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Date : 20190307


Dossier : IMM‑2919‑18

Référence : 2019 CF 280

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2019

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

ERICA JANE GUNA MALONZO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Erica Jane Guna Malonzo (la demanderesse) à l’égard d’une décision datée du 14 mai 2018 (la décision) par laquelle un agent d’immigration aux Philippines (l’agent) refusait sa demande de visa de résident permanent. Dans sa décision, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales.

II.  Contexte

[2]  La demanderesse est une femme célibataire de 29 ans qui est citoyenne des Philippines et qui réside dans ce pays.

[3]  La demanderesse a un enfant de neuf ans, Prince Gabriel Valisno Navarro (Gabriel), qui vit au Canada avec sa tutrice légale. La tutrice légale de Gabriel est la mère de la demanderesse, Marilou Cortiguerra (Marilou). Marilou, à titre de gardienne de Gabriel, reçoit le soutien du beau‑père de la demanderesse, Federico Robles Cortiguerra (Federico père). Marilou, Gabriel et Federico père résident tous ensemble à Calgary, en Alberta.

[4]  En 2011, la demanderesse, son enfant, Marilou et Federico père ont été parrainés par le fils de Federico père, Federico Robles Cortiguerra fils (Federico fils) dans le cadre d’un parrainage au titre de la catégorie du regroupement familial. La demanderesse et Gabriel étaient inclus dans la demande de parrainage, puisque la demanderesse semblait à l’époque répondre à la définition juridique d’une personne à charge accompagnant un immigrant.

[5]  En 2013, Citoyenneté et Immigration Canada (selon son appellation de l’époque) a accepté le parrainage familial et a délivré des confirmations de résidence permanente pour les quatre membres de la famille. La demanderesse a déclaré qu’au cours de cette période, Federico fils et elle ont eu une dispute familiale. Il semblerait que la demanderesse aurait manqué de respect envers Federico père. Pour la punir, Federico fils ne lui aurait alors pas permis de venir au Canada.

[6]  Depuis, la preuve présentée par la demanderesse indique qu’elle s’est excusée pour ses agissements et qu’elle avait [traduction] « prouvé de façon satisfaisante à la famille qu’elle mérite une deuxième chance ».

[7]  La demanderesse a indiqué que, puisque sa famille lui avait [traduction] « interdit » de se rendre au Canada au moment de la dispute, et faute de conseils juridiques, elle n’avait pas demandé de prorogation de délai pour confirmer son statut de résident permanent. Sa confirmation de résidence permanente a fini par expirer.

[8]  Toutefois, la preuve montre que, de 2011 à 2014, la demanderesse a vécu en union de fait avec un dénommé Marc Saavedra (Marc) aux Philippines. Marc a été le premier partenaire de la demanderesse depuis le père biologique de Gabriel, Noeni Navarra. La demanderesse n’avait pas divulgué cette union de fait dans la demande de parrainage initiale. Si elle l’avait fait, elle n’aurait pas satisfait à la définition d’une personne à charge accompagnant un immigrant pendant le parrainage initial conformément à l’alinéa 117(1)h) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

[9]  Lorsque la demanderesse a commencé sa relation avec Marc en 2011, elle a laissé Gabriel aux soins de Marilou et de Federico père. La demanderesse a consenti à ce que Gabriel voyage avec Marilou et Federico père lorsqu’ils ont déménagé au Canada le 28 février 2014 suivant l’accord de parrainage.

[10]  La demanderesse a choisi de rester aux Philippines avec son petit ami Marc. La demanderesse a déclaré qu’elle était tellement attachée à son petit ami qu’elle ne pouvait pas s’imaginer être séparée de lui, même [traduction] « une seule journée ». Les notes de l’entrevue de l’agent indiquent qu’elle était satisfaite de ne pas venir au Canada à l’époque, puisqu’elle vivait en union de fait avec Marc. Elle a affirmé qu’elle ne voulait pas quitter Marc lorsque Marilou et Federico père ont dit que Marc ne pouvait pas les accompagner au Canada.

[11]  En décembre 2015, Marilou et Federico fils ont présenté une demande de parrainage fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, afin que la demanderesse puisse venir au Canada.

