouvé un certain nombre de difficultés dans cette ville. Dans la demande d’asile de la fille des demandeurs d’asile amorcée en 2014, il a été déclaré qu’ils vivaient à Erbil. Pour les motifs exposés ci‑après, le tribunal conclut que les demandeurs d’asile n’ont pas présenté suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir qu’ils résidaient à Kirkuk comme ils l’allèguent, et qu’ils ont éprouvé les difficultés décrites dans la demande d’asile. Le tribunal est d’avis que les demandeurs d’asile n’ont pas dit la vérité quant à leurs antécédents en matière de résidence et à leurs expériences en Iraq. La preuve documentaire n’établit pas que les chrétiens sont exposés au risque d’être persécutés à Erbil.

[4]  La SPR a également conclu que les demandeurs disposent d’une possibilité de refuge intérieur [une PRI] sûr à Erbil.

[5]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, car les deux conclusions ne satisfont pas à la norme de la décision raisonnable établie par la Cour suprême du Canada.

III.  Questions en litige

[6]  Les demandeurs soulèvent un certain nombre de questions, mais j’estime que les principales questions à trancher concernent le caractère raisonnable de l’évaluation de la crédibilité et de la conclusion relative à l’existence d’une PRI. La question de l’équité procédurale est également soulevée.

IV.  Norme de contrôle et jurisprudence applicable

[7]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], aux paragraphes 57 et 62, la Cour suprême du Canada déclare qu’une analyse relative à la norme de contrôle n’est pas nécessaire lorsque « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». Il est bien établi que la norme de la décision raisonnable est la norme applicable aux décisions de la SPR : Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 828, par le juge Boswell, au paragraphe 9; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1273, par le juge LeBlanc, aux paragraphes 13, 21 et 22; Sater c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 60, par le juge de Montigny, au paragraphe 3.

[8]  Dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, par le juge Gascon, au paragraphe 55, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour de révision lorsqu’elle examine une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[55]  Lorsqu’une cour de révision examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, elle doit principalement s’intéresser à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », de même qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 14). Lorsqu’elle est appliquée à l’interprétation législative, la norme de la décision raisonnable reconnaît que le décideur, titulaire de pouvoirs délégués, est le mieux placé pour comprendre les considérations de politique générale et le contexte qu’il faut connaître pour résoudre toute ambiguïté dans le texte de loi (McLean, par. 33). Les cours de révision doivent par ailleurs éviter de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Khosa, par. 64). Fondamentalement, la norme de la raisonnabilité reconnaît qu’il peut légitimement y avoir de multiples issues possibles, même lorsque celles‑ci ne correspondent pas à la solution optimale que la cour de révision aurait elle‑même retenue.

[9]  La décision traite également de la PRI, qui comporte deux volets qui doivent être examinés : (1) le risque de persécution, et (2) le caractère raisonnable de la réinstallation du demandeur dans le cadre de la PRI : Hamdam c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 643, par le juge en chef Crampton :

[10]  Le critère de possibilité de refuge intérieur comporte deux volets.

[11]  Premièrement, dans le contexte de l’article 96 de la LIPR, la SPR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas de risque sérieux de persécution pour le demandeur dans la région du pays où il existe une possibilité de refuge intérieur (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, au paragraphe 593 (FCA) [Thirunavukkarasu]). Selon le critère correspondant dans le contexte de l’article 97, la SPR doit être convaincue que le demandeur ne sera pas exposé à un danger décrit à l’alinéa 97(1)a) ou à un risque décrit à l’alinéa 97(1)b).

