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Date : 20190318


Dossier : IMM‑3926‑18

Référence : 2019 CF 310

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2019

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

TAL YOVEL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision datée du 1er août 2018 par laquelle une agente du Bureau de migration humanitaire d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (l’agente) a refusé la demande de résidence permanente de la demanderesse fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

II.  Contexte

[2]  La demanderesse, Tal Yovel, est une citoyenne d’Israël qui est arrivée au Canada en septembre 2011 à titre de résidente temporaire.

[3]  La demanderesse a épousé un citoyen canadien. Leur fille, Daniella, est née le 9 septembre 2013.

[4]  Le statut de résident temporaire de Mme Yovel a été prolongé à deux reprises, puis elle a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial le 16 décembre 2013.

[5]  Le mariage de la demanderesse s’est détérioré et, le 21 septembre 2015, son époux a retiré sa demande de parrainage d’un conjoint.

[6]  Le 16 janvier 2017, la demanderesse a présenté une demande de prolongation de son permis de travail; cette demande a été refusée le 15 avril 2017.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[7]  La demanderesse a déposé sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande) le 11 avril 2017. La demande invoquait l’établissement au Canada, l’intérêt supérieur de l’enfant et les difficultés à présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger.

[8]  L’agente a refusé la demande (la décision) le 1er août 2018.

[9]  En refusant la demande, l’agente a tiré les conclusions suivantes :

  1. L’emploi exercé par la demanderesse au Canada est d’une durée relativement courte et modeste, mais la demanderesse bénéficie de l’aide financière de ses parents et des paiements d’aliments pour enfant;

  2. Mis à part certains amis au Canada et son engagement auprès des amis de Daniella de la garderie, peu d’éléments de preuve témoignent de son intégration dans sa communauté et dans la société canadienne. La demanderesse a peu d’appuis familiaux au Canada;

  3. Il semble également que la demanderesse se trouve au Canada sans statut depuis le 25 avril 2017;

  4. La demanderesse fait valoir que sa relation avec son époux ne peut être réconciliée et qu’elle et son époux ont l’intention de poursuivre leur instance de divorce;

  5. La demanderesse peut être financièrement autonome en Israël. Au cours d’un voyage de huit mois en Israël de septembre 2015 à avril 2016, la demanderesse a emménagé dans un logement résidentiel distinct de celui de ses parents, a trouvé un emploi et a placé Daniella dans une garderie. De plus, la demanderesse pourrait bénéficier davantage de l’aide de ses parents et de sa belle‑famille en Israël;

  6. Si elle retourne en Israël avec sa mère, Daniella pourrait bénéficier de l’aide de ses deux parents, mais de peu de soutien en personne de son père. Daniella s’est bien adaptée à la vie en Israël pendant son séjour de huit mois. Daniella est principalement sous la garde de la demanderesse depuis sa naissance, et l’était pendant ce voyage. La demanderesse a facilité les contacts en ligne et les visites entre Daniella et son père. Le fait de vivre en Israël permettrait aux grands‑parents de Daniella de subvenir également à ses besoins, comme ils l’ont fait lorsqu’elle s’est rendue en Israël. De plus, Daniella a la double citoyenneté et parle l’hébreu et l’anglais;

  7. Si la demanderesse devait rester au Canada, Daniella pourrait continuer d’être exposée à la relation instable et conflictuelle de ses parents;

  8. Il n’y a pas plus de difficultés que ce qui est inhérent lorsqu’un visiteur retourne dans son pays d’origine après avoir vécu pendant plus de deux ans au Canada. La demanderesse et Daniella ont toutes deux démontré leur capacité de s’établir en Israël;

  9. En ce qui concerne les difficultés qu’éprouveraient la demanderesse et sa fille si elles étaient séparées, peu d’éléments de preuve documentaire témoignent de la possibilité d’une séparation.

IV.  Les questions en litige

[10]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La décision de l’agente comportait‑elle un manquement à l’équité procédurale?
  2. L’analyse de l’agente est‑elle déraisonnable?

V.  La norme de contrôle

[11]  La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte. La norme de contrôle applicable à l’analyse de l’agente est celle de la décision raisonnable.

VI.  Analyse

A.  Question préliminaire

[12]  Le défendeur soutient que les pièces B, H, J et K du dossier de la demanderesse n’ont pas été présentées en bonne et due forme à la Cour et qu’elles devraient être exclues du dossier. Dans la mesure où ces documents n’ont pas été présentés à l’agente et ne font donc pas partie du dossier certifié du tribunal, je suis d’accord.