[12]  La demanderesse était présente à une entrevue qui a eu lieu dans les bureaux de l’ambassade canadienne à Manille, le 18 avril 2018. L’agent a pris des notes détaillées pendant l’entrevue.

[13]  Lors de son entrevue, la demanderesse a déclaré qu’elle avait commencé à consommer de la drogue et de l’alcool en raison de la mauvaise influence de Marc. La demanderesse a également indiqué que ses parents lui ont dit qu’elle ne pouvait pas venir au Canada lorsqu’elle était avec Marc. Elle prétend qu’elle n’avait rien contre cette décision à l’époque, étant donné qu’elle croyait pouvoir être parrainée dans un délai de 6 à 12 mois après avoir rompu avec son conjoint de fait.

[14]  Lors de l’entrevue, la demanderesse a admis ne pas avoir travaillé ni avoir fréquenté l’école entre‑temps.

[15]  Elle a confirmé au cours de l’entrevue que sa mère Marilou était la tutrice légale de Gabriel et qu’elles étaient, avec Federico père, les seuls gardiens et le seul soutien financier de Gabriel.

[16]  Le 14 mai 2018, la demanderesse a reçu confirmation que sa demande avait été rejetée et qu’elle ne se verrait pas accorder une exemption pour des motifs d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

III.  Intitulé

[17]  L’intitulé sera modifié pour désigner « le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration » à titre de partie défenderesse.

IV.  Les questions en litige

  1. La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

V.  Norme de contrôle

[18]  Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, la Cour suprême du Canada a statué que l’appréciation par un agent des visas des motifs d’ordre humanitaire invoqués au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR est assujettie à la norme de la décision raisonnable, étant donné que la mesure demandée est exceptionnelle et de nature discrétionnaire.

VI.  Analyse

A.  Le droit

[19]  Les dispositions pertinentes de la Loi sont ainsi libellées :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

[20]  Les dispositions pertinentes du Règlement sont les suivantes :

Regroupement familial

117 (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

a) son époux, conjoint de fait ou partenaire conjugal;

b) ses enfants à charge;

(…)

h) tout autre membre de sa parenté, sans égard à son âge, à défaut d’époux, de conjoint de fait, de partenaire conjugal, d’enfant, de parents, de membre de sa famille qui est l’enfant de l’un ou l’autre de ses parents, de membre de sa famille qui est l’enfant d’un enfant de l’un ou l’autre de ses parents, de parents de l’un ou l’autre de ses parents ou de membre de sa famille qui est l’enfant de l’un ou l’autre des parents de l’un ou l’autre de ses parents, qui est :

(i) soit un citoyen canadien, un Indien ou un résident permanent,

(ii) soit une personne susceptible de voir sa demande d’entrée et de séjour au Canada à titre de résident permanent par ailleurs parrainée par le répondant.

Member

117 (1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is

(a) the sponsor’s spouse, common-law partner or conjugal partner;

(b) a dependent child of the sponsor;

(…)

(h) a relative of the sponsor, regardless of age, if the sponsor does not have a spouse, a common-law partner, a conjugal partner, a child, a mother or father, a relative who is a child of that mother or father, a relative who is a child of a child of that mother or father, a mother or father of that mother or father or a relative who is a child of the mother or father of that mother or father

(i) who is a Canadian citizen, Indian or permanent resident, or

(ii) whose application to enter and remain in Canada as a permanent resident the sponsor may otherwise sponsor.

B.  L’entrave au pouvoir discrétionnaire

[21]  La demanderesse soutient que l’agent a entravé son pouvoir discrétionnaire, rendant ainsi la décision déraisonnable. Selon la demanderesse, l’agent a accordé trop d’attention au fait qu’elle n’avait pas indiqué qu’elle avait un conjoint de fait, comme elle aurait dû le faire, ce qui, dans la demande de parrainage initiale, l’aurait exclu de la portée de l’alinéa 117(1)h) du Règlement.

