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                                                                                                                         IMM-1921-96

 

 

OTTAWA (ONTARIO), LE 18 AVRIL 1997

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUTFY

 

 

Entre :

 

                                SEDIGHEH ASADI, FARIBORZ AZIMPOUR

                                                   et FARZIN AZIMPOUR,

 

                                                                                                                               requérants,

 

                                                                    - et -

 

 

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                  ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                                                                                                     intimé.

 

 

 

                                                          ORDONNANCE

 

 

 

            LA COUR,

 

            VU la demande entendue le 25 mars 1997 en la ville de Toronto (Ontario),

 

            ORDONNE CE QUI SUIT :

1.La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.La décision en date du 7 mai 1996 de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est annulée, et l'affaire renvoyée à un tribunal de composition différente pour nouvelle instruction dans le sens des motifs de la présente ordonnance.

 

                                                                                                                 Signé : Allan Lutfy           

                                                                                ________________________________

                                                                                                                                         Juge                    

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                ________________________________

                                                                                                                       F. Blais, LL. L.            


 

 

 

 

 

 

                                                                                                                         IMM-1921-96

 

 

                                SEDIGHEH ASADI, FARIBORZ AZIMPOUR

                                                   et FARZIN AZIMPOUR,

 

                                                                                                                               requérants,

 

                                                                    - et -

 

 

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                  ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                                                                                                     intimé.

 

 

 

 

                                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

 

Le juge LUTFY

 

 

            Il y a en l'espèce recours en contrôle judiciaire contre la décision par laquelle la section du statut de réfugié (le tribunal) a conclu que les requérants ne craignaient pas avec raison d'être persécutés en raison de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques.

 

            Les requérants, savoir une mère (la principale requérante) et ses deux enfants mineurs, sont citoyens de l'Iran. La famille de la principale requérante avait commencé à prendre part aux activités antigouvernementales en 1979. Son frère a été exécuté en 1984. En mars 1990, les Gardiens de la révolution islamique ont fait une descente chez elle pour y rechercher ses deux fils qui sont les frères aînés des requérants mineurs. Ils l'ont insultée et lui ont donné des coups de pied. Son mari a été battu, arrêté et détenu pendant deux mois à la prison d'Evin où il a été interrogé et torturé. Ses deux fils aînés sont partis en juillet 1991 et en mars 1992 respectivement pour le Canada, où ils se sont vu reconnaître le statut de réfugiés en 1992 par deux formations de jugement différentes. Elle fait savoir dans son formulaire de renseignements personnels qu'après le départ de ses deux fils, elle a été interrogée, insultée, et menacée de flagellation et d'emprisonnement.

 

            En juillet 1994, son mari a été arrêté. Quelques jours après, le 27 juillet 1994, il y a eu une nouvelle perquisition chez elle; elle a été insultée, menacée et battue, mais sans être arrêtée ni détenue. Selon la principale requérante, son mari est enfermé depuis juillet 1994, sans aucun jugement, la plupart du temps à la prison d'Evin. Elle n'a pas eu d'autres ennuis en Iran jusqu'à son départ pour le Canada quelque cinq mois après, en décembre 1994.

 

            Bien qu'elle soutînt la cause défendue par des membres de sa famille, sa propre participation était marginale.

 

            Sur la foi de ce témoignage, le tribunal s'est prononcé en ces termes :

 

            [TRADUCTION]

Le tribunal estime que les requérants n'ont pas une crainte fondée de persécution. Le critère à observer pour juger si la crainte de persécution est fondée ou non consiste à se demander s'il y a une possibilité raisonnable ou sérieuse de persécution au cas où l'intéressé retournerait dans son pays d'origine, « possibilité sérieuse » étant l'expression prédominante. [renvois occultés]

 

               

 

On voit donc qu'en Iran, la répression de la dissidence politique est très brutale. Mais cela signifie-t-il que les demandeurs risquent une possibilité sérieuse de persécution? Nous ne le pensons pas.

 

En 1984, le frère de la demanderesse a été exécuté. Cependant, elle-même n'a été ni arrêtée ni détenue en raison des activités de ce dernier.

