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     Date : 19980331

     Dossier : T-2836-94

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

     AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la taxe d'accise

Entre :

     KEN STEPHAN WILLIAM FEGOL,

     demandeur,

     - et -


     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

     REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     défenderesse.



     JUGEMENT


     Par les motifs prononcés ce jour, la Cour ordonne à l'intimée de rembourser directement et immédiatement à M. Fegol la somme de 8 014,03 $ en espèces ou par chèque certifié ou mandat. M. Fegol a droit à ses frais et dépens de l'action, conformément au tarif B, colonne V.

     Signé : Douglas R. Campbell

     ________________________________

     Juge

Ottawa (Ontario)

Traduction certifiée conforme,



Laurier Parenteau, LL. L.




     Date : 19980331

     Dossier : T-2836-94


     AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la taxe d'accise

Entre :

     KEN STEPHAN WILLIAM FEGOL,

     demandeur,

     - et -


     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

     REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     défenderesse.



     MOTIFS DU JUGEMENT


Le juge CAMPBELL


[1]      Il échet d'examiner au premier chef si M. Fegol peut invoquer l'exemption du " matériel agricole " pour demander réparation à la suite d'une saisie effectuée le 15 juillet 1994 en compensation d'une dette fiscale en souffrance. M. Fegol occupait pour lui-même au procès, et l'intimée était représentée par son avocat Me Fraser. L'un et l'autre ont présenté leurs arguments de façon compétente.

[2]      La saisie a été effectuée en exécution d'un bref de fieri facias en date du 27 avril 1995. Sauf pour la valeur estimative, il est constant que le matériel suivant, tel qu'en fait état le paragraphe 6 de la déclaration, a été saisi :

     [TRADUCTION]

     6.      En exécution du bref de fieri facias, le matériel agricole suivant du demandeur a été saisi :
     1) un -      camion-plateau Ford F500, d'une valeur estimative de 7 500,00 $ et équipé d'une arracheuse d'arbres d'une valeur estimative de 20 000,00 $, numéro d'immatriculation CT59314, numéro d'identification F50CCW62537, le tout d'une valeur estimative de 27 500,00 $;
     2) un -      camion-tracteur GMC 1968, numéro d'identification TM7120P106763, numéro d'immatriculation 314 FHD, d'une valeur estimative de 5 000,00$, et aussi une arracheuse d'arbres hydraulique avec boule d'attelage, d'une valeur estimative de 40 000,00 $ mais dont la valeur de remplacement est de 65 000,00 $; et
     3) un -      camion Chev 1970, numéro d'immatriculation 975 FGD, numéro d'identification CE630P123248, d'une valeur de 3 000,00 $.

À la suite de la saisie, le matériel ci-dessus a été vendu pour la somme de 16 350 $ et, après défalcation des dépenses nécessaires, le ministre du Revenu national a recouvré 8 014,03 $.

A. Avis suffisamment à l'avance

[3]      M. Fegol soutient qu'il n'a pas reçu suffisamment à l'avance avis de la vente du matériel saisi. La Loi sur l'exécution des jugements du Manitoba [L.R.M. 1987, c. E160] est le texte législatif régissant les saisies, ventes et exemptions en la matière. En ce qui concerne l'impératif d'avis, le paragraphe 16(2) prévoit ce qui suit :

     16(2) Il est interdit au shérif, à l'huissier ou autre auxiliaire de vendre des effets en vertu d'un bref d'exécution sans avoir préalablement donné par écrit un avis public d'au moins huit jours des date, heure et lieu de la vente, affiché dans trois lieux publics au moins dans la municipalité où les effets ont été saisis.

[4]      Les deux questions qui se posent à ce propos sont les suivantes : y a-t-il eu avis " d'au moins huit jours ", et l'avis donné était-il un " avis public ", c'est-à-dire affiché " dans trois lieux publics au moins dans la municipalité " où les effets ont été saisis? Sur ces deux points, j'accepte le témoignage du shérif chargé de donner avis en l'espèce, selon lequel l'annonce d'une vente pour le " vendredi 30 septembre 1994 chez Hi-Way Towing, 6 avenue Nicholas, Winnipeg (Man.) à 10 heures " a été affichée le 23 septembre 1994 à l'immeuble Woodsworth, au Palais de justice et à l'immeuble Norquay à Winnipeg. La vente a effectivement eu lieu à 10 heures le 30 septembre 1994.