[22]  La demanderesse a de plus fait valoir que l’agent avait entravé son pouvoir discrétionnaire en se concentrant sur les facteurs défavorables selon lesquels elle n’était pas admissible et en examinant son dossier sous un angle d’inconduite, au lieu de se concentrer sur les facteurs d’ordre humanitaire. La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en disant qu’elle avait choisi de ne pas aller au Canada, alors qu’en fait, elle avait simplement accepté la décision de sa famille. Il s’agit d’une distinction qui, selon la demanderesse, rend la décision déraisonnable.

[23]  La demanderesse soutient aussi que l’agent a commis une erreur en affirmant qu’elle avait pris la décision stratégique d’envoyer son fils avec ses parents, ce qui, selon elle, n’est pas vrai. La demanderesse a dit avoir accepté la situation seulement parce qu’elle comprenait qu’elle serait réunie avec Gabriel dans environ six mois. La demanderesse est d’avis que la conclusion de l’agent selon laquelle elle est à l’origine de la situation dans laquelle elle se trouve est inexacte et, par conséquent, constitue une erreur importante.

[24]  Le fait que l’agent ait tenu compte de la preuve fournie par la demanderesse au cours de l’entrevue au sujet de ses choix ne peut être interprété comme une entrave à son pouvoir discrétionnaire. Je juge que l’agent, plutôt que de se concentrer de façon vindicative sur les fausses déclarations antérieures, a activement examiné si les circonstances particulières étaient si impérieuses qu’elles justifiaient la réparation extraordinaire prévue au paragraphe 25(1).

[25]  Même si l’agent avait le droit de noter la fausse déclaration antérieure, je n’estime pas qu’il y ait accordé une attention indue. À la lecture de la décision, je conclus plutôt que l’agent a tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi que d’autres facteurs, ce qui ne veut pas dire que le décideur ait entravé son pouvoir discrétionnaire.

C.  Les facteurs d’évaluation déraisonnables

(1)  Évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant

[26]  La demanderesse a fait valoir que l’agent avait pris une décision déraisonnable à l’égard de l’intérêt supérieur de l’enfant et que son analyse à cet égard était presque inexistante. De plus, la demanderesse a fait valoir que l’agent s’est seulement concentré sur la question de savoir s’il était dans l’intérêt supérieur de Gabriel de rester au Canada, plutôt que d’examiner s’il était dans l’intérêt supérieur de ce dernier d’être réuni avec sa mère en permettant à cette dernière de venir au Canada en raison de facteurs d’ordre humanitaire.

[27]  Selon la demanderesse, il n’y a eu aucune mention du fait que Marilou et Federico père vieillissent, et qu’ils pourraient, de ce fait, avoir plus de difficulté à continuer à travailler et à bien s’occuper de l’enfant. La demanderesse a fait valoir que l’agent n’a pas tenu compte des deux lettres abordant la question de l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle avait présentées en preuve.

[28]  La demanderesse fait également valoir qu’il n’est pas fait mention des difficultés que la demanderesse a vécues dans une relation avec un homme qui l’a influencée à boire et à consommer de la drogue. En plaidoirie, la demanderesse a déclaré qu’elle s’était engagée dans cette relation après avoir été dans un état vulnérable à la suite de la naissance de son enfant, alors qu’elle n’avait que 19 ans. La demanderesse a fait valoir que l’agent n’a pas tenu compte de cette situation.

[29]  La demanderesse conteste en outre l’évaluation selon laquelle sa mère et son beau‑père sont les tuteurs idéaux. La demanderesse soutient que l’agent n’a pas tenu compte des difficultés occasionnées à Gabriel par la séparation, et qu’il a là aussi omis de tenir compte du fait que Marilou et Federico père ne rajeunissent pas.

[30]  Les lettres mentionnées par la demanderesse ne sont pas tout à fait récentes. La première est un courriel daté du 20 septembre 2015, intitulé [traduction] « lettre de compassion », tandis que l’autre provient de son beau‑frère. Comme il a été mentionné précédemment, aucune preuve n’a été fournie par une école ou un autre évaluateur indépendant.

[31]  Le courriel du 20 septembre 2015 de la demanderesse, qui exprime son amour pour son enfant, est touchant. Elle a décidé que son enfant aurait une vie meilleure au Canada avec ses grands‑parents.