[12]  Deuxièmement, aux fins des articles 96 et 97 de la LIPR, la SPR doit établir qu’en toutes les circonstances, y compris les circonstances propres au demandeur, les conditions dans la région du pays où il existe une possibilité de refuge intérieur font en sorte qu’il ne serait pas objectivement déraisonnable pour le demandeur d’y trouver refuge avant de chercher refuge au Canada (Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 597). À cet égard, lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable, la barre est [traduction« très haute » et « nécessite rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité du demandeur s’il devait voyager ou se relocaliser temporairement » dans la région où il existe une possibilité de refuge intérieur (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164, au paragraphe 15 (CAF) [Ranganathan]). Autrement dit, il faudrait démontrer que le demandeur « s’exposerait à un grand danger physique ou […] subirait des épreuves indues pour se rendre » à la possibilité de refuge intérieur (Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 598) pour déterminer objectivement un caractère déraisonnable en l’espèce. En outre, le demandeur doit présenter « une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions » pour que sa demande d’asile au Canada soit acceptée (Ranganathan, précité, au paragraphe 15).

[10]  Les questions d’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43. Cela dit, je tiens à souligner que, dans l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, au paragraphe 69, la Cour d’appel fédérale affirme qu’il peut être nécessaire de « procéder selon la norme de la décision correcte “en se montrant respectueux [des] choix [du décideur]” et en faisant preuve d’un “degré de retenue” : Ré:Sonne c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, 455 N.R. 87, au paragraphe 42 ». Cependant, voir l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69.

[11]  Dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 50, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour de révision lorsqu’elle examine une décision selon la norme de la décision correcte :

[50]  […] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur.  En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose.  La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

[12]  La Cour suprême du Canada nous explique également qu’un contrôle judiciaire n’est pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34. De plus, une cour de révision doit décider si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte au vu du dossier, est raisonnable : Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir également Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

V.  Analyse

[13]  À mon humble avis, la décision de la SPR ne respecte pas l’exigence relative « à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » établie dans l’arrêt Dunsmuir, car le commissaire s’est appuyé sur la preuve produite par la fille des demandeurs et a privilégié cette preuve à celle produite par les demandeurs, plus particulièrement la preuve documentaire déposée par ces derniers, qui comprenait des cartes d’identité et une carte de résidence délivrées par le gouvernement, une carte de rationnement, et des passeports iraquiens délivrés récemment.

[14]  Les demandeurs ont présenté à la SPR de nombreux documents délivrés par le gouvernement pour prouver qu’ils habitaient à Kirkuk. Toutefois, la SPR a tiré la conclusion suivante :

[11]  Les certificats de citoyenneté, les cartes d’identité, le certificat de mariage et la carte de résidence ont tous été délivrés en 2009 ou avant cette date, ce qui signifie qu’ils ne sont en rien pertinents pour trancher la question de savoir si les demandeurs d’asile ont subséquemment déménagé à Erbil. Les certificats de baptême attestent leur religion, sans toutefois établir leurs antécédents de résidence.

[15]  Tout d’abord, tous ces documents étaient authentiques; la SPR n’a même pas laissé entendre le contraire. Je ne suis pas convaincu que, pendant son analyse, la SPR a tenu compte de la présomption selon laquelle les documents délivrés par un gouvernement sont présumés valides à moins d’une preuve du contraire et qu’elle a appliqué cette présomption de manière adéquate : Ramalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 10 (QL) (1re inst.), par le juge Dubé, au paragraphe 5. Voir aussi Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14, par le juge Grammond, au paragraphe 65, pour obtenir une interprétation plus récente du droit.

[16]  Il n’est pas contesté que les passeports des demandeurs ont été délivrés à Kirkuk le 16 mars 2015 et le 14 janvier 2015. La SPR n’a pas cherché à expliquer comment la présomption de validité de ces passeports délivrés par le gouvernement a été réfutée, et, à mon avis, il est évident que ces documents sont importants pour établir la résidence. Encore une fois, ces passeports sont authentiques. Nous ignorons pourquoi la preuve produite par la fille des demandeurs a été privilégiée à ces documents officiels.

