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Date : 20190306


Dossier : T-1202-18

Référence : 2019 CF 272

Ottawa (Ontario), le 6 mars 2019

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

ENTREPRISE PUBLIQUE ÉCONOMIQUE AIR ALGÉRIE, MONTRÉAL, QUÉBEC

demanderesse

et

YACINE HAMAMOUCHE

défendeur

et

ME SOPHIE MIREAULT

mise en cause

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Yacine Hamamouche a porté plainte contre une entité désignée comme Entreprise Publique Économique Air Algérie, Montréal, Québec, en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail  (L.R.C. (1985), ch. L-2), ci-après le [CCT], pour ce qu’il allègue être un congédiement injuste. La plainte est datée du 13 juin 2017 pour un congédiement allégué du 26 avril 2017.

[2]  Le service fédéral de médiation et conciliation a désigné la mise en cause comme arbitre pour traiter de la plainte. Or, avant même que l’affaire puisse être entendue à son mérite, l’employeur s’est objecté à ce que l’affaire puisse être entendue par l’arbitre, soumettant que celle-ci est sans compétence. Comme l’a affirmé à répétition l’avocat de la demanderesse à l’audience devant cette Cour, la demanderesse ne reconnaît pas la compétence de l’arbitre et devrait donc pouvoir obtenir cette détermination dès maintenant. L’arbitre a entendu les parties sur l’objection préliminaire et s’est prononcée le 23 mai dernier. L’arbitre a conclu avoir compétence.

[3]  C’est de cette décision interlocutoire très préliminaire dont l’employeur recherche le contrôle judiciaire devant notre Cour en vertu de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. (1985), ch. F‑7). Il en résulte évidemment que la Cour n’est en aucune manière appelée à se pencher sur les faits de cette affaire et à opiner s’il y a eu congédiement, ou si le congédiement serait injuste. De fait, comme on le verra, la Cour a finalement très peu d’information sur la trame factuelle de cette affaire, ce qui rendrait une décision inopportune.

[4]  Au cœur du débat se trouve la convention de détachement temporaire à l’étranger entre les parties. M. Hamamouche a un contrat de travail avec « Air Algérie », passé en Algérie et, selon toute vraisemblance, en vertu du droit algérien, et il a bénéficié d’une entente de détachement lui permettant de venir travailler au Canada pour l’entité demanderesse. Cette entente de détachement prévoit à son article 12 une clause d’élection de for dans le cas d’un « différend né à l’occasion de l’exécution de la présente convention » qui persisterait après avoir tenté de le régler à l’amiable; la clause indique que « le Tribunal d’Alger/ Section Sociale [...] est seul compétent pour statuer sur le litige inhérent à l’exécution de la présente convention». La demanderesse en l’espèce argue que cette clause a préséance sur une compétence alléguée par l’arbitre. Elle recherche un contrôle judiciaire de cette décision interlocutoire très préliminaire.

I.  Les faits

[5]  La seule preuve devant la Cour sur les faits sous-jacents à cette affaire est celle fournie par affidavit; elle consiste essentiellement en un historique de la relation de travail entre M. Hamamouche et Air Algérie.

[6]  M. Hamamouche, un citoyen d’Algérie, est entré au service d’Entreprise Publique Économique, Société par Actions EPE/SPA « Air Algérie » le 8 mars 2004. On nous dit qu’elle est la société mère d’Entreprise Publique Économique Air Algérie, Montréal, Québec dont on sait peu. Le contrat de travail, long d’une page et demie, est à durée indéterminée pour du travail à temps plein en qualité de « steward de bord ». Le contrat peut être résilié sans préavis en cas d’inaptitude médicale, d’inobservation des obligations professionnelles et de fautes disciplinaires graves.

[7]  Jusqu’à la fin de 2014, les fonctions de M. Hamamouche ont été exécutées à partir de l’Algérie. La convention de détachement temporaire à l’étranger était datée le 4 janvier 2015, mais le détachement avait commencé le 1er janvier. M. Hamamouche avait signé la convention le 24 décembre, à Alger. Le défendeur venait à Montréal pour y exercer les fonctions de Chef des services commerciaux auprès de la Représentation Générale pour le Canada/Montréal. Nous n’en savons pas plus. L’entente était pour une durée d’un an. À l’expiration du terme, le défendeur est rappelé à ses fonctions en Algérie, Air Algérie se réservant la faculté de renouveler le détachement en fonction des besoins.

[8]  Il semble que le défendeur soit resté en poste après le terme de son entente, soit après le 31 décembre 2015, puisque le défendeur n’a fait l’objet d’un rappel formel que par une décision du 12 mai 2016, effective le 30 juin 2016; mais les circonstances de cette prolongation sont inconnues à ce jour. On ne sait ce qui s’est passé, mais la date du 30 juin n’aura pas été maintenue non plus puisqu’une nouvelle décision (31 juillet 2016) de l’employeur a continué le détachement à compter du 1er juillet 2016 jusqu’à la fin de l’année. La décision du 31 juillet stipule : « La présente décision non renouvelable prend effet du 01 Juillet 2016 au 31 décembre 2016 ». On apprend d’un courriel du 8 janvier 2017, soit bien après l’expiration du terme de renouvellement qui avait été dit « non renouvelable », que la position de M. Hamamouche était inconnue; le 12 janvier, on indique qu’il avait pris un congé de 10 jours à compter du 21 décembre 2016. Il serait resté cinq jours de congé à épuiser. On ne sait rien de plus sur le statut de M. Hamamouche durant les périodes qui ne sont pas couvertes par des décisions mises au dossier devant cette Cour. C’est le cas pour la période des premiers mois de 2016, et c’est très certainement le cas pour les premiers mois de 2017.

[9]  Rien n’est dit au sujet des premiers mois de 2017. La décision suivante est datée du 4 avril 2017 et on y indique que le défendeur est détaché à compter du 1er avril 2017 jusqu’au 31 janvier 2018 « auprès de la Représentation Générale pour le Canada/Montréal en qualité de Chef des Services Commerciaux ». Cela semble correspondre au titre du poste pour lequel il avait été détaché originellement à Montréal. Mais cette décision n’aura pas fait long feu puisqu’une dernière décision était prise abruptement le 26 avril 2017 avec «(l)e rappel immédiat en Algérie de Monsieur Hamamouche Yacine », la décision prenant « effet à compter de la date de sa signature ». M. Hamamouche « est réaffecté à la Direction des Opérations Aériennes ».

[10]  À ce stade préliminaire, l’on ne sait pas pourquoi le rappel immédiat à la suite d’un détachement temporaire d’une année, qui a été prolongée à la suite d’un processus dont on ne sait rien dans un contexte obscur, constituerait un congédiement alors même que la documentation indique une réaffectation à la Direction des Opérations Aériennes. Dit autrement, on ne sait rien des faits sous-jacents. Tout au plus, nous savons que la demanderesse s’est opposée à ce que la mise en cause soit saisie du mérite de cette affaire parce qu’elle ne serait pas compétente à cause d’une clause d’élection de for dans l’entente de détachement.

[11]  Vient s’ajouter à la difficulté que les faits de l’affaire sont inconnus l’absence de décision de quiconque sur la portée de la clause d’élection de for de l’article 12 de la convention de détachement temporaire à l’étranger. La demanderesse a pris pour acquis à ce stade que cette clause fait en sorte que l’arbitre qui devrait étudier la possibilité d’un congédiement injuste n’a pas compétence puisque les parties ont convenu que le litige relatif à une convention de détachement devait être entendu par le Tribunal d’Alger/ Section Sociale. Or, il n’est pas clair que cette clause ait même quelque incidence. En effet, ce qui est allégué par M. Hamamouche est son congédiement (déguisé), c’est-à-dire la fin injuste de sa relation de travail avec Air Algérie. Ce que la clause d’élection de for prévoit est que le tribunal d’Alger est le seul compétent pour statuer sur le litige inhérent à l’exécution de la convention de détachement. La question qui se pose est de savoir si un congédiement allégué est un litige inhérent à l’exécution de la convention de détachement. Cette question, qui n’a même pas été encore posée, n’a pas une réponse claire à ce stade étant donné l’absence de faits au dossier.

II.  La sentence arbitrale

[12]  La sentence arbitrale est venue le 23 mai 2018.

