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Date : 20190312


Dossier : IMM‑3367‑18

Référence : 2019 CF 299

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 mars 2019

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

ADEOLA MICHAEL ABIODUN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un commissaire [le commissaire] de la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de la mesure de renvoi prise à son endroit. Par suite du rejet de sa demande par la SAI, le demandeur a perdu son statut de résident permanent du Canada.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.  Contexte

[3]  Le demandeur est résident permanent du Canada depuis près de dix ans. Une mesure de renvoi a été prise à son endroit au motif qu’il a obtenu son statut de résident permanent au moyen d’une fausse déclaration. Il a été jugé que le demandeur avait fait une fausse déclaration quant au moment où sa relation conjugale avait pris fin.

[4]  Le demandeur n’a pas contesté la validité juridique de la mesure de renvoi. Toutefois, il a porté la mesure de renvoi en appel devant la SAI et il a demandé la prise d’une mesure spéciale fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, soit sur son degré élevé d’établissement au Canada. Il a notamment fait valoir qu’il est propriétaire d’une résidence depuis treize ans, qu’il occupe un emploi à temps plein et qu’il a créé de nombreux liens au sein de sa collectivité.

[5]  Le demandeur a également demandé qu’une mesure spéciale soit prise pour lui permettre de rester au Canada dans l’intérêt supérieur de ses deux enfants, âgés de cinq et trois ans, lesquels habitent en Angleterre avec son épouse. Ce dernier avait d’ailleurs présenté une demande de parrainage pour permettre aux membres de sa famille de le rejoindre au Canada. Les enfants du demandeur n’ont jamais habité au Nigéria, le seul pays où le demandeur et les membres de sa famille pourraient vivre ensemble de plein droit advenant le cas où il ne serait pas autorisé à rester au Canada à titre de résident permanent.

[6]  La SAI a conclu, en tenant compte de l’intérêt supérieur des enfants du demandeur, qu’il n’existait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier la prise d’une mesure spéciale. La SAI a donc rejeté l’appel.

III.  Questions en litige

[7]  Dans sa demande, le demandeur soulève les questions suivantes :

  1. Le demandeur a-t-il été privé de son droit à l’équité procédurale en raison de la négligence de son ancien représentant?

  2. L’évaluation des motifs d’ordre humanitaire qu’a faite la SAI en se fondant sur les facteurs établis dans la décision Ribic était-elle déraisonnable (Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4 [Ribic])?

[8]  J’estime que la deuxième question soulevée exige de la Cour qu’elle détermine si la SAI a commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait exprimé aucun remords relativement à la fausse déclaration faite concernant le moment où sa relation conjugale avait pris fin, ainsi qu’au fait qu’il avait obtenu sa résidence permanente au moyen d’une fausse déclaration.

IV.  Norme de contrôle applicable

[9]  La norme de la décision correcte s’applique aux allégations du demandeur selon lesquelles son ancien parajuriste était incompétent, puisque la question « porte sur le droit du demandeur de présenter l’intégralité de sa cause, ce qui est une question d’équité procédurale » (Galyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250, au paragraphe 27).

[10]  La norme de la décision raisonnable s’applique à la question de savoir si la SAI a commis une erreur en tirant sa conclusion de fait relativement à la crédibilité. Dans la décision Odia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 363, au paragraphe 6, mon collègue, le juge Boswell, citant la décision Njeri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 291, au paragraphe 11, a établi que les conclusions sur la crédibilité ne devraient pas être annulées « à moins qu’il y ait eu une erreur des plus manifestes ». Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve. Ainsi, s’il existe des éléments de preuve à l’appui de cette conclusion de fait, aucune erreur susceptible de contrôle n’a été commise.

V.  Analyse

A.  Négligence du représentant du demandeur

[11]  Le commissaire de la SAI a conclu que « l’absence d’éléments de preuve corroborants à l’appui de l’intérêt supérieur de l’enfant nuit particulièrement à l’appel de l’appelant » [non souligné dans l’original]. Le représentant du demandeur devant la SAI n’a fourni aucun document pour établir l’intérêt supérieur des enfants, ce qui, de l’avis du demandeur, constitue un facteur important que la SAI doit prendre en compte au moment de décider s’il y a lieu de prendre une mesure spéciale.

