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                                                                                                                                  Date: 20010124

                                                                                                                       Dossier: IMM-525-00

OTTAWA (Ontario), le 24 janvier 2001

DEVANT : Monsieur le juge Rouleau

ENTRE :

MOKSUD, ASIF

                                                                                                                                          demandeur

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

ORDONNANCE

[1]         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

           « P. ROULEAU »             

        JUGE

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                                                                                                                  Date: 20010124

                                                                                                                       Dossier: IMM-525-00

ENTRE :

MOKSUD, ASIF

                                                                                                                                          demandeur

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle Raymond Gabin, vice-consul au consulat général du Canada à Buffalo (l'agent des visas) a refusé, le 7 janvier 2000, la demande que le demandeur avait présentée en vue de résider en permanence au Canada pour le motif que celui-ci n'était pas admissible aux fins de la sélection à titre d'ingénieur en logiciel et qu'il n'était donc pas admissible en vertu de l'alinéa 19(2)d) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi).

[2]         Le 17 octobre 1999, le demandeur a présenté une demande en vue de résider en permanence au Canada au consulat général du Canada, à Buffalo, à titre de membre de la catégorie des immigrants indépendants. La profession qu'il prévoyait exercer au Canada était celle d'ingénieur en logiciel.


[3]         Le demandeur est titulaire d'un baccalauréat en commerce et de deux maîtrises en administration des affaires.

[4]         L'agent des visas a conclu que le demandeur n'avait pas les qualités minimales énoncées dans la CNP sous l'appellation « ingénieur en logiciel » , étant donné que selon l'une des conditions d'accès à cette profession, il faut un baccalauréat en génie informatique, électrique ou électronique, ou en génie physique, en informatique, en physique ou en mathématiques.

[5]         L'agent des visas a également apprécié le demandeur à titre de nouveau travailleur (no 9914.0 de la CNP). Toutefois, étant donné qu'à l'heure actuelle, le facteur professionnel relatif à cette profession est nul, le demandeur ne pouvait pas obtenir un visa conformément au paragraphe 11(2) du Règlement sur l'immigration de 1978.

[6]         L'agent des visas n'a pas attribué de points d'appréciation au demandeur à l'égard du facteur professionnel et il n'a pas effectué d'entrevue. La demande a été refusée.

[7]         En l'espèce, il s'agit uniquement de déterminer si l'agent des visas a commis une erreur en omettant d'apprécier le demandeur à l'égard des professions de programmeur (no 2163 de la CNP) et d'analyste de systèmes informatiques (no 2162 de la CNP).


[8]         Le demandeur soutient que l'agent des visas aurait dû l'apprécier à l'égard des autres professions inhérentes à son expérience professionnelle. Les professions de programmeur et d'analyste de systèmes informatiques, à l'égard desquelles il allègue avoir les compétences nécessaires, sont compatibles et font intrinsèquement partie de l'appellation « ingénieur en logiciel » .

[9]         Le demandeur affirme que l'agent des visas aurait dû tenir compte de ses aptitudes, de son expérience professionnelle antérieure et de la question de savoir si cela constitue de l'expérience dans les professions envisagées.

[10]       Le défendeur déclare que l'argument que le demandeur a invoqué devant l'agent des visas, à savoir qu'il avait les compétences voulues et qu'il était prêt à exercer au Canada les professions de programmeur (no 2163 de la CNP) et d'analyste de systèmes informatiques (no 2162 de la CNP) n'est pas fondé en fait et que la Cour ne devrait donc pas en tenir compte.


[11]       Selon le défendeur, il n'est pas justifié pour le demandeur de soutenir que l'agent des visas n'a pas tenu compte de ses aptitudes et de son expérience professionnelle passée. Au contraire, l'agent des visas a clairement dit dans sa décision qu'il avait minutieusement apprécié la formation et l'expérience du demandeur à l'égard de la profession d'ingénieur en logiciel et qu'il avait fait enquête à cet égard, en se fondant sur les renseignements que le demandeur avait fournis dans sa demande. Le fait que l'agent des visas a apprécié le demandeur à l'égard de la profession pour laquelle ce dernier semblait avoir la formation nécessaire (à savoir celle de nouveau travailleur) ne peut pas être considéré comme une erreur de sa part, justifiant l'intervention judiciaire. Au contraire, cela montre que l'agent des visas n'a pas cherché à exclure le demandeur, mais qu'il a plutôt cherché à faciliter son admission au Canada.