[13]  Plutôt que de retourner en Algérie à la suite de son dernier rappel, M. Hamamouche aura tenté de se prévaloir du CCT en déposant sa plainte le 30 juin 2017 pour congédiement injuste (a. 240) qui aurait eu lieu le 26 avril 2017, jour où son rappel immédiat en Algérie a été décidé. D’entrée de jeu, le tribunal arbitral indique que dès le 14 août 2017, le représentant général pour l’employeur arguait qu’il n’y avait pas eu de congédiement, mais plutôt un rappel, ce qui est conforme à l’article 4 de la convention de détachement temporaire à l’étranger. De plus, le représentant faisait aussi valoir que l’article 12 de ladite convention précise expressément que « le tribunal d’Algérie/section social est seul compétent pour statuer sur tout litige inhérent à l’exécution de la présente convention de détachement » (sentence arbitrale, para 2). Ainsi, la position du demandeur était campée.

[14]  Le tribunal arbitral passe en revue la preuve dans cette affaire pour les fins de disposer du moyen préliminaire. Un expert en droit algérien, présenté par l’employeur, témoigne au sujet de la structure des tribunaux algériens pour y situer la section sociale du tribunal d’Alger à qui juridiction est conférée en vertu de l’article 12 de la convention de détachement temporaire à l’étranger. Cette convention serait conforme à la convention collective signée par l’employeur et les organisations syndicales représentatives.

[15]  Il semble que l’employeur se soit réservé la faculté de soulever, lors de l’examen au mérite, des arguments sur la recevabilité de la plainte (par opposition à la compétence générale de traiter une affaire comportant une élection de for). Aux termes mêmes de l’article 240 du CCT, il faut qu’il y ait eu congédiement et que la personne qui se croit injustement congédiée « ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective » : il n’est pas interdit de croire qu’il pourrait y avoir d’autres moyens relatifs à la recevabilité de la plainte, mais le dossier devant la Cour n’est pas précis à cet égard. Il me semble donc impérieux de préciser que la Cour n’est pas saisie de ces questions. Il apparaît que l’employeur cherche à se situer en amont de ces questions qui pourraient être soulevées si le contrôle judiciaire sur la compétence échoue.

[16]  La question soulevée préliminairement, et qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire interlocutoire, est présentée comme une question de compétence du tribunal arbitral de disposer de la plainte malgré l’article 12 de la convention de détachement temporaire à l’étranger qui se veut une clause convenue entre les parties quant au forum où un différend relatif à la convention de détachement sera ultimement réglé.

[17]  La demanderesse soutient que le litige est à être examiné conformément à la convention de détachement puisqu’il concerne l’application de cette convention à la décision de rapatrier M. Hamamouche. L’article 3111 du Code civil du Québec [CcQ] confirme que le droit algérien s’applique selon la demanderesse. De plus, dit-elle, l’article 3148 du CcQ confirme la validité d’une clause d’élection de for comme l’article 12 de la convention. Par ailleurs, l’article 3149 du CcQ qui lui est opposé par le défendeur ne s’applique pas en l’espèce malgré qu’il prévoie que la renonciation du travailleur, dans le cas d’une action fondée sur un contrat de travail, à la compétence du tribunal domestique ne puisse lui être opposée. Je reproduis cet article 3149 :

3149. Les autorités québécoises sont, en outre, compétentes pour connaître d’une action fondée sur un contrat de consommation ou sur un contrat de travail si le consommateur ou le travailleur a son domicile ou sa résidence au Québec; la renonciation du consommateur ou du travailleur à cette compétence ne peut lui être opposée.

3149. Québec authorities also have jurisdiction to hear an action based on a consumer contract or a contract of employment if the consumer or worker has his domicile or residence in Québec; the waiver of such jurisdiction by the consumer or worker may not be set up against him.

L’argument de la demanderesse devant l’arbitre est un argument de texte : une plainte devant une instance administrative n’est pas une « action » et cette instance administrative n’est pas une « autorité québécoise ».

[18]  Évidemment, le défendeur se réclamait de l’article 3149 pour argumenter que la clause d’élection de for n’est pas opposable au travailleur. L’article 12 n’empêche aucunement la compétence du tribunal arbitral selon lui grâce à la protection de la juridiction domestique décrétée par l’article 3149.

[19]  Pour le tribunal arbitral, le principe de la complémentarité du droit civil du Québec avec le droit fédéral est reconnu grâce à l’article 8.1 de la Loi d’interprétation (L.R.C. (1985), ch. I-21) et celui-ci trouve application en l’espèce. Essentiellement, si le droit fédéral n’est pas suffisant pour régler une question, le droit civil provincial vient en support. Cependant, outre que de citer ce principe, le tribunal arbitral n’explique pas en quoi il consiste et comment il s’applique en notre espèce. On passe plutôt directement à l’examen de certaines dispositions du Livre Dixième du CcQ consacré au droit international privé.

[20]  Le tribunal arbitral considère trois articles du CcQ vu le silence du droit fédéral sur les questions d’application du droit étranger : les articles 3118, 3148 et 3149 traitent plus spécifiquement du contrat de travail et son analyse est centrée sur ces dispositions.

[21]  Comme indiqué plus haut, afin de contrer l’effet de l’article 3149 CcQ, l’employeur a soutenu que la plainte faite sous le CCT ne pouvait être l’action dont il est question à l’article 3149; de même, le tribunal arbitral nommé en vertu d’une loi fédérale ne pourrait être « l’autorité québécoise » de l’article 3149. Ces arguments sont rejetés sommairement. Parlant de façon un peu elliptique, le tribunal arbitral déclare que l’affaire est à être analysée dans un « contexte supplétif », si bien que « le présent tribunal doit alors être considéré comme une « autorité québécoise » au sens de l’article 3149 du C.c.Q. ». Le tribunal d’ajouter que l’argument « ne peut résister à l’analyse, particulièrement lorsque l’application de l’article 3148 CcQ est plaidé (sic) » (sentence arbitrale, para 52). De même, on déclare que la « notion d’« action » prévue à l’article 3149 est entendue dans le sens large d’un litige découlant d’un contrat de travail » (sentence arbitrale, para 54). Aucune autorité n’est présentée au soutien de ces conclusions. On croit comprendre que le tribunal arbitral entendrait faire les adaptations nécessaires au texte de l’article 3149 pour qu’il puisse y avoir du droit supplétif. La demanderesse semble dissocier les articles 3148 et 3149, ce dont le tribunal arbitral lui fait reproche. Celle-ci utilise l’article 3148 pour lui permettre d’invoquer la clause d’élection de for, mais doit évacuer l’article 3149 pour en éviter l’effet. Il  semble pourtant associé à l’article 3148 puisque l’article 3149 pourrait bien être une exception à l’acceptation d’une clause d’élection de for de l’article 3148, de telle sorte que la capacité de contracter une clause d’élection de for ne tient plus s’il s’agit d’un contrat de travail. Je reproduis l’article 3148 du CcQ :

3148. Dans les actions personnelles à caractère patrimonial, les autorités québécoises sont compétentes dans les cas suivants:

3148. In personal actions of a patrimonial nature, Québec authorities have jurisdiction in the following cases:

1°   Le défendeur a son domicile ou sa résidence au Québec;

(1)   the defendant has his domicile or his residence in Québec;

2°   Le défendeur est une personne morale qui n’est pas domiciliée au Québec mais y a un établissement et la contestation est relative à son activité au Québec;

(2)   the defendant is a legal person, is not domiciled in Québec but has an establishment in Québec, and the dispute relates to its activities in Québec;

3°   Une faute a été commise au Québec, un préjudice y a été subi, un fait dommageable s’y est produit ou l’une des obligations découlant d’un contrat devait y être exécutée;

(3)   a fault was committed in Québec, injury was suffered in Québec, an injurious act or omission occurred in Québec or one of the obligations arising from a contract was to be performed in Québec;

4°   Les parties, par convention, leur ont soumis les litiges nés ou à naître entre elles à l’occasion d’un rapport de droit déterminé;

(4)   the parties have by agreement submitted to them the present or future disputes between themselves arising out of a specific legal relationship;

5°   Le défendeur a reconnu leur compétence.

(5)   the defendant has submitted to their jurisdiction.

Cependant, les autorités québécoises ne sont pas compétentes lorsque les parties ont choisi, par convention, de soumettre les litiges nés ou à naître entre elles, à propos d’un rapport juridique déterminé, à une autorité étrangère ou à un arbitre, à moins que le défendeur n’ait reconnu la compétence des autorités québécoises.