     1. Y a-t-il eu avis " d'au moins huit jours "?

[5]      La Loi sur l'exécution des jugements étant muette sur le sens d'avis " d'au moins huit jours ", la disposition applicable à ce sujet se trouve dans la Loi d'interprétation du Manitoba, L.R.M. 1987, c. 180, comme suit :

     19(1) Les dispositions qui suivent s'appliquent à tous les textes :

     "

     l) lorsqu'un délai commence à courir un jour donné ou à partir d'un acte ou d'un événement donnés, le jour donné ou le jour de l'acte ou de l'événement n'est pas compté, sauf intention contraire manifeste, dans le calcul du délai;

[6]      Cette disposition fait qu'à tout le moins, le jour de l'affichage de l'avis n'est pas compté dans le calcul du délai. Il est cependant raisonnable de conclure que l'emploi des mots " au moins " dans la Loi sur l'exécution des jugements traduit " l'intention contraire " d'appliquer un autre mode de calcul. Dans ce cas, la Loi d'interprétation fédérale, L.R.C. (1985), ch. I-23, peut éclairer la question grâce à cette définition claire de la locution " au moins " :

     27.(1) Si le délai est exprimé en jours francs ou en un nombre minimal de jours entre deux événements, les jours où les événements surviennent ne comptent pas.

[7]      Il ressort du témoignage supra que même si on adopte le mode de calcul de la Loi d'interprétation du Manitoba, l'avis ayant été affiché le 23 septembre et la vente ayant eu lieu le 30 septembre, l'avis n'a été donné que sept jours à l'avance, le jour de l'affichage n'entrant pas en ligne de compte. Et si on applique le mode de calcul de la Loi d'interprétation fédérale, il n'y a eu qu'avis de six jours. Dans l'un ou l'autre cas, je conclus que l'avis n'a pas été donné suffisamment à l'avance.

     2. Y a-t-il eu " avis public "?

[8]      En ce qui concerne la question de l'" avis public ", le shérif témoigne que l'affichage de l'avis à Winnipeg satisfait à cet impératif puisque cette ville se trouve dans le même ressort judiciaire que le lieu où les biens en question ont été saisis. Les biens de M. Fegol ont été saisis dans ce qu'on appelle une " propriété riveraine ", c'est-à-dire une propriété située dans une zone rurale, et certainement pas dans la ville de Winnipeg.

[9]      J'interprète le terme " municipalité " figurant au paragraphe 16(2) comme signifiant le lieu où l'action en justice relative à la saisie devait avoir lieu. Selon les témoignages, cette action en justice était centrée au Palais de justice de Winnipeg. Le shérif témoigne que trois exemplaires de l'avis ont été affichés au Palais de justice, et un autre exemplaire aux deux autres immeubles susmentionnés. En conséquence, je conclus qu'il y a eu " avis public ".

     B. Insaisissabilité

[10]      Le principal point litigieux est centré sur le sens des dispositions de l'alinéa 23(1)e) de la Loi sur l'exécution des jugements, qui porte :

     23(1) Sauf indication contraire d'une autre loi, les biens personnels suivants sont déclarés insaisissables par la présente disposition en vertu de tous les brefs d'exécution décernés par un tribunal de la province, à savoir :
         "
         e) dans le cas d'un débiteur judiciaire qui est agriculteur :
             (i) toutes les machines agricoles, tous les instruments de laiterie et tout le matériel agricole raisonnablement nécessaire à la conduite régulière et efficace de son exploitation agricole pendant les 12 mois suivants,
             (ii) un véhicule à moteur, s'il est requis pour les besoins de son exploitation agricole;

[11]      Les questions qui appellent une réponse ont été légitimement et logiquement circonscrites par M. Fegol qui, au cours des débats, soutient qu'il ressort des preuves et témoignages produits qu'au moment de la saisie, il était un " agriculteur ", le matériel saisi était du " matériel agricole " et la période de 12 mois prévue par la loi court de la date de la saisie, donc du 7 juillet 1994. Le seul point litigieux porte donc sur la question de savoir si le matériel saisi était " raisonnablement nécessaire à la conduite régulière et efficace de son exploitation agricole [agricultural operation en anglais] " pendant les 12 mois qui suivirent la saisie1.

[12]      L'intimée soutient que pour avoir droit à l'exemption, l'exploitation agricole de M. Fegol eût dû être rentable à la date de la saisie; or elle était inactive, donc non rentable.

[13]      À mon sens, les termes du paragraphe 23(1) de la Loi sur l'exécution des jugements n'imposent pas une telle interprétation restrictive. La définition du dictionnaire du substantif (anglais) " operation " employé dans ce contexte comprend aussi [TRADUCTION] " le fait d'être en état de marche ou d'activité " et " la capacité de fonctionner ou de produire des effets; efficacité, force "2. J'en conclus que le potentiel est un important facteur à prendre en considération.