[13]  Les documents mentionnés dans les pièces ci‑dessus n’ont pas été fournis à l’agente comme éléments de preuve, et je suis convaincu que ces éléments de preuve supplémentaires ne sont pas nécessaires pour dissiper tout doute en matière d’équité procédurale ou de compétence, et que les éléments de preuve, même s’ils sont admis, n’auraient pas d’incidence sur l’issue de la présente décision (Alabadleh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 716, au paragraphe 6).

B.  La décision de l’agente comportait‑elle un manquement à l’équité procédurale?

[14]  Au début de l’audience, l’avocat de la demanderesse a critiqué le Programme de parrainage des époux en disant que le programme était inapproprié et injuste sur le plan de la procédure. Je n’accorde aucun poids à sa position sur ce point.

[15]  La demanderesse soutient que les règles concernant le parrainage d’un conjoint encouragent les femmes à rester dans des relations de violence. On fait valoir que, comme une demande de parrainage d’un conjoint peut être retirée en tout temps avant qu’une décision définitive ne soit prise quant au dossier, le système de parrainage d’un conjoint fait en sorte qu’il est plus facile d’intimider et de manipuler les femmes vulnérables.

[16]  Toutefois, ces arguments n’ont aucune incidence sur la présente instance, reposent sur des conjectures et sont généraux, de sorte qu’ils sont sans fondement.

[17]  Le second argument soulevé par la demanderesse est celui selon lequel plusieurs mois se sont écoulés entre la présentation de la demande et la décision. On soutient que l’agente aurait donc dû convoquer la demanderesse ou sa fille à une entrevue. De plus, la demanderesse indique qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada n’a pas expliqué comment mettre à jour une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, et que le site Web du Ministère mentionne la possibilité d’une entrevue. La demanderesse soutient que cela crée une attente selon laquelle une entrevue aura lieu.

[18]  Le juge John Evans de la Cour d’appel fédérale, a énoncé, dans l’arrêt Owusu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 8, que la personne qui présente une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’a pas un droit d’être interviewé ni même une attente légitime à cet égard :

Le demandeur qui invoque des raisons d’ordre humanitaire n’a pas un droit d’être interviewé ni même une attente légitime à cet égard. Et, puisque le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose, c’est à ses risques et périls qu’il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites. [...]

[19]  De plus, dans le contexte d’une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée depuis le Canada, l’agent d’immigration n’est pas tenu de relever les lacunes de la demande ni de réclamer d’autres observations (Adams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1193, au paragraphe 29).

[20]  La demanderesse n’avait aucune attente légitime à être convoquée à une entrevue en l’espèce. Il n’y a eu aucune iniquité procédurale.

C.  L’analyse de l’agente est‑elle déraisonnable?

[21]  La demanderesse remet en question le caractère raisonnable de la décision quant à cinq aspects. Je vais les examiner à tour de rôle.

(1)  Le défaut de tenir compte d’éléments de preuve

[22]  La demanderesse soutient que la décision de l’agente est déraisonnable parce qu’elle ne fait aucune mention d’une entente signée par les époux le 5 janvier 2016 devant un tribunal de la famille en Israël (l’entente) ou d’un addenda à l’entente signé le 12 avril 2016 (l’addenda). Aux termes de l’entente, l’époux de la demanderesse annulera le retrait du parrainage de son épouse et fera tout son possible pour que la demanderesse obtienne un visa de résident permanent ou un statut juridique au Canada. La demanderesse explique que l’addenda traite des préoccupations selon lesquelles de telles tentatives pourraient s’avérer infructueuses. L’addenda réitère que l’époux de la demanderesse devrait tenter d’obtenir le statut de citoyen pour elle, mais que, si elle ne pouvait pas l’obtenir la citoyenneté, la demanderesse et sa fille auraient le droit de retourner en Israël et d’y vivre.

[23]  Ni l’entente ni l’addenda n’appuient la demande. Bien que l’époux de la demanderesse puisse regretter le retrait de sa demande de parrainage d’un conjoint, il ne cohabite pas dans le cadre d’une relation conjugale avec la demanderesse. Par conséquent, la demanderesse n’est plus admissible à la résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial. L’absence de toute mention de l’entente ou de l’addenda dans la décision n’est pas une erreur. De plus, le tribunal n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite écrite sur chaque élément constitutif du raisonnement, aussi secondaire soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale.