However, Québec authorities have no jurisdiction where the parties have chosen by agreement to submit the present or future disputes between themselves relating to a specific legal relationship to a foreign authority or to an arbitrator, unless the defendant submits to the jurisdiction of the Québec authorities.

[22]  Par ailleurs, pour ce qui est de la portée de l’article 3149, l’arbitre cite de longs passages de deux arrêts de la Cour d’appel du Québec où il était question de congédiements injustifiés faisant l’objet de procédures devant la Cour supérieure. Dans ces deux affaires (Dominion Bridge Corporation c Knai, 1997 CanLII 10221 et Rees c Convergia, 2005 QCCA 353), la Cour d’appel du Québec concluait que l’article 3149 du CcQ devait s’interpréter dans toute sa plénitude pour lui donner l’effet recherché par le législateur. Ainsi, dans la mesure où il y a une action fondée sur un contrat de travail, impliquant un résident québécois, les autorités québécoises ont compétence et le travailleur ne peut se voir opposer sa renonciation à cette compétence. On comprendra que M. Hamamouche soutient qu’avec les adaptations nécessaires, il doit bénéficier du même régime devant un tribunal arbitral fédéral vu le silence du législateur fédéral. C’est la conclusion à laquelle l’arbitre en est venue.

[23]  La sentence arbitrale conclut qu’« (é)tant donné le texte non équivoque de l’article 3149 C.c.Q., le présent tribunal a compétence pour entendre la présente affaire » (sentence arbitrale, para 60). On doit en comprendre que la clause d’élection de for ne peut valablement être opposée au travailleur. Puisque la demanderesse avait expressément requis du tribunal arbitral qu’il ne décline pas compétence sur la base de l’article 3135 du CcQ (forum non conveniens), il ne restait plus qu’à entendre le reste de l’affaire pour se rendre au mérite. La continuation des procédures devant le tribunal arbitral a été interrompue par la demande de contrôle judiciaire interlocutoire.

III.  Congédiement injuste en vertu du CCT

[24]  Le CCT compte des parties distinctes qui traitent des relations du travail (a. 3 à 121.5), de la santé et sécurité au travail (a. 122 à 160), de la durée normale du travail, du salaire et des jours fériés (a. 166 à 267). C’est la section XIV de la Partie III du CCT qui traite du congédiement injuste où on y trouve l’article 240. Dans la mesure où le CCT trouve application, une personne qui se croit injustement congédiée peut porter plainte.

[25]  Essentiellement, on croit comprendre que l’employeur pourra arguer s’il n’a pas gain de cause devant la Cour en raison de l’absence de compétence au tribunal arbitral que la plainte n’est de toute façon pas recevable parce qu’elle ne rencontre pas des conditions essentielles au recours à l’article 240. Dit autrement, l’utilisation de l’article 240 reste à être établie puisqu’il faudra qu’il y ait eu congédiement et absence de convention collective pour que les conditions d’application de l’article soient présentes. Ces questions préliminaires postérieures à la compétence soulevée en l’espèce n’ont pas été abordées. Je reproduis le texte de l’article :

Plainte

Complaint to inspector for unjust dismissal

240 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur si :

240 (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,

BLANC

may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

BLANC

IN BLANK

Délai

Time for making complaint

(2) Sous réserve du paragraphe (3), la plainte doit être déposée dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date du congédiement.

(2) Subject to subsection (3), a complaint under subsection (1) shall be made within ninety days from the date on which the person making the complaint was dismissed.

BLANC

IN BLANK

Prorogation du délai

Extension of time

3) Le ministre peut proroger le délai fixé au paragraphe (2) dans les cas où il est convaincu que l’intéressé a déposé sa plainte à temps mais auprès d’un fonctionnaire qu’il croyait, à tort, habilité à la recevoir. L.R. (1985), ch. L-2, art. 240; L.R. (1985), ch. 9 (1er suppl.), art. 15.

(3) The Minister may extend the period of time referred to in subsection (2) where the Minister is satisfied that a complaint was made in that period to a government official who had no authority to deal with the complaint but that the person making the complaint believed the official had that authority. R.S., 1985, c. L-2, s. 240; R.S., 1985, c. 9 (1st Supp.), s. 15.

[Je souligne.]

[26]  Aucune information n’est au dossier relativement aux circonstances entourant l’emploi de M. Hamamouche et le prolongement de son détachement temporaire. Nous n’avons pas davantage d’information sur ce qui a pu se produire après la décision de rappel immédiat du 26 avril 2017.

[27]  Si l’arbitre devait avoir compétence pour se pencher sur la question malgré la contestation de l’employeur et que la plainte en vertu de l’article 240 du CCT est recevable parce qu’il y a eu congédiement et que M. Hamanouche ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective, elle devrait alors décider si le congédiement est injuste (alinéa 242(3)a) du CCT) et advenant que le congédiement soit jugé injuste, l’arbitre aurait une large discrétion quant au remède approprié. C’est le paragraphe 242(4) du CCT qui trouverait application :

Cas de congédiement injuste

Where unjust dismissal

242 (4) S’il décide que le congédiement était injuste, l’arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l’employeur :

242 (4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié;

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

(b) reinstate the person in his employ; and

c) de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier. L.R. (1985), ch. L-2, art. 242; L.R. (1985), ch. 9 (1er suppl.), art. 16; 1998, ch. 26, art. 58.

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal. R.S., 1985, c. L-2, s. 242; R.S., 1985, c. 9 (1st Supp.), s. 16; 1998, c. 26, s. 58.

IV.  La position des parties

A.  La demanderesse

[28]  Pour la demanderesse, le tribunal arbitral s’arroge une compétence qu’il n’a pas en se déclarant compétent à examiner la plainte de congédiement injuste. La clause d’élection de for l’en empêche. Il s’agirait donc d’une erreur portant sur la compétence au sens de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 2008 1 RCS 190. La demanderesse a référé au paragraphe 50. Elle aurait probablement été mieux avisée de pointer vers le paragraphe 59 qui me semble mieux décrire la catégorie précise parmi les quatre types de questions de droit comme requérant la norme de contrôle de la décision correcte (les autres étant la question d’importance capitale pour le système juridique et étrangère au domaine d’expertise du tribunal, les questions constitutionnelles (y inclus le partage des compétences) et la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents) :

[59] Un organisme administratif doit également statuer correctement sur une question touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité. Nous mentionnons la question touchant véritablement à la constitutionnalité afin de nous distancier des définitions larges retenues avant l’arrêt SCFP. Il importe en l’espèce de considérer la compétence avec rigueur. Loin de nous l’idée de revenir à la théorie de la compétence ou de la condition préalable qui, dans ce domaine, a pesé sur la jurisprudence pendant de nombreuses années. La « compétence » s’entend au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question. Autrement dit, une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question. L’interprétation de ces pouvoirs doit être juste, sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d’exercer sa compétence : D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), p. 14-3 et 14-6. L’affaire United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), [2004] 1 R.C.S. 485, 2004 CSC 19, constitue un bon exemple. Il s’agissait de savoir si les dispositions municipales en cause autorisaient la ville de Calgary à limiter par règlement le nombre de permis de taxi délivrés (par. 5, le juge Bastarache). Cette affaire relative aux pouvoirs décisionnels d’une municipalité offre un exemple de véritable question de compétence ou de constitutionnalité. L’examen relatif à l’une et l’autre questions a une portée restreinte. Il convient de rappeler la mise en garde du juge Dickson selon laquelle, en cas de doute, il faut se garder de qualifier un point de question de compétence (SCFP).

[Je souligne.]

Il en résulte selon la demanderesse que la norme de contrôle est celle de la décision correcte, ce qui implique bien sûr que la Cour n’aurait pas à faire preuve de déférence à l’endroit de la décision du tribunal arbitral, mais entreprend plutôt sa propre analyse qui mènera la Cour à être en accord ou non avec la décision du tribunal administratif.

[29]  Quoi qu’il en soit, la demanderesse soutient que la décision est déraisonnable puisque le tribunal arbitral sous le CCT ne saurait être une « autorité québécoise » ou une « autorité du Québec », expressions utilisées notamment aux articles 3148 et 3149 du CcQ.