[14]      Il ressort des preuves et témoignages produits qu'à partir de 1970, l'" exploitation agricole ", en l'occurrence la ferme sylvicole, de M. Fegol était très active et productive, et que celui-ci appliquait un haut degré de science et de savoir-faire à l'acquisition, l'entreposage et la vente d'arbres destinés au jardinage paysagiste. Cependant, durant au moins les six mois de 1994 qui précédaient le moment de la vente, son entreprise était en veilleuse parce que la confiscation du fonds de terre et les dettes avaient un effet très négatif sur sa productivité.

[15]      Cependant, il ressort des mêmes preuves et témoignages qu'au moment de la saisie, M. Fegol était le propriétaire de quelque 2 200 arbres plantés sur deux terrains de son frère, arbres qu'il avait le droit d'enlever pour la vente. On ne peut dire exactement s'il aurait pu obtenir des commandes pour ses arbres après la saisie de juillet 1994, mais d'après son témoignage, il avait grand espoir que l'entreprise pourrait devenir productive durant la période allant de juillet 1994 à juillet 1995. M. Fegol est un homme bien instruit, capable, travailleur et productif. Sur la foi des preuves et témoignages produits, je ne doute pas qu'il eût fait de son mieux pour mettre en vente ses arbres dans les 12 mois qui suivirent la saisie.

[16]      En conséquence, j'ajoute foi à son témoignage que le matériel en question était absolument nécessaire pour la mise en valeur du potentiel prouvé de son exploitation agricole durant cette période, et me prononce en sa faveur sur ce point. Par ces motifs, je conclus qu'il a fait la preuve de ses prétentions dans cette action.

C. Réparation

[17]      M. Fegol avait initialement intenté cette action contre un shérif adjoint de la province du Manitoba pour saisie illégale de son matériel, mais sa demande a été rejetée sur exception d'incompétence. Néanmoins, la question du défaut d'avis suffisamment à l'avance demeurait un point litigieux à juger.

[18]      Puisqu'il a fait la preuve de cet élément de ses prétentions, il a une bonne cause d'action contre les responsables de la saisie et de la vente. Il reste cependant que malgré la preuve de saisie illégale, je n'ai pas compétence pour ordonner le redressement auquel il a droit.

[19]      Le mieux que je puisse faire, c'est d'ordonner la restitution de l'argent recouvré par Revenu Canada, soit la somme de 8 014,03 $. En conséquence, j'ordonne que cette somme soit versée directement et immédiatement à M. Fegol, en espèces, par chèque certifié ou par mandat.

[20]      J'alloue à M. Fegol les frais et dépens de cette action, conformément au tarif B, colonne V.

     Signé : Douglas R. Campbell

     ________________________________

     Juge

Ottawa (Ontario)


Traduction certifiée conforme,



Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



NUMÉRO DU GREFFE :          T-2836-94

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Ken Stephan William Fegol

                         c.

                         Sa Majesté la Reine du chef du Canada représentée par le ministre du Revenu national

LIEU DE L'AUDIENCE :          Winnipeg (Manitoba)


DATE DE L'AUDIENCE :      16 et 17 février 1998


MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE CAMPBELL


LE :                          31 mars 1998



ONT COMPARU :


Ken S.W. Fegol                  pour lui-même

Duncan A. Fraser                  pour la défenderesse



PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :


George Thomson                  pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      Cette interprétation de la Loi sur l'exécution des jugements va dans le même sens que la décision de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba sur la confiscation du fonds de terre de M. Fegol (Fegol v. Tilley (N.M.) Realty Ltd. (1995), 99 Man. R. (2nd) 41; confirmée par la Cour d'appel du Manitoba (1995), 107 Man. R. (2nd) 75; demande de révision rejetée par la Cour suprême du Canada (26 février 1998). Il s'agissait de savoir si sous le régime de la Loi sur la protection des exploitations agricoles familiales du Manitoba, S.M. 1986-87, c. 6; C.P.L.M., c. F-15, la culture d'arbres et d'arbrisseaux dans le cadre d'une entreprise de jardinage paysagiste était la culture d'un " produit agricole commercial ", et si entre 1991 et 1993, le fonds de terre confisqué servait à cette fin. En répondant par l'affirmative à la première question, le juge Shulman a conclu que la législature du Manitoba entendait " production de culture agricole " au sens large et qu'en conséquence, la culture d'arbres sur une base commerciale constituait une exploitation agricole au sens de cette loi. En réponse à la seconde question, il a cependant conclu que durant les années en question, la culture qui se faisait sur le fonds confisqué ne visait pas une fin principalement commerciale, mais était juste une exhibition.

2      The New Shorter Oxford English Dictionary, 1993.

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