Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Dossier : IMM‑3244‑18

Référence : 2019 CF 295

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 mars 2019

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

ZAHIDUL AMIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 ch. 27 [la LIPR], d’une décision de la Section de la protection des réfugiés datée du 1er juin 2018 [la décision]. L’agent d’immigration ayant rendu cette décision [l’agent] a conclu que le demandeur ne risquerait pas d’être exposé à un risque de persécution, à un risque de torture, à une menace à sa vie, ou à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités s’il était renvoyé au Bangladesh.

[2]  Zahidul Amin [le demandeur] est un homme de 50 ans originaire du Bangladesh.

[3]  Après avoir obtenu son diplôme d’un collège gouvernemental en 1986, le demandeur a travaillé dans l’entreprise de construction de son frère à titre de coordonnateur de projet.

[4]  Le frère du demandeur a commencé à s’intéresser au Parti nationaliste du Bangladesh [Bangladesh Nationalist Party, le BNP] et à appuyer le programme progressiste de ce parti à la suite de la victoire de son ami lors des élections municipales. Cependant, lorsque la Ligue Awami [Awami League, la AL] a pris le pouvoir en 2009, ce gouvernement a ciblé des personnes qui appuyaient la cause de l’opposition et aurait prétendument déposé de fausses accusations contre le demandeur et son frère.

[5]  Le demandeur et son frère auraient été ciblés parce qu’ils étaient considérés comme des partisans de la cause de l’opposition. Le 20 mai 2014, de fausses accusations ont censément été déposées contre eux.

[6]  Par la suite, Nuruz Zaman Biswas, chef de la Ligue Jubo [Jubo League, la JL], a exigé une énorme somme d’argent du demandeur d’asile et de son frère, les menaçant de conséquences graves si la somme n’était pas versée.

[7]  En janvier 2015, le demandeur aurait été agressé physiquement par des gens qui voulaient savoir pourquoi la somme exigée n’avait pas été versée. Le frère du demandeur a communiqué avec le président de la Chambre de commerce pour discuter des problèmes auxquels ils faisaient face, mais là aussi la somme d’argent lui a été demandée. Il s’est également adressé à la police pour obtenir de l’aide, mais celle-ci aurait réclamé un pot-de-vin.

[8]  Le 1er août 2015, le demandeur aurait versé la somme d’argent demandée au bureau local de la AL. Quelqu’un a cependant communiqué avec lui par la suite pour lui demander la somme impayée. Après que le demandeur d’asile fut menacé au cours d’un appel téléphonique, le frère de celui-ci a signalé l’incident à la police.

[9]  Le 15 janvier 2016, un groupe de cinq ou six personnes se seraient rendues à la maison où le demandeur habitait avec son frère, criant le nom du frère. Lorsque le demandeur a ouvert la porte de la propriété, il a été agressé.

[10]  Le 1er septembre 2016, le frère du demandeur a été tué. Après avoir été mis au courant de la nouvelle, le demandeur est allé vivre avec un ami à Chittagong.

[11]  Le 30 septembre 2016, le demandeur s’est rendu aux États‑Unis avec l’aide d’un passeur qui a obtenu de faux documents de voyage pour lui.

[12]  Le 8 mars 2017, le demandeur d’asile est entré au Canada et a présenté une demande d’asile.

[13]  La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a conclu que de graves problèmes entachaient la crédibilité de la preuve du demandeur.

[14]  La Commission a conclu que ni le demandeur d’asile ni son frère n’étaient perçus comme des partisans de la cause de l’opposition, et que ni lui ni son frère n’avaient été la cible de persécutions par l’opposition pendant qu’ils se trouvaient au Bangladesh.

[15]  La seule question que la Cour doit trancher consiste à déterminer si la SPR a commis une erreur en tirant plusieurs conclusions défavorables au sujet de la crédibilité du demandeur.

[16]  Le demandeur n’a présenté aucune observation à propos de la norme de contrôle applicable, mais a fait valoir à l’audience que, parce que des conclusions quant à la vraisemblance étaient en cause, la norme de contrôle applicable devrait être plus exigeante que la norme de la décision raisonnable. Je ne souscris pas à cette opinion, car les conclusions de fait relatives à la vraisemblance ont trait à la norme de la valeur probante de la preuve requise pour prouver un fait, non à la norme juridique.

