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Date : 20000630


Dossier : IMM-3890-99



Entre :

     JEAN-CLAUDE MANIGAT,

     demandeur,


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE DENAULT


[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la "section d'appel"), qui a rejeté l'appel du demandeur à l'encontre d'une décision d'un agent des visas qui avait refusé la demande parrainée de droit d'établissement de son épouse.


[2]      Le 18 juin 1998, un agent des visas a informé l'épouse du demandeur que la demande parrainée de droit d'établissement qu'il avait présentée pour elle, à titre de membre de la catégorie famille ("parent"), et pour ses enfants à titre de personnes à charge, était rejetée. Le demandeur, à titre de répondant de son épouse, dans le cadre de la demande parrainée de droit d'établissement, en a appelé devant la section d'appel de cette décision de l'agent des visas. Le demandeur s'est par la suite désisté de son appel quant aux trois (3) derniers enfants de son épouse, l'un d'entre eux étant maintenant décédé.


[3]      Le 28 juin 1999, à l'audition de cet appel, aucun élément de preuve n'a été déposé, le procureur du demandeur et le représentant du ministre ne plaidant que sur des questions de droit. Le 16 juillet 1999, la section d'appel a rejeté l'appel du demandeur.


[4]      La section d'appel a conclu, comme l'agent des visas, que compte tenu que l'épouse du demandeur n'avait pas produit de preuves suffisantes pour établir son lien de filiation avec ses enfants, elle ne s'était pas déchargée de son obligation, aux termes du paragraphe 6(1)a) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (le "Règlement"), de démontrer qu'elle et ses personnes à charge, qu'elles l'accompagnent ou non, ne faisaient pas partie d'une catégorie de personnes non admissibles et satisfaisaient aux exigences de la Loi et du Règlement.


[5]      En substance, le demandeur soutient que la section d'appel a erré en concluant que les principes de l'arrêt Mundi c. Canada (M.E.I.), [1986] 1 C.F. 182 (C.A.F.), étaient inapplicables aux faits en l'espèce. Selon le demandeur, cet arrêt Mundi et l'affaire Kang c. M.E.I. [1981] 2 C.F. 807 qui l'avait précédé, sont incontournables dans la mesure où ils établissent que l'inadmissibilité d'une personne à charge n'a pas de conséquences sur l'admissibilité d'un requérant principal du moment que cette personne est par ailleurs elle-même admissible. Il en conclut que le demandeur s'étant désisté de l'appel quant aux enfants, son épouse rencontrait, elle, les conditions d'admissibilité et qu'elle aurait dû se voir attribuer un visa. D'où cet appel à l'encontre de la décision qui le lui refuse.


[6]      Il me paraît opportun de revoir brièvement les enseignements tracés par la Cour d'appel dans Kang et Mundi dans la mesure où ils servent de fondement aux arguments du demandeur et surtout de voir si la section d'appel s'en est écartée..


[7]      Dans l'affaire Kang, le père de l'appelante s'était vu refuser le droit d'établissement parce qu'il avait menti aux agents des visas au sujet de l'âge de sa fille, en violation de l'article 9(3) de la Loi1. La Cour se devait d'examiner si la non-observation de l'article 9(3) pouvait faire tomber une personne dans la catégorie des personnes non admissibles prévue à l'article 19(2)d) de la Loi2. La Cour a accueilli l'appel du père, le juge Pratte, au nom de la majorité, faisant d'abord le constat suivant:

Pour trancher cet appel, il n'est pas nécessaire d'examiner si le père de l'appelante a contrevenu au paragraphe 9(3) en mentant à l'agent des visas. Ainsi que je l'ai dit à l'audience, le fait qu'une personne demandant un visa a contrevenu au paragraphe 9(3) ne la fait pas tomber dans la catégorie des personnes non admissibles au sens de l'alinéa 19(2)d).

