Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190305


Dossier : IMM‑2178‑18

Référence : 2019 CF 273

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE]

Toronto (Ontario), le 5 mars 2019

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

ROLANDE PIERRE MEFEUSSOM TAGNE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATIOIN

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Mme Rolande Pierre Mefeussom Tagne, est une citoyenne du Cameroun. Dans l’affaire dont je suis saisie, elle sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SAR a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse à l’égard d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) et a confirmé la décision par laquelle cette dernière a conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). La demande de contrôle judiciaire est déposée au titre du paragraphe 72(1) de la LIPR.

[2]  La question déterminante que la SAR devait trancher concernait la possibilité de refuge intérieur (PRI). Le tribunal a examiné longuement la preuve dont il disposait et a conclu que la demanderesse avait une PRI viable à Yaoundé, la capitale du Cameroun. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision était raisonnable et que la présente demande doit être rejetée.

I.  Contexte

[3]  La demanderesse est arrivée au Canada en 2013 à titre d’étudiante. Elle affirme que, pendant qu’elle étudiait au Canada, son père a organisé son mariage avec un conseiller influant (appelé « notable ») du chef de Bahouan, le village de sa famille au Cameroun. Dans le cadre de cet arrangement, son père a accepté une somme d’argent considérable du notable, qui a refusé tout remboursement.

[4]  La demanderesse mentionne que le notable exerce un pouvoir important sur les autorités traditionnelles et policières dans tout le Cameroun et que sa famille est victime de persécution parce qu’elle refuse de l’épouser. Sa famille a été bannie de Bahouan et vit maintenant à Douala et à Yaoundé, deux grandes villes du Cameroun. La demanderesse allègue que les membres de sa famille ont fait l’objet de menaces et de harcèlement de la part du notable et d’autres autorités traditionnelles. Elle indique que sa mère est le seul membre de sa famille qui appuie sa décision de ne pas épouser le notable.

[5]  La demanderesse soutient que, si elle retourne au Cameroun, elle sera forcée d’épouser le notable et de subir une mutilation génitale féminine (MGF). Elle affirme qu’elle sera tuée à son retour si elle continue de refuser le mariage et qu’elle ne sera en sécurité nulle part au pays.

II.  Décision de la SPR

[6]  La demande de protection présentée par la demanderesse a été instruite par la SPR le 12 mai 2016. La SPR a jugé que la demanderesse n’était pas crédible et a conclu qu’elle n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Elle a analysé la preuve soumise par la demanderesse et conclu que celle‑ci n’avait pas établi les éléments essentiels de sa demande, à savoir : que sa famille avait été sérieusement menacée par le notable et le chef de Bahouan; que sa famille exerçait des pressions sur elle afin qu’elle épouse le notable; et que le notable et le chef avaient de l’influence sur la police de Bamendjou, un village voisin, de Douala ou de Yaoundé ou sur les fonctionnaires publics.

[7]  La demanderesse a interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[8]  La décision est datée du 18 avril 2018. La SAR a conclu que la demanderesse avait une PRI viable à Yaoundé et a rejeté l’appel.

[9]  La SAR a admis certains nouveaux éléments de preuve déposés par la demanderesse et, comme ces nouveaux éléments soulevaient des questions sérieuses concernant sa crédibilité, elle a tenu une audience le 31 janvier 2018. Le 27 mars 2018, la SAR a invité la demanderesse à présenter des observations concernant une PRI à Yaoundé. Ni la demanderesse ni son avocat n’a répondu à cette invitation.

[10]  La SAR a d’abord examiné si la famille de la demanderesse avait été menacée par le notable et le chef de Bahouan. Le tribunal a examiné la preuve dont disposait la SPR, les conclusions défavorables de celle‑ci et les deux lettres que la SAR a admises en preuve, soit une lettre de la mère de la demanderesse concernant la dot que son mari avait reçue pour marier sa fille au notable et une lettre du chef de Bahouan, dans laquelle il a banni la famille de la demanderesse du village. Se fondant sur ces nouveaux éléments de preuve, la SAR a conclu que la famille de la demanderesse était en conflit avec les autorités traditionnelles de Bahouan.

