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Date : 20190326


Dossier : IMM-3298-18

Référence : 2019 CF 375

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 mars 2019

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

AJEGBU IDIMOGU, INNOCENT IBEACUCHI CHIDIEBERE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Innocent Idimogu, demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) qui a rejeté sa demande d’asile. Il a demandé l’asile en raison des risques qu’il courait en tant qu’homosexuel au Nigéria.

[2]   La SPR a jugé que le demandeur manquait de crédibilité, et elle a rejeté sa demande d’asile. Le demandeur soutient que la décision comporte un certain nombre d’erreurs clés et qu’elle doit être infirmée.

I.  Le contexte

[3]  Le demandeur est un citoyen du Nigéria. Il dit qu’il a vécu sa première expérience homosexuelle à l’âge de seize ans, avec un autre adolescent appelé Tony. Il a caché son orientation sexuelle à sa famille. L’année suivante, le demandeur a déménagé aux États-Unis, où il a vécu avec son oncle et la famille de celui‑ci pendant six ans. Le demandeur affirme qu’il n’a eu aucune relation sexuelle pendant qu’il était aux États-Unis, parce qu’il craignait que l’on ne découvre son orientation sexuelle. Lorsque son visa a expiré, il a été appréhendé et renvoyé au Nigéria.

[4]  À son retour au Nigéria, le demandeur a commencé à vivre comme un homme gai et a eu plusieurs relations à court terme. Il a renoué ses rapports sexuels avec Tony. Le demandeur a loué un bungalow, qu’il a partagé avec une autre famille. Il dit qu’à une occasion, il était dans sa chambre et avait des relations sexuelles avec Tony lorsque son voisin est entré dans la chambre et les a découverts. Le voisin a signalé le demandeur à son propriétaire, qui a dit qu’il évinçait le demandeur et le signalerait à la police. Le demandeur a affirmé que son voisin et son propriétaire étaient tous deux des religieux musulmans qui condamnaient l’homosexualité.

[5]  Le demandeur et Tony se sont enfuis chez le cousin de Tony, où ils ont passé quelques nuits, puis sont allés à Lagos, où le demandeur a pris des dispositions pour venir au Canada. Il a demandé l’asile sur le fondement de son orientation sexuelle et du risque de persécution s’il était renvoyé au Nigéria.

[6]  La SPR a rejeté sa demande d'asile, parce qu’elle estimait que le demandeur n’était pas crédible. Comme nous l’expliquerons plus en détail ci-dessous, la SPR a conclu que l’exposé circonstancié du demandeur manquait de vraisemblance, et elle a rejeté les affidavits produits par le demandeur, de même que les autres éléments de preuve produits au soutien de sa demande. Dans l’ensemble, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi le fondement central de sa demande d’asile, à savoir qu’il était un homme gai.

II.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[7]  Le demandeur a soulevé un certain nombre de questions concernant la décision de la SPR, mais je juge que la présente affaire repose sur la question de savoir si la décision de la SPR est déraisonnable et, en particulier, sur celle de savoir si la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle dans son traitement de l’exposé circonstancié du demandeur et de la preuve à l’appui, y compris les affidavits et les éléments de preuve photographique explicites que le demandeur a tenté de produire à l’audience.

[8]  La norme de contrôle concernant l’appréciation de la preuve par la SPR est la décision raisonnable. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable « s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit » (Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc, 2016 CSC 38, au paragraphe 18).

[9]  La norme de la décision raisonnable s’applique à la manière dont la SPR apprécie la preuve dont elle dispose, y compris les conclusions de fait, les conclusions concernant l’authenticité des documents et son interprétation des éléments de preuve documentaire (He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 2, aux paragraphes 17 à 19). Il est bien établi que la Cour doit faire preuve de beaucoup de retenue à l’égard des conclusions de la SPR en matière de crédibilité, parce qu’elle a l’avantage d’observer les personnes qui témoignent et qu’elle a peut‑être une expertise dans le domaine qui fait défaut à la cour de révision (Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 (Rahal), au paragraphe 42).

