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Date : 20190214


Dossier : IMM‑649‑18

Référence : 2019 CF 190

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 février 2019

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

KENSLEY MAGLEN MITCHELL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, M. Kensley Maglen Mitchell, demande le contrôle judiciaire de la décision (la décision) par laquelle une agente principale d’immigration (l’agente) rejetait sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La présente demande de contrôle judiciaire a été introduite conformément au paragraphe 72(1) de la LIPR.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande sera accueillie. À mon avis, l’agente n’a pas raisonnablement tenu compte de la demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire présentée par M. Mitchell conformément aux principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (Kanthasamy). Par conséquent, la décision est déraisonnable et sera annulée.

I.  Contexte

[3]  Le demandeur a été amené au Canada de Sainte‑Lucie par une tante en 2002, alors qu’il était âgé de 8 ans. Le demandeur est arrivé à titre de visiteur et est demeuré au Canada, sous la garde de sa mère, après l’expiration de son visa temporaire.

[4]  Le demandeur est maintenant âgé de 24 ans. Il a commencé l’école primaire à Toronto en troisième année et a poursuivi ses études dans le système d’éducation de Toronto jusqu’à l’obtention de son diplôme d’études secondaires. Le demandeur a maintenu de bons résultats scolaires et a joué au basket‑ball tout au long de ses études. Depuis la fin de ses études, le demandeur travaille au Canada sans autorisation. Il soutient qu’il subvient à ses besoins. Le demandeur affirme qu’il joue un rôle actif dans sa collectivité du nord de Toronto, où il pratique des sports, fait du bénévolat et s’engage auprès de son groupe confessionnel. Le demandeur affirme également qu’il a des liens étroits avec des membres de sa famille dans la région de Toronto, dont sa mère, ses tantes et ses cousins, et qu’il n’a plus de contacts avec sa famille à Sainte‑Lucie.

[5]  Le demandeur a d’abord présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire le 11 septembre 2015. Cette demande a été rejetée le 21 juillet 2016.

[6]  Le 5 janvier 2017, le demandeur a présenté une deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le refus par l’agente de la deuxième demande présentée par le demandeur fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

II.  La décision visée par la demande de contrôle judiciaire

[7]  La décision est datée du 30 janvier 2018.

[8]  En établissant le cadre d’analyse du cas du demandeur, l’agente a d’abord énuméré les facteurs à prendre en considération sous deux rubriques : « Établissement au Canada » et « Risques et conditions défavorables dans le pays ». L’agente a résumé l’établissement du demandeur au Canada de la façon suivante :

-  le demandeur est au Canada depuis plus de 15 ans;

-  le demandeur est arrivé au Canada à l’âge de 8 ans et a fréquenté l’école primaire, intermédiaire et secondaire au Canada;

-  le demandeur soutient qu’il a des antécédents professionnels stables au Canada, mais qu’il ne peut pas fournir de preuve à l’appui de son emploi actuel puisqu’il travaille sans autorisation;

-  le demandeur n’a pas reçu d’aide sociale au Canada;

-  le demandeur participe activement aux activités communautaires et fréquente l’église de sa collectivité;

-  le demandeur soutient qu’il a un bon dossier civil;

-  le demandeur a fourni des lettres d’appui de parents, d’amis, d’un enseignant et de membres de la collectivité;

-  le demandeur soutient qu’il a atteint un âge où il peut continuer à apporter des avantages à l’économie canadienne.

[9]  Les risques et les conditions défavorables à Sainte‑Lucie mentionnés par l’agente étaient les suivants : pauvreté, chômage et pénurie d’eau et de nourriture. L’agente a également pris note de la déclaration du demandeur selon laquelle il n’a pas de liens familiaux ou de réseau social à Sainte‑Lucie pour l’aider dans sa réintégration et qu’il n’a été employé qu’au Canada.