(2)  L’intérêt supérieur de l’enfant

[24]  Les principes régissant la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant ont été énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CSC 61, aux paragraphes 35, 36 et 41 :

35 L’application du principe de l’« intérêt supérieur de l’enfant [. . .] dépen[d] fortement du contexte » en raison de « la multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant » (Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, par. 11; Gordon c. Goertz, [1996] 2 R.C.S. 27, par. 20. Elle doit donc tenir compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité (voir A.C. c. Manitoba (Directeur des services à l’enfant et à la famille), [2009] 2 R.C.S. 181, par. 89. Le degré de développement de l’enfant déterminera l’application précise du principe dans les circonstances particulières du cas à l’étude.

36 La protection des enfants par l’application du principe de l’« intérêt supérieur de l’enfant » fait l’objet d’une reconnaissance générale dans le système de justice canadien (A.B. c. Bragg Communications Inc., [2012] 2 R.C.S. 567, par. 17. Il s’agit dès lors [traduction] « de décider de ce qui [. . .], dans les circonstances, paraît le plus propice à la création d’un climat qui permettra le plus possible à l’enfant d’obtenir les soins et l’attention dont il a besoin » (MacGyver c. Richards (1995), 22 O.R. (3d) 481 (C.A.), p. 489).

[…]

41 Comment un enfant pourrait‑il être plus « directement touché » que lorsqu’il est l’auteur de la demande? À mon avis, il s’ensuit non seulement que l’« intérêt supérieur » doit être considéré comme un élément important, mais aussi qu’il doit jouer dans l’appréciation des autres aspects de la situation de l’enfant. Et comme « [l]es enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés », la notion de « difficultés inhabituelles et injustifiées » ne saurait généralement s’appliquer aux difficultés alléguées par un enfant à l’appui de sa demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire (Hawthorne, par. 9). Puisque l’enfant peut éprouver de plus grandes difficultés qu’un adulte aux prises avec une situation comparable, des circonstances qui ne justifieraient pas une dispense dans le cas d’un adulte pourraient néanmoins la justifier dans le cas d’un enfant (voir Kim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2011] 2 R.C.F. 448 (C.F.), par. 58; HCNUR, Principes directeurs sur la protection internationale no 8 : Les demandes d’asile d’enfants dans le cadre de l’article 1(A)2 et de l’article 1(F) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, HCR/GIP/09/08 (22 décembre 2009)).

[25]  L’agente a dûment tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant de la demanderesse à la lumière des éléments de preuve dont elle disposait. Le dossier révèle que les observations de la demanderesse sur l’intérêt supérieur de l’enfant étaient les suivantes :

  1. La fille de la demanderesse est citoyenne canadienne, la demanderesse est la personne qui s’occupe principalement de l’enfant, et la demanderesse a facilité la relation entre sa fille et son époux lorsqu’elle et son enfant vivaient en Israël;
  2. La demanderesse bénéficiait d’un soutien familial en Israël; elle partageait en outre la garde de son enfant avec son époux, dont elle était légalement séparée;
  3. Selon un rapport d’un intervenant social en Israël, la fille de la demanderesse s’était bien adaptée et elle était heureuse à la garderie qu’elle a fréquentée pendant ses huit mois en Israël. Le rapport indiquait également que la fille de la demanderesse entretenait une relation positive avec son père;
  4. L’intérêt supérieur de la fille de la demanderesse était de rester avec la demanderesse; en outre, la demanderesse était disposée et apte à faciliter la relation de sa fille avec son père, quel que soit leur emplacement physique;
  5. La fille de la demanderesse bénéficierait d’une aide supplémentaire de la part des quatre grands‑parents en Israël.

[26]  Il est toujours regrettable qu’un enfant puisse être séparé d’un parent, mais l’agente en l’espèce n’a pas ignoré, mal interprété ou omis de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant de la demanderesse.

[27]  La demanderesse croit que l’agente aurait dû demander des avis professionnels ou obtenir un rapport d’un pédopsychologue ou d’un autre expert. La demanderesse fait également valoir que, pour que l’agente tienne compte du soutien affectif, social, culturel et financier que le père de Daniella lui procurerait et pourrait lui procurer depuis le Canada, lorsqu’elle est séparée de Daniella si elle se trouve en Israël, n’est pas significatif, puisqu’il n’y aurait pas de véritable soutien en personne.

[28]  Il n’y a pas d’éléments de preuve à l’appui de ces allégations et il n’y a pas inversion du fardeau de la preuve pour le défendeur, comme le laisse entendre la demanderesse, de présenter des éléments de preuve pour aider la demanderesse à établir le bien‑fondé de sa demande. Il incombe à la demanderesse de le faire.

[29]  L’agente n’a pas commis d’erreur susceptible de révision dans son appréciation de l’intérêt supérieur de Daniella. Comme il a été expliqué ci‑dessus, il incombe à la demanderesse d’établir le bien‑fondé de sa demande, et elle n’a pas le droit à ce que l’agente demande des documents en son nom. De plus, selon la preuve au dossier, Daniella a eu une relation positive avec son père pendant son séjour de huit mois en Israël, et rien ne donne à penser que cette situation changerait à l’avenir.