III.  Analyse

[10]  La SPR a affirmé que « [l]a question déterminante en l’espèce est celle de la crédibilité. Le tribunal estime que le demandeur d’asile n’est pas crédible concernant sa prétendue orientation sexuelle ». Le demandeur fait valoir que cette conclusion n’est pas fondée sur une appréciation raisonnable de la preuve et qu’elle devrait être infirmée. La décision repose sur les conclusions de la SPR en ce qui concerne l’exposé circonstancié du demandeur, en particulier l’incident survenu chez lui, le rejet par la SPR des affidavits, de même que des autres éléments de preuve documentaire, et le refus de la SPR d’admettre en preuve des photographies que le demandeur a tenté de déposer à l’audience. J’examinerai tour à tour chacun de ces éléments.

A.  L’incident survenu à la maison

[11]  La SPR a conclu que l’exposé circonstancié du demandeur manquait de vraisemblance. Dans son témoignage, le demandeur a déclaré que le risque qu’il soit exposé à un préjudice découlait d’un incident crucial : lorsqu’il avait amené Tony à son appartement et qu’ils avaient commencé à avoir des relations sexuelles. Son voisin les avait surpris, puis il avait signalé le demandeur au propriétaire, qui, à son tour, l’avait signalé à la police. La SPR a trouvé que ce récit manquait de plausibilité, essentiellement parce que le demandeur avait déclaré dans son témoignage que son voisin et lui entraient chacun régulièrement dans l’espace personnel de l’autre, « librement [...] et [...] à l’improviste », [traduction] « tout le temps ».

[12]  La SPR a conclu qu’étant donné le risque général dans un pays homophobe comme le Nigéria et le risque de découverte dans une maison où le voisin avait un accès libre, au vu et au su de tous, à l’espace personnel du demandeur, il n’était pas logique que le demandeur ramène Tony chez lui pour avoir des relations sexuelles. Dans son témoignage, le demandeur avait déclaré qu’il n’avait eu aucune relation sexuelle au cours de ses six années passées aux États‑Unis, parce qu’il craignait d’être découvert. À cet égard, la SPR a fait remarquer ce qui suit : « Si le fait d’entretenir des relations homosexuelles aux États‑Unis posait problème pour le demandeur d’asile, celui‑ci n’a pas expliqué pourquoi cela n’était pas le cas dans un pays homophobe comme le Nigéria [...] ». La SPR a conclu qu’il était invraisemblable que le demandeur prenne un tel risque au Nigéria, à la lumière de son témoignage sur la mesure dans laquelle son voisin entrait régulièrement dans son espace personnel.

[13]  Le demandeur fait valoir que cette conclusion quant à l’invraisemblance est déraisonnable. La jurisprudence établit clairement qu’il ne peut être conclu à l’invraisemblance « que dans les cas les plus évidents, c'est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s'attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le [demandeur] le prétend » (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7).

[14]  En outre, le demandeur soutient que la déclaration de la SPR selon laquelle elle a appliqué les Directives no 9 de la CISR intitulées Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre (les Directives) n’est pas suffisante, parce que la SPR n’a pas démontré comment les Directives avaient été appliquées en l’espèce (citant Yoon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1017, au paragraphe 5).

[15]  La Cour a infirmé des décisions dans lesquelles la Commission avait conclu à l’invraisemblance « après avoir examiné "à la loupe" des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la [demande] » (Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 429, au paragraphe 20). Le demandeur affirme qu’une conclusion quant à la vraisemblance exige une constatation, énoncée en termes clairs et non équivoques, selon laquelle les événements n’auraient pas pu se produire de cette façon (Gabilia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 574, au paragraphe 38).

