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Date : 20190329


Dossier : IMM-4670-17

Référence : 2019 CF 387

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 mars 2019

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

SUKRU BASBAYDAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) du 27 septembre 2017. Il s’agissait de la deuxième fois où la SPR concluait que le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, au titre de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), ni celle de personne à protéger, au titre du paragraphe 97(1) de la LIPR. Le demandeur demande également à la Cour de rendre un jugement déclaratoire au sujet d’un désaccord entre l’avocate et le commissaire de la SPR présidant la seconde audience de la SPR.

II.  Contexte

[2]  Le demandeur demande l’asile au Canada parce qu’il serait en danger en raison de ses opinions politiques en tant que Kurde et pour s’être soustrait au service militaire obligatoire.

[3]  Le demandeur prétend que, pendant son enfance, des membres de sa famille ont refusé de devenir gardes militaires pour leur village turc, Bingol. Par conséquent, sa famille a été forcée de quitter le village et celui‑ci a été incendié.

[4]  Une fois la famille réinstallée à Istanbul, elle s’est impliquée au sein du mouvement kurde. Le demandeur a appuyé le Parti de la société démocratique (le DTP) et, par la suite, le Parti pour la paix et la démocratie (le BDP), qui a succédé au DTP, en assistant aux célébrations du Norouz, en distribuant des dépliants et en participant à des démonstrations.

[5]  À quatre occasions entre 2007 et 2010, le demandeur a été détenu pendant de courtes périodes en raison de sa participation aux activités politiques susmentionnées. Chaque fois, le demandeur a été battu ou menacé de violence, mais il n’a jamais été accusé d’une infraction.

[6]  Le demandeur s’est soustrait au service militaire et il prétend être un objecteur de conscience.

[7]  Le 26 septembre 2010, le demandeur est arrivé aux États‑Unis. Il est entré au Canada le 11 novembre 2010 et il a présenté une demande d’asile peu après à titre d’exception à l’Entente sur les tiers pays sûrs.

III.  Historique judiciaire

A.  Contrôle judiciaire de la décision initiale de la SPR par le juge Zinn (2014 CF 158)

[8]  La demande d’asile initiale du demandeur a été rejetée par la SPR le 9 janvier 2013. Le juge Russell W. Zinn a conclu que la décision était déraisonnable pour plusieurs raisons.

[9]  Premièrement, la conclusion de la SPR selon laquelle il n’existe rien de plus qu’une simple possibilité de persécution était « abusive ». Le juge Zinn a conclu que la SPR avait mal appliqué le critère relatif à la persécution en se concentrant sur le fait que le demandeur n’avait pas démontré qu’il était une personne d’intérêt pour la police. La preuve d’une crainte fondée de persécution suffit pour satisfaire au critère relatif à la persécution. De plus, la SPR n’a pas mentionné les antécédents familiaux du demandeur, y compris les efforts de ses trois frères pour demander l’asile, ni le rapport de 2010 de Human Rights Watch sur les tensions entre les Turcs et les Kurdes, qui indique que toute manifestation de soutien au parti politique kurde peut être considérée comme du terrorisme.

[10]  Étant donné le nombre considérable d’activistes et de manifestants ordinaires qui sont arrêtés, le commissaire de la SPR a conclu qu’il était peu probable qu’en 2009, les agents se seraient souvenus des menaces proférées en 2007. Le juge Zinn a également mis en doute la conclusion défavorable quant à la crédibilité fondée sur cette conclusion d’invraisemblance. Non seulement était‑il incohérent d’admettre simultanément que la police aurait battu des centaines d’activistes tout en niant le danger de la torture, mais rien ne prouvait que ces agents en particulier avaient battu des centaines d’activistes au cours de la période intermédiaire de deux ans. De plus, la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a « spéculé sur les méthodes d’arrestation de la police sans que ses observations à cet égard soient fondées sur la preuve » (Miral c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF nº 254, au paragraphe 25) (Miral).

[11]  L’affirmation de la SPR selon laquelle la preuve d’expertise psychiatrique était suspecte constituait également une erreur susceptible de contrôle. En tant que personne sans expertise médicale, il était inapproprié de la part d’un commissaire d’accorder du poids à ses propres observations sur les problèmes émotifs et psychologiques d’un demandeur d’asile (Miral, au paragraphe 28).