[11]  Comme il a été mentionné précédemment, la question déterminante que la SAR devait trancher concernait la possibilité de refuge intérieur pour la demanderesse à Yaoundé. Le tribunal a conclu qu’elle pouvait vivre en sécurité à Yaoundé, citant le critère en deux étapes relatif à la PRI établi dans la jurisprudence : selon la prépondérance des probabilités, il n’y avait pas de risque sérieux que la demanderesse soit persécutée à Yaoundé et la situation dans cette ville était telle qu’il ne serait pas déraisonnable que la demanderesse y cherche refuge compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui lui sont propres.

[12]  La demanderesse craignait que le notable puisse la trouver partout au Cameroun grâce à la magie noire, son influence personnelle sur la police et les politiciens, et son réseau de connaissances dans leur groupe ethnique. La SAR a conclu que la crainte subjective de persécution de la demanderesse n’était pas fondée parce qu’elle n’avait pas réussi à prouver ce qui suit :

  • - sa sœur, Sandrine, a été convoquée au poste de police de Yaoundé en 2015;

  • - le notable l’a cherchée, la cherche ou continuera de la chercher à Yaoundé;

  • - le notable possède un magasin ou toute autre entreprise ou d’autres intérêts à Yaoundé;

  • - le notable serait en mesure de la trouver à Yaoundé;

  • - elle pourrait être forcée de l’épouser à Yaoundé.

[13]  La SAR a examiné chacune des allégations précédentes en détail. Le tribunal a conclu que l’allégation de la demanderesse selon laquelle Sandrine avait été convoquée à un poste de police à Yaoundé n’était étayée par aucune preuve documentaire et n’avait été soulevée par la demanderesse qu’à l’audience devant la SPR. Le tribunal a tiré une conclusion défavorable du caractère tardif de l’allégation et de l’absence de preuve documentaire. La SAR a reconnu que la sœur de la demanderesse, Judith, avait été harcelée lors d’un incident à son domicile à Douala et que cet incident avait un lien avec le mariage arrangé, mais il n’y a pas eu de harcèlement à Yaoundé où Sandrine vit en sécurité depuis quelque temps. Le tribunal a conclu que rien ne prouvait que le notable poursuivait la famille de la demanderesse à Yaoundé.

[14]  Lorsqu’elle a évalué la portée et l’influence du notable à Yaoundé, la SAR a observé que la demanderesse n’avait fourni aucune preuve documentaire concernant la présence d’une entreprise du notable dans la ville ni aucune preuve que le notable pouvait la trouver ou la poursuivre à Yaoundé, une ville de plus de 2,5 millions d’habitants. Le tribunal n’était pas convaincu que la communauté de Bahouan à Yaoundé tenterait activement de persécuter la demanderesse en l’obligeant à se marier. La SAR a également conclu que le dossier ne contenait aucun élément de preuve établissant que le notable ou le chef de Bahouan exerçait une influence sur la police de Yaoundé.

[15]  La demanderesse a affirmé qu’elle serait forcée à se marier si elle retournait au Cameroun et vivait à Yaoundé. La SAR a examiné la preuve documentaire sur le Cameroun concernant le profil des femmes qui étaient forcées de se marier et de subir une MGF. Le tribunal a déclaré que les mariages forcés étaient plus prédominants dans les régions rurales, chez les familles pauvres et moins instruites, mais étaient de plus en plus rares dans les centres urbains. La SAR a indiqué que la demanderesse était instruite, faisait partie de la classe moyenne et qu’elle ne correspondait pas au profil d’une femme à risque d’être mariée de force. Bien qu’il subsiste un danger pour les femmes vivant en milieu urbain qui sont ramenées dans leur village, la demanderesse n’a jamais eu de résidence à Bahouan et sa famille ne retourne plus au village puisque le chef les a bannis. La SAR a conclu que les autorités traditionnelles au Cameroun perdaient de leur influence et de leur légitimité, particulièrement dans les villes, et que l’influence du notable ne s’étendrait pas jusqu’à Yaoundé.