[30]  Quant au mérite de l’affaire, la demanderesse voit un conflit de juridiction entre le tribunal arbitral et le Tribunal d’Alger/ Section Sociale qui est désigné à une clause d’élection de for pour entendre le litige. Le tribunal arbitral ne trouvera aucune règle au CCT pouvant régir le conflit de juridiction s’il doit être saisi de l’affaire; ainsi, la demanderesse accepte que le droit supplétif est le droit civil du Québec. En l’espèce, la demanderesse plaide que ce sont les règles régissant le droit international privé qui doivent être utilisées pour résoudre le conflit de juridiction. La demanderesse réfère spécifiquement aux articles 3111, 3134, 3148 et 3149 du CcQ.

[31]  L’argument de la demanderesse est que « le Tribunal d’arbitrage devait interpréter lesdits articles du C.c.Q. de façon immédiate, pour elle-même, comme s’ils venaient s’insérer dans la loi fédérale lacunaire, ce qu’il n’a pas fait » (mémoire des faits et du droit, para 56). Cette affirmation amène la demanderesse à soumettre que les expressions « autorité du Québec » et « autorités québécoises » qui sont utilisées à ces articles au lieu du plus général « tribunal » ne peuvent faire l’objet d’une adaptation pour y inclure un tribunal arbitral agissant en vertu d’une loi fédérale comme le CCT. Il faudrait, dit la demanderesse, que la désignation du tribunal arbitral soit faite par une loi provinciale qui le désignerait comme autorité québécoise (mémoire des faits et du droit, paras 61 et 65).

[32]  La concession que le droit civil québécois est bien supplétif en l’espèce se retrouve au fond d’un cul-de-sac en ce que non seulement il faudrait une désignation comme « autorité québécoise » mais « le législateur québécois n’est pas constitutionnellement compétent pour légiférer sur un office fédéral composé d’un arbitre nommé par un ministre fédéral et habilité par une loi fédérale » (mémoire des faits et du droit, para 66).

[33]  Ainsi, la demanderesse soumet que le tribunal arbitral ne saurait être une « autorité du Québec »: les articles du CcQ qui se voulaient supplétifs ne lui sont pas opposables.

B.  Le défendeur

[34]  Il n’est pas contesté que la norme de contrôle est la décision correcte.

[35]  Le défendeur considère que le droit supplétif québécois applicable en l’espèce est l’article 3149 CcQ. S’inspirant de l’article 12 de la Loi d’interprétation (L.R.C. (1985), ch. I-21), on plaide que l’interprétation que donne la demanderesse à ce droit supplétif en évacue tout sens, n’apportant ainsi aucune solution de droit. Une telle interprétation doit donc être rejetée.

[36]  M. Hamamouche rappelle que la Cour d’appel du Québec a jugé que l’article 3149 du CcQ ne doit pas recevoir une interprétation stricte même si son effet est de restreindre l’utilisation de clauses d’élection de for qui sont par ailleurs permises selon l’article 3148.

[37]  Ainsi, l’expression « autorité québécoise » est utilisée en droit international privé québécois pour la distinguer du reste du droit privé interne; telle distinction n’est évidemment pas requise ailleurs au CcQ. Il en résulte que si le droit civil doit être le droit supplétif, il faut bien faire les adaptations nécessaires au texte. De fait, on pourrait argumenter que le Titre Troisième du Livre dixième (droit international privé), qui traite de la compétence internationale des autorités du Québec (a. 3134 à 3154), s’en trouverait complètement éviscéré quant à toute matière fédérale puisqu’une référence aux autorités québécoises s’y trouve à chaque article.

V.  Analyse

[38]  À mon avis, l’intervention de la Cour à ce stade très préliminaire, sur contrôle judiciaire interlocutoire, serait inopportune. Le droit administratif, tel que connu par les cours fédérales, reconnaît la grande prudence dont on doit faire preuve en cette matière. De fait, plusieurs des raisons invoquées pour cette prudence se retrouvent dans la présente affaire. La Cour avait indiqué d’entrée de jeu lors de l’audience que d’entendre un recours en contrôle judiciaire était vu comme étant prématuré : on doit plutôt laisser le processus administratif suivre son cours, sauf circonstances exceptionnelles. Celles-ci ne sont pas présentes ici.

La trame factuelle

[39]  La présente affaire apparaît comme plutôt incongrue. Un citoyen algérien, qui bénéficie d’un permis de travail au Canada où il représente une société algérienne grâce à une convention de détachement temporaire à l’étranger, prétend avoir subi un congédiement injuste lorsque son employeur prononce un rappel immédiat le 26 avril 2017. Mais il semble y avoir eu quelques péripéties. La preuve au dossier révèle que l’entente initiale d’une année (janvier 2015 à décembre 2015) a été prolongée, mais dans des circonstances qui restent nébuleuses.

[40]  Ces prolongations ne semblent pas avoir été simples. On a au dossier que le 12 mai 2016, M. Hamamouche était officiellement rappelé en Algérie à compter du 30 juin 2016. On ne sait pas dans quelles circonstances il était resté en poste après l’expiration du terme, le 31 décembre 2015. À l’évidence, le rappel n’a pas été complété puisqu’une décision datée du 31 juillet 2016 prolongeait son emploi au Canada rétroactivement du 1er juillet au 31 décembre 2016. La décision déclarait spécifiquement que le prolongement n’était pas renouvelable. Il semble bien que M. Hamamouche ne soit pas retourné en Algérie à la fin de décembre 2016 puisque l’employeur cherchait à connaître la « position de l’intéressé ». On ne connaît pas les circonstances qui ont mené à ce qui semble être une prolongation du 1er avril 2017 au 31 janvier 2018 (on ne connaît d’ailleurs pas davantage le statut de M. Hamamouche pour la période du 1er janvier 2017 au 1er avril 2017), suivie du rappel immédiat du 26 avril 2017, à peine trois semaines après la prolongation ayant pris effet le 1er avril 2017.

La question présentée

[41]  Le lien de rattachement avec le Canada est finalement ténu : M. Hamamouche est un résident du Québec qui aura travaillé au Québec pendant un certain temps en vertu d’un contrat de travail conclu entre deux ressortissants algériens, M. Hamamouche et Air Algérie. Malgré cela, le défendeur en l’espèce se réclame du Code canadien du travail qui permet l’examen d’allégation de congédiement injuste. Il a choisi de ne pas entreprendre une action au Québec comme il aurait pu le faire mais a plutôt décidé d’invoquer le Code canadien du travail.

[42]  La question qui est soumise à la Cour sur contrôle judiciaire est très étroite : l’article 12 de la convention de détachement temporaire à l’étranger peut-il être invoqué, faisant en sorte qu’un différend né à l’occasion de l’exécution de ladite convention doive être porté devant le Tribunal d’Alger/ Section Sociale?

[43]  Cet article 12 qui se trouve à la convention de détachement, mais pas au contrat de travail initial signé par M. Hamamouche, est ainsi libellé :

ARTICLE 12 :

En cas de différend né à l’occasion de l’exécution de la présente convention, les parties conviennent de le régler à l’amiable.

Les parties conviennent qu’en cas de conflit persistant entre l’Agent et l’Employeur, le Tribunal d’Alger/ Section Sociale situé à la rue Abane Ramdane Sidi M’Hamed est seul compétent pour statuer sur tout litige inhérent à l’exécution de la présente convention de détachement, en application de la loi algérienne citée à l’article 2 de la présente convention de détachement.

[J’ai souligné.]

Comme on le voit, la clause d’élection de for ne vaut que relativement à l’adjudication sur un « différend né à l’occasion de l’exécution de la présente convention » ou sur « tout litige inhérent à l’exécution de la présente convention ». Mais la convention de détachement temporaire à l’étranger n’est pas le contrat de travail entre Air Algérie et M. Hamamouche. Elle ne fait que s’inscrire au sein du contrat de travail. Cela est clairement établi à l’article 2 de la convention :

ARTICLE 2 :

Il est expressément convenu que l’Employeur est et demeure en tout état de cause l’Entreprise Publique Économique – Société Par Actions EPE / SPA « AIR ALGÉRIE » dont le Siège Social est à Alger, 1, Place Maurice AUDIN.

Le détachement temporaire à l’étranger, objet de la présente convention, s’inscrit dans le cadre d’une relation de travail née à la date de recrutement de l’agent.

Cette relation de travail est et demeure régie par :

-  La loi 90.11 du 21 avril 1990 relative aux relations de travail modifiée et complétée;

-  La Convention Collective et ses annexes;

-  Le Règlement Intérieur et ses amendements.