[10]  L’agente a commencé son analyse du cas du demandeur en examinant son établissement au Canada. L’agente a reconnu que le demandeur était au Canada depuis 15 ans et qu’il était un enfant à son arrivée au pays. Son arrivée et sa présence continue au Canada sans statut étaient indépendantes de sa volonté et ces facteurs représentaient, pour le demandeur, plutôt favorable. Toutefois, le fait que, en tant qu’adulte, le demandeur n’avait pas régularisé son statut depuis plus de cinq ans a été considéré comme un facteur défavorable dans l’appréciation de l’agente. L’agente a noté que la mère du demandeur avait une demande d’asile en instance depuis 2013. Par conséquent, il était probable que le demandeur savait qu’il était sans statut. L’agente n’a pas accordé beaucoup de poids au fait que le demandeur était proche de sa mère puisqu’elle était alors une demanderesse d’asile et que sa présence continue au Canada n’était pas certaine.

[11]  Le demandeur n’avait fourni aucune preuve de ses antécédents professionnels au Canada, ce qui a amené l’agente à accorder peu de poids à ses observations à cet égard. De plus, toute activité professionnelle entreprise par le demandeur n’était pas autorisée et constituait un facteur défavorable.

[12]  En résumé, même si le demandeur avait vécu et fréquenté l’école au Canada pendant 15 ans, faisait du bénévolat dans sa collectivité et avait des lettres d’appui de sa famille élargie et de ses amis au Canada, l’agente a accordé un poids minimal à son établissement au Canada.

[13]  En ce qui concerne les difficultés qu’éprouverait le demandeur s’il retournait à Sainte‑Lucie, l’agente a reconnu qu’il y aurait des difficultés inhérentes à un tel retour, parce qu’il avait quitté Sainte‑Lucie depuis plus de 15 ans. Le demandeur devrait trouver un logement et un emploi. L’agente a reconnu que les niveaux de pauvreté sont plus élevés à Sainte‑Lucie qu’au Canada et que le pays connaît des pénuries d’eau et de nourriture. Pour atténuer certaines des difficultés que le demandeur pourrait éprouver, l’agente a noté que le demandeur est un jeune homme célibataire qui avait réussi ses études. En plus de son expérience professionnelle au Canada, sa situation peut lui permettre de trouver un emploi et de s’établir lentement à Sainte‑Lucie. L’agente a indiqué qu’il était probable que la famille du demandeur et les personnes qui le soutiennent au Canada l’aident sur le plan financier s’ils étaient en mesure de le faire et lui fournissent leur soutien affectif depuis le Canada. L’agente a également noté la possibilité que la famille du demandeur à Sainte‑Lucie renoue avec lui. Dans l’ensemble, l’agente a accordé un certain poids aux difficultés qu’éprouverait le demandeur à son retour à Sainte‑Lucie après son absence prolongée.

[14]  L’agente a conclu sa décision ainsi :

[traduction]

J’ai accordé un poids minimal à l’établissement du demandeur au Canada. Selon les renseignements fournis, j’ai accordé un certain poids aux difficultés que le demandeur risque de rencontrer s’il retourne à Sainte‑Lucie. Je note que le paragraphe 25(1) n’est pas mis en place pour atténuer toutes les difficultés. Après avoir examiné de manière générale la situation du demandeur et tous les documents fournis, je ne suis pas convaincue que les motifs d’ordre humanitaire présentés justifient l’octroi d’une dispense en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR.

III.  Les questions en litige

[15]  La seule question dont je suis saisie est de savoir si la décision est raisonnable.

IV.  La norme de contrôle

[16]  Il est bien établi qu’un refus d’accorder une dispense pour considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR est examiné en fonction de la norme de la décision raisonnable (Kanthasamy, au paragraphe 44; Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18; Marshall c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 72, au paragraphe 27 (Marshall)). Le paragraphe 25(1) donne au ministre un mécanisme applicable dans des circonstances exceptionnelles. Par conséquent, les décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire sont de nature extrêmement discrétionnaire et la Cour doit faire preuve d’une déférence considérable (Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1303, au paragraphe 4). Il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau la preuve ou de substituer la solution qu’elle juge elle‑même appropriée à celle qui a été retenue (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Mon rôle consiste à établir si la décision est justifiée, transparente et intelligible, et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits particuliers du cas du demandeur et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

