Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20190206


Dossier: IMM-3330-18

Référence: 2019 CF 152

Ottawa (Ontario), le 6 février 2019

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE:

HAMZA BOUALI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Le demandeur, Hamza Bouali, est citoyen de l’Algérie. Il arrive au Canada en 1995 alors qu’il a trois (3) ans. Il devient résident permanent le 24 mai 1995 et n’a jamais demandé la citoyenneté canadienne.

[2]  Le 7 septembre 2017, le demandeur est déclaré coupable de vol qualifié selon l’alinéa 344(1)b) du Code criminel, LRC (1985), c C-46 [Code criminel], pour un vol commis dans un restaurant. Il est condamné à une année d’emprisonnement. Il est également trouvé coupable de déguisement dans un dessein criminel selon le paragraphe 351(2) du Code criminel. Pour cette infraction, il reçoit une peine d’emprisonnement de six (6) mois concurrente à la première peine d’emprisonnement.

[3]  En raison de cette condamnation, un rapport aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] est rédigé contre le demandeur le 2 octobre 2017. L’agent est d’avis que le demandeur est interdit de territoire pour grande criminalité au sens de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Le rapport est déféré à la Section de l’immigration [SI] pour fins d’enquête aux termes du paragraphe 44(2) de la LIPR.

[4]  Le 21 décembre 2017, le demandeur se voit accorder une libération conditionnelle assortie de diverses conditions spécifiques à respecter. Le demandeur est libéré de prison le 5 janvier 2018 après quatre (4) mois d’incarcération.

[5]  Le 15 janvier 2018, un agent de la SI conclut que le demandeur est interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, car il a été déclaré coupable au Canada d’une infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix (10) ans et pour laquelle il a reçu un emprisonnement de plus de six (6) mois. Il émet une mesure d’expulsion à l’encontre du demandeur le même jour.

[6]  Le 7 mars 2018, le demandeur présente une demande de prorogation de délai pour déposer un avis d’appel devant la Section d’appel de l’immigration [SAI]. Il allègue dans sa demande avoir clairement manifesté, lors de son audience devant la SI, son intention de porter la décision en appel, mais que son procureur à l’époque ne l’a pas fait malgré ses instructions à cet égard. Il allègue également qu’au moment d’être libéré de prison le 5 janvier 2018, il avait été détenu pour une durée de moins de six (6) mois, lui permettant ainsi d’interjeter appel de la décision sur la base de considérations d’ordre humanitaire, malgré la déclaration d’inadmissibilité. Enfin, il invoque le court retard encouru ainsi que l’absence de préjudice pour le défendeur.

[7]  Le 20 juin 2018, la SAI rejette la demande de prorogation de délai du demandeur puisqu’elle est d’avis que le demandeur ne répond pas aux critères établis par la jurisprudence pour l’obtention d’une telle ordonnance. Dans son analyse, elle souligne que: (1) la transcription de l’audience devant la SI ne démontre pas un désir du demandeur de faire appel de la décision, contrairement à ce que prétend le demandeur; (2) le demandeur n’affirme aucun motif raisonnable pour justifier le retard à déposer son appel; et (3) le demandeur ne peut interjeter appel conformément au paragraphe 64(2) de la LIPR puisqu’il a été condamné à une peine de plus de six (6) mois d’emprisonnement.

[8]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Dans un premier temps, il soutient que la décision de la SAI n’est pas suffisamment motivée, la SAI n’ayant pas analysé chacun des critères énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Procureur Général) c Hennelly, [1999] ACF no 846 [Hennelly]. Dans un deuxième temps, le demandeur soutient que la SAI a erré dans son interprétation du paragraphe 64(2) de la LIPR.

II.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[9]  Il est bien établi que le caractère suffisant des motifs doit être apprécié selon la norme de la décision raisonnable puisqu’il ne constitue pas un motif autonome pour annuler une décision. Les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 aux para 14, 18, 22 [Newfoundland Nurses]; Khangura c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 702 au para 12 [Khangura]).

[10]  Lorsque la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59).

