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Date : 20020214

Dossier : T-834-01

Référence neutre :2002 CFPI 168

Ottawa (Ontario), le 14 février 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                                ANDREW MARK MARSHALL

                                                                                                                                           demandeur

                                                                            et

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA et

LE DIRECTEUR DE L'ÉTABLISSEMENT DE DRUMHELLER

                                                                                                                                           défendeurs

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                 Voici les motifs de la décision par laquelle j'ai rejeté la demande de contrôle judiciaire après avoir d'abord rejeté une requête visant à obtenir l'autorisation de déposer un affidavit complémentaire fait sous serment par le demandeur ainsi qu'une prorogation du délai applicable au dépôt de l'avis de demande de contrôle judiciaire en question.


LES FAITS

[2]                 Étant donné que la chronologie des événements est très importante pour la requête du demandeur, un examen détaillé des faits à l'origine du litige s'impose.

[3]                 Dans la présente demande, M. Marshall cherche à obtenir une ordonnance annulant son transfèrement (non sollicité) par le directeur de l'établissement de Drumheller à l'établissement de Stony Mountain, à l'extérieur de Winnipeg, ainsi qu'une ordonnance exigeant son retour à un établissement de l'Alberta. L'avis de demande introductive d'instance en l'espèce a été déposé le 16 mai 2001; cependant, contrairement aux exigences du sous-alinéa 301c)(ii) des Règles de la Cour fédérale (1998), l'avis ne comporte aucune mention de la date de la décision sous examen ni de la date à laquelle celle-ci a été communiquée pour la première fois à M. Marshall.


[4]                 Après avoir déposé la demande, M. Marshall a présenté, le 17 mai 2001, une requête en vue d'obtenir une ordonnance provisoire exigeant son retour à un établissement de l'Alberta. En réponse à cette requête, les défendeurs se sont opposés, dans leurs prétentions écrites déposées le 23 mai 2001, à l'ensemble de la demande de contrôle judiciaire au motif que la décision finale concernant le transfèrement de M. Marshall a été communiquée à celui-ci le 14 juillet 2000. Par conséquent, les défendeurs ont soutenu que la demande de contrôle judiciaire avait été déposée plus de neuf mois après l'expiration du délai de 30 jours fixé par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, pour la contestation de ces décisions. Voici le texte du paragraphe 18.1(2) :


18.1(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

18.1(2) An application for judicial review in respect of a decision or order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within thirty days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected thereby, or within such further time as a judge of the Trial Division may, either before or after the expiration of those thirty days, fix or allow.


[5]                 Madame le juge Heneghan a rejeté la requête visant à obtenir une mesure de redressement provisoire.

[6]                 Le 1er juin 2001, les défendeurs ont déposé un dossier certifié comprenant le dossier institutionnel relatif au transfèrement contesté.


[7]                 Le 15 juin 2001, l'affidavit à l'appui de la demande de contrôle judiciaire de M. Marshall a été déposé. Rédigé par un avocat qui avait récemment pris sa retraite et qui venait en aide au conseiller juridique de M. Marshall, l'affidavit avait simplement pour effet de joindre les affidavits de M. Marshall et du père de celui-ci qui avaient été déposés à l'appui de la demande de réparation provisoire. La seule preuve concernant la question du respect du délai relatif au dépôt de la demande de contrôle judiciaire ou concernant la date à laquelle l'intention de déposer ladite demande a été formée est la déclaration suivante de M. Marshall :

[TRADUCTION] Je suis actuellement détenu à l'établissement de Drumheller et j'ai été avisé que je serais transféré à l'établissement de Stony Mountain, à Winnipeg, quelque temps l'an dernier. J'ai déposé une contestation de cette décision au moyen du mécanisme d'appel interne de l'établissement; toutefois, bien que je n'aie pas reçu d'avis de décision formel, le rapport mensuel rédigé par M. Smith indiquait que je serais transféré à l'établissement de Stony Mountain, à Winnipeg. Dans mon dernier rapport personnel de l'établissement en date du 12 avril 2001, il est mentionné à nouveau que je serais transféré à Stony Mountain. Une copie de ce rapport est jointe à mon affidavit comme pièce A.