[17]  La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait, aux faits inférés et à l’élément factuel des conclusions mixtes de fait et de droit est la norme de la décision raisonnable, laquelle appelle un degré élevé de déférence. La Cour n’est pas autorisée à réévaluer la preuve et ne peut intervenir en raison de l’insuffisance de la preuve tant que certains éléments probants appuient les conclusions de fait. Les conclusions de fait relatives à la crédibilité, y compris l’étape inférentielle d’une conclusion de fait, ne devraient pas être infirmées, sauf dans les cas les plus manifestes d’erreurs (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47, 53, 55 et 62; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 52 à 62; Odia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 363, au paragraphe 6; Njeri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 291, au paragraphe 11; Judicial Review of Administrative Action in Canada, D. J. M. Brown et l’honorable J. M. Evans, 14:3520; Housen c Nikolaisen, [2002] 2 RCS 235, 2002 CSC 291, aux paragraphes 21 et 22).

[18]  Dans son mémoire supplémentaire, le défendeur a fourni sous forme de résumé une liste des nombreuses conclusions de la SPR relatives à la crédibilité. Je les énonce comme suit (c’est l’avocat qui souligne au point d)) :

[traduction]

a) Le demandeur a présenté des éléments de preuve très contradictoires au sujet de sa participation ou de la participation de membres de sa famille à l’activité politique du BNP. Le profil politique du demandeur et la question de savoir s’il est vraiment recherché par les autorités du Bangladesh sont au cœur même de sa demande d’asile. Le demandeur a écrit dans son formulaire FDA que son frère « [a] participé aux activités du BNP […] et qu’il appuyait le programme progressiste du BNP », mais il s’est par la suite rétracté et a dit que son frère ne participait pas directement à l’action politique, mais que, parce que l’ami d’enfance du frère était membre du BNP, « ils se fréquentaient et se parlaient souvent ». La SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité vu la version contradictoire des événements et l’incapacité du demandeur de fournir un témoignage compatible avec l’exposé des faits de son formulaire FDA (p. 10 et 11);

b) Le demandeur ayant nié au cours de son témoignage de vive voix les renseignements contenus dans son FDA selon lesquels son frère s’était joint au BNP, la SPR a conclu que ni le demandeur ni son frère n’appuyaient la cause de l’opposition, ni ne pouvaient être considérés comme des partisans de l’opposition, et que ni le demandeur ni son frère n’avaient été la cible de persécutions au Bangladesh (p. 12);

c) La SPR a conclu que la suite des événements présentée dans une lettre fournie par l’avocat du demandeur était incohérente par rapport à ce qui est dit dans le formulaire FDA du demandeur et a accordé peu de valeur probante à cette lettre compte tenu des incohérences relevées (p. 12);

d) La SPR a tout particulièrement tenu compte du faux rapport déposé par le demandeur, qui énonçait les conclusions d’un inspecteur de police. Toutefois, la SPR a conclu que le document n’avait pas été rédigé en même temps que les événements décrits et ne lui a accordé aucune valeur (p. 14);

e) La SPR a examiné la question du décès du frère du demandeur et le certificat de décès qui a été produit. La SPR n’a cependant pas jugé crédible que le demandeur ne donne pas le nom d’un témoin oculaire du meurtre présumé dans son formulaire FDA, et qu’il ne le mentionne que plus tard dans son témoignage de vive voix. De plus, le demandeur a déclaré que, selon le témoin oculaire, le meurtrier de son frère a commencé à « crier le nom du demandeur » après le fait, et que ce meurtrier a ajouté que « maintenant que nous t’avons tué, nous allons tuer ton frère ». Toutefois, le demandeur n’a pas allégué dans son formulaire FDA que les responsables du meurtre de son frère le recherchaient. La SPR n’a pas jugé crédible que le demandeur ait oublié, au sujet du décès de son frère, un renseignement aussi crucial, qui a une incidence sur sa propre sécurité, et elle a estimé que les omissions n’avaient pas été expliquées de façon raisonnable. La SPR a conclu que le demandeur « ne dit pas la vérité » (p. 15). La SPR a donc tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur, car elle a conclu que toute cette histoire au sujet de la mort de son frère « sonn[ait] faux » et qu’elle était « embellie » (p. 15 et 16);

f) La SPR a conclu que les déclarations du demandeur selon lesquelles les « assassins » du parti au pouvoir ont pris les commandes de son entreprise étaient des spéculations, et que le demandeur n’intéresse plus les « les hommes de main de la AL » et ne risque pas de subir de préjudices à l’avenir (p. 17);