[11]  Il est également généralement reconnu dans la jurisprudence qu’il n’est pas nécessaire que les motifs soient exhaustifs ou parfaits ou qu’ils fassent référence à tous les éléments de preuve ou les arguments présentés par une partie ou figurant dans le dossier. Même si les motifs de la décision sont brefs ou mal rédigés, la Cour doit faire preuve d’une grande déférence à l’égard de l’appréciation de la preuve effectuée par le décideur, dans la mesure où elle est capable de comprendre le fondement de la décision (Newfoundland Nurses aux para 16, 18; Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1207 aux para 37-38).

[12]  En ce qui concerne la norme de contrôle applicable à l’interprétation que fait la SAI du paragraphe 64(2) de la LIPR, les parties soutiennent que la norme de contrôle est celle de la décision correcte. La Cour reconnaît qu’il existe une certaine divergence d’opinions dans la jurisprudence de cette Cour quant à la norme de contrôle applicable. Certaines décisions considèrent qu’il s’agit d’une véritable question de compétence, susceptible de révision selon la norme de la décision correcte (voir Sivagnanasundram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1233 au para 25; Nagalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1410 au para 12; Nabiloo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 125 au para 9). D’autres considèrent qu’il s’agit plutôt d’une question d’interprétation d’une loi constitutive qui doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (voir Granados c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 302 au para 12; Flore c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1098 aux para 15, 17-20; Shehzad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 80 au para 11). Quoi qu’il en soit, il n’est pas nécessaire pour la Cour de se prononcer sur la norme de contrôle applicable puisqu’elle est d’avis que la SAI n’a commis aucune erreur susceptible de révision dans son interprétation du paragraphe 64(2) de la LIPR, peu importe la norme de contrôle retenue.

B.  Suffisance des motifs

[13]  Selon le paragraphe 5(3) des Règles de la section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230, le demandeur devait déposer son avis d’appel à la SAI au plus tard trente (30) jours suivant la réception de la mesure de renvoi prise à son égard. Il avait donc jusqu’au 14 février 2018 pour le faire. L’avis d’appel est toutefois reçu par la SAI le 8 mars 2018, soit environ trois (3) semaines après l’expiration du délai prescrit.

[14]  La décision d’accorder ou non une prorogation de délai est de nature discrétionnaire. Les critères suivants ont été développés par la jurisprudence pour guider le décideur dans l’exercice de sa discrétion. Le demandeur doit démontrer : (1) une intention constante de poursuivre la demande; (2) le bien-fondé de la demande; (3) l’absence de préjudice pour la partie adverse; et (4) l’existence d’une explication raisonnable justifiant le délai (Hennelly au para 3; Alberta v Canada, 2018 FCA 83 aux para 44-45).

[15]  Le demandeur soutient que les motifs de la SAI sont insuffisants puisque la SAI n’a analysé que deux (2) des quatre (4) critères identifiés ci-dessus. Il allègue également que l’analyse de la SAI sur les deux (2) critères abordés est incomplète et qu’elle aurait dû faire davantage référence à sa demande de prorogation de délai dans la décision. Il affirme que sa demande de prorogation de délai démontrait clairement son intention de porter la décision en appel, ayant donné des instructions lors de l’audience à son procureur d’interjeter appel et ayant pris des démarches pour se trouver un nouvel avocat afin de poursuivre les procédures en immigration. Il reproche également à la SAI d’avoir conclu qu’il n’a donné aucun motif raisonnable pour expliquer le retard. Selon le demandeur, la preuve démontrait qu’il avait été dans l’impossibilité de déposer son avis d’appel avant le 7 mars 2018. Le demandeur est d’avis que si la SAI avait attentivement analysé chacun des critères de la décision Hennelly, elle aurait conclu qu’il avait l’intention constante de poursuivre son appel, que l’appel était bien fondé, que le ministre ne subissait aucun préjudice en raison du retard à déposer l’appel et finalement, qu’il existait une explication raisonnable justifiant le délai.

[16]  Après examen du dossier et de la décision en cause, la Cour estime que les motifs de la SAI, bien que succincts, sont suffisants pour comprendre le fondement de sa décision qui refuse au demandeur une prorogation de délai.