[8]                 Le 18 juillet 2001, les défendeurs ont déposé l'affidavit d'un agent de libération conditionnelle en réponse à la demande de contrôle judiciaire. Dans cet affidavit, l'agent a déclaré sous serment ce qui suit :

[TRADUCTION] J'ai consulté le registre des visiteurs qui se trouve à l'unité d'isolement de l'établissement de Drumheller ainsi que les registres du système de gestion des détenus et je confirme que, le 4 juillet 2000, à 14h35, j'ai informé Andrew Marshall qu'il serait transféré par suite de la décision définitive que le directeur avait prise. Une copie du registre des visiteurs est jointe au présent affidavit comme pièce « 1 » . Une copie des registres contenus dans le système de gestion des détenus est également jointe au présent affidavit comme pièce « 2 » .

De plus, j'ai personnellement remis l'avis final de transfèrement à Andrew Marshall le 14 juillet 2000. Une copie de la Feuille de recommandation et de décision relative au transfèrement (non sollicité) m'a été montrée et est jointe au présent affidavit comme pièce « 3 » .

[9]                 Les inscriptions suivantes figuraient dans les registres du système de gestion des détenus auxquels l'agent de libération conditionnelle a fait allusion dans son affidavit :

[TRADUCTION]

4 juillet 2000:

J'ai informé Marshall de son transfèrement (non sollicité) à l'établissement de Stony Mountain. Il me remettra une contestation au sujet de la décision. Il dispose d'un délai de 48 heures.


7 septembre 2000:

Andrew a été vu par le comité de réexamen des cas d'isolement. Il demeurera dans une unité d'isolement jusqu'à son transfèrement à Stony Mountain. Il a fait savoir au comité que son avocat communiquerait avec l'établissement à ce sujet.

2 novembre 2000:

Andrew a indiqué au cours de l'examen devant le comité qu'il existe une ordonnance judiciaire interdisant son transfèrement de l'établissement de Drumheller à celui de Stony Mountain avant son audience postsuspension. Il s'est fait dire que l'établissement n'avait pas en main cette ordonnance; toutefois, si l'établissement devait la recevoir, il serait tenu de garder le demandeur à Drumheller jusqu'à l'audience.

[10]            La Feuille de décision relative au transfèrement (non sollicité) comporte une note indiquant que l'agent a remis une copie de la décision à M. Marshall le 14 juillet 2000. Ce document faisait partie du dossier du tribunal.

[11]            Voici les événements qui se sont déroulés par la suite :

·            Le 31 août 2001, le dossier du demandeur a été signifié et déposé.

·            Le 24 septembre 2001, le dossier des défendeurs a été signifié et déposé. Dans leur dossier, les défendeurs ont à nouveau fait valoir que la demande de contrôle judiciaire n'avait pas été déposée en temps opportun, puisqu'elle a été déposée plus de neuf mois après la décision s'y rapportant.

·            Le 2 octobre 2001, une demande d'audience a été déposée au nom de M. Marshall.


·            Le 28 novembre 2001, la Cour a ordonné que la demande de contrôle judiciaire soit entendue le 23 janvier 2002.

·            Le 14 janvier 2002, un avis de requête a été déposé au nom de M. Marshall conformément à la Règle 369 en vue d'obtenir l'autorisation de déposer un affidavit complémentaire ainsi qu'une prorogation du délai relatif au dépôt de l'avis de demande.