[12]  Pour rejeter la prétention selon laquelle le demandeur est un objecteur de conscience, la SPR a également souligné le fait que le demandeur n’a pas cherché à se joindre à un groupe qui s’opposait au service militaire en Turquie au cours des deux années qu’il avait passées au Canada. Ce faisant, la SPR a ajouté une exigence en matière de preuve qui n’existe pas en droit. Cela était abusif, à la lumière de la preuve documentaire corroborante.

[13]  Enfin, la SPR a commis une erreur en omettant d’évaluer les éléments de preuve documentaire concernant le traitement que la Turquie inflige aux objecteurs de conscience.

B.  Décision contestée

[14]  La SPR a conclu que l’identité et l’origine ethnique kurde du demandeur n’étaient pas en cause. Le commissaire de la SPR a également conclu que le demandeur n’avait pas établi son identité politique ou son identité en tant qu’objecteur de conscience. Par conséquent, le commissaire de la SPR n’a trouvé aucune chance raisonnable ou possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté s’il retournait en Turquie, ni qu’il soit personnellement exposé à un risque de torture, à un risque pour sa vie ou à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités dans un tel cas. Les conclusions particulières du commissaire de la SPR sont exposées ci‑dessous.

(1)  Le demandeur d’asile n’a pas établi le bien‑fondé de sa demande à l’aide d’éléments de preuve suffisamment crédibles et dignes de foi.

[15]  La présomption de véracité établie dans la décision Maldonado c ministre de l’Emploi et de l’Immigration, ([1980] 2 CF 302 (CA)) (Maldonado) peut être écartée si le demandeur d’asile omet de fournir des documents acceptables (Owoussou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 661, au paragraphe 12) (Owoussou). Le commissaire de la SPR soupçonnait que les trois documents à l’appui de l’allégation selon laquelle le demandeur s’est soustrait au service militaire en Turquie, c’est‑à‑dire la lettre de report, la liste des conscrits et la lettre du BDP, « [n’étaient] pas authentiques ou, du moins, ne mentionn[ai]ent pas ce que le demandeur d’asile prétend ».

(2)  Le demandeur d’asile ne risque pas d’être persécuté ou de subir d’autres préjudices parce qu’il est Kurde.

[16]  La preuve documentaire est quelque peu mitigée au sujet des risques auxquels font face les Kurdes, mais le commissaire de la SPR a conclu que la discrimination contre les Kurdes en Turquie ne constitue pas de la persécution pour cette seule raison.

(3)  Le demandeur d’asile ne fait pas face à la persécution ou à d’autres préjudices graves en raison de ses opinions politiques.

[17]  Le demandeur a admis ne pas avoir fait l’objet d’accusations, de déclarations de culpabilité ou encore de rapports de police ou de rapports médicaux de quelque nature que ce soit. De plus, des accusations criminelles l’auraient empêché d’obtenir un visa d’études américain et de franchir les étapes des procédures d’habilitation de sécurité aux aéroports internationaux. En raison de l’absence de preuve, la SPR a tiré une conclusion défavorable.

[18]  La SPR fait également remarquer que « [l]e demandeur d’asile ne prétend nulle part dans l’exposé circonstancié de son FRP (formulaire de renseignements personnels) qu’il a participé aux activités du BDP, le parti qui a succédé au DTP. De plus, outre le témoignage du demandeur d’asile, la seule preuve qu’il a présentée est une lettre provenant apparemment du BDP à Uskudar, son quartier à Istanbul ».

[19]  La SPR s’est appuyée sur la lettre du BDP pour tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité au sujet de l’engagement politique du demandeur. La lettre mentionne seulement que le demandeur a participé à des activités pour les jeunes. La SPR s’attendait à ce que la lettre mentionne les rassemblements, les détentions ou les actes de violence, ou bien les événements organisés. De plus, rien ne corrobore les activités du demandeur au sein du BDP avant 2008. La lettre du BDP indique seulement que le demandeur [traduction] « a participé à des activités pour les jeunes organisées par notre parti de 2008 à 2010 ».

[20]  La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas le profil politique allégué et qu’il n’était pas une personne d’intérêt pour les autorités.

(4)  Le demandeur ne s’est pas soustrait au service militaire.