V.  Analyse

[17]  Le paragraphe 25(1) de la LIPR permet au ministre de dispenser l’étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent des exigences de la loi s’il est convaincu que « des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient ». La Cour suprême du Canada (la CSC) a étudié de façon approfondie l’objet et l’application appropriée du paragraphe 25(1) dans l’arrêt Kanthasamy. Mon collègue, le juge Norris, a récemment résumé les directives de la CSC de la façon suivante :

[25] Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (l’arrêt Kanthasamy), la Cour suprême du Canada a approuvé une approche du paragraphe 25(1) qui est fondée sur sa raison d’être équitable. Le pouvoir discrétionnaire fondé sur les considérations d’ordre humanitaire que prévoit cette disposition se veut donc une exception souple pour atténuer les effets d’une application rigide de la loi dans les cas appropriés (voir l’arrêt Kanthasamy au paragraphe 19). La juge Abella, s’exprimant au nom de la majorité, a accepté l’approche adoptée dans la décision Chirwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 A.I.A. 351, où il a été décidé que les considérations d’ordre humanitaire s’entendent « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable [sic] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne – dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la Loi ». (l’arrêt Kanthasamy au paragraphe 13).

(Mursalim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 596 au paragraphe 25 (Mursalim))

[18]  Mon rôle relativement à la présente demande consiste à juger si la décision est raisonnable en fonction des principes énoncés dans l’arrêt Kanthasamy.

[19]  Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable parce que l’agente n’a pas tenu compte de manière adéquate de la preuve de son établissement au Canada et qu’elle s’est livrée à des conjectures concernant les circonstances qui l’attendent à son retour à Sainte‑Lucie. Le demandeur soutient que l’agente n’a pas appliqué les principes énoncés dans l’arrêt Kanthasamy, plus particulièrement l’approche résumée dans l’arrêt Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1970), 4 AIA 351, qui met l’accent sur l’empathie et la compassion. De l’avis du demandeur, l’agente a à peine tenu compte des facteurs qui inciteraient toute personne raisonnable à soulager les malheurs d’une autre personne. L’agente a plutôt mis l’accent sur les antécédents du demandeur en matière d’immigration non autorisée afin de minimiser son établissement positif au Canada.

[20]  Pour ce qui est des erreurs précises, le demandeur soutient que l’agente n’a pas tenu compte de façon significative de la durée de sa résidence au Canada, de ses antécédents scolaires et de son expérience professionnelle. L’agente a rejeté sans discussion la preuve documentaire relative à la fréquentation scolaire du demandeur et les lettres écrites à l’appui de son engagement envers sa collectivité. En ce qui concerne l’examen par l’agente des difficultés que le demandeur éprouverait s’il retournait à Sainte‑Lucie à l’âge adulte, ce dernier prétend que l’agente s’est livrée en conjectures, car rien ne prouve que ses études et son expérience professionnelle au Canada lui permettront de trouver un emploi à Sainte‑Lucie ou que sa famille et les personnes qui le soutiennent au Canada seront en mesure de lui fournir une aide financière. Rien ne permettait non plus à l’agente de signaler une occasion, pour le demandeur, de reprendre contact avec sa famille élargie à Sainte‑Lucie, atténuant ainsi les difficultés occasionnées par son retour.

[21]  Le défendeur souligne que la dispense pour considérations d’ordre humanitaire prévue au paragraphe 25(1) de la LIPR est de nature exceptionnelle et discrétionnaire. Le défendeur soutient que la décision est raisonnable et qu’elle reflète une évaluation approfondie et précise de la situation du demandeur. L’agente a tenu compte de chacun des aspects de l’établissement du demandeur au Canada et a indiqué le poids qu’elle accordait à chaque facteur. La pondération des facteurs d’ordre humanitaire relevait clairement du pouvoir discrétionnaire de l’agente et le défendeur soutient que les arguments du demandeur équivalent à une demande formulée à la Cour de soupeser à nouveau la preuve.