[Je souligne.]

[44]  Le congédiement allégué ne saurait qu’être fonction de la relation employeur-employé qui elle fait l’objet d’un contrat de travail. Ce contrat de travail à durée indéterminée ne comporte aucune clause relative à un tribunal compétent à l’exclusion de tout autre, contrairement à l’article 12 de la convention de détachement temporaire à l’étranger. De fait, le contrat de travail renvoie à la « Convention Collective » et prévoit les conditions dans lesquelles le contrat de travail peut être résilié :

5/ RÉSILIATION :

Le présent contrat peut être résilié sans préavis ni indemnités par l’Entreprise, aux motifs suivants :

*  inaptitude médicale à l’exercice de la fonction pour laquelle il a été recruté;

*  inobservation des obligations professionnelles;

*  fautes disciplinaires graves.

[...]

J’ajoute qu’on peut considérer que l’article 5 de la convention de détachement temporaire à l’étranger pourrait peut-être devenir une forme de renvoi s’ajoutant aux causes de résiliation à l’article 5 du contrat de travail car on y fait d’un employé un démissionnaire s’il n’a pas donné suite à deux mises en demeure de rejoindre son poste de travail. Il se lit ainsi :

ARTICLE 5 :

À l’issue de son détachement temporaire à l’étranger ou de rappel avant terme, l’agent sera affecté à son poste de travail d’origine ou à un poste de travail de même classification qui sera fixé par la décision visée aux articles 3 et 4 ci-dessus.

Si l’agent ne rejoint pas son poste de travail, il sera considéré comme démissionnaire après deux (02) mises en demeures restées infructueuses.

Ce qu’il importe de noter à nos fins est que la preuve ne révèle rien au sujet de ce qui s’est passé factuellement, et en particulier à compter d’avril 2017, là où les événements ont semblé se bousculer. La demanderesse dit que le défendeur a été rappelé comme le permet la convention de détachement. Le défendeur dit être congédié. Que s’est-il donc passé le, ou vers le, 26 avril 2017?

[45]  Or, la prétention de l’employeur est finalement simple. Il peut invoquer la clause de la convention de détachement temporaire à l’étranger pour ne pas être soumis au droit québécois et aux « autorités québécoises » sur une allégation de congédiement injuste, car il existe une clause d’élection de for valide relative à la convention de détachement. Mais il n’est pas clair en quoi pareille clause prévue à une fin, le différend inhérent à l’exécution de la convention de détachement, devient une clause d’élection de for pour un litige portant sur un congédiement, si tant est que congédiement il y a eu.

Comment faire entrer une clause d’élection de for

[46]  Pour faire entrer au débat une clause d’élection de for, encore faut-il qu’une disposition législative le permette puisque cette clause est à l’évidence étrangère au droit interne, étant dans une entente passée entre ressortissants d’un autre pays. La demanderesse s’est faite peu bavarde devant la Cour au sujet de l’article 3148 du CcQ dont elle se réclamait plus bruyamment devant le tribunal arbitral. C’est peut-être qu’elle réalise devoir assimiler le tribunal arbitral aux autorités québécoises pour l’utilisation de cet article. Dit autrement, l’argument pour éviter l’article 3149 est de dire que le tribunal arbitral n’est pas une autorité québécoise. Mais la même difficulté se pose pour son utilisation de l’article 3148. On n’y parle que de la compétence des autorités québécoises. Je reproduis à nouveau le deuxième alinéa de l’article 3148 par commodité :

[...]

...

Cependant, les autorités québécoises ne sont pas compétentes lorsque les parties ont choisi, par convention, de soumettre les litiges nés ou à naître entre elles, à propos d’un rapport juridique déterminé, à une autorité étrangère ou à un arbitre, à moins que le défendeur n’ait reconnu la compétence des autorités québécoises.

However, Québec authorities have no jurisdiction where the parties have chosen by agreement to submit the present or future disputes between themselves relating to a specific legal relationship to a foreign authority or to an arbitrator, unless the defendant submits to the jurisdiction of the Québec authorities.

[47]  Comme évoqué ci-haut, une question se pose en amont. Ladite clause d’élection de for s’applique-t-elle alors même qu’elle est limitée, par son texte même, aux différends nés à l’occasion de l’exécution de la convention, à tout litige inhérent à l’exécution de la convention de détachement? Le congédiement qui serait déguisé pourrait-t-il être l’un de ces différends nés à l’occasion d’une convention de détachement? Serait-il plutôt un différend qui n’est pas de ceux dont traite cet article 12 de la convention de détachement temporaire à l’étranger? Le dossier ne permet pas de même tenter de résoudre la question. Les faits manquent. Il est donc tout à fait possible que la clause d’élection de for ne soit même pas en jeu puisqu’elle ne vaut qu’en des circonstances très particulières. La question est restée entière puisque les parties semblent avoir pris pour acquis que la clause pouvait s’appliquer à un congédiement, peut-être parce qu’il s’agirait d’un « litige inhérent à l’exécution de la présente convention de détachement ». Mais on ne sait trop pourquoi il devrait en être ainsi. La question n’a pas à être résolue si la clause d’élection de for ne peut même pas être utilisée si l’article 3148 n’est pas le texte approprié pour traiter de l’élection de for grâce à l’interprétation donnée par la demanderesse voulant que la référence aux « autorités québécoises » se doive d’exclure le tribunal arbitral fédéral.

[48]  J’ajoute que la question n’est pas réglée si la demanderesse tentait de se réclamer de l’article 3111 du CcQ pour introduire aux débats la clause d’élection de for. Il se lit ainsi :

3111.  L’acte juridique, qu’il présente ou non un élément d’extranéité, est régi par la loi désignée expressément dans l’acte ou dont la désignation résulte d’une façon certaine des dispositions de cet acte

3111.  A juridical act, whether or not it contains any foreign element, is governed by the law expressly designated in the act or whose designation may be inferred with certainty from the terms of the act.

Néanmoins, s’il ne présente aucun élément d’extranéité, il demeure soumis aux dispositions impératives de la loi de l’État qui s’appliquerait en l’absence de désignation

Where a juridical act contains no foreign element, it remains nevertheless subject to the mandatory provisions of the law of the State which would apply in the absence of a designation

On peut désigner expressément la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement d’un acte juridique

The law may be expressly designated as applicable to the whole or to only part of a juridical act.

D’abord, on doit douter que cet article puisse trouver application au sujet de l’élection de for puisque l’article traite de l’acte juridique qui peut être régi par la loi désignée expressément dans l’acte. De plus, l’utilisation de cet article souffre de la même difficulté que l’article 3148 puisque l’acte juridique dont il est question est la convention de détachement alors même que ce qui est en jeu paraît bien être le congédiement qui lui ne procède peut-être pas de la convention de détachement, mais peut-être bien davantage du contrat de travail.

[49]  L’élection de for est bien différente du choix du droit applicable au fond des actes juridiques. Le lieu où un litige est entendu apparaît comme bien différent du droit à être appliqué. Les articles 3111 et 3148 apparaissent viser des situations différentes, l’une visant le choix du droit applicable à un acte juridique et l’autre traitant du forum où le litige sera réglé. Le professeur Patrick Glenn y voyait une grande différence lorsqu’il écrivait dans son chapitre sur le Droit international privé, pour le compte du Barreau du Québec et de la Chambre des notaires du Québec dans La réforme du Code civil (Les presses de l’Université Laval, 1993), au numéro 44 :

« Le choix des parties peut être fait expressément ou « résulte d’une façon certaine des dispositions de cet acte » (art. 3111, al. 1). Serait donc exclu le choix « implicite » qui résulterait, par exemple, du choix du for ».

Le choix du for n’est pas le choix de la loi désignée expressément comme devant régir l’acte juridique.

[50]  Il ne faut pas confondre le for et le fond. L’article 3111 traite de fond, du droit devant être appliqué à un acte juridique donné. L’élection de for est autre chose. De fait, la convention de détachement temporaire à l’étranger me semble prévoir spécifiquement le droit applicable à cette convention à son article 2. Ainsi, le choix du droit algérien, tel que décrit à cet article 2, pourrait être invoqué en l’espèce en vertu de l’article 3111. L’élection de for tombe plutôt sous l’article 12 de la convention de détachement. Mais il ne saurait y avoir une confusion des genres. L’article 3111 est à une fin, permettre de choisir le droit applicable à un acte juridique, et l’article 3148 est à une autre fin, celle de choisir le forum où une dispute sera entendue.