[12]  Le commissaire de la SAI a fait valoir que « [l]e défaut de présenter les meilleurs éléments de preuve s’applique à presque chaque aspect du présent appel ». Le demandeur soutient que son représentant devant la SAI ne satisfaisait pas à la norme de compétence de base puisqu’il a omis de produire des documents clés concernant l’intérêt supérieur des enfants, lesquels documents auraient pu avoir une incidence sur la décision finale.

[13]  Pour démontrer une atteinte à l’équité procédurale résultant de l’incompétence d’un avocat, un demandeur doit établir que les trois volets du critère suivant s’appliquent :

1) les actes ou omissions allégués du représentant constituaient de l’incompétence;

2) il y a eu déni de justice au sens que, n’eût été la conduite alléguée, il existe une probabilité raisonnable que le résultat de l’audience initiale aurait été différent;

3) le représentant a été informé des allégations et a eu une possibilité raisonnable de répondre.

Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1189, au paragraphe 16; Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092, au paragraphe 11; Pathinathar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1225, au paragraphe 25.

[14]  Si le demandeur ne peut pas démontrer que le volet du critère portant sur le préjudice s’applique, il n’est généralement pas souhaitable que la Cour s’arrête à l’examen du travail de l’avocat. L’objet d’une allégation de représentation non effective n’est pas d’attribuer une note au travail ou à la conduite professionnelle de l’avocat. Ce dernier aspect est laissé à l’appréciation de l’organisme de réglementation de la profession (R c GDB, 2000 CSC 22, au paragraphe 29; Shirvan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 1509, au paragraphe 26).

[15]  Par conséquent, l’analyse devrait d’abord porter sur le volet du critère portant sur le préjudice. Dans l’impossibilité d’établir qu’il y a eu préjudice ou incompétence, j’estime qu’il n’existe aucun motif de contester le caractère raisonnable de l’analyse des facteurs énoncés dans la décision Ribic. Étant donné que je conclus que le demandeur n’a pas démontré que l’incompétence alléguée de son parajuriste lui avait occasionné un préjudice, il n’y a pas lieu d’effectuer une analyse plus poussée.

[16]  Le demandeur doit établir qu’il a subi un préjudice important et que ce préjudice découle des actes d’un avocat incompétent. Il doit également établir qu’il est raisonnablement probable que, n’eût été de l’incompétence de son représentant, l’issue de l’instance aurait été différente (Jeffrey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 605, au paragraphe 9).

B.  Allégation d’erreur quant à l’appréciation des faits

[17]  La SAI a jugé que l’absence d’expression de remords minait tout facteur témoignant favorablement du degré d’établissement du demandeur au Canada. Le demandeur soutient que pour en arriver à cette conclusion, la SAI a omis de tenir compte du témoignage qu’il a fait lors de l’audience et au cours duquel il a exprimé des remords et s’est excusé de sa conduite devant le commissaire. Le demandeur affirme que son témoignage devant la SAI démontre qu’il a exprimé des remords à l’égard de ses actes et que, de ce fait, la conclusion de la SAI, laquelle a miné les facteurs témoignant favorablement de son degré d’établissement au Canada, est déraisonnable.

[18]  La conclusion de la SAI relativement à cette question est énoncée comme suit au paragraphe 16 des motifs de décision :

[16] Dans les questions posées à l’appelant, j’ai donné à ce dernier la possibilité d’exprimer ses remords quant à la fausse déclaration dont il avait auparavant reconnu l’existence devant moi. L’appelant n’a exprimé aucun remords. Il a plutôt commencé à revenir sur son témoignage antérieur et sur sa position selon laquelle la date de la séparation était erronée à cause d’une erreur de son ancien parajuriste. Ce retour sur une explication discréditée ainsi que l’absence d’expression de remords de quelque nature constituent un autre facteur aggravant dans l’examen que je fais et auquel j’accorde beaucoup de poids dans les circonstances.