[21]  La principale raison pour laquelle la SPR a conclu que le demandeur ne s’était pas soustrait au service militaire était l’absence de mandat pour son arrestation ou de toute citation à comparaître de l’armée ou de toute autre autorité turque, comme il serait raisonnable de s’y attendre s’il s’était soustrait au service militaire.

[22]  De plus, la lettre de report du service militaire ne semble pas authentique selon la prépondérance des probabilités. Il ne suffit pas que la lettre soit possiblement crédible ou digne de foi; cela doit plutôt être probable (Orelien c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 1 CF 592, au paragraphe 21). De l’avis de la SPR, la lettre présentait les problèmes suivants :

  • Aucune raison n’a été donnée pour expliquer pourquoi le demandeur s’était donné la peine de traduire la lettre, mais ne l’avait pas présentée avant la deuxième audience de la SPR.

  • Il est suspect que la lettre n’ait pas été rédigée sur du papier à en‑tête officiel. La SPR a considéré que le papier à en‑tête n’était pas officiel parce qu’il n’y avait « aucun logo, symbole ou grand sceau dans la partie supérieure de la lettre, éléments qui se voient habituellement dans les documents officiels du gouvernement ».

  • La lettre n’est pas une lettre type, comme on s’y attendrait d’un organisme de ce genre. Aucune des sections pro forma (c.‑à‑d. les rubriques et les sous‑rubriques) n’est préimprimée.

  • Le sceau est indéchiffrable et son emplacement au centre du document est inattendu.

  • L’en‑tête indique que la lettre provient du « Commandement des conscrits », mais aucune référence à ce bureau du ministère de la Défense nationale n’est faite dans la preuve documentaire. Le nom exact est plutôt le « Département du recrutement ».

  • Selon la lettre, le service militaire du demandeur a été reporté jusqu’en février 2012 mais, d’après la RDI, le processus de conscription se déroule entre le 1er juillet et le 31 octobre de l’année de l’appel.

[23]  La SPR a refusé l’invitation du demandeur d’envoyer la lettre pour une analyse judiciaire parce qu’elle « ne [savait] pas si nos ressources qui effectuent ce genre d’analyse disposent d’un échantillon de lettre de conscription avec lequel elles pourraient comparer la présente lettre ».

[24]  La SPR doute également de l’authenticité de la liste des conscrits. Premièrement, le demandeur ne se souvenait pas de la façon dont le document avait été obtenu, mais il a supposé qu’il avait été envoyé à un « chef » de son quartier en Turquie, puis à son père. La SPR trouve cela peu logique, parce que la commission des conscrits disposait de l’adresse du demandeur et aurait donc pu simplement l’envoyer directement au demandeur. Les avis d’appel sont envoyés à l’adresse domiciliaire de la recrue, d’après la RDI susmentionnée du CND sur la Turquie. La SPR a également noté que la liste n’a pas d’ordre logique.

(5)  Si le demandeur s’est bel et bien soustrait au service militaire, la peine infligée en cas d’insoumission n’est pas disproportionnellement dure ou sévère.

[25]  La peine que le demandeur subirait en cas d’insoumission ne constituerait pas de la persécution, de la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités. Selon les renseignements sur le pays fournis par le ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni au sujet du service militaire en Turquie, « il est peu probable que, dans la majorité des cas, les conséquences découlant de la réticence générale d’une personne à servir dans les forces armées ou à entrer dans une [traduction] "zone de combat" seront de nature telle qu’elles établiraient le bien-fondé d’une demande d’asile ».

(6)  Le demandeur n’est pas un objecteur de conscience.

[26]  Le commissaire de la SPR a conclu que le demandeur ne satisfait pas à l’élément objectif du critère relatif aux objecteurs de conscience. Le service militaire obligatoire en soi ne constitue pas de la persécution (Zolfagharkhani c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 CF 540).

[27]  L’élément subjectif du critère n’a pas non plus été respecté. Le demandeur n’est pas un pacifiste qui s’oppose catégoriquement à la guerre et au militarisme. La SPR a conclu que le demandeur servirait dans les forces armées canadiennes, expliquant toutefois son refus de servir au sein des forces armées turques par sa « haine profonde à leur égard ». La SPR a rejeté l’allégation du demandeur au sujet de ses croyances religieuses contre la guerre et le militarisme parce qu’il ne connaissait pas le passage du Coran à l’appui de sa croyance; il ne se rend à la mosquée qu’une ou deux fois par mois et il a défendu l’utilisation historique de moyens militaires pour propager l’islam. Lorsque le témoignage d’un demandeur d’asile contredit la version écrite de son récit, sa crédibilité générale est irrémédiablement minée (Randhawa c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CanLII 28074 (CA CISR), au paragraphe 37; St Louis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 996 (CanLII), au paragraphe 1).