[32]  L’agent a noté qu’il avait tenu compte de tous les renseignements et documents et je n’ai aucune raison de ne pas croire que cette lettre n’a pas été prise en considération. Dans ses délibérations, l’agent a démontré qu’il a tenu compte non seulement de l’amour exprimé dans la lettre, mais aussi des autres circonstances et de la preuve. Les notes de l’entrevue indiquent que, lorsque la demanderesse est partie vivre avec son petit ami (de 2011 à 2014) et qu’elle a quitté son fils, elle lui rendait visite environ une fois par mois. Elle a déclaré ce qui suit : [traduction] « […] je jugeais que j’étais incapable de l’élever ». On ne peut pas dire que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve ou de tout autre élément de preuve présenté par la demanderesse.

[33]  De plus, aucun élément de preuve selon lequel Marilou et Federico père ne s’occupaient pas bien de l’enfant n’a été présenté; en fait, la demanderesse a présenté des éléments de preuve indiquant que l’enfant était toujours supervisé et que les grands‑parents étaient les gardiens de l’enfant depuis sa petite enfance. L’agent a aussi tenu compte du fait que les grands‑parents de Gabriel sont les tuteurs légaux selon l’ordonnance de tutelle délivrée par la Cour provinciale de Calgary. De plus, l’agent a tenu compte du fait qu’ensemble, Marilou et Federico père ont essentiellement agi à titre de parents depuis la naissance de Gabriel.

[34]  Les faits de l’affaire attirent la sympathie, mais il ne faut pas oublier qu’il incombe à la demanderesse de fournir la preuve sur laquelle l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant sera fondée. L’agent a examiné la preuve déposée, mais la demanderesse a fourni très peu d’éléments de preuve de cette nature. Il ne revient pas à l’agent d’obtenir des renseignements puisque le fardeau incombe à la demanderesse. Par exemple, aucune preuve n’a été fournie par une école ou un autre évaluateur indépendant concernant les effets que la séparation ou la capacité des tuteurs de gérer les responsabilités liées à la garde d’un enfant ont sur l’enfant.

[35]  Il importe de souligner que les motifs d’ordre humanitaire constituent un recours extraordinaire et que, pour que la demande fondée sur des motifs humanitaires soit accueillie, la preuve pertinente doit refléter cette norme élevée.

[36]  Bien qu’il soit possible d’en arriver à une conclusion différente sur l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, compte tenu du fait que Marilou et Federico père ne rajeunissent pas et qu’ils affirment eux‑mêmes qu’il leur est plus difficile de prendre soin de Gabriel seuls, ce n’est pas à moi de me prononcer. Comme l’agent a mené une entrevue en personne et qu’il a acquis une expertise en tant qu’agent au pays, le pouvoir discrétionnaire que peut exercer l’agent pour rendre sa décision doit être considérable selon la norme de la décision raisonnable.

[37]  L’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant est raisonnable et fondée sur la preuve, y compris la documentation indépendante concernant la situation dans le pays.

(2)  Facteur défavorable concernant la motivation

[38]  La demanderesse soutient que l’agente a injustement critiqué son incapacité d’obtenir un emploi rémunéré aux Philippines, car son analyse ne tient pas compte de l’information concernant la situation dans ce pays, à savoir la difficulté qu’ont les mères célibataires à se trouver un emploi. La demanderesse a soutenu que l’accent qui a été mis sur sa [traduction] « motivation » était injustifié et erroné.

[39]  La demanderesse a soulevé cet argument en faisant valoir que l’agent [traduction] « a laissé entendre que, parce qu’Erica n’était apparemment pas motivée et disposée à améliorer sa situation aux Philippines, elle agirait de la même façon au Canada et que, donc, l’endroit où elle réside n’a aucune incidence sur l’évaluation, puisque le résultat final sera le même ».