[30]  Il était raisonnable pour l’agente de supposer qu’il serait possible de prendre les mesures qui ont facilité les contacts entre Daniella et son père pendant qu’elle vivait en Israël avec sa mère si la demanderesse et sa fille retournaient en Israël. De plus, le rapport d’un intervenant social en Israël daté du 10 décembre 2015 indique que le père de Daniella a promis [TRADUCTION] « que, si Daniela [sic] retournait au Canada avec lui, il paierait des billets pour permettre à Tal de venir n’importe quand au Canada ».

(3)  Les difficultés

[31]  Les motifs invoqués par un agent pour trancher une question d’ordre humanitaire doivent indiquer que l’agent a tenu compte des facteurs d’ordre humanitaire dans un sens plus large et qu’il ne s’est pas simplement appuyé sur une analyse des difficultés. Dans l’arrêt Marshall c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 72, aux paragraphes 30 à 33, la Cour a déclaré ce qui suit :

30 Dans Kanthasamy, la Cour s’est penchée sur l’historique du pouvoir discrétionnaire lié aux motifs d’ordre humanitaire conféré à l’article 25 de la LIPR. La Cour suprême du Canada a réaffirmé que Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1970] AIA no 1 [Chirwa], présentait des principes directeurs importants pour les évaluations liées aux motifs d’ordre humanitaire qui doivent être appliqués avec l’analyse plus ancienne des « difficultés » exigée par les Lignes directrices :

[13] C’est la Commission d’appel de l’immigration qui, dans la décision Chirwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 A.I.A. 351, s’est penchée la première sur la signification de l’expression « considérations d’ordre humanitaire ». La première présidente de la Commission, Janet Scott, a jugé que les considérations d’ordre humanitaire s’entendent « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable [sic] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la Loi » (p. 364). Cette définition s’inspire de celle que renferme le dictionnaire à l’entrée « compassion », soit [traduction] « chagrin ou pitié provoqué par la détresse ou les malheurs d’autrui, sympathie » (Chirwa, p. 363). La Commission reconnaît que cette définition « implique un certain élément de subjectivité », mais elle dit qu’il doit aussi y avoir des éléments de preuve objectifs pour que la mesure spéciale soit accordée (Chirwa, p. 363).

31 La Cour suprême du Canada a ensuite indiqué ce qui suit :

[21] Mais comme le montre l’historique législatif, la série de dispositions « d’ordre humanitaire » formulées en termes généraux dans les différentes lois sur l’immigration avait un objectif commun, à savoir offrir une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont « de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » (Chirwa, p. 364).

32 En ce qui concerne les difficultés, la Cour suprême du Canada a indiqué que le critère à cet égard s’applique toujours, tout en ajoutant ce qui suit :

[33] L’expression « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » a donc vocation descriptive et ne crée pas, pour l’obtention d’une dispense, trois nouveaux seuils en sus de celui des considérations d’ordre humanitaire que prévoit déjà le par. 25(1). Par conséquent, ce que l’agent ne doit pas faire, dans un cas précis, c’est voir dans le par. 25(1) trois adjectifs à chacun desquels s’applique un seuil élevé et appliquer la notion de « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » d’une manière qui restreint sa faculté d’examiner et de soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes. Les trois adjectifs doivent être considérés comme des éléments instructifs, mais non décisifs, qui permettent à la disposition de répondre avec plus de souplesse aux objectifs d’équité qui la sous‑tendent.

[Souligné dans l’original.]

33 Dans mon examen des motifs de l’agent, je n’arrive pas à trouver d’appréciation de l’approche Chirwa. À mon humble avis, les agents chargés des demandes pour motifs d’ordre humanitaire doivent non seulement tenir compte des facteurs traditionnels des difficultés, mais également de l’approche Chirwa. Je ne dis pas qu’ils doivent réciter Chirwa dans son intégralité, non plus qu’ils doivent utiliser une formule magique ou des mots spéciaux. Les cours de révision doivent cependant avoir une raison de croire que les agents ont fait leur travail, autrement dit, que les agents chargés des demandes pour motifs d’ordre humanitaire ont tenu compte, outre les difficultés, de facteurs humanitaires au sens plus élargi.