(7)  Les rapports médicaux n’établissent pas que le demandeur souffre de problèmes de santé en raison de la torture qu’il aurait subie en Turquie.

[28]  Le fait d’accorder peu de poids aux rapports médicaux était fondé sur la conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur; le « témoignage d’opinion n’est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il repose sont vrais » (Danailov c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF nº 1019, au paragraphe 2). De plus, deux des médecins qui ont évalué le demandeur « ne [se sont] pas limité[s] à donner [leur] avis d’expert; [ils ont] défendu des intérêts » (Molefe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 317, au paragraphe 32).

[29]  Le commissaire de la SPR a tiré une conclusion défavorable de l’omission du demandeur de suivre le traitement ou la thérapie prescrit.

(8)  La Cour fédérale n’a pas imposé de verdict.

[30]  La décision de la Cour fédérale selon laquelle certaines conclusions du premier tribunal étaient déraisonnables n’empêche pas le tribunal de prendre sa propre décision en ce qui concerne la preuve dont il dispose. De plus, la demande d’acceptation de la demande d’asile du demandeur sans témoignage de vive voix n’a pas été présentée conformément aux règles.

(9)  La SPR qui préside la deuxième audience n’a pas à se récuser pour partialité.

[31]  Le demandeur s’est appuyé sur deux déclarations du commissaire de la SPR pour demander à la SPR de se récuser pour partialité. À la lumière du fait que le demandeur s’est marié en janvier 2017, la SPR a demandé si l’épouse était citoyenne ou résidente permanente du Canada. Le commissaire a déclaré que l’avocate du demandeur n’était « d’aucune aide » lorsqu’elle a refusé de considérer la question du commissaire parce qu’elle n’était pas pertinente. La deuxième déclaration à laquelle le demandeur s’est opposé était la caractérisation par le commissaire de la SPR de la décision du demandeur de donner suite à sa demande d’asile, au lieu d’être parrainé par son épouse pour obtenir le statut de résident permanent, comme un abus de procédure.

[32]  Seule la seconde déclaration est pertinente en l’espèce. La première raison invoquée par l’avocate pour justifier la décision de donner suite à la demande d’asile était les exigences financières pesant sur un époux pour parrainer un demandeur, laquelle a été rejetée par la SPR comme étant fausse. La deuxième raison invoquée était que l’expulsion est moins probable pour les réfugiés qui ont commis un crime. La SPR a jugé que cela n’était pas pertinent parce que rien ne donne à penser que le demandeur d’asile se livre à des activités criminelles. Lorsque l’avocate a soulevé la préoccupation selon laquelle son épouse pourrait retirer son parrainage, la SPR a rappelé à l’avocate qu’elle pouvait demander une remise de l’audience jusqu’à ce que la demande de parrainage soit terminée.

[33]  La demande de récusation a été rejetée parce que la règle de l’impartialité n’exige pas qu’un juge soit libre d’opinions (R c S (RD), [1997] 3 RCS 484, au paragraphe 35).

IV.  Questions en litige

[34]  Après examen des observations des avocats, la Cour a reformulé les questions de la façon suivante :

  • La SPR a‑t‑elle commis une erreur en ne suivant pas les conclusions et les motifs du juge Zinn?

  • La conclusion de la SPR selon laquelle il n’existe rien de plus qu’une simple possibilité de persécution pour des motifs politiques était‑elle raisonnable?

  • Était‑il raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur ne risque pas d’être persécuté et de subir un traitement et une peine inusités pour s’être soustrait au service militaire?

[35]  La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait et aux conclusions relatives à la crédibilité de la preuve est la norme de la raisonnabilité (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 969, au paragraphe 22). En d’autres termes, la Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47) (Dunsmuir).

[36]  La norme de contrôle applicable aux questions de droit qui ne relèvent pas de l’expertise du décideur est celle de la décision correcte (Alberta (Information and Privacy Commission) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 32).