[17]  D’abord, il est erroné de prétendre que la SAI n’adresse que deux (2) des quatre (4) critères. Trois (3) des quatre (4) critères de l’affaire Hennelly sont bel et bien adressés dans la décision. Bien qu’il soit exact d’affirmer que la SAI n’adresse pas directement le critère du préjudice, il en demeure qu’il lui appartenait, dans l’exercice de sa discrétion, de déterminer l’importance à donner à chacun des critères compte tenu des circonstances du dossier. Elle n’était pas tenue de tirer une conclusion sur chacun des critères (Newfoundland Nurses au para 16 ; Khangura au para 16).

[18]  Ensuite, en ce qui a trait au critère concernant l’intention constante du demandeur de porter la décision de la SI en appel, la SAI souligne avec raison que la transcription de l’audience devant la SI ne démontrait pas la volonté du demandeur de faire appel de la décision. Les motifs de la SAI répondent directement à l’argument du demandeur dans sa lettre du 7 mars 2018, selon lequel « [d]urant son audience [devant la SI], [il a] clairement manifesté son intention de porter en appel la décision négative rendue dans son dossier » et que « malgré ces instructions à cet égard, [son procureur] n’a pas porté la décision en appel ».

[19]  La Cour reconnaît qu’il soit possible que le demandeur ait exprimé à son avocat une intention de porter la décision de la SI en appel. En effet, le procès-verbal de l’audience devant la SI démontre qu’en rendant sa décision, la SI informe le demandeur de ce qui suit :

[9] Alors, à cet effet, je dois émettre une mesure d’expulsion contre [le demandeur]. Comme j’ai indiqué au début de l’audience, certaines personnes ont un droit d’appel, mais étant donné la sentence que monsieur a reçue, son droit d’appel pourrait être retiré. Je l’invite à discuter de ceci avec son avocat davantage (Dossier Certifié du Tribunal à la p 17).

[20]  Toutefois, la SAI n’avait aucune preuve devant elle d’une discussion entre le demandeur et son ancien procureur relativement à l’intention d’interjeter appel. De plus, le demandeur n’a déposé en preuve aucun affidavit attestant l’intention qu’il aurait exprimée auprès de son procureur ou des démarches qu’il aurait effectuées entre le 15 janvier et le 5 mars 2018.

[21]  Par ailleurs, la Cour note un conflit dans les explications présentées par le demandeur relativement au moment où la décision d’interjeter appel devant la SAI a été prise. Dans sa demande de prorogation de délai, le demandeur soutient avoir donné des instructions claires à son procureur à l’effet qu’il désirait porter la décision en appel et que ce n’est que le 7 mars 2018 qu’il a appris que l’avis d’appel n’avait pas été déposé dans son dossier. Cependant, dans la réplique déposée au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, il allègue qu’il croyait sincèrement qu’il ne pouvait pas en appeler de la décision de la SI et que pour cette raison, il n’était pas nécessaire pour lui de se trouver immédiatement un nouvel avocat afin de respecter un délai strict. Bien que cette dernière affirmation ne fût pas devant la SAI, elle est suffisante pour soulever des questionnements quant à l’intention « constante » du demandeur d’interjeter appel de la décision.

[22]  Concernant le critère relatif à l’existence d’une explication raisonnable justifiant le délai, la SAI note dans sa décision que le demandeur n’a affirmé aucun motif raisonnable d’avoir autant tardé à déposer son appel. Il était tout à fait loisible à la SAI de tirer une telle conclusion à la lumière du dossier devant elle.

[23]  Finalement, la SAI souligne que la demande était dénuée de toute chance de succès puisque le demandeur ne pouvait interjeter appel, conformément au paragraphe 64(2) de la LIPR, ayant été condamné à une peine d’emprisonnement de plus de six (6) mois. Cette explication était suffisante pour démontrer que l’appel était voué à l’échec pour absence de compétence. 