[12]       En outre, le demandeur n'a pas démontré que son expérience professionnelle et sa formation universitaire correspondent aux conditions énoncées dans la CNP en ce qui concerne les professions de programmeur et d'analyste de systèmes informatiques. Ces professions ne font pas intrinsèquement partie de l'appellation « ingénieur en logiciel » . La CNP dit plutôt qu'il s'agit d'appellations à ne pas confondre.

[13]       Selon le défendeur, il s'agit en fait de savoir si l'agent des visas était tenu d'apprécier la demande à l'égard des professions de programmeur et d'analyste de systèmes informatiques, même si le demandeur n'avait pas fait savoir qu'il était prêt à exercer ces professions au Canada. Le défendeur soutient que l'agent des visas n'était pas tenu en droit d'apprécier les professions qui n'étaient pas mentionnées dans la demande et dans la lettre d'envoi comme étant des professions que le demandeur était prêt à exercer au Canada. Selon l'interprétation donnée par le défendeur à la jurisprudence de cette cour, l'agent des visas n'est pas tenu d'apprécier le demandeur à l'égard de toutes les professions possibles pour lesquelles celui-ci est admissible, mais il est plutôt tenu de l'apprécier à l'égard des professions que celui-ci est prêt à exercer au Canada.


[14]       À l'appui de ses prétentions, le demandeur se fonde fortement sur les décisions Li c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 9 Imm. L.R. (2d) 263 (C.F. 1re inst.) et Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 40 Imm. L.R. (2d) 121 (C.F. 1re inst.).

[15]       Dans la décision Li, le juge en chef adjoint Jerome a statué ce qui suit (à la page 273) :

Dans l'affaire Hajariwala, j'ai décidé qu'il incombe clairement à l'agent des visas de tenir compte, dans son appréciation, des diverses professions dont témoigne l'expérience professionnelle du requérant si celui-ci demande à pouvoir bénéficier d'une pareille appréciation en le précisant dans sa demande. Si l'expérience professionnelle du requérant semble correspondre à la profession en cause, l'agent des visas doit apprécier le requérant dans le cadre de cette catégorie professionnelle, quelles que soient les autres professions que l'agent ait jugé bon de retenir.

Si l'on peut déduire que la personne qui exerce les fonctions de directeur gérant d'un commerce de détail et qui gère un commerce de gros a l'expérience requise d'un représentant de commerce en matériel et fourniture pour le commerce et l'industrie, le requérant a le droit d'être évalué dans le cadre de cette deuxième catégorie. Malgré la correspondance fournie intervenue entre l'agent des visas et le procureur du requérant, cette appréciation n'a pas encore eu lieu. Jusqu'ici, l'agent des visas n'a pas apprécié l'expérience professionnelle du requérant dans le cadre de la catégorie 5133-126, comme le requérant l'avait pourtant demandé dès le départ.

[Je souligne.]


[16]       Il importe de noter que la décision Li n'étaye pas en soi la thèse dominante selon laquelle il incombe à l'agent des visas, dans son appréciation, de tenir compte des diverses professions, dont témoigne l'expérience professionnelle du demandeur. La décision Li étaye plutôt l'idée selon laquelle pareille obligation existe lorsque les demandeurs le précisent dans leur demande. Quant à la décision Ahmad, je conclus, après avoir examiné la question, que les circonstances sont tout à fait différentes et que cette décision ne devrait pas s'appliquer. Dans cette affaire-là, le demandeur avait concédé qu'il ne devrait pas être apprécié à l'égard de la profession en question. En outre, la Cour a uniquement mentionné la décision Li en passant et l'énoncé est incomplet. Je conclus que l'on ne saurait se fonder sur cette décision.