[12]            L'affidavit complémentaire que M. Marshall cherchait à faire déposer était un affidavit qu'il avait fait sous serment le 4 janvier 2002 et qui se composait en partie d'arguments et de documents non pertinents et postérieurs à la décision sous examen. Les éléments suivants pourraient être pertinents :

[TRADUCTION] J'ai maintenant eu la possibilité de lire l'affidavit de l'agent des libération conditionnelle et je ne puis dire que ce qui suit :

i. Comme je l'ai déjà mentionné, je ne me rappelle pas avoir reçu une copie de la décision finale écrite au sujet de mon transfèrement à l'établissement de Stony Mountain.

[...]

ix. Si j'ai tort au sujet de la signification de la décision finale écrite, je demande à la Cour l'autorisation de modifier ma demande afin de solliciter une prorogation du délai applicable au dépôt de celle-ci.


[13]            L'affidavit ne fait pas état de la date à laquelle la décision a été communiquée à M. Marshall ou de la date à laquelle celui-ci a formé l'intention de présenter la demande de contrôle judiciaire; M. Marshall n'y indique pas non plus s'il a eu des hésitations sur ce point ni ne donne des explications au sujet du retard. Il a été mis en preuve que l'avocate de M. Marshall n'avait reçu aucun avis indiquant que les services seraient couverts par l'aide juridique.

[14]            Une requête visant à ajourner la demande de contrôle judiciaire pour permettre l'examen de la requête fondée sur la Règle 369 a été rejetée, la Cour ayant ordonné que celle-ci soit débattue verbalement au début de l'audition, à la date fixée, de la demande de contrôle judiciaire.

[15]            En conséquence, les questions dont la Cour étaient saisie le 23 janvier 2002 étaient les suivantes :

(i)          Y a-t-il lieu d'accorder à M. Marshall l'autorisation de déposer son affidavit complémentaire?

(ii)         Y a-t-il lieu d'accorder une prorogation du délai relatif au dépôt de la demande de contrôle judiciaire?

(iii)        Les questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire.

ANALYSE

(i)          Y a-t-il lieu d'accorder à M. Marshall l'autorisation de déposer son affidavit complémentaire?


[16]       Voici le texte de la règle applicable, soit l'alinéa 312a) des Règles :


312. Une partie peut, avec l'autorisation de la Cour :

a) déposer des affidavits complémentaires en plus de ceux visés aux règles 306 et 307.

312. With leave of the Court, a party may

(a) file affidavits additional to those provided for in rules 306 and 307.


[17]       Dans Nation Wayzhushk Onigum c. Kakeway, _[2000] A.C.F. n ° 156, le protonotaire Hargrave a résumé les principes régissant l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour :

Selon moi, l'article 312 des Règles de la Cour fédérale de 1998 autorise le dépôt d'affidavits complémentaires dans certains cas précis et dans des circonstances particulières. S'il en était autrement, il serait contraire à l'esprit des procédures de contrôle judiciaire, dont l'objectif est d'obtenir une réparation rapide par la voie d'une procédure sommaire. Bien que le critère général, tel qu'il a été appliqué dans Eli Lilly, Abbott Laboratorieset Bayer A.G. (précités), consiste à déterminer si la preuve additionnelle va dans le sens des intérêts de la justice, aidera la Cour et ne causera pas un préjudice sérieux àla partie adverse, il importe aussi que les affidavits complémentaires ne traitent pas d'une preuve qui aurait pu être présentée avant et qu'ils ne retardent pas indûment les procédures. J'ajouterai deux commentaires à ceci.

Premièrement, la preuve complémentaire doit porter sur des faits additionnels à l'encontre de la preuve de la défenderesse : voir, par exemple, Vrabek c. La Reine [1997] 2 C.T.C. 261, aux pp. 262 et 263 (C.A.F.). De plus, un affidavit en réponse a pour objet de répondre aux prétentions de l'autre partie et non simplement de confirmer la preuve initialement présentée par l'auteur de l'affidavit.