[51]  Les parties au litige devant le tribunal arbitral n’ont soumis aucune preuve quant aux circonstances du rappel en Algérie selon l’employeur ou du congédiement selon l’employé. C’est qu’on n’a pas permis au litige de développer suffisamment pour fournir des détails qui sont essentiels. Sans déterminer la portée de la clause d’élection de for, on s’est immédiatement rabattu sur le droit international privé pour chercher à l’inclure ou à l’exclure en vertu de règles de droit international privé au CcQ.

[52]  Il est entendu que le CCT ne prévoit pas de règles sur l’incidence du droit étranger à un problème présenté à un tribunal canadien en vertu du CCT. C’est ainsi que les parties s’entendent pour chercher à puiser dans les règles du droit civil provincial, s’appuyant bien sûr sur l’article 8.1 de la Loi d’interprétation, mais aussi sur l’arrêt Canada (Procureur général) c St Hilaire, 2001 CAF 63, [2001] 4 CF 289 [St-Hilaire] qui fait autorité en la matière. On lit au paragraphe 51 de St-Hilaire :

[51]  Le justiciable québécois, impliqué dans un litige relatif à ses droits civils en application d'une loi fédérale muette à cet égard, est en droit de s'attendre à ce que ses droits civils soient définis par le droit civil québécois, et ce même si la partie adverse est le gouvernement fédéral. Comme le dit si bien le professeur Morel (à la page 17), dans « L'harmonisation de la législation fédérale avec le Code civil du Québec. Pourquoi? Comment? », une étude publiée dans le Recueil d'études du Ministère de la Justice du Canada (supra, paragraphe 39):

La complémentarité de la législation fédérale de droit privé avec le droit civil du Québec - comme d'ailleurs avec le droit fondamental de toutes les provinces - est la règle. Elle l'est au plan des principes. Elle l'est aussi dans la réalité des choses, ne serait-ce que parce qu'il n'est pas courant que le législateur fédéral y fasse lui-même obstacle.

La lecture que fait la demanderesse de l’article 3149 du CcQ doit aussi, me semble-t-il, emporter les mêmes limites à l’article 3148 qui, lui, permet la clause d’élection de for. L’interprétation qu’en donne la demanderesse aux règles de droit international privé du Code civil donne à penser que malgré l’article 8.1 de la Loi d’interprétation et St-Hilaire, un vide juridique aurait été créé.

La question est prématurée

[53]  Comme la Cour suprême du Canada le notait dans une affaire impliquant du droit international privé, l’identification correcte des questions à être réglées n’est pas sans importance. Dans Boucher c Stelco Inc., 2005 CSC 64, [2005] 3 RCS 279 [Stelco Inc.], on lit :

16  Le sort du présent pourvoi dépend d’une identification correcte des questions juridiques décisives en l’espèce. L’audience devant notre Cour a d’ailleurs porté en grande partie sur la définition et la qualification des problèmes en cause. Beaucoup plus que des questions relevant du droit des contrats ou du droit international privé, cette affaire soulève en premier lieu des problèmes de procédure, de droit administratif et de contrôle judiciaire. Il importe ici de noter que les parties ne soulèvent pas la question de l’application d’une convention collective ou de l’exercice d’une compétence arbitrale concurrente à l’égard des droits en jeu et des personnes qui les allèguent.

L’audience devant notre Cour a aussi été consacrée dans une bonne mesure à l’identification du problème dans une affaire qui en est à ses tout premiers débuts au point où on ne connaît à peu près rien des faits.

[54]  Un peu comme dans Stelco Inc., à y regarder de plus près, le premier problème en est bien un de droit administratif et de contrôle judiciaire. Ici, la demanderesse reconnaissait dès sa demande de contrôle judiciaire qu’il fallait des circonstances exceptionnelles pour obtenir l’intervention immédiate de la Cour (avis de demande de contrôle judiciaire, para 31). Il s’agit ici d’une demande interlocutoire. Aucune telle circonstance exceptionnelle n’a été alléguée, encore moins démontrée, et cela constitue un problème en l’espèce.

[55]  C’est tout simplement que la demanderesse s’objecte à la compétence du tribunal arbitral d’examiner la plainte de congédiement injuste à cause d’une clause d’élection de for qui pourrait, mais peut-être pourrait ne pas, avoir une incidence sur une plainte pour congédiement injuste. Cette clause d’élection de for ne vaut après tout que quant à un « litige inhérent à l’exécution de la présente convention de détachement ». Qui a déterminé que cette clause pouvait avoir une incidence sur un congédiement injuste déguisé? Ce n’est certes pas à cette Cour de le faire. Dès la prise de position du représentant général pour l’employeur écrivant à l’inspecteur alors responsable du dossier, le 14 août 2017 (la plainte avait été déposée six semaines plus tôt, le 30 juin 2017), il faisait bien la différence entre un congédiement et un rappel. On lit ce passage de la réponse de l’employeur au paragraphe 2 de la sentence arbitrale :

[...]

En réponse à votre courrier du 28 juillet 2017, relatif au dossier sus référencé, nous avons l’honneur de porter à votre connaissance que Monsieur HAMAMOUCHE Yacine n’a pas fait l’objet d’un congédiement injuste, mais d’un rappel en Algérie conformément à l’article 4, alinéa 1 de la convention de détachement temporaire à l’étranger dûment lue et approuvée par l’intéressé (c.f copie).

En outre, il est expressément précisé à l’article 12 de la même convention que le tribunal d’Alger/section social est seul compétent pour statuer sur tout litige inhérent à l’exécution de la présente convention de détachement, en application de la loi algérienne citée à l’article 2 de la présente convention de détachement.

[...]

[56]  On comprend bien que l’employeur veuille qu’il ne s’agisse que d’un rappel. Si tel est le cas, il cherchera à invoquer la clause d’élection de for quant à un différend relatif à la convention de détachement. Mais encore aurait-il fallu que soit déterminé qu’il s’agisse d’un rappel et non d’un congédiement déguisé. En outre, nous ne savons toujours pas comment la clause d’élection de for entre au débat. Ladite clause peut-elle être utile s’il s’agit plutôt d’un congédiement faisant en sorte qu’on sort du cadre de la clause qui traite d’un différend relatif au détachement de M. Hamamouche? Or, il n’y a au dossier aucune information, de part et d’autre, des circonstances dans lesquelles un « rappel » est intervenu le 26 avril 2017.

[57]  Ce genre de situation me semble être une démonstration patente de la raison pour laquelle les cours supérieures déclinent d’intervenir en cours de processus d’examen par un tribunal administratif. L’arrêt de principe en la matière est Canada (Agence des services frontaliers) c C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, [2011] 2 RCF 332 [C.B. Powell Limited]. On y déclare que l’accès aux tribunaux ne devrait être accepté qu’une fois que le processus administratif est terminé. La Cour d’appel a été très explicite dans ses motifs. On lit au paragraphe 31 :

[31]  La doctrine et la jurisprudence en droit administratif utilisent diverses appellations pour désigner ce principe : la doctrine de l’épuisement des recours, la doctrine des autres voies de recours adéquates, la doctrine interdisant le fractionnement ou la division des procédures administratives, le principe interdisant le contrôle judiciaire interlocutoire et l’objection contre le contrôle judiciaire prématuré. Toutes ces formules expriment la même idée : à défaut de circonstances exceptionnelles, les parties ne peuvent s’adresser aux tribunaux tant que le processus administratif suit son cours. Il s’ensuit qu’à défaut de circonstances exceptionnelles, ceux qui sont insatisfaits de quelque aspect du déroulement de la procédure administrative doivent exercer tous les recours efficaces qui leur sont ouverts dans le cadre de cette procédure. Ce n’est que lorsque le processus administratif a atteint son terme ou que le processus administratif n’ouvre aucun recours efficace qu’il est possible de soumettre l’affaire aux tribunaux. En d’autres termes, à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne peuvent intervenir dans un processus administratif tant que celui-ci n’a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces qui sont ouverts ne sont pas épuisés.

[58]  La Cour a été tout aussi claire sur la justification de l’interdiction du contrôle judiciaire interlocutoire comme celui demandé en l’espèce.