[40]  L’agent a ainsi tiré les conclusions suivantes :

  • La demanderesse n’a rien fait pour apporter des changements dans sa vie, comme retourner aux études ou chercher des possibilités d’emploi, démontrant ainsi un [traduction] « manque de motivation ». La demanderesse continue de dépendre financièrement de sa mère, qui occupe en ce moment un emploi de concierge;
  • La demanderesse semble avoir peu de motivation à obtenir la garde parentale, que ce soit en cherchant un emploi, en poursuivant des études ou en faisant quoi que ce soit qui démontrerait une nouvelle attitude;
  • Elle fait plutôt actuellement du bénévolat à l’église pastorale Jesus Miracle Crusade pour une raison assez superficielle : éviter de tomber dans la [traduction] « tentation » (p. ex. tomber amoureuse à nouveau).

[41]  L’agent n’a commis aucune d’erreur en considérant la motivation comme l’un des nombreux facteurs dont il fallait tenir compte pour évaluer les motifs d’ordre humanitaire dans la demande de visa de résident permanent. Le facteur de motivation a été discuté en réponse à la demanderesse, qui a fait valoir qu’elle [traduction] « […] craint d’avoir des difficultés à trouver un emploi aux Philippines, ce qui entraînerait des problèmes financiers […]. » L’agent a également conclu que [traduction] « [b]ien que je reconnaisse que le Canada offre de meilleures possibilités d’emploi que les Philippines, ce n’est pas le manque de possibilités qui a causé la situation actuelle de l’intéressée […] Je ne vois pas en quoi ce manque de motivation changera si l’intéressée se rend au Canada ». L’examen de sa motivation par l’agent est approprié et fait partie de son rôle d’évaluer l’importance de l’élément « difficultés » dans la décision relative à des motifs d’ordre humanitaire d’une demande de visa de résident permanent.

[42]  Les précédents judiciaires invoqués par la demanderesse, Lauture c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 336 et Marshall c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 72, concernent des erreurs commises dans le contexte de demandes fondées sur des motifs humanitaires lorsque la motivation a été utilisée pour les besoins de l’évaluation de l’établissement d’un demandeur au Canada. Ces deux décisions s’opposent aux faits en l’espèce, où des motifs ont été utilisés pour rendre une décision sur une demande de résidence permanente et pour déterminer si des motifs d’ordre humanitaire pourraient justifier la prise de mesures spéciales. Les différences factuelles rendent ces précédents inapplicables en l’espèce.

[43]  J’estime que l’évaluation de l’agent selon laquelle la demanderesse n’a pas déployé suffisamment d’efforts pour devenir autonome est raisonnable et corroborée par le dossier.

D.  Mauvais article

[44]  Dans les documents écrits, la demanderesse a présenté un argument selon lequel l’agent a renvoyé au mauvais article du Règlement. Je l’ai informée que cet argument était peu susceptible de succès, car le fond doit avoir préséance sur la forme et que l’agent avait utilisé de bon critère. La demanderesse n’a pas contesté cette conclusion.

[45]  Il importe de préciser que ce qui précède ne peut être interprété comme une sorte de carte blanche donnée à un agent qui fait preuve d’insouciance lorsqu’il renvoie à un article, car il est clair que l’article de loi invoqué est un élément important. Toutefois, à la lumière de ces faits, il était clair que le critère utilisé et celui sur lequel s’appuyait l’article étaient les bons, et que l’inexactitude de l’article était une erreur typographique. Pour ce motif, je ne suis pas d’avis qu’il s’agit là d’une entorse à l’équité procédurale rendant cette décision susceptible de contrôle.

E.  Conclusion

[46]  Le caractère raisonnable d’une décision tient à la justification de la décision, à sa transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à son appartenance aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12). En conclusion, la décision satisfait au critère énoncé ci‑dessus, et elle est donc raisonnable.


JUGEMENT dans le dossier no IMM‑2919‑18

LA COUR STATUE que :

  1. L’intitulé sera modifié pour désigner « le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration » à titre de partie défenderesse;

  2. La demande est rejetée;

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour de mai 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2919‑18

 

INTITULÉ :

ERICA JANE GUNA MALONZO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 FÉVRIER 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

le 7 mars 2019

 

COMPARUTIONS :

Dorab Colah

pOUR LA DEMANDERESSE

Maria Green

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Calgary (Alberta)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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