[16]  En ce qui a trait à la question de savoir si Yaoundé était une PRI raisonnable pour la demanderesse, la SAR a indiqué que la demanderesse est bien instruite et qu’elle détient un diplôme en commerce international, un baccalauréat en gestion de la qualité ainsi qu’un diplôme d’études supérieures en ressources humaines. Elle possède également une expérience de travail au Cameroun et au Canada. Bien que les femmes camerounaises aient de la difficulté à se trouver un emploi, Yaoundé pouvait se vanter d’avoir le deuxième pourcentage le plus élevé au pays de femmes occupant des emplois rémunérés autres que dans le domaine de l’agriculture (34 %). La demanderesse a soutenu qu’elle ne serait pas capable de trouver du travail à Yaoundé en raison de l’influence du chef et du notable, mais la SAR a conclu que cet argument n’était pas étayé par la preuve. Le tribunal a indiqué que la demanderesse ne connaîtrait pas de difficultés excessives pour se rendre à l’aéroport international de Yaoundé à partir du Canada. La SAR a également observé que la demanderesse parle anglais et français couramment et qu’elle n’avait pas fait mention d’un quelconque empêchement de pratiquer sa foi catholique à Yaoundé.

[17]  En conclusion, la SAR a jugé que Yaoundé représentait une PRI sûre et raisonnable pour la demanderesse et a confirmé la décision de la SPR.

IV.  Question en litige et norme de contrôle

[18]  La question en litige dans la présente demande est celle de savoir si l’évaluation que la SAR a faite de la PRI était raisonnable.

[19]  Il est bien établi que l’évaluation d’une PRI par un décideur concerne des questions  mixtes de fait et de droit et qu’elle est susceptible de contrôle par la Cour suivant la norme de la décision raisonnable (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 719, aux paragraphes 8 à 10; Figueroa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 521, au paragraphe 13; Kamburona c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1052, au paragraphe 18). Ainsi, l’évaluation par la SAR d’une PRI à Yaoundé pour la demanderesse commande la déférence (Figueroa, au paragraphe 13). Dans l’affaire Tariq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1017, au paragraphe 14, le juge Boswell a expliqué la raison derrière la déférence de la Cour :

[14] [...] En outre, comme la Cour l’a noté dans Lebedeva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1165 au paragraphe 32, [2011] ACF no 1439, les décisions concernant une PRI « appellent la retenue de la Cour parce qu’elles concernent non seulement l’évaluation des circonstances propres au demandeur, circonstances relatées par son témoignage, mais également une compréhension intime de la situation qui règne dans le pays concerné. »

V.  Analyse

[20]  Le concept d’une PRI fait partie intégrante de la définition de réfugié au sens de la Convention. Si un demandeur peut trouver refuge dans son propre pays, il n’y a pas lieu de conclure qu’il est incapable de se réclamer de la protection de ce pays ou qu’il n’est pas prêt à le faire. Le critère en deux étapes permettant de déterminer s’il existe une PRI viable a été établi par la Cour d’appel fédérale (CAF) dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) :

  1. La SAR doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans le refuge intérieur proposé;

  2. La situation dans la partie du pays où il existe une PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de s’y réfugier, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui lui sont propres.

