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Date : 19990716


Dossier : IMM-3445-99


ENTRE :

     THOMAS STUART CHARLES,

     demandeur,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE GIBSON :


[1]      Le 15 juillet, j'ai entendu par téléconférence une demande de sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi prise à l'encontre du demandeur. Le demandeur devait être renvoyé en Écosse le 16 juillet en fin de journée.

[2]      La demande de sursis s'inscrit dans le cadre d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire visant à obliger le défendeur à se prononcer sur la demande par laquelle le demandeur sollicite, alors qu'il se trouve au Canada, le droit d'établissement pour des raisons d'ordre humanitaire. Cette demande date du 11 février 1999.

[3]      À la fin de l'audience par téléconférence j'ai rendu une ordonnance formulée en ces termes :

         La Cour ordonne qu'il soit sursis au renvoi du demandeur en attendant que le défendeur se prononce sur la demande de droit d'établissement déposée au Canada même par le demandeur qui invoque pour cela des motifs d'ordre humanitaire. Cette demande date du 11 février 1999.

Voici les brefs motifs sur lesquels est fondée cette ordonnance.

[4]      Le demandeur a 27 ans. Il est au Canada depuis l'âge de trois ans. Il n'a, au Canada, aucun statut, c'est-à-dire qu'il n'est pas citoyen canadien, ni immigrant reçu, ni résident permanent, et qu'il n'est pas autorisé à séjourner au Canada en tant que visiteur. En 1992 et 1993, il a été déclaré coupable de voies de fait, de vol qualifié et d'entrave à la justice, la déclaration de culpabilité de voies de fait lui valant une peine de 30 jours et les deux autres, une peine de quatre mois. Il affirme n'avoir été l'objet d'aucune autre accusation depuis ces condamnations. Le 22 mai 1998, le demandeur a épousé une citoyenne du Canada. Lui et son épouse ont une petite fille de sept mois, née au Canada. Pendant un certain temps, le demandeur a eu un emploi rémunéré. Maintenant, en raison de ses problèmes d'immigration, il ne peut plus travailler à l'extérieur. Il exerce donc, à plein temps, les fonctions d'homme d'intérieur, son épouse étant le soutien familial.

[5]      Bien qu'il soit trop tôt pour prévoir quelles pourront être les incidences de l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)1, j'estime que cet arrêt soulève effectivement une question grave qui doit être tranchée dans le cadre de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'origine de la présente demande. Cette question peut se résumer ainsi :

         À la lumière de l'arrêt Baker, est-il loisible au défendeur d'expulser du Canada une personne qui, alors qu'elle se trouvait au Canada, a déjà présenté au défendeur une demande de droit d'établissement et qui invoque à son appui des considérations d'ordre humanitaire, à savoir que :
-      la demande de droit d'établissement présentée au Canada même a été déposée dans les délais prévus;
-      rien n'indique que la personne en question représente un danger immédiat pour la population du Canada; et
-      cette personne a un enfant né au Canada et à l'égard duquel elle a assumé ses responsabilités parentales?

[6]      L'avocat du défendeur a cité les décisions Calderon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)2 et Kerrut c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)3 pour faire valoir qu'aux fins d'une demande de sursis d'exécution, on doit entendre par " préjudice irréparable " un risque sérieux pour la vie ou la sécurité d'un demandeur. Aucun danger pour la vie ou la sécurité du demandeur n'a été allégué ici, et les faits qu'on m'a présentés n'auraient pas permis de l'alléguer avec succès.

[7]      D'après moi, et en toute déférence, aux fins d'un sursis d'exécution, la notion de préjudice irréparable n'exige pas la mise en péril vraisemblable de la vie ou de la sécurité d'un demandeur. Je ne suis pas du tout convaincu que la décision Kerrut ait ce sens-là, et la décision Calderon est basée sur la décision Kerrut4. Compte tenu des faits qui m'ont été présentés, je conclus que l'exécution de l'ordonnance d'expulsion rendue contre le demandeur le 22 avril 1999, soit plus de deux mois après que le demandeur eut présenté sa demande de droit d'établissement invoquant des motifs d'ordre humanitaire, entraînerait, pour le demandeur, un préjudice irréparable.

[8]      J'aborde brièvement maintenant le troisième élément du critère permettant de dire s'il y a lieu ou non d'accorder un sursis, à savoir la prépondérance des inconvénients. Il est bien établi que le défendeur a, juridiquement, l'obligation d'exécuter une ordonnance d'expulsion " dès que les circonstances le permettent ". D'après moi, l'expression " dès que les circonstances le permettent ", constitue un critère souple. Le fait que c'est l'arriéré des demandes de droit d'établissement présentées au Canada même pour des motifs d'ordre humanitaire qui a empêché le défendeur de se prononcer sur la demande présentée par le demandeur et que cet état de choses doit semble-t-il l'empêcher pendant plusieurs mois encore de statuer sur cette demande, ne devrait agir au détriment du demandeur. Ayant conclu à l'existence d'une question grave à trancher dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire déposée par le demandeur, et ayant conclu également que le demandeur subirait un préjudice irréparable s'il était renvoyé avant que ne soit tranchée sa demande de droit d'établissement, je conclus que la prépondérance des inconvénients joue en faveur du demandeur.

[9]      En conséquence, la Cour a rendu l'ordonnance exposée au début des présents motifs.

[10]      La documentation déposée devant la Cour par le demandeur dans le cadre de cette demande de sursis était tout à fait insuffisante. Bien que le demandeur ait fait savoir au cours de la téléconférence qu'il dispose de l'aide et des conseils d'un avocat pour faire face à ses problèmes d'immigration, le nom de l'avocat en question n'a pas été fourni et la documentation déposée ne traduit pas le niveau de compétence auquel on est en droit de s'attendre de la part d'un avocat. C'est pourquoi, au cours de la téléconférence, j'ai recueilli le témoignage du demandeur alors qu'il n'était pas assermenté, et c'est sur ce témoignage que je me suis fondé. L'avocate du défendeur ne s'est pas opposée à cela, et elle a pu, même si je n'en ai pas eu moi-même l'occasion, observer le comportement du demandeur alors qu'il répondait à mes questions. S'il y avait eu objection, étant donné le rythme auquel la procédure évolue dans cette affaire, et le fait qu'à toutes fins utiles le demandeur n'était pas représenté, j'aurais ajourné l'audience afin de donner au demandeur la possibilité de produire un affidavit plus complet.

     Frederick E. Gibson

                                         Juge     

OTTAWA (ONTARIO)

Le 16 juillet 1999

Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, B.A., LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              IMM-3445-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      THOMAS STUART CHARLES c. MINISTRE DE LA
                     CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :          TÉLÉCONFÉRENCE ENTRE TORONTO ET OTTAWA

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 15 JUILLET 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE GIBSON

DATE :                  LE 16 JUILLET 1999



ONT COMPARU :

THOMAS STUART CHARLES                  POUR LE DEMANDEUR

ALTON (ONTARIO)

Mme GERALDINE MacDONALD                  POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Le demandeur agissant en sa propre cause              POUR LE DEMANDEUR


M. Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      [1999] A.C.S. no 39.

2      (1996), 30 Imm. L.R. (2d) 256 (C.F. 1re inst.).

3      (1992), 53 F.T.R. 93.

4      Voir mon analyse sur ce point dans Calabrese c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) , (1996), 115 F.T.R. 213, aux pp. 216 à 218.

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