Deuxièmement, une requête pour déposer un affidavit en réponse doit être présentée dans les meilleurs délais. En effet, le contrôle judiciaire procède par voie de requête, une procédure sommaire qui permet d'arriver au procès avec des délais minimaux. De plus, un facteur tout aussi important est qu'un retard peut souvent rendre tout redressement discrétionnaire impossible. [non souligné à l'original]


[18]       En ce qui a trait à l'application de ces principes aux faits dont la Cour est saisie, il est indéniable que la preuve concernant le respect du délai relatif au dépôt de la présente demande ainsi que toute prorogation nécessaire aurait pu et aurait dû être disponible plus tôt.

[19]       Dès le 24 mai 2001, M. Marshall était au courant de la position des défendeurs au sujet du délai et aurait dû déposer tout élément de preuve visant à répondre aux allégations en question au plus tard le 15 juin 2001. Il aurait dû également demander tout délai supplémentaire nécessaire à ce moment.

[20]       Il ne l'a pas fait et il n'en demeure pas moins qu'après le dépôt de la preuve par affidavit et du dossier de réponse des défendeurs, le demandeur aurait dû déposer sans délai toute requête visant à produire des éléments de preuve en réponse à ces documents. M. Marshall ne l'a pas fait et a plutôt présenté une requête fondée sur la Règle 369, neuf jours avant l'audience. La Règle 369 accorde à un défendeur un délai de 10 jours pour répondre à la requête.

[21]       Surtout, compte tenu de la faiblesse générale de la nouvelle preuve proposée par M. Marshall, laquelle ne comporte aucun renseignement sur la date à laquelle il a été informé de la décision et à laquelle il a formé l'intention d'engager des procédures non plus qu'aucune explication au sujet des retards, je ne puis conclure que la preuve proposée irait dans le sens des intérêts de la justice ou aiderait la Cour.


[22]       C'est pourquoi j'ai décidé, dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, de ne pas autoriser le dépôt de l'affidavit complémentaire.

(ii)         Y a-t-il lieu d'accorder une prorogation?

[23]       L'avocate de M. Marshall a admis au cours des plaidoiries que la demande n'a pas été déposée dans le délai prescrit par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7.

[24]       La preuve en ce sens semble inattaquable, pour les raisons qui suivent.

[25]       D'abord, M. Marshall ne mentionne pas à quel moment il a été mis au courant de la décision; je tire une conclusion négative de cette omission et du fait que l'avis de demande ne respecte pas le sous-alinéa 301c)(ii) des Règles.

[26]       En deuxième lieu, ce qui est une raison tout aussi importante, je préfère le témoignage de l'agent de libération conditionnelle, lequel est appuyé par les notes susmentionnées qui se trouvent dans les dossiers du système de gestion des détenus ainsi que par une inscription figurant au registre des visiteurs de l'établissement de Drumheller.


[27]       Enfin, l'avocate de M. Marshall a admis qu'il était raisonnable de déduire que le contenu des examens institutionnels avait été communiqué à M. Marshall vers la date desdits examens. Il appert des notes de l'examen du 4 août 2000 que M. Marshall avait été accepté en vue de son transfèrement non sollicité à l'établissement de Stony Mountain.

[28]       Il est évident qu'en août 2000, si ce n'est avant, M. Marshall était au courant du transfèrement qui avait été décidé à son sujet. Pourtant, ce n'est que le 16 mai 2001 qu'il a engagé la présente demande afin de contester cette décision.

[29]       Étant donné que la demande de contrôle judiciaire a été déposée en dehors des délais, elle devrait être rejetée pour ce motif, à moins qu'une prorogation ne soit accordée.

[30]       Dans Grewal c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 2 C.F. 263 (C.A.F.), la Cour d'appel a appuyé les principes suivants au sujet de l'exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de prorogation :

Reste cependant à savoir s'il existe quelque motif convaincant, quelque justification valable, pour n'avoir pas fait la demande dans le délai de dix jours et si les fins de la justice exigent que la prorogation soit accordée.