[22]  Le défendeur soutient également que la décision de l’agente d’accorder peu de poids à l’établissement du demandeur au Canada est pleinement appuyée par la jurisprudence de la Cour et par le principe selon lequel les demandeurs ne devraient pas bénéficier de l’établissement résultant de leur présence non autorisée au Canada. En ce qui a trait aux conclusions de l’agente concernant les difficultés éprouvées, le défendeur soutient qu’il y a toujours un certain degré de conjectures quant à la situation que vivra une personne si elle retourne dans son pays d’origine. Toutefois, il était raisonnable pour l’agente de conclure que le demandeur pourrait être dans une meilleure situation que les autres à Sainte‑Lucie en raison de ses études et de son expérience professionnelle au Canada.

[23]  Tel qu’il est mentionné précédemment, l’octroi d’une dispense en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR est réservé aux situations exceptionnelles. Les circonstances d’ordre humanitaire du demandeur doivent justifier son exemption des dispositions par ailleurs applicables des lois canadiennes sur l’immigration. Les mots « pour des motifs d’ordre humanitaire » ont été choisis par le Parlement à dessein. Un décideur procédant à une appréciation des motifs d’ordre humanitaire doit appliquer ces concepts d’equity aux circonstances factuelles du demandeur en question. De plus, comme le fait remarquer le demandeur, le paragraphe présuppose qu’un demandeur ne s’est pas conformé à une ou plusieurs des dispositions de la LIPR. Par conséquent, le décideur doit évaluer la nature de la non‑conformité ainsi que sa pertinence et son poids par rapport aux facteurs d’ordre humanitaire du demandeur dans chaque cas.

[24]  Je conclus que l’agente n’a pas raisonnablement apprécié les antécédents et la preuve du demandeur avec empathie et en tenant compte du fondement en equity du paragraphe 25(1). Bien que la présente demande ne vise pas le contrôle d’une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire dans laquelle le décideur a appliqué le mauvais critère (voir l’arrêt Mursalim aux paragraphes 34 à 39 et l’arrêt Marshall aux paragraphes 33 à 38), il est difficile de cerner les critères ou principes que l’agente a appliqués pour en arriver à sa conclusion. L’agente a cité les termes du paragraphe 25(1), mais ne semblait pas établir de lien entre ses conclusions factuelles et l’appréciation exigée par le paragraphe : la situation du demandeur, en tenant compte des motifs d’ordre humanitaire, justifiait-elle la prise d’une mesure extraordinaire?

[25]  L’agente a traité chacun des aspects de l’établissement du demandeur au Canada de façon factuelle. L’agente a reconnu que le demandeur était au Canada depuis 15 ans et qu’il était venu au Canada lorsqu’il était enfant. L’agente a seulement déclaré qu’elle estimait qu’il s’agissait d’un facteur favorable. L’agente a ensuite minimisé l’importance de la durée de la présence du demandeur au Canada en déclarant qu’il était adulte depuis plus de cinq ans et qu’il n’avait pas régularisé son statut. L’agente a omis de mentionner la première demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par le demandeur en septembre 2015, qui témoigne d’une première tentative de corriger son statut une fois qu’il est devenu adulte. Il est encore plus important de souligner que l’agente n’a pas tenu compte des répercussions humaines des facteurs liés à l’établissement dont elle a traité. La décision ne tient pas compte du fait que les 15 années que le demandeur a passées au Canada représentent ses années formatrices. Il a grandi ici. Il a fait toutes ses études au Canada et son dossier scolaire semble très bon. Le demandeur s’est pleinement intégré dans ses établissements scolaires. Il était un étudiant-athlète et a fort probablement établi d’importants liens sociaux et communautaires. À mon avis, selon les faits de l’espèce, il s’agit de la nature de l’analyse que l’agente devait effectuer, à la lumière de l’arrêt Kanthasamy. Une fois que l’agente se serait penchée sur ces facteurs, elle serait en mesure d’exercer correctement son pouvoir discrétionnaire et de déterminer si la dispense prévue au paragraphe 25(1) devrait être accordée au demandeur.