[16]  Dans Cooper c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 118 (Cooper), le juge Donald Rennie a passé en revue les principes qui régissent l’appréciation de la crédibilité. Il a déclaré ce qui suit, au paragraphe 4 : « Une commission peut à bon droit tirer des conclusions sur la crédibilité sur la base des invraisemblances, du bon sens et de la raison : Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 228; Lubana [c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116.] ». La juge Mary Gleason a fait valoir le même point en des termes légèrement différents dans Aguilar Zacarias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1155, au paragraphe 10 : « Pour ce qui est plus précisément des conclusions concernant la crédibilité qui reposent sur des conclusions au sujet de l’invraisemblance d’un témoignage, la Cour a souvent fait la mise en garde de ne tirer de telles conclusions que dans les situations où il est clairement invraisemblable que les faits se soient produits comme le témoin le prétend, à la lumière du bon sens ou du dossier de preuve [...] » (voir aussi Rahal, au paragraphe 44). La juge Catherine Kane a résumé le droit dans N’kuly c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1121 (N’kuly), aux paragraphes 25 et 26 : « La conclusion d’invraisemblance doit [...] être cohérente, sensible aux différences culturelles et énoncée explicitement. [...] De plus, la SPR devrait se fonder sur des éléments de preuve précis pour jauger la vraisemblance du témoignage d’un demandeur. »

[17]  En appliquant cette jurisprudence à la décision de la SPR en l’espèce et en gardant à l’esprit la retenue dont il faut faire preuve à l’égard des conclusions de fait et de crédibilité tirées par la SPR, je ne trouve pas déraisonnable la conclusion de la SPR sur ce point. Elle n’est pas fondée sur un examen « à la loupe » d’éléments accessoires, et les éléments de preuve sur lesquels elle se fonde sont expliqués. Dans les circonstances particulières de l’espèce, il n’était pas déraisonnable de conclure que le récit du demandeur manquait de vraisemblance, vu son témoignage selon lequel son voisin entrait régulièrement dans son espace personnel à l’improviste, le fait que son voisin et son propriétaire étaient des religieux musulmans qui réprouvaient l’homosexualité, compte tenu du contexte social général et du degré d’homophobie au Nigéria, et le fait que le demandeur a affirmé qu’il s’était abstenu de vivre une relation homosexuelle lorsqu’il vivait aux États-Unis, par crainte d’être découvert.

[18]  Je conclus qu’il s’agit là du genre de conclusion quant à la vraisemblance que la SPR peut tirer, en fonction du bon sens et de la raison, à la lumière de la preuve particulière en l’espèce (Hilo; Cooper; N’kuly). Je conclus également que le raisonnement de la SPR était conforme aux Directives. Bien que la SPR n’ait pas appuyé chaque élément de son raisonnement d’un renvoi exprès aux Directives, il ne s’agissait pas d’une erreur susceptible de contrôle. Rien n’indique que la SPR n’a pas tenu compte ou n’a pas été au courant des difficultés particulières que posent à un demandeur l’établissement de son orientation sexuelle; de fait, la SPR en fait mention expressément dans sa décision. Le défaut d’assortir sa décision de renvois exprès aux Directives n’était pas déraisonnable en l’espèce.

B.  Les affidavits

[19]  Le demandeur a produit deux affidavits à l’appui de sa demande : l’un de son ancien patron, et l’autre, du cousin de Tony. La SPR a jugé que les deux étaient problématiques. L’ancien patron a affirmé que son entreprise avait été attaquée et qu'il avait subi des dommages et perdu des clients, parce que son ancien employé (le demandeur) avait été surpris en train de commettre un acte homosexuel. Le patron a dit que le demandeur s’exposait à [traduction] « des conséquences judiciaires de ma part ici parce que son acte criminel a coûté très cher à mon entreprise ». Malgré tous ces problèmes, le demandeur a déclaré dans son témoignage que son patron lui avait donné de l'argent avant qu'il s’enfuie le pays, argent qu'il a affirmé avoir utilisé pour payer sa fuite au Canada. 

[20]  La SPR a exprimé plusieurs préoccupations à l’égard de ces éléments de preuve. La SPR doutait que le patron ait donné de l'argent au demandeur et ait fourni un affidavit favorable, après avoir subi une attaque contre ce magasin et la perte de clients, en raison des actes du demandeur.

[21]  La SPR a également mis en doute l'affidavit du cousin. Le cousin a affirmé que la police recherchait le demandeur et qu'il risquait des années de prison et la torture s'il était arrêté. Le cousin a en outre affirmé que le nom du demandeur figurait sur une [traduction] « liste des personnes les plus recherchées ayant pratiqué la sodomie et fui le pays » et qu'il serait tué par les autorités ou des membres du grand public s'il retournait au Nigéria.