V.  Dispositions pertinentes

[37]  Voici le libellé des articles 96 et 97 de la LIPR :

Définition de réfugié

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Personne à protéger

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Personne à protéger

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Person in need of protection

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Person in need of protection

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

VI.  Observations des parties

[38]  Étant donné qu’il y a plusieurs documents contenant des arguments, la Cour examinera les arguments par sujet plutôt que par le document dans lequel les arguments apparaissent.

A.  La SPR a‑t‑elle commis une erreur en ne suivant pas les conclusions et les motifs du juge Zinn?

[39]  Le demandeur et le défendeur conviennent que le commissaire de la SPR n’a pas suivi les conclusions et les motifs du juge Zinn, mais ne sont pas d’accord sur la question de savoir si cela était permis. Ils offrent des interprétations différentes d’un arrêt pertinent et récent de la Cour d’appel fédérale (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Yansane, 2017 CAF 48).

[40]  L’arrêt Yansane énonce « qu’un tribunal administratif auquel on renvoie un dossier doit toujours tenir compte de la décision et des conclusions de la cour de révision, à moins que de nouveaux faits ne puissent justifier une analyse différente » (Yansane, au paragraphe 25). Le demandeur soutient qu’il n’y avait pas de nouveaux faits à la seconde audience de la SPR. Le défendeur n’est pas d’accord et souligne l’existence d’un FRP mis à jour et d’une nouvelle allégation selon laquelle le demandeur s’oppose idéologiquement à toutes les formes de violence. Le défendeur soutient qu’il était loisible à la SPR de s’éloigner des motifs du juge Zinn pour des motifs de crédibilité. Ces questions de crédibilité nécessitaient une « analyse différente ».

[41]  Le demandeur soutient que les renseignements supplémentaires ne nécessitent pas une analyse différente. L’exposé circonstancié mis à jour du demandeur, qui atteste simplement qu’il continue d’affirmer son identité kurde, ne nécessite pas une « analyse différente ».

[42]  Le défendeur soutient qu’une nouvelle analyse était nécessaire pour évaluer la crédibilité du demandeur. À l’appui de cet argument, le défendeur soutient que, dans les demandes de contrôle judiciaire, seules les instructions explicitement mentionnées dans le jugement lient le décideur subséquent (Yansane, au paragraphe 19). De plus, il est conseillé au décideur de tenir compte des commentaires et des recommandations de la Cour de révision dans ses motifs, mais il n’est pas tenu de les suivre (Ouellet c Canada (Procureur général), 2018 CAF 25, au paragraphe 7).

B.  La conclusion de la SPR selon laquelle il n’existe rien de plus qu’une simple possibilité de persécution pour des motifs politiques était‑elle raisonnable?

[43]  Le demandeur réitère la présomption énoncée dans la décision Maldonado et rappelle à la Cour qu’aucune incohérence n’a été relevée dans le témoignage du demandeur. De plus, cette présomption ne peut être réfutée au seul motif que les documents à l’appui corroborent certains aspects de la demande, mais pas tous (Plaisimond c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 998, au paragraphe 82).

[44]  La SPR n’a pas cru que le demandeur présentait un intérêt tel pour les autorités qu’il aurait été détenu à quatre occasions, et pourtant que celles‑ci le laisseraient quitter la Turquie, en passant par les habilitations de sécurité de l’aéroport, sans aucun problème. Le demandeur soutient que les faits à l’appui de sa demande ne dépassent pas le cadre de ce à quoi on pourrait raisonnablement s’attendre et qu’aucune preuve documentaire ne contredit ses conclusions. Par conséquent, la conclusion d’invraisemblance de la SPR ne satisfait pas aux exigences énoncées dans la décision Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7 (Valtchev) :

Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est‑à‑dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend.

[45]  Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il n’est fait aucune mention de la participation du demandeur au BDP dans l’exposé circonstancié figurant à son FRP. En fait, voici le premier paragraphe du FRP du demandeur : [traduction] « [j]e crains d’être persécuté en Turquie en raison de mes [...] activités politiques au soutien des droits des Kurdes, du DTP et du BDP ».

[46]  De plus, le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en s’appuyant sur ce que la lettre du BDP ne dit pas pour appuyer sa conclusion selon laquelle le demandeur ne s’expose pas à la persécution ou à un préjudice grave en raison de son opinion politique (Bagri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 784).