Pour répondre à la première de ces questions, il faut notamment se demander si le requérant avait, dans le délai de 10 jours, l'intention de présenter sa demande et s'il a toujours eu cette intention par la suite. Tout abandon de cette intention, tout relâchement ou défaut du requérant de poursuivre cette fin avec la diligence qui pouvait raisonnablement être exigée de lui ne pourrait que nuire considérablement à ses chances d'obtenir la prorogation. La longueur de la période pour laquelle la prorogation est exigée et la question de savoir si cette prorogation causerait un préjudice à la partie adverse et, si c'est le cas, la nature de ce préjudice, sont également pertinentes. Cependant, en dernière analyse, la question de savoir si l'explication donnée justifie la prorogation nécessaire doit dépendre des faits de l'espèce et, à mon avis, nous commettrions une erreur si nous tentions d'énoncer des règles qui auraient l'effet de restreindre un pouvoir discrétionnaire que le Parlement n'a pas jugé bon de restreindre


[31]       Dans Conseil des Canadiens c. Canada (directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) (1997), 212 N.R. 254, la Cour d'appel fédérale a formulé les commentaires suivants au paragraphe 4 après avoir cité l'extrait précédent de l'arrêt Grewal :

À notre avis, on peut résumer cette citation en disant que le requérant qui demande une prolongation de délai doit prouver qu'il a fait preuve de diligence. En l'espèce, le juge n'était manifestement pas convaincu que le Conseil avait satisfait ce critère et nous sommes d'accord avec lui : le Conseil a été informé de la décision contestée le 27 mai 1996; il disposait d'un avis juridique sur la façon de le contester au plus tard le 19 juillet 1996; il n'a décidéd'introduire une instance que le 6 septembre et il ne l'a finalement fait que le 18 septembre.

[32]       À la lumière de ces principes, je ne suis pas convaincue, pour les motifs qui suivent, qu'il est nécessaire d'accorder une prorogation au nom de la justice.

[33]       D'abord, je n'ai nullement été convaincue que M. Marshall a fait preuve de diligence raisonnable. Comme je l'ai déjà mentionné, j'accepte le témoignage de l'agent de libération conditionnelle selon lequel M. Marshall a été informé le 14 juillet 2000 de la décision qui est attaquée. Par la suite, il n'a rien fait pour contester cette décision avant le 16 mai 2001.


[34]       Il semble que, plutôt que de contester la décision concernant son transfèrement, M. Marshall a décidé de présenter deux demandes d'habeas corpus devant la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta dans le cadre des procédures qui avaient été engagées devant la Commission nationale des libérations conditionnelles au sujet de la révocation de la semi-liberté dont il jouissait. Alors que la première demande a donné lieu à une ordonnance en date du 20 décembre 2000, selon laquelle M. Marshall devait être détenu à l'établissement de Drumheller jusqu'à la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles, la deuxième demande datée du 10 avril 2001 a été rejetée et, le 9 mai 2001, un appel a été déposé à l'égard de ce refus devant la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta.

[35]       Ce n'est qu'après le rejet de la deuxième demande d'habeas corpus que la présente instance a été introduite.

[36]       Il convient également de souligner, relativement à la question de la diligence, l'absence d'élément de preuve concernant l'intention d'engager des procédures et l'absence d'explication au sujet du retard connexe. Les retards administratifs liés aux obtentions d'un certificat d'aide juridique ne justifient pas une prorogation de délai et, en tout état de cause, la preuve présentée à ce sujet est faible et indique uniquement que c'est parce qu'aucun avis d'acceptation de la demande d'aide juridique n'avait été reçu à la fin de novembre 2001 qu'une enquête a été menée au sujet de la couverture. Je ne vois pas en quoi ces événements justifient le retard antérieur à novembre 2001.

[37]       J'ai également tenu compte de la durée du retard. La présente demande aurait dû être engagée en août 2000, mais ne l'a été qu'en mai 2001, quelque neuf mois plus tard.


[38]       De plus, j'ai examiné le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire de M. Marshall dans le cadre des exigences liées à la justice.