[32]  On évite ainsi le fractionnement du processus administratif et le morcellement du processus judiciaire, on élimine les coûts élevés et les délais importants entraînés par une intervention prématurée des tribunaux et on évite le gaspillage que cause un contrôle judiciaire interlocutoire alors que l’auteur de la demande de contrôle judiciaire est de toute façon susceptible d’obtenir gain de cause au terme du processus administratif (voir, par ex. Consolidated Maybrun, précité, paragraphe 38, Aéroport international du Grand Moncton. c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2008 CAF 68, paragraphe 1; Ontario College of Art c. Ontario (Human Rights Commission) (1992), 99 D.L.R. (4th) 738 (Cour div. Ont.). De plus, ce n’est qu’à la fin du processus administratif que la cour de révision aura en mains toutes les conclusions du décideur administratif. Or, ces conclusions se caractérisent souvent par le recours à des connaissances spécialisées, par des décisions de principe légitimes et par une précieuse expérience en matière réglementaire (voir, par ex. Consolidated Maybrun, précité, paragraphe 43, Delmas c. Vancouver Stock Exchange (1994), 119 D.L.R. (4th) 136 (C.S. C.-B.) conf. par (1995), 130 D.L.R. (4th) 461 (C.A.C.-B.), et Jafine c. College of Veterinarians (Ontario) (1991), 5 O.R. (3d) 439 (Div. gén.)). Enfin, cette façon de voir s’accorde avec le concept du respect des tribunaux judiciaires envers les décideurs administratifs qui, au même titre que les juges, doivent s’acquitter de certaines responsabilités décisionnelles (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 48).

[59]  J’ai déjà traité de la difficulté qui se pose ici en amont du litige sur la compétence si la clause d’élection de for est sans application quant au litige présenté aux tribunaux canadiens. Mais en aval de la question de compétence, la demanderesse pourrait avoir gain de cause au terme du processus administratif si, par exemple, la plainte en vertu de l’article 240 du CCT n’est pas recevable parce que les conditions prévues à la loi ne sont pas présentes, ou, s’il y a une forme de congédiement, il n’était pas injuste. Ainsi, le litige peut être réglé par d’autres arguments, comme par exemple l’établissement ou non des conditions préalables au recours sous l’article 240 du CCT : à tout le moins, la Cour aura la trame factuelle complète lorsque le processus administratif aura été complété si l’affaire doit être soumise à notre Cour. La jurisprudence est constante : à moins de circonstances exceptionnelles, on doit laisser le processus administratif suivre son cours. On voit ici pourquoi.

[60]  J’ai parlé d’« interdiction » de contrôle judiciaire interlocutoire parce que le juge Stratas, au nom de la Cour d’appel, note que « les cours de justice ont reconnu et appliqué rigoureusement le principe général de non-ingérence dans les procédures administratives, comme l’illustre la portée étroite de l’exception relative aux « circonstances exceptionnelles » »  (para 33). Le principe de non-ingérence dans les procédures administratives n’est peut-être pas une interdiction au sens pénal du terme, mais il est certainement un principe appliqué rigoureusement. Les faits de la présente instance me convainquent que c’est la seule voie à suivre à moins que ne soient identifiées des circonstances exceptionnelles. Or, la question soulevée ici est la compétence du tribunal arbitral vu l’existence d’une clause d’élection de for. C.B. Powell Limited établit que « l’existence de ce qu’il est convenu d’appeler des questions de compétence ne constitue pas une circonstance exceptionnelle justifiant un recours anticipé aux tribunaux » (para 33).

[61]  La Cour d’appel fédérale ne s’est pas dédite depuis. Dans Black c Canada (Procureur général), 2013 CAF 201, la Cour reprenait essentiellement la décision dans C.B. Powell Limited dans une affaire où M. Black argumentait qu’un comité d’arbitrage n’avait pas compétence ; il prétendait alors que cela constituait une circonstance exceptionnelle parce qu’une décision favorable au contrôle judiciaire mettrait fin plus tôt que tard au litige, argument d’ailleurs présenté à l’audition de la présente affaire devant la Cour. La Cour d’appel a rejeté l’argument, citant entre autres, le paragraphe 45 de C.B. Powell Limited que je reproduis :

[45]  Il n’est donc pas étonnant que, partout au Canada, les tribunaux ont soigneusement évité de s’immiscer dans les décisions administratives intermédiaires ou interlocutoires et qu’ils ont interdit le recours aux tribunaux judiciaires lorsque le processus administratif est encore en cours, et ce, même lorsque la décision semble porter sur ce qu’il est convenu d’appeler une question « de compétence » (voir, par ex. Bande indienne de Matsqui, précité; Aéroport international du Grand Moncton, précité, paragraphe 1; Lorenz c. Air Canada, [2000] 1 C.F. 452  (C.F. 1re inst.), paragraphes 12 et 13; Delmas, précité; Myers c. Law Society of Newfoundland (1998), 163 D.L.R. (4th) 62 (C.A. Terre-Neuve); Canadian National Railway Co. c. Winnipeg City Assessor (1998), 131 Man. R. (2d) 310 (C.A.); Dowd c. Société dentaire du Nouveau-Brunswick, (1999), 210 N.B.R. (2d) 386, 536 A.P.R. 386 (C.A.)).

[Je souligne.]

[62]  En 2012, la Cour s’est faite plus expéditive dans Avocat-Conseil en Chef du Bureau de Services Juridiques des Pensions c Tribunal des Anciens Combattants (Révision et Appel), 2012 CAF 249 décidant tout simplement :

[1]  Compte tenu de l'arrêt de la Cour suprême du Canada Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission) 2012 CSC 10, [2012] 1 R.C.S. 364, de l'arrêt de notre Cour Président de l'Agence des services frontaliers du Canada et Procureur général du Canada c. C.B. Powell Ltd., 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332, 23 février 2010, et de l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario Oleg Volochay c. College of Massage Therapists of Ontario, 2012 ONCA 541, 111 R.J.O. (3e) 561, 20 août 2012, nous estimons qu'il n'y a aucune raison de modifier la décision de la juge Mactavish de rejeter la demande de contrôle judiciaire présentée par l'appelant au motif qu'elle était prématurée.

[2]  En dernière analyse, le processus doit suivre le cours habituel jusqu'à son issue, après quoi il ne fait aucun doute que l'appelant aura l'occasion, s'il n'est pas satisfait de la décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel), de contester cette décision au moyen d'une demande de contrôle judiciaire et de soulever la question qui, selon lui, devrait maintenant être tranchée.

[63]  Les raisons pour lesquelles les contrôles judiciaires interlocutoires doivent être réprouvés ont trouvé écho en Cour suprême du Canada il n’y a pas si longtemps. Le juge Gascon écrivait avec l’accord de trois collègues dans Commission scolaire de Laval c Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, 2016 CSC 8, [2016] 1 RCS 29 :

[74]  Un dernier commentaire s’impose en terminant. À mon humble avis, il est fort regrettable que, plus de six ans après le dépôt d’un grief contestant un renvoi, le Syndicat n’ait pas encore été en mesure de commencer la présentation de sa preuve. La mission du système d’arbitrage de grief de fournir aux employeurs et aux salariés une justice accessible, expéditive et efficace a été oubliée. Il convient de rappeler l’importance de la sage règle selon laquelle, sauf rares exceptions, la sentence interlocutoire d’un arbitre de grief, notamment en matière de preuve et de procédure, n’est pas sujette à révision judiciaire : Syndicat des salariés de Béton St-Hubert — CSN c. Béton St-Hubert inc., 2010 QCCA 2270, [2011] R.J.D.T. 19, par. 23; Sûreté du Québec c. Lussier, [1994] R.D.J. 470 (C.A.); Collège d’enseignement général et professionnel de Valleyfield c. Gauthier Cashman, [1984] R.D.J. 385 (C.A.). Les tribunaux de plusieurs provinces adoptent une semblable approche empreinte de déférence à l’endroit des sentences arbitrales interlocutoires : Lethbridge Regional Police Service c. Lethbridge Police Association, 2013 ABCA 47, 542 A.R. 252, par. 21; Canadian Nuclear Laboratories c. Int’l Union of Operating Engineers, Local 772, 2015 ONSC 3436, par. 5-7 et 11 (CanLII); Blass c. University of Regina Faculty Assn., 2007 SKQB 470, 76 Admin. L.R. (4th) 262, par. 82. Ici, l’arbitre avait offert d’entendre le témoignage des membres du comité exécutif à huis clos (par. 22). Cela aurait vraisemblablement éliminé tout risque de conséquences impossibles à corriger au moment de la décision finale. Les longues procédures en révision judiciaire qui s’achèvent ici auraient ainsi pu être évitées au stade d’une sentence interlocutoire.