[21]  Ce critère a été cité à de nombreuses reprises dans la jurisprudence de la Cour. Dans l’affaire Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA) (Thirunavukkarasu), la CAF a confirmé qu’il incombait au demandeur d’asile de démontrer qu’il y avait un risque sérieux de persécution dans la PRI et que la situation dans cette PRI est telle qu’il est déraisonnable d’y chercher refuge. Comme le juge Linden l’a déclaré dans cette affaire :

En conclusion, il ne s’agit pas de savoir si l’autre partie du pays plait ou convient au demandeur, mais plutôt de savoir si on peut s’attendre à ce qu’il puisse se débrouiller dans ce lieu avant d’aller chercher refuge dans un autre pays à l’autre bout du monde. Ainsi, la norme objective que j’ai proposée pour déterminer le caractère raisonnable de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est celle qui se conforme le mieux à la définition de réfugié au sens de la Convention. Aux termes de cette définition, il faut que les demandeurs de statut ne puissent ni ne veuillent, du fait qu’ils craignent d’être persécutés, se réclamer de la protection de leur pays d’origine et ce, dans n’importe quelle partie de ce pays. Les conditions préalables de cette définition ne peuvent être respectées que s’il n’est pas raisonnable pour le demandeur de chercher et d’obtenir la protection contre la persécution dans une autre partie de son pays.

[22]  La demanderesse concède la deuxième partie du critère relatif à la PRI, reconnaissant qu’elle pourrait raisonnablement s’installer à Yaoundé compte tenu de son passé et de ses études. Elle affirme toutefois qu’elle serait exposée à un risque sérieux de persécution de la part du notable ou de personnes assujetties à son influence à Yaoundé. La demanderesse soutient que la conclusion de la SAR selon laquelle le notable n’a pas d’influence jusqu’à la capitale était de nature spéculative et que le tribunal n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve qu’elle avait présentés. Elle fait également valoir que les distinctions que le tribunal a établies entre Yaoundé et Douala, l’autre grand centre urbain du Cameroun, étaient déraisonnables et qu’il n’y a pas de différence importante entre les deux villes. Elle affirme que, si le notable peut exercer une influence à Douala en ciblant sa sœur, il est également capable de le faire à Yaoundé. Enfin, la demanderesse soutient que la SAR lui a imposé un fardeau plus lourd que celui qui est requis en droit en l’obligeant à présenter une preuve documentaire pour étayer sa demande.

[23]  Le défendeur soutient que l’analyse que la SAR a faite de Yaoundé en tant que PRI viable était complète et raisonnable. Le tribunal a utilisé le bon critère et n’a pas commis d’erreur en jugeant que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le notable avait une motivation continue et la capacité de la poursuivre jusqu’à Yaoundé. Le défendeur précise que la demanderesse a le fardeau de démontrer qu’elle serait exposée à un risque sérieux de persécution à Yaoundé et soutient que ses observations visent à inverser le fardeau de la preuve. Il fait valoir que les questions soulevées par la demanderesse dans la présente demande ne sont qu’une simple invitation à la Cour de soupeser la preuve à nouveau.

[24]  Bien que j’aie examiné attentivement les arguments de la demanderesse, je conclus que la décision était raisonnable. La SAR n’a pas commis d’erreur en concluant que la preuve ne suffisait pas à établir que la demanderesse serait exposée à un risque sérieux de persécution à Yaoundé. L’examen que le tribunal a fait de la preuve soumise par la demanderesse et de la preuve documentaire concernant le Cameroun était détaillé. Même si la demanderesse prétend le contraire, la SAR a examiné tous ses éléments de preuve et a expliqué, dans chaque cas, ses conclusions défavorables par rapport à la possibilité que le notable puisse la trouver et la blesser à Yaoundé.