[22]  La SPR avait diverses préoccupations quant à la crédibilité de cet affidavit. Premièrement, il n’était pas logique que, « étant donné les terribles conséquences que le demandeur d’asile aurait à subir au Nigéria pour avoir eu des relations sexuelles avec Tony, l’auteur de l’affidavit attire l’attention sur les méfaits sexuels d’un membre de sa propre famille dans un document fait sous serment, ce qui le rendrait plus vulnérable aux arrestations policières ou aux représailles de la collectivité ». Deuxièmement, le demandeur a témoigné que ni Tony ni lui n'avaient dit au cousin pourquoi ils fuyaient lorsqu'ils avaient séjourné chez lui et que, par conséquent, le cousin ne connaîtrait la raison que si le demandeur la lui avait dite. Cela tendait à diminuer le poids de son témoignage. Enfin, la SPR a noté qu'il n'y avait aucune preuve que le Nigéria tenait une liste d’homosexuels [traduction] « les plus recherchés » et elle a conclu que le cousin avait exagéré la gravité de la situation du demandeur.

[23]  Le demandeur fait valoir que la SPR a commis un certain nombre d'erreurs en rejetant ces affidavits. Il souligne la conclusion de la SPR selon laquelle l'affidavit du patron contient des fautes de grammaire et d'orthographe, et il fait valoir que cela constitue en soi un motif d’infirmer la décision (citant Oranye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 390, au paragraphe 23). Le demandeur conteste également la conclusion de la SPR selon laquelle il n'est pas crédible que le patron ait eu tous les renseignements énoncés dans son affidavit, mais qu'il ne les ait fournies au demandeur qu'après que celui-ci eut communiqué avec lui pour lui demander de fournir un affidavit. Le demandeur propose un certain nombre d'explications quant aux raisons pour lesquelles le patron aurait pu fournir cet affidavit, malgré les problèmes qu'il a éprouvés en raison de la conduite du demandeur au Nigéria. Il soutient que les conclusions quant à l'invraisemblance doivent donc être infirmées.

[24]  Le demandeur prétend également que les conclusions concernant l'affidavit du cousin sont erronées. Il n'y a aucune raison d’écarter l’affirmation selon laquelle le demandeur et Tony avaient eu une relation sexuelle, puisque ce fait était [traduction] « notoire » au Nigéria. Par conséquent, le cousin n’hésiterait pas à affirmer ces faits sous serment dans un affidavit, et cela n'aggraverait pas le risque pour Tony. Comme la SPR n'a pas demandé d'explication au sujet de la liste des personnes les plus recherchées, elle ne peut tirer une conclusion de manque de crédibilité à l’encontre du cousin pour ce motif. Enfin, la SPR a commis une erreur en mentionnant la facilité avec laquelle des documents frauduleux peuvent être obtenus au Nigéria. Le demandeur fait valoir que la simple mention de la disponibilité générale de documents frauduleux dans un pays pour justifier le rejet de la preuve, comme l'a fait le tribunal en l’espèce, constitue une erreur susceptible de contrôle.

[25]  Je ne suis pas convaincu que la SPR a commis des erreurs justifiant d’infirmer ses conclusions sur ces questions. Tout d’abord, il est important de rappeler le principe directeur énoncé par madame la juge Gleason dans Rahal, au paragraphe 42 :

Premièrement — et il s’agit probablement du point le plus important — il faut reconnaître, avant même de se pencher sur une conclusion relative à la crédibilité, que le rôle de la Cour est très limité, étant donné que le tribunal a eu l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve. Ajoutons à cela que, dans bien des cas, le tribunal possède une expertise reconnue dans le domaine qui fait défaut à la cour de révision. Le tribunal est donc bien mieux placé pour tirer des conclusions quant à la crédibilité, et notamment pour juger de la plausibilité de la preuve. En outre, le principe de l’administration efficace de la justice, sur lequel repose la notion de déférence, fait en sorte que l’examen de ce genre de questions doit demeurer l’exception plutôt que la règle. [...]