[17]       Il est en outre bien établi par la Cour que l'agent des visas n'est pas tenu d'apprécier le demandeur à l'égard de professions de rechange à moins que ce dernier ne les mentionne (Voir : Hajariwala c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et autre) (1988), 23 F.T.R. 241; Khoja c. MCI, IMM-998-96, 3 janvier 1997, (C.F. 1re inst.); Uy c. MEI, [1991] 2 C.F. 201 (C.A.F.); Gaffney c. MCI (1991) 12 Imm. L.R. (2d) 185 (C.A.F.); Tolentino c. MCI, IMM-1614-94, 14 juin 1995, (C.F. 1re inst.); Yen Ngoc Quach c. MCI, IMM-3071-98, 21 janvier 2000, (C.F. 1re inst.), Hassan c. MCI, IMM-218-99, 17 décembre 1999, (C.F. 1re inst.); Mahrez c. MCI (1998) 46 Imm. L.R. (2d) 132, (C.F. 1re inst.)). Nota : il existe cependant des décisions contradictoires. Voir par exemple Saggu c. MCI, (1994) 87 F.T.R. 137 (C.F. 1re inst.).

[18]       En l'espèce, il n'y a rien dans le dossier qui donne à entendre que le demandeur ait de fait demandé à être apprécié à l'égard de professions semblables à celle d'ingénieur en logiciel. En fait, dans son formulaire de demande d'immigration, le demandeur déclare expressément que la profession qu'il prévoit exercer au Canada est celle d'ingénieur en logiciel. En outre, le demandeur a fait savoir, dans une lettre d'envoi, que son expérience et ses compétences étaient [TRADUCTION] « tout à fait conformes à l'appellation « ingénieur en logiciel » de la Classification nationale des professions (no 2147.2 de la CNP) » .


[19]       Toutefois, en l'espèce, l'agent des visas ne s'est pas contenté d'apprécier le demandeur à l'égard de la profession mentionnée. Après avoir conclu que le demandeur n'avait pas les compétences voulues à l'égard de la profession d'ingénieur en logiciel, l'agent des visas a entrepris, de son propre chef, d'apprécier le demandeur à l'égard d'une profession qui n'avait absolument rien à voir avec ses études et dont la demande dans la profession était nulle, à savoir la profession de nouveau travailleur.

[20]       Je suis parfaitement au courant de la décision que cette cour a rendue dans l'affaire Wahid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1949 (QL), où il a été statué que les agents des visas ne sont pas obligés d'agir unilatéralement en vue de faire avancer la position des demandeurs, mais je crois que les circonstances particulières de la présente espèce obligeaient du moins l'agent des visas à tenir compte de professions similaires.


[21]       Selon la CNP, les ingénieurs en logiciel font partie des ingénieurs informaticiens/ingénieures informaticiennes, no 2147. Selon la CNP, « les ingénieurs informaticiens travaillent en étroite collaboration avec des programmeurs, des analystes de systèmes, des ingénieurs électriciens et électroniciens et autres ingénieurs et scientifiques. La mobilité est possible entre ces champs de spécialisation » . Toute description de travail renferme une section intitulée « Appellations à ne pas confondre » . Cette section précise les limites de l'appellation en désignant d'autres appellations ou d'autres professions à ne pas confondre. Certaines appellations ou professions individuelles sont mentionnées dans la section intitulée « Appellations à ne pas confondre » lorsque les fonctions y afférentes sont semblables à celles de l'appellation en cause ou lorsque les appellations sont similaires. Dans la section intitulée « Appellations à ne pas confondre » concernant les « ingénieurs en logiciel » , un certain nombre de professions sont mentionnées, y compris celles de programmeur et d'analyste de systèmes informatiques. Ces professions figurent également dans la section intitulée : « Appellations à ne pas confondre » de l'appellation « ingénieurs informaticiens/ingénieures informaticiennes » . Compte tenu des études faites par le demandeur ainsi que de son expérience professionnelle passée, je crois qu'il ne serait que juste (et logique) pour l'agent des visas d'apprécier le demandeur à l'égard de l'une de ces professions similaires, et ce, d'autant plus dans un cas comme celui-ci, où la décision a été prise sans que le demandeur soit entendu au cours d'une entrevue. Le choix de la profession de nouveau travailleur que l'agent des visas a fait est si déraisonnable qu'il ne peut pas être validé.

[22]       Je crois qu'eu égard aux circonstances, il ne serait que juste d'accueillir cette demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, la demande est accueillie.

           « P. ROULEAU »             

        JUGE

Ottawa (Ontario),

le 24 janvier 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                              IMM-525-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                Moksud, Asif c. Le Ministre de la

Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 11 janvier 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Rouleau en date du 24 janvier 2001

ONT COMPARU :

Colin Singer                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Marie-Nicole Moreau                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Colin Singer                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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