C.  Interprétation du paragraphe 64(2) de la LIPR

[24]  L’alinéa 36(1)a) de la LIPR, reproduit ci-dessous, prévoit l’interdiction de territoire pour grande criminalité:

36(1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants:

36(1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

[25]  Également, alors que le paragraphe 63(3) de la LIPR permet au résident permanent d’interjeter appel de la mesure de renvoi prise à son encontre, il existe des restrictions associées à ce droit d’appel, tel que prévues par les paragraphes 64(1) et (2) de la LIPR :

64 (1) L’appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l’étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l’étranger, son répondant.

64 (1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality.

(2) L’interdiction de territoire pour grande criminalité vise, d’une part, l’infraction punie au Canada par un emprisonnement d’au moins six mois et, d’autre part, les faits visés aux alinéas 36(1)b) et c).

(2) For the purpose of subsection (1), serious criminality must be with respect to a crime that was punished in Canada by a term of imprisonment of at least six months or that is described in paragraph 36(1)(b) or (c).

[26]  Le demandeur reproche à la SAI d’avoir commis une erreur de droit en concluant que le demandeur ne pouvait interjeter appel devant la SAI selon le paragraphe 64(2) de la LIPR, alors qu’il a purgé moins de six (6) mois de sa peine en prison. Il soutient que le paragraphe 64(2) de la LIPR doit être interprété à la lumière des principes énoncés par la Cour suprême du Canada [CSC] dans l’arrêt Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50 [Tran] et que l’utilisation du terme « emprisonnement » au paragraphe 64(2) de la LIPR fait référence au temps purgé en prison et n’inclut pas la période suivant l’octroi de la libération conditionnelle. À cet égard, le demandeur fait une analogie entre la libération conditionnelle et la peine d’emprisonnement avec sursis, tel qu’examiné dans Tran.

[27]  Dans Tran, la CSC conclut que la peine d’emprisonnement avec sursis ne constituait pas un « emprisonnement » au sens de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR puisqu’il serait absurde qu’une personne condamnée à une peine d’emprisonnement avec sursis subisse les mêmes conséquences qu’une personne condamnée à purger une peine de moins longue durée en prison (Tran au para 32).

[28]  Le demandeur soutient que le même raisonnement devrait s’appliquer à l’interprétation du paragraphe 64(2) de la LIPR et qu’une personne qui est remise en liberté après quatre (4) mois d’emprisonnement ne devrait pas subir les mêmes conséquences qu’une personne incarcérée pour plus de six (6) mois. Enfin, il fait valoir que de façon similaire à un emprisonnement avec sursis, la libération conditionnelle a pour objectif d’encourager la réinsertion sociale et de réduire le taux d’incarcération. Comme une peine d’emprisonnement avec sursis, le temps purgé en collectivité suite à une incarcération en prison ne constitue pas un emprisonnement au sens de l’alinéa 36(1)a) et du paragraphe 64(2) de la LIPR.

[29]  Pour les motifs qui suivent, la Cour ne peut souscrire aux arguments du demandeur.

[30]  Le paragraphe 64(2) de la LIPR a été interprété à de nombreuses reprises dans le passé. La jurisprudence est constante. Ce n’est pas la durée de la période réellement passée en prison avant l’octroi de la libération conditionnelle qui est déterminante, mais plutôt la peine d’emprisonnement infligée (Cartwright c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 792 au para 65 [Cartwright]; voir aussi Martin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 347 au para 5; Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 30 au para 18; Nabiloo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 125 au para 12).

[31]  Même si l’arrêt Tran est postérieur à cette jurisprudence, la Cour ne considère pas qu’il lui permette de remettre en question l’interprétation établie du paragraphe 64(2) de la LIPR.

[32]  D’abord, il était question dans Tran d’interpréter le terme « emprisonnement » prévu à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.

[33]  De plus, en soulignant que le sens du mot « emprisonnement » pouvait varier selon le contexte législatif, la CSC s’appuie sur l’interprétation qu’elle a donnée à ce terme dans l’arrêt Medovarski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51 [Medovarski]. Dans cette affaire, il était question d’interpréter les dispositions transitoires qui retiraient le droit des résidents permanents d’interjeter appel contre une mesure de renvoi pour grande criminalité. En interprétant l’interdiction d’appel prévue au paragraphe 64(2), la CSC fait référence à la « personne condamnée à une peine d’emprisonnement de plus de deux ans » (notre emphase, Medovarski aux para 11, 13).