 

En 1990, ses deux fils (autres que les demandeurs mineurs) ont dû se cacher à cause de leurs activités politiques, et bien que la demanderesse ait subi des sévices lors des perquisitions chez elle, elle n'a été ni arrêtée ni détenue.

 

En juillet 1991, un de ses fils a pu s'enfuir de l'Iran, suivi de l'autre en mars 1992. La demanderesse a été interrogée par la suite sur l'endroit où ils se trouvaient, mais elle n'a été ni arrêtée ni détenue.

 

Le 27 juillet 1994, quelques jours après l'arrestation de son mari, la demeure de la demanderesse a été perquisitionnée de nouveau mais, cette fois encore, elle n'a été ni arrêtée ni détenue.

 

Il ressort de ce témoignage que les demandeurs n'ont pas une crainte fondée de persécution en Iran. S'il y avait eu une possibilité sérieuse que les autorités iraniennes arrêtent, détiennent, torturent, incarcèrent et/ou exécutent les demandeurs, elles ont eu tout le temps pour le faire de 1984 à 1994. Qu'elles ne l'aient pas fait nous engage à conclure que si on ne peut écarter l'existence d'une infime possibilité, il n'y a aucune possibilité sérieuse de persécution.

 

               

 

Après l'incident de juillet 1994, les demandeurs sont restés en Iran. Ils ne se cachaient pas, mais demeuraient chez eux. Les autorités ne sont jamais revenues ne serait-ce que pour les interroger, encore moins pour les arrêter, détenir, torturer, incarcérer ou exécuter. Étant donné qu'ils sont restés en Iran jusqu'en décembre 1994 sans aucun ennui, nous devons conclure qu'ils n'ont pas une crainte fondée de persécution.

 

            L'avocat des requérants soutient que la tournure « s'il y avait eu » qu'emploie le tribunal se heurte à la nature prospective du critère de la crainte fondée de persécution. De même, dit-il, l'emploi du subjonctif dans la même phrase se heurte au concept de « possibilité sérieuse ». Ces arguments ne sont pas fondés. Je conclus de l'examen de sa décision dans son ensemble que le tribunal a judicieusement défini le critère qu'il devait observer.

 

            Il était fondé à prendre en considération des événements passés dans le contexte de toutes les autres preuves pour juger si les requérants sont objectivement en danger. Il se trouve cependant qu'en passant en revue les mauvais traitements que la principale  requérante a subis depuis 1984, le tribunal a noté à quatre reprises qu'elle n'avait été ni arrêtée ni détenue. Ceci sous-entend que la persécution consiste nécessairement en arrestation ou détention. Il s'agit là, à mon avis, de la première erreur de droit commise par le tribunal; v. Oyarzo c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1982] 2 C.F. 779 (C.A.F.), pages 781 (le juge en chef Thurlow) et 782 (le juge Heald).

 

            Le tribunal a encore examiné les effets du départ illégal des requérants de l'Iran :

 

            [TRADUCTION]

La demanderesse dit encore sa crainte que les demandeurs ne soient persécutés du fait qu'ils sont partis illégalement de l'Iran. Voici ce qu'on peut lire dans les preuves documentaires à ce sujet :

 

Selon le ministère des Affaires étrangères et selon les informations que nous avons pu recueillir, la sanction la plus probable contre un Iranien qui est parti illégalement de l'Iran serait une amende administrative Les infractions de ce genre passent devant les tribunaux civils, et non devant les tribunaux révolutionnaires. Il semble qu'une peine d'emprisonnement soit rare10

 

Sur la foi de cette preuve (et les demandeurs n'ont produit aucune preuve contraire en réfutation), nous concluons que par suite de leur départ illégal, il risquent une possibilité sérieuse d'amende, mais seulement une possibilité infime d'emprisonnement.

 

Une amende est une sanction pécuniaire, et « bien entendu les sanctions pécuniaires ne valent pas persécution ». En conséquence, possibilité sérieuse d'amende ne signifie pas possibilité sérieuse de persécution.