[39]       M. Marshall a soulevé trois questions au sujet de la décision attaquée :

1.          Le directeur a-t-il commis une erreur de droit en contrevenant au sous-alinéa 28b)(i) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (Loi), et aux alinéas 12b) et d) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition DORS/92-620 (Règlement)?

2.          Le directeur a-t-il commis une erreur de fait en concluant que M. Marshall constituait un risque pour la sécurité à l'endroit de l'établissement et des autres détenus?

3.          M. Marshall a-t-il été victime d'un manquement aux principes de justice naturelle par suite :

(i)          du refus ou de la limitation de son droit aux services d'un avocat et de son droit de présenter une réponse complète à ses questions d'immigration en cours;


(ii)         de l'omission de lui remettre un avis de la décision finale, ce qui l'a privé de la possibilité de présenter une demande de contrôle judiciaire;

(iii)        de l'omission de communiquer les motifs de la décision finale?

[40]       Dans Gravel c. Canada (Service correctionnel), [1999] A.C.F.. n ° 1569 (C.F. 1re inst.), le juge Pinard a examiné la norme de contrôle applicable aux décisions de la nature de celle qui est contestée en l'espèce et s'est exprimé comme suit au paragraphe 4 :

La décision de transférer un détenu dans un établissement plutôt que dans un autre est une décision discrétionnaire (Kelly c. Procureur général du Canada (1987), 12 F.T.R. 296), laquelle est assortie de l'obligation de respecter les exigences de l'équité procédurale (Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2). La règle générale relative à la norme de contrôle applicable àsemblable décision discrétionnaire a été énoncée succinctement par le juge McIntyre dans Maple Lodge Farms, supra, aux pages 7 et 8 :

C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

[41]       À mon avis, c'est là la norme de contrôle applicable; or, l'avocate de M. Marshall a soutenu, dans le cadre des arguments qu'elle a invoqués, que la décision était susceptible de révision selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, qui appelle la plus grande retenue.


[42]       En ce qui a trait à la première erreur reprochée, soit le fait que le directeur aurait contrevenu au sous-alinéa 28b)(i) de la Loi, je reproduis le libellé de l'article 28 :


28. Le Service doit s'assurer, dans la mesure du possible, que le pénitencier dans lequel est incarcéré le détenu constitue le milieu le moins restrictif possible, compte tenu des éléments suivants_:

a) le degré de garde et de surveillance nécessaire à la sécurité du public, à celle du pénitencier, des personnes qui s'y trouvent et du détenu;

b) la facilité d'accès à la collectivité à laquelle il appartient, à sa famille et à un milieu culturel et linguistique compatible;

c) l'existence de programmes et services qui lui conviennent et sa volonté d'y participer.

28. Where a person is, or is to be, confined in a penitentiary, the Service shall take all reasonable steps to ensure that the penitentiary in which the person is confined is one that provides the least restrictive environment for that person, taking into account

(a) the degree and kind of custody and control necessary for

(i) the safety of the public,

(ii) the safety of that person and other persons in the penitentiary, and

(iii) the security of the penitentiary;

(b) accessibility to

(i) the person's home community and family,

(ii) a compatible cultural environment, and

(iii) a compatible linguistic environment; and

(c) the availability of appropriate programs and services and the person's willingness to participate in those programs.


[43]       Le raisonnement invoqué au soutien de transfèrement de M. Marshall a été exposé comme suit :

[TRADUCTION] Marshall purge une peine d'emprisonnement de sept ans et trois mois après avoir été reconnu coupable d'agression et de proxénétisme ainsi que du fait d'avoir vécu des produits de la prostitution. Sa libération d'office doit avoir lieu en septembre 2002. Il a participé à plusieurs programmes et a été libéré sous condition à quelques reprises pendant cette peine. D'après son dossier, il s'est bagarré avec des délinquants ayant des besoins spéciaux, il a désobéi à des règles de l'établissement, il a manqué de respect à l'endroit du personnel et il aurait agressé un autre contrevenant. Le 16 juin 2000, il a été placé dans une unité d'isolement après qu'une hampe, un coup de poing américain et un couteau universel ont été trouvés dans sa cellule. L'établissement de Drumheller applique une initiative dans le cadre de laquelle tous les détenus ont la même possibilité de participer à des programmes dans un environnement sûr. Il est évident que Marshall n'a pas l'intention de respecter les règles et règlements ni de participer à l'initiative offerte à l'établissement de Drumheller. Le transfèrement non sollicité à l'établissement de Stony Mountain est approuvé.