[34]  De même, dans Tran, la CSC se penche sur la peine imposée au moment de la condamnation. M. Tran avait été condamné à une peine de douze (12) mois d’emprisonnement avec sursis à purger dans la communauté. En l’instance, le demandeur a été condamné à une peine d’emprisonnement d’un (1) an à purger en prison.

[35]  L’interprétation selon laquelle le droit d’appel est restreint en fonction de la condamnation – c’est-à-dire, le moment de la détermination de la peine – est conforme à l’interprétation donnée par cette Cour au paragraphe 64(2) de la LIPR dans Cartwright. Dans cette affaire, le demandeur avait obtenu une libération conditionnelle avant la durée de deux (2) ans prescrite par le paragraphe 64(2) de la LIPR en vigueur à l’époque. En interprétant le terme « punir » figurant au paragraphe 64(2) de la LIPR, la juge Elizabeth Heneghan a précisé que « ‘[p]unir’ une personne pour une infraction consiste à lui infliger une sanction judiciaire, à la condamner à une peine se rapportant au crime à l’égard duquel la déclaration de culpabilité a été prononcée » (Cartwright au para 67). Cette définition du terme appuie l’interprétation voulant que le demandeur ait été « puni » au moment du prononcé de sa sentence.

[36]  La Cour estime que l’interprétation proposée par le demandeur ferait en sorte que les droits d’appel d’un demandeur à la SAI seraient déterminés par la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Comme l’a fait remarquer la juge Heneghan dans l’affaire Cartwright, la durée de l’« emprisonnement » au sens de la LIPR devrait être déterminée par les juridictions pénales lors du prononcé de la sentence et non par la Commission des libérations conditionnelles du Canada ou par les commissions des libérations conditionnelles provinciales.

III.  Conclusion

[37]  Après examen du dossier et de la décision, la Cour est d’avis que les motifs de la SAI lui permettent de déterminer si la conclusion refusant la prorogation de délai est raisonnable. La Cour conclut également que la SAI n’a commis aucune erreur révisable dans son interprétation du paragraphe 64(2) de la LIPR, et ce, peu importe la norme de contrôle qui lui est applicable. Pour l’ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

IV.  Question certifiée

[38]  Le demandeur propose que la question suivante soit certifiée pour examen par la Cour d’appel fédérale au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR:

Étant donné que le terme « emprisonnement » dans le cas de l’al. 36(1)a) et l’art. 64 de la LIPR, renvoi [sic] à la notion de « prison » selon la Cour Suprême dans l’arrêt Tran et le fait que le demandeur a fait moins de six mois de prison, pourrait-il bénéficier d’un appel devant la SAI en vertu de l’art. 64 LIPR?

[39]  Pour être certifiée, une question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168 au para 9; Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145 aux para 28-29; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89 au para 11).

[40]  Le ministre s’oppose à la demande de certification d’une question du demandeur et prétend que la question n’est pas déterminante ni de portée générale.

[41]  La Cour est d’accord que cette question n’est pas déterminante, étant donné que la SAI a rejeté la demande de prorogation de délai pour déposer un appel, non seulement en fonction de l’absence de bien-fondé de l’appel en raison de son interprétation du paragraphe 64(2) de la LIPR, mais également en fonction de deux (2) autres critères de l’affaire Hennelly, à savoir l’absence d’intention constante de poursuivre l’appel et l’absence d’explication raisonnable justifiant le délai.

[42]  Pour ces motifs, la Cour refuse de certifier la question proposée.


JUGEMENT au dossier IMM-3330-18

LA COUR STATUE que:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

“Sylvie E. Roussel”

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3330-18

INTITULÉ :

HAMZA BOUALI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 JANVIER 2019

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 6 FÉVRIER 2019

COMPARUTIONS :

Gjergji Hasa

Marie-Maude Beauvais

Pour le demandeur

Sherry Rafai

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ferdoussi Hasa Avocats

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.