[47]  Le défendeur répond que de nombreux facteurs appuient cumulativement la conclusion défavorable quant à la crédibilité concernant la lettre du BDP :

  • l’exposé circonstancié figurant au FRP du demandeur ne mentionne pas que le demandeur était actif au sein du BDP;

  • le BDP indique seulement qu’il a « participé » aux activités pour les jeunes pendant trois ans, et non pas qu’il était un membre actif du parti ou un membre;

  • la lettre ne dit pas que le demandeur a un profil politique qui aurait fait de lui une cible de persécution;

  • le demandeur n’est pas recherché en Turquie pour quelque crime que ce soit et n’a pas de casier judiciaire.

[48]  Par conséquent, le défendeur soutient que la lettre du BDP ne corrobore pas l’exposé général du demandeur.

[49]  Le demandeur soutient également que la SPR a commis une erreur en omettant de faire référence aux demandes d’asile accueillies des trois frères du demandeur.

[50]  Le défendeur soutient que le statut d’immigration des frères du demandeur n’est pas pertinent et a peu de valeur probante. Plus précisément, le défendeur affirme que l’allégation selon laquelle les trois frères ont demandé et obtenu l’asile est fausse. Bien qu’un frère ait obtenu une autorisation de rester au Royaume-Uni pour une période indéterminée, ce n’était pas le résultat d’une demande d’asile. Un autre frère s’est vu accorder une autorisation discrétionnaire de rester au Royaume‑Uni, mais l’une des conditions pour obtenir ce type d’autorisation est que le demandeur n’est pas admissible à l’asile (énoncé de politique sur l’égalité concernant l’autorisation discrétionnaire de rester au pays du ministère de l’Intérieur, 6 avril 2015).

[51]  Le défendeur soutient que les demandes d’asile doivent être examinées selon leur propre bien‑fondé. Bien qu’un des frères du demandeur se soit effectivement vu accorder le statut de réfugié en raison d’une expérience semblable, le tribunal n’est pas lié par le résultat d’une autre demande, même si cette demande concerne un membre de la parenté (Bakary c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1111, au paragraphe 10).

[52]  Le défendeur soutient également que le demandeur a fait une présentation erronée de l’engagement politique de son frère. Alors que le demandeur a déclaré que les trois frères ont participé activement à la cause kurde à l’audience initiale, il a modifié cette déclaration à la nouvelle audience en affirmant qu’ils ont seulement participé bénévolement à des activités pour les jeunes de 2008 à 2010. Ni lui ni ses frères n’étaient membres du BDP.

C.  Était‑il raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur ne risque pas d’être persécuté et de subir un traitement et une peine inusités pour s’être soustrait au service militaire?

[53]  Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de conclure que le demandeur ne s’est pas soustrait au service militaire et qu’il ne serait pas exposé à un risque de persécution ou à un traitement et une peine inusités. Les observations initiales, y compris le FRP initial et le FRP mis à jour, faisaient référence à l’allégation du demandeur selon laquelle il est un « objecteur de conscience » et, dans les dernières observations et dans les plaidoiries orales, l’avocate du demandeur a soutenu que le demandeur était également un objecteur de conscience « sélectif ».

[54]  Le défendeur décrit le témoignage du demandeur au sujet de son allégation de s’être soustrait au service militaire comme étant [traduction] « évolutif et incohérent ». En abordant le traitement que le commissaire de la SPR réserve aux objecteurs de conscience, le défendeur souligne que le demandeur ignore complètement le fait qu’on a conclu qu’il a inventé un nouveau récit à l’audience. En ce qui concerne l’argument de l’objecteur de conscience sélectif, le défendeur soutient que, quelle que soit la caractérisation, la SPR a tenu compte des aspects subjectifs et objectifs de la demande d’asile du demandeur.

[55]  Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en remettant en question la lettre de report du service militaire du demandeur sans préciser à quoi un tel document devrait ressembler. Le demandeur fait également remarquer que, contrairement à l’avocate chevronnée du demandeur, le commissaire de la SPR présidant la seconde audience n’avait jamais vu une telle lettre auparavant. De plus, il a choisi de ne pas envoyer la lettre afin qu’elle fasse l’objet d’une analyse judiciaire. À de nombreuses occasions, la Cour fédérale a conclu que la SPR ne peut conclure qu’un document officiel est falsifié en l’absence de preuve à l’appui de cette conclusion (Tsymbalyuk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1306, aux paragraphes 27 et 28; Cheema c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 224, aux paragraphes 8 et 9; Ramalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF nº 10, au paragraphe 6).