[25]  Dans une large mesure, les arguments de la demanderesse sont fondés sur l’hypothèse incorrecte voulant que la SAR soit tenue de démontrer qu’elle ne serait pas exposée à un risque de persécution à Yaoundé. Cependant, il est évident que la SAR a adéquatement soulevé la question de l’existence d’une PRI à Yaoundé et a invité la demanderesse à présenter des observations. Une fois informée d’une PRI, la demanderesse était tenue d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait un risque sérieux de persécution. Elle n’a toutefois pas répondu à l’invitation de soumettre des observations, et la SAR a donc dû examiner l’influence présumée du notable à Yaoundé en fonction de la preuve dont elle disposait. L’affaire Chaudry c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1998] ACF no 1169, sur laquelle la demanderesse s’est fondée ainsi que son argument selon lequel la décision était fondée sur des spéculations ne sont pas convaincants. La SAR disposait d’éléments de preuve concernant l’expérience vécue par sa sœur à Yaoundé, l’expérience de sa famille ailleurs dans le pays, l’influence en déclin des autorités traditionnelles et la fréquence des mariages forcés dans les centres urbains du Cameroun. La SAR a simplement conclu que la preuve dont elle disposait était insuffisante pour que la demanderesse s’acquitte de son fardeau.

[26]  La demanderesse conteste trois aspects des conclusions de la SAR. Premièrement, elle conteste la conclusion du tribunal selon laquelle le notable n’exerçait pas une influence suffisamment importante à Yaoundé pour être en mesure de la trouver et de la blesser. Deuxièmement, la demanderesse soutient que l’analyse que la SAR a faite de Yaoundé à titre de grand centre urbain où les autorités traditionnelles comme le notable et le chef ont un pouvoir diminué était spéculative et contraire à la preuve documentaire. Troisièmement, elle affirme que la distinction établie par le tribunal entre les expériences de sa famille à Yaoundé et à Douala était déraisonnable.

[27]  La preuve que la demanderesse a présentée pour démontrer qu’elle ne serait pas en sécurité à Yaoundé se limitait à un prétendu incident où Sandrine a été convoquée à un poste de police dans la ville et à une affirmation générale selon laquelle le pouvoir du notable s’étendait jusqu’à Yaoundé.

[28]  La description que la demanderesse a faite de l’incident concernant Sandrine a été rejetée par la SAR, qui ne la trouvait pas crédible. La demanderesse n’a fourni aucun autre élément de preuve démontrant que sa famille avait été poursuivie à Yaoundé par le notable ou par des personnes agissant en son nom, ou que le notable l’avait cherchée dans la ville.

[29]  De manière générale, la portée et l’influence alléguées du notable à Yaoundé étaient centrales à l’affaire de la demanderesse. La SAR a raisonnablement observé que la demanderesse n’avait fourni aucun élément de preuve concernant les entreprises du notable, sa résidence ou d’autres liens dans la ville. La demanderesse affirme que, en exigeant de tels éléments de preuve, la SAR lui a imposé un fardeau de la preuve excessif. Je ne suis pas d’accord. La demanderesse était tenue de corroborer sa crainte de persécution à Yaoundé et a choisi de ne pas le faire.

[30]  La demanderesse remet également en question l’analyse que la SAR a faite de Yaoundé comme grand centre urbain où l’influence traditionnelle du notable était diminuée et où les mariages forcés et les MGF étaient rares. Elle affirme que les conclusions du tribunal étaient fondées uniquement sur la taille et l’urbanisation de la ville. La demanderesse renvoie à la preuve documentaire qui indique que les femmes adultes instruites sont encore susceptibles d’être mariées de force.

[31]  La SAR a examiné la preuve documentaire concernant le Cameroun sur laquelle reposait la décision. Le tribunal a reconnu que les mariages forcés et la MGF sont encore présents et que la preuve documentaire à cet égard était mixte. Il a conclu que de telles traditions étaient en déclin au Cameroun, particulièrement chez les femmes adultes instruites vivant en région urbaine. Cette conclusion repose sur la preuve documentaire. La réponse à la demande d’information sur laquelle se fonde la demanderesse indique que les femmes instruites de plus de 18 ans peuvent être forcées de se marier si elles font l’objet d’un mariage arrangé depuis longtemps, mais ajoute ce qui suit :

[traduction]

Par contre, la représentante du ministère de la Promotion de la femme et de la Famille a affirmé qu’à son avis, les mariages forcés sont [traduction] « courants » à Yaoundé et à Douala, mais que « [g]énéralement, il est impossible qu’une femme de 18 ans et plus qui est scolarisée ou qui a une bonne situation économique puisse être victime d’un mariage forcé, car elle a acquis les compétences nécessaires pour survivre ».