[32]  L’agente a étudié la totalité de la preuve produite par la demanderesse et a examiné la demande de manière holistique. L’agente n’a pas limité son analyse aux difficultés auxquelles la demanderesse pourrait, selon ses dires, être exposée si elle devait présenter une demande de résidence permanente selon le processus usuel. L’agente n’a pas écarté, ignoré ou autrement mal compris les observations de la demanderesse selon lesquelles ses liens sociaux et économiques étaient au Canada. Les éléments de preuve ont démontré que la demanderesse connaissait la langue, les coutumes, la société et la culture d’Israël puisqu’elle y était née et y avait grandi. La demanderesse avait fréquenté l’école en Israël et y avait terminé son service militaire obligatoire. La demanderesse avait également pu se procurer un appartement en Israël lorsqu’elle y a vécu entre août 2015 et avril 2016. Les parents et les membres de la belle‑famille de la demanderesse vivent en Israël; l’agente n’a pas commis d’erreur en concluant qu’ils seraient en mesure d’atténuer les difficultés liées au retour en Israël.

[33]  L’agente a examiné l’exposé de la demanderesse selon lequel elle subirait un préjudice psychologique et émotionnel si elle était séparée de sa fille. L’agente a conclu de façon raisonnable que la demanderesse avait fourni peu d’éléments de preuve, voire aucun, selon lesquels elle serait séparée de son enfant. Les éléments de preuve ont révélé que la demanderesse avait continué d’être la personne s’occupant principalement de sa fille au Canada et en Israël. L’agente n’a pas commis d’erreur en concluant que la demanderesse n’était pas visée par une mesure de renvoi, ce qui signifie qu’elle pourrait se rendre au Canada munie de son autorisation de voyage électronique valide si sa demande était refusée. L’agente a choisi de façon raisonnable d’accorder peu de poids aux allégations de la demanderesse concernant les difficultés auxquelles elle serait exposée en Israël.

(4)  L’établissement

[34]  L’agente a affirmé ce qui suit : [traduction] « Peu d’éléments de preuve me permettent d’établir que la demanderesse fait du bénévolat dans sa collectivité, qu’elle s’est engagée dans un organisme communautaire ou participe à d’autres activités, ou qu’elle s’est intégrée à la société canadienne ». La demanderesse soutient qu’elle n’avait ni le temps ni les ressources pour faire du bénévolat. La demanderesse fait remarquer que, si l’on se fie au critère de l’agente, peu de Canadiens, voire aucun, sont [traduction] « établis » au Canada.

[35]  La demanderesse conteste également les commentaires de l’agente concernant sa situation financière. La demanderesse estime que l’agente fait preuve de condescendance en indiquant d’un air approbateur que la demanderesse comptait sur sa famille en Israël. La demanderesse indique en outre que l’agente fait preuve d’ignorance en déclarant que la demanderesse [TRADUCTION] « ne dépend pas des services sociaux au Canada » parce qu’elle n’est pas admissible aux prestations pour enfants du gouvernement du Canada.

[36]  Ces arguments ne sont pas étayés par la preuve. La décision n’est assortie d’aucun ton condescendant. Quant à l’observation selon laquelle la demanderesse reçoit de l’aide financière de ses parents et une pension alimentaire pour enfants au lieu de recourir aux services sociaux, il s’agit simplement d’une observation raisonnable fondée sur la preuve.

[37]  L’agente n’a pas ignoré, écarté ou mal compris les éléments de preuve se rapportant aux activités bénévoles de la demanderesse ou à d’autres activités communautaires menées au Canada. La demanderesse demande à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve sur cette question; ce n’est pas le rôle de la Cour.

(5)  Les autres éléments de preuve

[38]  La demanderesse soutient que l’agente aurait dû appliquer les dispositions de la Loi sur le divorce, LRC 1985, c 3 (2e suppl.) et du Family Law Act de l’Alberta, SA 2003, c F‑4.5. Cet argument est sans fondement. L’agente a bien appliqué les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR], LC 2001, c 27 et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [le Règlement], DORS/2002‑227, aux faits de la demande. La LIPR et le Règlement sont les textes législatifs pertinents à prendre en compte pour de telles demandes. L’agente n’a pas commis d’erreur en appliquant la loi aux observations qui ont été présentées.

[39]  L’agente a dûment examiné l’ensemble des éléments de preuve présentés par la demanderesse. La demanderesse invite en fait la Cour à soupeser à nouveau les facteurs d’ordre humanitaire déposés à l’appui de sa demande, ce que la Cour ne fera pas.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3926‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée;

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de mai 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3926‑18

 

INTITULÉ :

TAL YOVEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 mars 2019

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 mars 2019

 

COMPARUTIONS :

K. Paul Wallace

Pour la demanderesse

Camille N. Audain

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wallace Law Office

Edmonton (Alberta)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

Pour le défendeur

 

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