[56]  Le défendeur répond que la SPR avait des raisons de remettre en question l’authenticité de la lettre de report, notamment :

  • le demandeur a attendu jusqu’en 2017 pour divulguer une lettre de 2009;

  • le prétendu ministère qui a envoyé la lettre n’existe pas;

  • le sceau est indéchiffrable;

  • le report aurait été fixé à une date où il n’y aurait pas d’appels.

[57]  Le demandeur soutient que, à la première audience, le commissaire de la SPR a accepté que le demandeur s’était soustrait au service militaire, de sorte qu’il n’était pas nécessaire de présenter d’autres éléments de preuve à l’appui de cette allégation. Le demandeur ne sait pas non plus pourquoi le sceau est à peine visible. Pour ce qui est du nom du ministère sur l’en‑tête, le demandeur soutient qu’il peut s’agir d’une erreur de traduction, étant donné que « Commandement des conscrits » et « Département du recrutement » sont fonctionnellement semblables. En ce qui concerne le retard dans la divulgation de la lettre, le demandeur soutient que cela peut être attribuable à des problèmes de mémoire découlant du passage du temps.

[58]  La principale raison pour laquelle la SPR ne croit pas que le demandeur s’est soustrait au service militaire est qu’aucune lettre n’a été envoyée au demandeur. Toutefois, le demandeur invoque des éléments de preuve qui démontrent qu’il est normal qu’aucune lettre n’ait été envoyée. Selon un représentant de Vicdani Ret Dernegi (VR‑DER), une association turque d’objection de conscience, [traduction] « [...] le ministère de la Défense nationale délivre un mandat d’arrestation contre toute personne se soustrayant au service militaire, mais n’envoie pas d’avis à ce sujet ».

[59]  Le défendeur fait remarquer que, alors que le demandeur renvoie la Cour aux renseignements fournis par une ONG (organisation non gouvernementale) turque, la SPR s’est fondée sur les renseignements fournis par le gouvernement de la Turquie. Il n’est pas déraisonnable que la SPR privilégie les éléments de preuve du gouvernement de la Turquie plutôt que les documents d’une ONG. Même si le commissaire de la SPR avait accepté la version de l’ONG, c’est‑à‑dire qu’un mandat d’arrestation serait délivré, mais que la personne visée ne recevrait pas de lettre, les faits n’appuient pas cette allégation parce qu’il ne semble pas y avoir de mandat pour son arrestation ni de citation à comparaître de l’armée ou de toute autre autorité turque.

[60]  Comme à la première audience de la SPR, le demandeur soutient que la SPR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve démontrant que les objecteurs de conscience font face à des mauvais traitements extrajudiciaires. Le demandeur attire l’attention sur la preuve contenue dans son affidavit, faisant référence à la preuve documentaire, selon laquelle [traduction] « la plupart des objecteurs de conscience qui ont été détenus en Turquie ont signalé des mauvais traitements physiques » (pièce J) et sont [traduction] « souvent maltraités » (pièce I).

VII.  Analyse

A.  La SPR a‑t‑elle commis une erreur en ne suivant pas les conclusions et les motifs du juge Zinn?

[61]  La SPR n’était pas liée par les conclusions et les motifs du juge Zinn. Il est conseillé à la SPR de les prendre en considération, mais ils ne sont pas contraignants, puisqu’il ne s’agit pas de directives ou d’instructions explicites (Ouellet, au paragraphe 7). Il était donc approprié pour le tribunal d’évaluer la preuve de novo à la seconde audience.

B.  La conclusion de la SPR selon laquelle il n’existe rien de plus qu’une simple possibilité de persécution pour des motifs politiques était‑elle raisonnable?

[62]  Le commissaire de la SPR a mal appliqué le critère relatif à la persécution. Les remarques du juge Zinn sont toujours pertinentes (Basbaydar, au paragraphe 14) :

[14]  La SPR s’est concentrée sur le fait que M. Basbaydar n’avait pas montré qu’il présentait un intérêt particulier pour la police. Ce n’était pas ce qu’il était tenu de montrer. Il devait seulement montrer qu’il craignait avec raison d’être persécuté compte tenu de ses opinions politiques ou de sa nationalité et, selon moi, cette crainte fondée est confirmée par la preuve documentaire.