[32]  La demanderesse a approximativement 30 ans et a fait des études postsecondaires importantes. Elle a toujours vécu à Douala et à Yaoundé et a travaillé au Cameroun et au Canada. À mon avis, la conclusion de la SAR selon laquelle la demanderesse n’a pas démontré qu’elle risquait d’être forcée à se marier et à subir une MGF si elle vivait à Yaoundé était raisonnable.

[33]  La demanderesse soutient également que les conclusions de la SAR concernant l’influence décroissante des gens comme le notable dans les centres urbains étaient de nature spéculative et fondées sur des généralisations. Cependant, les observations de la SAR concernant le pouvoir diminué des autorités traditionnelles au Cameroun sont compatibles avec la documentation sur le pays qui se trouve au dossier. En ce qui a trait au notable lui‑même, la demanderesse n’a pas fourni d’élément de preuve démontrant qu’il avait ou qu’il continuait d’avoir une influence dans la ville. Comme la SAR l’a mentionné, elle n’a fourni aucun nom, rapport médiatique ou anecdote particulière pouvant indiquer que le notable exerçait un pouvoir quelconque sur la police ou les politiciens dans tout le Cameroun.

[34]  Enfin, la demanderesse fait valoir que la SAR a établi une distinction non fondée entre Yaoundé et Douala. Elle affirme que le caractère urbain des deux villes est semblable. La demanderesse indique que le tribunal a reconnu qu’à une occasion, Judith avait été victime de harcèlement à Douala de la part d’individus agissant pour le compte du notable. Elle soutient que cet élément qui prouve la capacité du notable de poursuivre sa famille à l’extérieur de Bahouan et dans un centre métropolitain signifie qu’il est également probable qu’elle soit victime de harcèlement à Yaoundé.

[35]  Bien que la SAR ait accepté l’élément de preuve présenté par la demanderesse concernant l’expérience vécue par sa sœur à Douala, rien ne prouvait que le notable avait approché des membres de la famille de la demanderesse à Yaoundé. À mon avis, il s’agit là de la distinction essentielle de l’évaluation des deux villes par la SAR. Le tribunal a précisément écarté l’allégation de la demanderesse selon laquelle Sandrine avait été tenue de se présenter au poste de police de la ville en raison de l’influence du notable. De plus, la SAR a fait remarquer que Sandrine vivait en toute sécurité dans la même maison à Yaoundé depuis le départ du Cameroun de la demanderesse en 2013.

[36]  La conclusion de la SAR selon laquelle la demanderesse pouvait vivre en sécurité à Yaoundé n’est pas contredite par la preuve au dossier. L’expérience vécue par sa sœur à Douala ne rend pas les conclusions de la SAR concernant l’absence de toute activité, présence ou influence de la part du notable à Yaoundé déraisonnables. À mon avis, la conclusion de la SAR selon laquelle la demanderesse n’a pas établi qu’il y avait un risque sérieux qu’elle soit victime de persécution de la part du notable à Yaoundé était raisonnable et compatible avec la preuve.

VI.  Conclusion

[37]  La demande sera rejetée.

[38]  Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et il ne s’en pose aucune en l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2178‑18

LA COUR STATUE :

1.  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de mai 2019

Mélanie Vézina, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2178‑18

 

INTITULÉ :

ROLANDE PIERRE MEFEUSSOM TAGNE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

calgary (alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 21 NOVEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 5 MARS 2019

 

COMPARUTIONS :

Dalwinder S. Hayer

 

POUR LA DEMANDERESSE

Camille N. Audain

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dalwinder S. Hayer

Avocat

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.