 

À même supposer que les demandeurs risquent une possibilité sérieuse d'emprisonnement à cause de leur départ illégal de l'Iran, cette éventualité ne justifierait pas la conclusion à la crainte fondée de persécution. Nous n'avons été saisis d'aucune preuve indiquant que l'emprisonnement est d'une longueur telle qu'on puisse parler de persécution et, en tout cas, une telle sanction n'a aucun rapport avec l'un quelconque des cinq motifs de persécution prévus à la Convention. [renvois occultés]

 

                __________________________________________

10Pièce R-1, Trousse d'information de la STR : Iran, janvier 1996, article 1.4, Questions relatives aux demandeurs d'asile iraniens et aux demandes du statut de réfugié à l'étranger, Téhéran, octobre 1993, p. 33

 

            Le tribunal n'a pas relevé le départ illégal des requérants de l'Iran à titre de facteur spécifique à l'ouverture de l'audience. Sa conclusion que la principale requérante ne risquerait tout au plus qu'une amende administrative ou qu'un emprisonnement si court qu'on ne pourrait parler de persécution, était fondée sur le document cité dans la note de bas de page no 10 des motifs de sa décision (voir ci-dessus). Ce document n'a pas été produit à l'audience du tribunal ni n'a été versé dans son dossier déposé auprès de la Cour. Cependant, un index qui en fait état a été déposé à l'audience du tribunal.

 

            L'avocat de l'intimé soutient que ces questions de procédure ne constituent pas un déni de justice naturelle, que le départ illégal des requérants est un facteur à prendre en considération dans l'évaluation du fondement de leur crainte de persécution, et qu'il n'était pas donc nécessaire de le relever à titre de point spécifique à trancher à l'ouverture de l'audience. Le document cité par le tribunal est public et est mentionné dans l'index. La principale requérante a bien mentionné en passant sa crainte d'être emprisonnée et torturée si elle retournait dans son pays « parce que je suis sortie clandestinement de l'Iran ». Son avocat a aussi abordé cette question très brièvement dans son argumentation de vive voix devant le tribunal.

 

            Saisie dans son ensemble, la décision du tribunal révèle une seconde erreur de droit susceptible de contrôle judiciaire, par-delà ces questions de procédure.

 

            Le tribunal s'en est remis à la pratique générale des amendes administratives ou des brèves périodes d'emprisonnement qui sanctionnent à leur retour les Iraniens qui ont quitté le pays illégalement. Il a eu tort de présumer que cette pratique générale s'appliquerait aux requérants, sans avoir égard à l'exécution du frère de la principale requérante, aux activités antigouvernementales de ses deux premiers fils ni, ce qui est plus important encore, à l'incarcération en cours de son mari à la prison d'Evin. En évaluant l'élément prospectif de la crainte des requérants, le tribunal était tenu de prendre en compte les conséquences possibles de leur retour en Iran eu égard aux tribulations de leur famille et au fait que le mari de la principale requérante est toujours en prison, sans jugement. On voit par la décision du tribunal que celui-ci n'a pas entrepris pareille évaluation prospective. Même sa présomption que la pratique générale des amendes administratives et des courtes peines d'emprisonnement s'appliquerait aux requérants ne se dégage pas du bref extrait du document cité dans la note de bas de page no 10.

 

            Par ces motifs, la décision du tribunal sera annulée et l'affaire renvoyée à un tribunal de composition différente pour nouvelle instruction dans le sens des présents motifs. Par conséquent, il n'est pas nécessaire d'examiner les arguments des requérants quant aux conclusions du tribunal sur la preuve, ou l'absence de preuve, au sujet du statut de réfugiés reconnu aux deux premiers fils de la principale requérante. Il n'y a aucune question à certifier.

 

                                                                                                                 Signé : Allan Lutfy           

                                                                                ________________________________

                                                                                                                                         Juge                    

Ottawa (Ontario),

le 18 avril 1997

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                ________________________________

                                                                                                                       F. Blais, LL. L.            


 

 

                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                           SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                           AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

NUMÉRO DU GREFFE :   IMM-1921-96

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :         Sedigheh Asadi et al.

 

                                                            c.

 

                                                            Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE : 25 mars 1997

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE LUTFY

 

 

LE :                                                    18 avril 1997

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

 

M. Adam McIver                                            pour les requérants

 

 

M. Godwin Friday                                          pour l'intimé

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

McIver & McIver                                            pour les requérants

Toronto (Ontario)

 

 

M. George Thomson                                       pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

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