L’année suivante, la Cour reconnaissait une discrétion aux tribunaux avant que le processus administratif ne soit complété, mais « ils doivent faire preuve de retenue avant de l’exercer » (Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, [2017] 2 RCS 289, au para 22).

[64]  Dans notre cas d’espèce, il ne fait pas de doute que la demanderesse recherche un contrôle judiciaire interlocutoire. Aucune raison n’est donnée outre qu’on éviterait un processus administratif oiseux, et la demande de contrôle judiciaire est donc prématurée. En fait, c’est plutôt l’absence de faits qui aurait rendu l’exercice particulièrement aléatoire.

VI.  Post-scriptum : l’argument relatif aux articles 3148 et 3149 du CcQ

[65]  Il n’est pas souhaitable de chercher à disposer d’un litige alors même qu’il est prématuré et que l’exposition des faits est déficiente. Il n’en reste pas moins que la demanderesse aura créé un cul-de-sac juridique et qu’il n’est peut-être pas inutile de noter la difficulté inhérente que soulève l’argument de la demanderesse.

[66]  En fin de compte, la demanderesse semble créer un vide juridique avec son argumentaire : elle prend d’une main, mais retire de l’autre. Ainsi, elle accepte le droit supplétif du CcQ. Elle cherche ainsi à utiliser à son profit l’article 3148, in limine, qui reconnaît les clauses d’élection de for. Mais elle s’empresse de refuser l’application de l’article 3149 qui prévoit que la clause d’élection de for, qu’elle veut pourtant invoquer d’une manière ou d’une autre, n’est pas opposable au travailleur dans une action fondée sur un contrat de travail. Cet argument est fondé sur un argument de texte : l’article 3149 parle en termes d’« autorité québécoise » et d’« action » alors que le litige est soumis à un arbitre fédéral dans le cadre d’une procédure qui commence par une plainte.

[67]  Mais l’article 3148 en fait tout autant puisque la reconnaissance de la clause d’élection de for n’est prévue aux termes mêmes de l’article 3148 que pour les autorités québécoises qui ne sont alors pas compétentes lorsqu’une telle clause d’élection de for existe. C’est donc dire que par son interprétation, la demanderesse ne pourrait pas davantage s’appuyer sur le droit civil du Québec pour introduire sa clause d’élection de for. Quel est alors le droit supplétif?

[68]  Non seulement est-il difficile de voir comment les articles 3148 et 3149 ne doivent pas être lus ensemble puisque les deux semblent avoir une certaine complémentarité, mais en cherchant à exclure l’effet de l’article 3149, la demanderesse pourrait fort bien s’empêcher d’introduire la clause d’élection de for. En effet, l’article 3148 ne vaudrait pas plus, sans les mêmes adaptations nécessaires que celles requises pour l’application de l’article 3149. La demanderesse semble rechercher le beurre et l’argent du beurre. Elle exclut l’article 3149 qui lui fait ombrage parce qu’il ne pourrait trouver application que dans le cas où les autorités québécoises sont impliquées; mais le piège se referme sur la demanderesse lorsqu’elle cherche à invoquer l’article 3148 qui souffre de la même infirmité : il vise la compétence des autorités québécoises. Comme noté lors de l’audience, si l’article 3148 ne peut être invoqué par la demanderesse parce qu’elle se bute à un texte qui s’applique aux autorités québécoises (ce qui n’est pas le tribunal fédéral arbitral), comment la clause d’élection de for peut-elle être utilisée devant le tribunal fédéral arbitral? En vertu de quelle règle de droit pourra la demanderesse prétendre que l’arbitre n’a pas compétence parce que les parties auraient choisi un autre forum si ce n’est l’article 3148? Je doute que ce puisse être l’article 3111.

[69]  L’argument de texte pourrait aussi être court. L’article 8.1 de la Loi d’interprétation, celui relatif à l’utilisation du droit provincial à titre supplétif, permet d’avoir « recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province [...] ». Ce libellé pourrait peut-être permettre les ajustements nécessaires aux articles utilisés dans notre cas d’espèce.

[70]  Advenant que la clause d’élection de for prévue ostensiblement pour régler les différends relatifs à la convention de détachement alors que l’allégation en est une de congédiement qui relève plutôt du contrat de travail, j’ai mes doutes, malgré le dossier tronqué devant la Cour, que la demanderesse puisse alors échapper aux articles 3148 et 3149. Ainsi, sans chercher à résoudre la question en l’absence d’une connaissance complète des faits, il me semble que la demanderesse serait confrontée à un choix binaire. Ou bien les articles 3148 et 3149 du CcQ doivent se lire ensemble et il est loin d’être clair que la clause d’élection de for puisse être opposée à M. Hamamouche en l’espèce s’il y a congédiement procédant d’un contrat de travail. L’article 3149 trouverait application : la clause d’élection de for ne peut être opposée à M. Hamamouche. Ou bien l’article 3149 ne trouve pas application parce qu’il ne peut toucher que les autorités québécoises; mais si tel est le cas, la même limite devrait logiquement et juridiquement être imposée à l’article 3148, faisant en sorte que l’on doive trouver une autre route pour introduire devant le tribunal arbitral la clause d’élection de for. La concession que le CcQ constitue le droit supplétif perd tout sens lorsqu’on fait en sorte que les articles ne peuvent s’appliquer à un tribunal fédéral. La demanderesse n’a pas cherché à appeler la Common law à la rescousse. Elle a plutôt tenté de présenter l’article 3111 comme une alternative pour introduire sa clause d’élection de for. Il n’est pas possible de réconcilier l’article 3111, avec sa fin bien précise, et l’article spécifique sur l’élection du for qu’est l’article 3148. L’élection de for et le choix de la loi désignée dans l’acte pour le régir sont bien deux choses distinctes.

[71]  On peut de fait penser que le tribunal arbitral, s’il considère que les conditions du recours à l’article 240 du CCT sont remplies, pourrait devoir résoudre aussi la question du droit applicable alors que les parties sont algériennes et que la convention de détachement a été conclue en Algérie avec une clause désignant expressément des éléments de droit algérien (clause 2 de la convention de détachement et articles 3111 et 3112 du CcQ) comme régissant l’acte juridique. Une autre question à régler lorsque les faits seront connus.

VII.  Conclusion

[72]  Il ne s’agit évidemment pas pour cette Cour de chercher à répondre aux interrogations. Le propos est plutôt de confirmer le danger de ne pas résister à la tentation d’examiner une demande de contrôle judiciaire interlocutoire alors même que les faits sont inconnus et que des questions importantes, dont celles des conditions d’application de l’article 240 du CCT, n’ont pas été abordées.

[73]  Au final, la Cour se doit de rejeter la demande de contrôle judiciaire interlocutoire. Le dossier doit être retourné à la mise en cause pour en continuer le traitement. Le défendeur a droit à ses dépens (Règles des Cours fédérales (DORS/98-106)). La demanderesse a indiqué à l’audience qu’elle ne demanderait pas ses dépens en cas de succès. Le défendeur réclame les siens à hauteur de 3 661,05 $. La demanderesse aurait réduit le nombre d’unités réclamées par le défendeur pour arriver à un total de 2 100 $. À mon avis, des dépens de 2 500 $, taxes et déboursés inclus, sont appropriés dans les circonstances.

 


JUGEMENT au dossier T-1202-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire interlocutoire est rejetée.

  2. Les dépens de 2 500 $, ce qui inclut taxes et déboursés, sont accordés au défendeur.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

t-1202-18

INTITULÉ :

ENTREPRISE PUBLIQUE ÉCONOMIQUE AIR ALGÉRIE, MONTRÉAL, QUÉBEC c YACINE HAMAMOUCHE et ME SOPHIE MIREAULT

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 janvier 2019

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 6 mars 2019

COMPARUTIONS :

Louis-Philippe Bourgeois

Alexandre Fournier

Pour lA DEMANDERESSE

 

Myriam Cossette-Voyer

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dunton Rainville

Avocats et notaires

Montréal (Québec)

Pour la demanderesse

MCV Avocat

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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