[26]  L’agente a raisonnablement accordé peu de poids aux antécédents professionnels du demandeur au Canada, car il n’avait présenté aucune preuve à l’appui de son emploi. Toutefois, l’agente a ensuite accordé un poids défavorable à l’emploi du demandeur, parce qu’il l’a exercé sans autorisation. Le défendeur a cité la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’autonomie atteinte en travaillant illégalement peut être écartée (voir, par exemple, Serda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 356 au paragraphe 21; Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27 aux paragraphes 31 à 33).

[27]  Le problème en ce qui concerne le traitement que l’agente a réservé à l’emploi canadien du demandeur est qu’elle a d’abord écarté ses antécédents professionnels parce qu’il n’a fourni aucun document et qu’elle a ensuite déclaré que tout emploi exercé au Canada aurait été exercé sans autorisation, pour ensuite énoncer qu’elle [traduction] « accorde à ce facteur une valeur défavorable ». Si l’agente ne peut pas accorder de poids aux antécédents professionnels allégués du demandeur parce qu’ils n’ont pas été établis, il est déraisonnable pour elle d’accorder une valeur défavorable à tout emploi qu’il pourrait avoir exercé. Je nuancerais également l’application de cas comme celui de la décision Nguyen, dans lequel la présence non autorisée de la demanderesse au Canada était le résultat de fausses déclarations intentionnelles, au cas du demandeur, où il n’avait aucun contrôle sur son arrivée au Canada et sur sa présence non autorisée continue ici. Il n’a pas tenté d’induire en erreur les autorités canadiennes de l’immigration et, depuis qu’il est devenu adulte, il a pris des mesures pour régulariser sa présence. Une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire suppose invariablement le non‑respect de la LIPR. La nature et la gravité de la non‑conformité de la part du demandeur étaient des facteurs pertinents en l’espèce.

[28]  La conclusion de l’agente concernant l’établissement du demandeur au Canada est superficielle. Elle n’a pas procédé à un examen de fond de la vie du demandeur au Canada en fonction d’une norme fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Après avoir brièvement relaté les 15 années de la vie du demandeur au Canada, l’agente conclut que [traduction] « dans l’ensemble, compte tenu de la documentation fournie, j’accorde un poids minimal à l’établissement du demandeur au Canada ». À mon avis, l’agente n’a pas suffisamment justifié sa conclusion.

[29]  En outre, l’examen par l’agente des difficultés que le demandeur éprouvera à son retour à Sainte‑Lucie est indûment conjectural, compte tenu du fait qu’il a quitté l’île à l’âge de 8 ans. Rien dans le dossier ne prouve que la famille et les amis canadiens du demandeur seront en mesure de lui accorder un soutien financier dans ses tentatives de rétablissement à Sainte‑Lucie, et il n’y a non plus aucune preuve à l’appui d’affirmation de l’agente selon laquelle le retour du demandeur à Sainte‑Lucie pourrait permettre à sa famille élargie de reprendre contact avec lui.

VI.  Conclusion

[30]  Les motifs de l’agente témoignent d’une faible appréciation des motifs d’ordre humanitaire de la demande présentée par le demandeur au titre du paragraphe 25(1). Je conclus que l’agente n’a pas raisonnablement tenu compte des « facteurs humanitaires au sens plus élargi » du demandeur (Marshall, au paragraphe 33) et j’accueille la demande. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Il appartient à l’agent d’établir si l’appréciation de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire du demandeur conformément à l’arrêt Kanthasamy de la CSC donnera lieu à une conclusion favorable pour le demandeur, et je ne tire aucune conclusion à cet égard.

[31]  Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2674‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de l’agente principale d’immigration est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

3.  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de mai 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑649‑18

 

INTITULÉ :

KENSLEY MAGLEN MITCHELL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 OCTOBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 FÉVRIER 2019

 

COMPARUTIONS :

Matthiew S. Malaga Reano

 

POUR LE DEMANDEUR

Melissa Mathieu

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MM Immigration Law

North York (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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