[17]  La carte de résidence et la carte de rationnement des demandeurs ont été délivrées à Kirkuk. La carte d’identité du mari a été délivrée à Kirkuk le 10 février 2007, et la carte d’identité de la femme a été délivrée le 14 décembre 2014, et non en 2009 ou avant comme l’a affirmé à tort la SPR. Même si elle a été délivrée en 2009, la carte de résidence du mari (il n’y a pas de carte de résidence pour la femme) était authentique. J’estime pertinent de mentionner qu’il est précisé dans la réponse à la demande d’information IRQ104655.EF contenue dans le cartable national de documentation [le CND] sur l’Iraq que « la carte de résidence avait pour objet de prouver le lieu de résidence ». Les demandeurs affirment que, s’ils avaient déménagé, leur carte de résidence et leur carte de rationnement de Kirkuk auraient été remplacées par une carte de résidence et une carte de rationnement d’Erbil, et que leurs passeports auraient été délivrés à Erbil et non à Kirkuk. Il en ressort donc qu’il est nécessaire de tenir compte de la présomption de validité et de déterminer si elle doit être rejetée, ce qui n’a pas été fait. Nous ne savons pas non plus pourquoi la SPR a privilégié la preuve produite par la fille des demandeurs à cet égard.

[18]  Il ne fait aucun doute que la SPR doit faire preuve d’une déférence considérable lorsqu’elle examine la preuve documentaire. D’autres préoccupations sont toutefois soulevées en l’espèce, notamment en ce qui a trait au fait que le tribunal n’a pas tenu compte de la carte de rationnement apparemment authentique du mari, qui a été délivrée en 2013 pour la période 2014‑2015. Après examen, le tribunal a conclu qu’il « n’a pas observé quoi que ce soit sur l’original qui mettrait en doute sa validité ». Cependant, la carte de rationnement n’a pas été prise en compte, car ce document « n’établit pas clairement que les demandeurs d’asile résidaient principalement ailleurs qu’à Erbil à ce moment ». Je ne suis pas convaincu qu’un critère aussi précis – à savoir qu’il faut déterminer qu’un document « n’établit pas clairement » le lieu de résidence – doit être appliqué à chaque document examiné. Ce même critère rigoureux a été appliqué à d’autres documents examinés par le tribunal, qui s’est demandé si les documents « ne font pas clairement foi du lieu de résidence ».

[19]  Bien que la Cour ait des réserves à l’égard de l’examen de la preuve documentaire, elle s’interroge principalement sur le manque d’intelligibilité et de transparence dont a fait preuve le commissaire de la SPR en s’appuyant sur la preuve produite par la fille des demandeurs, alors que ce même commissaire avait refusé la preuve produite par la fille des demandeurs pour des raisons de crédibilité. Cet élément n’est pas expliqué adéquatement.

[20]  En ce qui concerne la question de l’équité procédurale, les demandeurs affirment que la SPR aurait dû assigner leur fille à témoigner avant de s’appuyer largement sur la preuve qu’elle avait déposée. Le défendeur affirme effectivement que les demandeurs auraient pu appeler eux‑mêmes leur fille à témoigner. J’estime que la suggestion selon laquelle l’équité procédurale exigeait que la SPR oblige la fille des demandeurs à participer à l’audience n’est pas fondée.

[21]  En ce qui concerne la PRI, les demandeurs mentionnent dans leur mémoire que des [traduction] « obstacles juridiques » les empêchaient de considérer Erbil comme une PRI. À l’audience, ils ont fait référence au CND du Canada sur l’Iraq, qui renferme un document daté d’avril 2016 rédigé par le Conseil danois pour les réfugiés, où il est précisé que [traduction] « […] pour travailler ou s’établir dans la région du Kurdistan iraquien (KRI) [où se trouve Erbil, modif.] un parrainage est requis dans la pratique ». Sans un tel parrainage, [traduction] « les citoyens iraquiens obtiendront un permis de séjour d’une semaine. Un diplomate occidental a déclaré que personne n’a besoin d’être parrainé pour entrer dans la région du KRI, mais que les citoyens iraquiens doivent être parrainés pour travailler dans la région du KRI ». De plus, le rapport mentionne que [traduction] « […] le parrainage, dans la pratique, est toujours en vigueur ».