[26]  J'adopte cette approche pour apprécier les conclusions de la SPR en l’espèce. Et bien que je n'approuve pas toutes les affirmations de la SPR au sujet de ces éléments de preuve, cela ne constitue pas, en soi, un motif pour conclure que la décision est déraisonnable. Toute l’idée du contrôle selon la norme de la décision raisonnable, par opposition au contrôle selon la norme de la décision correcte, est que la décision doit être examinée pour déterminer si elle appartient « aux issues possibles acceptables » pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Ici, par exemple, ce n’est pas tout à fait clair ce que la SPR entend par « [...] il n’est pas crédible que le patron ait disposé de toute cette information et qu’il ne l’ait communiquée qu’après que le demandeur d’asile fut entré en contact avec lui depuis le Canada ». Comme le fait valoir le demandeur, cela ne permet pas de douter de la crédibilité de l'affidavit du patron, puisqu'il n'avait vraisemblablement aucune autre raison de rendre l'information disponible et que le demandeur doit avoir le droit d’établir le bien‑fondé de sa demande. Je suis également d'accord avec le demandeur pour dire que les commentaires concernant la qualité de l'anglais dans l'affidavit sont d'une valeur douteuse comme moyen d'apprécier la crédibilité dans ces circonstances.

[27]  Je conclus toutefois que ces commentaires ne constituent pas le fondement essentiel des conclusions de la SPR quant à la crédibilité des affidavits. La SPR a soulevé des préoccupations au sujet de la vraisemblance des deux affidavits, qui sont expliquées avec un certain degré de détail et qui sont fondées sur la preuve, et non sur des hypothèses culturelles non fondées. C'est précisément ce que la loi exige, et je ne trouve pas que les conclusions de la SPR sont déraisonnables dans les circonstances. Par exemple, le demandeur n'a pas été en mesure de citer des documents ou d’autres éléments de preuve objectifs pour soutenir la prétention selon laquelle le Nigéria tient une [traduction] « liste des personnes les plus recherchées » visant des personnes prétendument homosexuelles qui ont fui le pays. Il n'était pas déraisonnable de la part de la SPR de douter de cette affirmation dans l'affidavit du cousin ou de conclure qu'elle visait à exagérer les risques auxquels le demandeur était exposé. Les autres conclusions sont corroborées de la même façon dans le dossier.

[28]  En outre, la SPR fait état de la disponibilité de documents frauduleux au Nigéria à la fin de son analyse, après avoir formulé des conclusions précises concernant la crédibilité de ces déposants en particulier dans ces circonstances précises. Ce n'est pas déraisonnable.

[29]  À la suite de son audience, la SPR a donné au demandeur l'occasion de présenter d’autres renseignements pour l'aider à établir son orientation sexuelle, et le demandeur a présenté des lettres de deux organismes communautaires. Le demandeur a fait valoir que la SPR avait commis une erreur en accordant peu de poids à ces lettres. Il n'est pas nécessaire d'examiner ces arguments en détail, puisque je conclus que le traitement de ces éléments de preuve par la SPR était raisonnable dans les circonstances.

C.  Les photographies explicites

[30]  À l'audience devant la SPR, le demandeur a tenté de présenter en preuve des photographies explicites qui, selon ses dires, avaient été sauvegardées sur son appareil photo numérique. Le demandeur n'a pas donné d'avis préalable de son intention de produire ces éléments de preuve, et son conseil a reconnu à l'audience qu'il n'avait pas vu les photographies. La SPR a refusé de voir ces photographies, surtout au motif que ces types de photographies auraient peu de valeur probante pour établir l'orientation sexuelle du demandeur dans les circonstances. Cette conclusion relève sans conteste de l'expertise et du mandat de la SPR, et je ne juge pas qu'elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable.

IV.  Conclusion

[31]  Pour ces motifs, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

[32]  Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et les circonstances de la présente affaire n’en soulèvent aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3298-18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de mai 2019

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3298-18

INTITULÉ DE LA CAUSE :

CHIDIEBERE AJAEGBU IDIMOGU, INNOCENT IBEABUCHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 FéVRIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 26 MARS 2019

COMPARUTIONS :

Jeffrey L. Goldman

POUR LE DEMANDEUR

Judy Michaely

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey Goldman Law

Avocat

Toronto (Ontario)

pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

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