g) Enfin, la SPR a conclu que les éléments de preuve présentés par le demandeur relativement à l’aide médicale qu’il a reçue après avoir censément été agressé par les « hommes de main de la AL » n’ont en rien atténué les doutes qu’elle éprouvait dans l’ensemble à l’égard de la crédibilité du demandeur. Le tribunal a conclu que la lettre du Dr Arun Kanti Saha n’était pas probante, puisqu’il n’était pas le médecin traitant du demandeur. De plus, le tribunal a souligné que le libellé et la présentation des certificats de congé étaient semblables, même s’ils provenaient de deux établissements différents, et que ces certificats semblaient avoir été rédigés sur le même modèle. Le tribunal n’a pas estimé satisfaisante l’explication du demandeur, selon laquelle « le même employé qui travaille pour l’un de ces établissements travaille également pour l’autre établissement à temps partiel ». Le tribunal a donc tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité (p. 18).

[19]  Le demandeur a fait valoir que la SPR a commis une erreur en concluant que son récit n’était pas crédible parce que son témoignage et le récit de son formulaire FDA comportaient des éléments de preuve contradictoires. Par exemple, il a fait valoir qu’il n’y avait pas d’incohérences entre son formulaire FDA et son témoignage de vive voix, mais que s’il y en avait, c’était plutôt parce qu’il était nerveux et effrayé. De même, le demandeur fait valoir de plus que ne pas avoir mentionné le nom de l’employé qui a tiré sur son frère dans le formulaire FDA est une incohérence mineure imputable au stress mental qu’il a subi.

[20]  En l’espèce, j’estime que les déclarations incompatibles concernant le degré de participation de son frère au BNP, le fait que le demandeur n’a pas identifié un témoin oculaire du meurtre de son frère et les incohérences concernant l’allégation selon laquelle ce témoin a entendu les tueurs proférer des menaces à son encontre sont toutes au cœur de sa demande. Il est évident que la SPR a examiné l’ensemble de la preuve et a raisonnablement conclu que, dans l’ensemble, ces incohérences étaient importantes. Il existe des éléments de preuve à l’appui de ces conclusions, et la Cour ne peut pas réévaluer la preuve pour substituer sa propre opinion à celle de la SPR.

[21]  Le demandeur demande également l’intervention de la Cour en ce qui concerne l’erreur que la SPR a pu commettre en concluant qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve, et que les éléments existants étaient contradictoires, en ce qui concerne les fausses accusations déposées contre le demandeur. L’analyse a porté sur la lettre d’un avocat qui énonçait une suite des événements incohérente par rapport à ce qui est mentionné dans le formulaire FDA du demandeur. La SPR a souligné avec raison que le demandeur n’a fourni pour corroborer ses dires aucun document objectif provenant de quelque tribunal que ce soit au Bangladesh. Il avait retenu les services d’un avocat à cette fin et, de toute évidence, il a dû exister des documents plus pertinents appuyant son allégation selon laquelle de fausses accusations ont été déposées contre lui. Il s’agit d’une autre question liée à l’évaluation de la preuve par la SPR.

[22]  Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles établissant un lien entre la mort de son frère et la persécution policière. Cela déforme l’allégation selon laquelle son défaut de mentionner dans son formulaire FDA le nom de l’employé ayant vu son frère se faire tuer par balle est une incohérence mineure et résulte du stress mental qu’il a subi, parce que le décès de son frère a été accepté. Du point de vue de la Commission, le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve permettant d’identifier les responsables du décès de son frère, et donc d’établir clairement un lien de causalité avec les mauvais traitements qu’il allègue avoir lui-même subis.

[23]  Sur un autre point, le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas de risque pour lui à l’avenir, puisque ses persécuteurs ont pris les commandes de l’entreprise de son frère. Le demandeur prétend posséder d’autres propriétés qui pourraient faire de lui la cible constante de ses agresseurs. Cet argument est hypothétique, puisque le demandeur n’a présenté aucun élément probant l’appuyant. Compte tenu du temps qui s’est écoulé depuis l’incident et de la disparition apparente des motifs de continuer à cibler le demandeur, les biens du frère du demandeur n’étant plus un facteur, ces faits fondamentaux qui sont étayés par des éléments de preuve suffisent pour appuyer l’inférence selon laquelle il serait ciblé à son retour au Bangladesh.

[24]  J’estime par conséquent que la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur ne risquait pas d’être persécuté ni de faire l’objet d’un traitement probablement cruel et inusité aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR est raisonnable.

[25]  La demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3244‑18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Peter Annis »

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour de mai 2017.

Claude Leclerc, traducteur



 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.