[63]  Bien que la SPR pose la question appropriée - « Le demandeur d’asile est‑il exposé au risque d’être persécuté ou de subir un autre préjudice grave en raison de son profil politique? » -, elle fournit une réponse à une question différente en concluant « Pour ces motifs, je conclus que le demandeur d’asile ne présentait pas le moindre intérêt pour les autorités lorsqu’il a quitté la Turquie en septembre 2010 ».

[64]  La conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’était exposé qu’à rien de plus qu’une simple possibilité de persécution pour des motifs politiques n’est pas étayée par le dossier. Le demandeur a énoncé ces faits et ces craintes dans son FRP.

[65]  La SPR ne peut pas non plus tirer d’inférences défavorables fondées sur ce que la lettre du BDP ne dit pas. Il s’agit là d’une erreur susceptible de contrôle.

C.  Était‑il raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur ne risque pas d’être persécuté et de subir un traitement et une peine inusités pour s’être soustrait au service militaire?

[66]  Il y a essentiellement deux groupes de personnes qui revendiquent le statut d’objecteurs de conscience au statut militaire : ceux qui refusent d’accomplir le service militaire et ceux qui refusent de participer à un conflit donné ((Sounitsky c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2008 CF 345, au paragraphe 25) et (Lebedev c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 728, au paragraphe 45)).

[67]  Les objecteurs sélectifs sont ainsi abordés au paragraphe 171 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le « Guide ») :

N’importe quelle conviction, aussi sincère soit‑elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance du statut de réfugié après désertion ou après insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution.

[68]  La Cour est d’avis que la SPR a fourni des motifs suffisants pour conclure que le demandeur « n’a pas les profonds scrupules et l’opinion sincère d’un objecteur de conscience et qu’il n’a pas fourni d’éléments de preuve objectifs convaincants qu’il est un objecteur de conscience, mis à part son allégation selon laquelle il déteste l’armée turque ». En examinant la décision de la SPR, la Cour est d’avis que le commissaire du tribunal a examiné à la fois le fondement subjectif (paragraphe 170 du Guide) et le fondement objectif (paragraphe 171 du Guide) de l’objection.

[69]  La SPR n’a pas rejeté la lettre de report du service militaire sans preuve. Elle a fourni quatre motifs justifiant la conclusion défavorable connexe quant à la crédibilité. Les explications fournies par le demandeur n’ont pas été acceptées comme étant crédibles.

[70]  Il est raisonnable pour la SPR de préférer l’explication offerte directement par le gouvernement de la Turquie au sujet du traitement réservé aux personnes se soustrayant au service militaire, plutôt que celle reformulée par une ONG. De plus, il est bien établi en droit que le commissaire de la SPR n’a pas à commenter chaque élément de preuve au dossier (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 53).

[71]  Nonobstant le point de vue de la Cour sur cette dernière question, la Cour est convaincue par l’argument du demandeur selon lequel trois erreurs susceptibles de contrôle ont été relevées relativement à la conclusion du commissaire de la SPR selon laquelle il n’existe rien de plus qu’une simple possibilité de persécution. Premièrement, le commissaire de la SPR a mal appliqué le critère relatif à la persécution en analysant si le demandeur intéressait les autorités au lieu de déterminer s’il faisait face à de la persécution ou à un préjudice grave en raison de ses opinions politiques. Deuxièmement, le commissaire de la SPR a appuyé sa décision en affirmant à tort que le demandeur n’avait pas mentionné sa participation au BDP dans son FRP. Troisièmement, c’est une erreur susceptible de contrôle que de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité en se fondant sur ce que la lettre du BDP ne dit pas. En raison de ces trois erreurs, l’analyse menant à la conclusion qu’il n’existait rien de plus qu’une simple possibilité de persécution pour des motifs politiques était déraisonnable.

VIII.  Conclusion

[72]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question de portée générale n’est certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4670‑17

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de juin 2019.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4670‑17

 

INTITULÉ :

SUKRU BASBAYDAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 OctobRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 29 MARs 2019

COMPARUTIONS :

Catherine Bruce

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Suzanne Bruce

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Procureur général du Canada Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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