[22]  Il semble que le parrainage est nécessaire pour travailler à Erbil. Toutefois, cette constatation n’a pas été prise en compte par la SPR, et ce, en dépit de son importance pour tirer une conclusion relative à l’existence d’une PRI.

[23]  Puisque cet argument n’a pas été expliqué en détail avant l’audience, on a accordé au défendeur du temps supplémentaire pour déposer une réponse écrite, dont voici un extrait :

[traduction]

Premièrement, à l’audience, on a demandé au demandeur principal (le demandeur) s’il disposait d’une PRI à Erbil. Il a déclaré qu’il aurait pu vivre à Erbil si on ne l’y avait pas menacé (DCT, transcription, page 624). À aucun moment pendant l’interrogatoire du commissaire ou de son avocat n’a‑t‑il mentionné qu’il ne pouvait pas vivre à Erbil en raison d’obstacles juridiques.

Deuxièmement, la demande des demandeurs était fondée sur la religion (chrétienne) et l’origine ethnique (chaldéenne) (DCT, exposé circonstancié du formulaire FDA, page 375). Le document daté d’avril 2016 rédigé par le Conseil danois pour les réfugiés, intitulé The Kurdistan Region of Iraq (KRI): Access, Possibility of Protection, Security and Humanitarian Situation (La région du Kurdistan iraquien (KRI) : accès, possibilité de protection, sécurité et situation humanitaire), qui est reproduit aux pages 50 à 254 du DCT, précise que la nécessité de parrainage a été abolie en 2012 (DCT, point 2.1.1, page 63), mais que, dans la pratique, des parrainages peuvent encore être nécessaires. Ce document précise également qu’un parrainage n’est toutefois pas nécessaire pour certaines personnes qui correspondent à un certain profil ethnique ou religieux (DCT, point 2.1.3, pages 63 et 64). Le document mentionne aussi que les chrétiens sont généralement autorisés à entrer à Erbil sans avoir déjà des documents de résidence (DCT, point 2.1.7.2, pages 64 et 65). De plus, les chrétiens éprouvent moins de difficultés et n’ont pas nécessairement besoin d’être parrainés (DCT, point 2.8.1, pages 75 et 76).

Par conséquent, compte tenu de la situation particulière des demandeurs, il se pourrait qu’ils n’aient pas besoin d’être parrainés s’ils déménageaient à Erbil. Les demandeurs n’ont pas parlé de l’application de ces exigences lors de leur audience pour démontrer qu’ils ne disposeraient pas d’une PRI, alors qu’il leur incombait de le faire.

[24]  J’estime que cet argument confirme tout au plus que la nécessité de parrainage est incertaine. À mon humble avis, ce manque de clarté montre qu’il est nécessaire que la SPR examine ces renseignements contraires importants, ce qu’elle n’a pas fait.

VI.  Conclusion

[25]  En prenant du recul et en considérant la décision comme un tout, j’estime qu’elle est déraisonnable. En gardant à l’esprit qu’un contrôle judiciaire n’est pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur, la conclusion défavorable de la SPR quant à la crédibilité repose sur sa conclusion relative à la résidence des demandeurs. À cet égard, la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables, car la conclusion relative à la résidence des demandeurs ne se justifie pas au regard des faits et du droit, conformément au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir. De plus, la conclusion relative à l’existence d’une PRI ne peut tenir étant donné que la nécessité de parrainage n’a pas été étudiée en tenant compte des renseignements contraires ou contradictoires contenus dans le CND. Par conséquent, le contrôle judiciaire sera ordonné.

VII.  Question certifiée

[26]  Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3724‑18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvel examen, qu’aucune question n’est certifiée, et qu’il n’y a aucune adjudication des dépens.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de mai 2019

Manon Pouliot, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3724‑18

 

INTITULÉ :

NAZAR BUTTRUS MOUSA AL-HADDAD, FATIN ADWER ABDULMASIH HABABA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 FÉVRIER 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

lE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 MARS 2019

 

COMPARUTIONS :

John Rokakis

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Margherita Braccio

 

pour le DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Windsor (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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