[19]  Les éléments de preuve démontrent que, bien que le demandeur ait initialement exprimé des remords, il est ensuite revenu sur sa position selon laquelle la date de la séparation était erronée, n’admettant en fait aucune responsabilité quant à l’erreur commise. Comme il existait des éléments de preuve à l’appui des conclusions de la SAI, aucune erreur quant à l’appréciation des faits n’a été établie.

C.  Intérêt supérieur des enfants

[20]  Le demandeur joint de nouveaux documents à son affidavit concernant l’intérêt supérieur de ses enfants, documents qui, selon lui, auraient dû être produits par son parajuriste. Ces documents comprennent les certificats de naissance des enfants du demandeur, des photographies de lui en compagnie de ses enfants, une preuve de voyage au Royaume‑Uni, des lettres d’amis et de membres de la famille (y compris l’épouse du demandeur) décrivant les difficultés causées par leur séparation et des preuves de virements de fonds pour les frais de scolarité des enfants.

[21]  Le demandeur fait valoir que les nouveaux documents confirment que son épouse et ses enfants éprouvent des difficultés en raison de leur séparation prolongée. Je ne souscris pas à cet avis. Les éléments de preuve démontrent que les enfants du demandeur, qui habitent au Royaume‑Uni et n’ont jamais habité au Canada, réussissent bien à l’école; ils ne donnent aucunement à penser que la situation des enfants au Royaume‑Uni est une situation difficile.

[22]  En outre, l’épouse du demandeur travaille comme pédiatre au Royaume‑Uni grâce à un visa temporaire. Il est difficile de concevoir que la situation d’enfants qui réussissent bien sur tous les plans et qui peuvent compter sur un parent pédiatre habitant au Royaume‑Uni puisse être considérée comme difficile. Il ne fait aucun doute que le bien-être des enfants découle en grande partie du fait que l’épouse du demandeur est pédiatre. Il est généralement reconnu que l’environnement familial est le principal facteur déterminant du bien-être et de la réussite des enfants.

[23]  Le demandeur a avancé l’argument selon lequel ses enfants éprouveront des difficultés au Nigéria, ce pays étant le seul où les membres de la famille pourront vivre ensemble de plein droit. Cet argument n’est pas étayé par des éléments de preuve et est conjectural. Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve qui pourrait amener la Cour à présumer que d’éventuelles demandes de résidence permanente présentées au Royaume‑Uni par les membres de la famille du demandeur ne seraient pas accueillies, ce qui leur permettrait ensuite de parrainer la demande de résidence permanente du demandeur dans ce pays, ou dans d’autres pays étant donné la forte demande de médecins formés.

[24]  Même si la famille devait s’établir au Nigéria, le fait que la mère soit pédiatre, de même que les ressources financières manifestes et les talents du demandeur, que corroborent les documents justificatifs, ne donnent pas à penser que la famille ne pourrait pas retourner dans son pays d’origine et s’établir confortablement dans un endroit considéré comme un refuge intérieur. En ce qui concerne l’absence de documents justificatifs concernant les conditions au Nigéria, ces conditions sont bien connues par les décideurs en matière d’immigration étant donné le nombre important de demandeurs d’asile nigériens qui immigrent au Canada.

[25]  Le fait est qu’en l’absence de documents justificatifs démontrant que l’intérêt supérieur des enfants représente un facteur de difficulté important, il ne peut être raisonnablement avancé que la SAI a commis une erreur au moment d’évaluer et d’appliquer les facteurs d’ordre humanitaire établis dans Ribic. Les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur ne suffisent pas à démontrer que son renvoi du Canada occasionnerait des difficultés à ses enfants.

VI.  Conclusion

[26]  Par conséquent, la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.


JUGEMENT dans le dossier no IMM‑3367‑18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de mai 2019.

Geneviève Bernier, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3367‑18

INTITULÉ :

ADEOLA MICHAEL ABIOBUN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 FÉVRIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 12 MARS 2019

COMPARUTIONS :

Adrienne Smith

POUR LE DEMANDEUR

Sally Thomas

POUR LE DÉFENDEUR

Solomon Orjiwuru

POUR L’INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Battista Smith Migration Law Group

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

Solomon Orjiwuru

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR L’INTERVENANT

 

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