[44]       Compte tenu de la nature discrétionnaire de la décision, le directeur avait le droit d'évaluer le facteur mentionné au sous-alinéa 28b)(i) de la Loi au regard des préoccupations liées à la sécurité de l'établissement et des personnes qui s'y trouvent.

[45]       De plus, en ce qui a trait à la facilité d'accès pour M. Marshall à la collectivité à laquelle il appartient et à sa famille, il a été mis en preuve que la direction de l'établissement de Bowden, situé en Alberta, avait été consultée au sujet d'un transfèrement, mais que cette mesure n'avait pas été recommandée, en raison d'une incompatibilité reconnue avec une personne déjà détenue à cet établissement. Une incompatibilité similaire avec le pénitencier de la Saskatchewan a également été mise en preuve, de sorte que le seul autre établissement à sécurité moyenne existant dans la Région des Prairies était celui de Stony Mountain.

[46]       L'article 12 du Règlement que M. Marshall a invoqué est ainsi libellé :



12. Sauf dans le cas du transfèrement demandé par le détenu, le directeur du pénitencier ou l'agent désigné par lui doit, avant le transfèrement du détenu en application de l'article 29 de la Loi :

a) l'aviser par écrit du transfèrement projeté, des motifs de cette mesure et de la destination;

b) après lui avoir donné la possibilité de préparer ses observations à ce sujet, le rencontrer pour lui expliquer les motifs du transfèrement projeté et lui donner la possibilité de présenter ses observations à ce sujet, en personne ou par écrit, au choix du détenu;

c) transmettre les observations du détenu au commissaire ou à l'agent désigné selon l'alinéa 5(1)b);d) l'aviser par écrit de la décision définitive prise au sujet du transfèrement et des motifs de celle-ci :

(i) au moins deux jours avant le transfèrement, sauf s'il consent à un délai plus bref lorsque la décision définitive est de le transférer,

(ii) dans les cinq jours ouvrables suivant la décision, lorsque la décision définitive est de ne pas le transférer.      

12. Before the transfer of an inmate pursuant to section 29 of the Act, other than a transfer at the request of the inmate, an institutional head or a staff member designated by the institutional head shall

(a) give the inmate written notice of the proposed transfer, including the reasons for the proposed transfer and the proposed destination;

(b) after giving the inmate a reasonable opportunity to prepare representations with respect to the proposed transfer, meet with the inmate to explain the reasons for the proposed transfer and give the inmate an opportunity to make representations with respect to the proposed transfer in person or, if the inmate prefers, in writing;

(c) forward the inmate's representations to the Commissioner or to a staff member designated in accordance with paragraph 5(1)(b); and

(d) give the inmate written notice of the final decision respecting the transfer, and the reasons for the decision,

(i) at least two days before the transfer if the final decision is to transfer the inmate, unless the inmate consents to a shorter period; and

(ii) within five working days after the decision if the final decision is not to transfer the inmate.


[47]       D'après ce qu'il a dit au cours de son témoignage, que j'ai accepté, l'agent de libération conditionnelle a rencontré M. Marshall au sujet du transfèrement proposé et lui a donné l'occasion de formuler des observations. M. Marshall a formulé des observations écrites. Par conséquent, l'alinéa 12b) du Règlement a été respecté, comme la preuve l'indique. De plus, l'agent de libération conditionnelle a mentionné que M. Marshall avait reçu un avis écrit de la décision définitive, ce qui est une autre preuve du respect de l'alinéa 12d) du Règlement.

[48]       En ce qui a trait à l'erreur de fait reprochée, M. Marshall ne nie pas que des armes et des articles de contrebande ont été trouvés dans sa cellule. Dans ses observations écrites concernant le transfèrement non sollicité, il a simplement mentionné qu'il avait la preuve que les articles trouvés ne lui appartenaient pas. En conséquence, il existe des éléments de preuve appuyant la décision du directeur selon laquelle M. Marshall constituait un risque pour la sécurité.


[49]       Quant au troisième motif, soit les manquements reprochés aux principes de justice naturelle, il appert du témoignage de l'agent de libération conditionnelle que M. Marshall a reçu un avis de la décision définitive, laquelle faisait état des motifs susmentionnés.

[50]       M. Marshall a insisté sur le fait qu'il a été difficile et sera difficile pour lui de communiquer avec son avocate de Calgary depuis l'établissement de Stony Mountain. D'après la preuve dont je suis saisie, la seule différence entre l'établissement de Drumheller et celui de Stony Mountain à ce sujet est le fait que, si M. Marshall veut voir son avocate, celle-ci devra parcourir une plus grande distance pour venir à sa rencontre. À mon avis, c'est là, tout au plus, un inconvénient et non un manquement aux principes de justice naturelle.

[51]       Compte tenu de l'absence de diligence et du fait que les arguments invoqués au soutien de la demande de contrôle judiciaire semblent faibles, j'en suis arrivée à la conclusion, dans le cadre de l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, que la demande de prorogation de délai devrait être refusée. Il s'ensuit que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée, parce qu'elle a été présentée en dehors des délais.

DÉPENS

[52]       Au cours de l'audience, j'ai différé ma décision au sujet des dépens. Les défendeurs ont demandé des dépens de 500 $ à l'égard de la requête visant à obtenir l'autorisation de déposer la preuve complémentaire ainsi qu'une prorogation de délai et des dépens de 500 $ relativement à la demande de contrôle judiciaire. Ils ont invoqué à ce sujet les dispositions du paragraphe 410(2) des Règles, dont le libellé est le suivant :



410(2) Sauf ordonnance contraire de la Cour, les dépens afférents à une requête visant la prolongation d'un délai sont à la charge du requérant.

410(2) Unless the Court orders otherwise, the costs of a motion for an extension of time shall be borne by the party bringing the motion.


[53]       Pour sa part, M. Marshall a fait valoir qu'aucun montant ne devrait être accordé au titre des dépens, parce qu'il n'a pas agi de manière abusive et qu'il est actuellement détenu et ne travaille pas.

[54]       À mon avis, les dépens devraient suivre l'issue de la cause. Étant donné que la requête visant à obtenir une prorogation et la demande de contrôle judiciaire ont été entendues ensemble, un montant de 500 $, y compris les débours, au titre des dépens m'apparaît justifié.

ORDONNANCE

[55]       PAR CONSÉQUENT, LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.          La requête visant à obtenir l'autorisation de déposer un affidavit complémentaire est rejetée.

2.          La requête visant à obtenir une prorogation du délai applicable au dépôt de l'avis de demande de contrôle judiciaire est rejetée.

3.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


4.          Le demandeur paiera aux défendeurs des dépens fixés au montant de 500 $, y compris les débours.

« Eleanor R. Dawson »

Juge                        

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                              T-834-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          Andrew Mark Marshall c. Le solliciteur général du Canada et al

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Calgary

DATE DE L'AUDIENCE :                             le 23 janvier 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                     Madame le juge Dawson

DATE DES MOTIFS :                                     le 14 février 2002

COMPARUTIONS:

Roxanne Haniff-Darwent                                                  POUR LE DEMANDEUR

Rick Garvin                                                                        POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Darwent Law Office                                                          POUR LE DEMANDEUR

Calgary

Morris Rosenberg                                                              POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

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