Et le juge d'ajouter:

J'en conclus qu'une personne ne tombe pas dans la catégorie des personnes non admissibles visées à l'alinéa 19(2)d) du seul fait qu'elle a contrevenu à une disposition de la Loi ou du Règlement. Cet alinéa a pour seul objet de rendre inadmissibles tous ceux qui ne remplissent pas les conditions d'admissibilité prescrites par la Loi ou par un Règlement d'application.

Mais le juge Pratte a apporté une réserve importante au principe qu'il venait d'énoncer - j'y reviendrai plus loin - en énonçant immédiatement ce qui suit:

Il ne s'ensuit pas que la non-observation, de la part d'un requérant, des conditions du paragraphe 9(3) ne tire pas à conséquence. Cette non-observation peut ou non, selon le cas, justifier le refus d'un visa; . . .
     (c'est moi qui souligne)

[8]      Dans l'arrêt Mundi, la Cour d'appel a eu à interpréter l'article 6(1)a) du Règlement. Il se lit ainsi:

6.(1) . . . lorsqu'une personne appartenant à la catégorie de la famille présente une demande de visa d'immigrant, l'agent des visas peut lui en délivrer un ainsi qu'aux personnes à sa charge qui l'accompagnent,

a) si elle et les personnes à sa charge, qu'elles l'accompagnent ou non, ne font pas partie d'une catégorie de personnes non admissibles et satisfont aux exigences de la Loi et du présent règlement;

6.(1) . . . where a member of the family class makes an application for an immigrant visa, a visa officer may issue an immigrant visa to the member and the member's accompanying dependants if


a) he and his dependants, whether accompanying dependants or not, are not members of any inadmissible class and otherwise meet the requirements of the Act and these Regulations;



Je rappelle ici que c'est sur cet alinéa 6(1)a) du Règlement que la section d'appel s'est basée pour rejeter l'appel du demandeur: son épouse, y lit-on, devait prouver, en tant que membre de la catégorie famille, que son admission ainsi que celle de ses enfants à charge ne contrevenaient pas à la Loi et à l'alinéa 6(1) du Règlement. La Cour d'appel fédérale, à la majorité, en a donné l'interprétation suivante sous la plume du Juge en chef Thurlow:

Je ne crois pas que cette disposition interdise la délivrance d'un visa au requérant et à l'une quelconque de ses personnes à charge dont l'admission, d'après l'agent des visas, ne contreviendrait pas à la Loi ou au Règlement. Au contraire, j'estime qu'elle autorise clairement la délivrance d'un visa à un requérant admissible ainsi qu'à ses personnes à charge qui possèdent les qualités requises. S'il était décidé qu'un autre membre de la famille pour laquelle on a demandé un visa n'est pas une personne à charge, il appartiendrait alors au requérant de décider si le succès partiel de sa demande est acceptable mais cela, il me semble, ne porte pas atteinte à l'autorité et au devoir de l'agent des visas d'accorder un visa au requérant ainsi qu'aux personnes qu'il juge admissibles à titre de personnes à charge.



[9]      Peu de temps après, dans Gharu c. M.E.I., A-29-86, la Cour d'appel fédérale, à l'unanimité, a précisé la portée de l'arrêt Mundi. Le juge Pratte, au nom de la Cour, a non seulement extrait la substance de Mundi mais il a mis les plaideurs en garde contre une interprétation abusive de cet arrêt:

La majorité de la Cour, dans cette affaire (Mundi) . . . n'a pas . . . décidé . . . qu'une demande de visa présentée par une personne appartenant à la catégorie de la famille ne peut être refusée pour le motif que les personnes à la charge du requérant sont personnellement non admissibles. La conclusion prise par la Cour dans cette affaire (Mundi) qui est pertinente à la présente instance veut qu'une demande de visa présentée par une personne appartenant à la catégorie de la famille ne puisse être rejetée pour le seul motif qu'une personne inscrite par le requérant comme une personne à sa charge qui l'accompagne n'est pas effectivement une personne à la charge du requérant.
     (c'est moi qui souligne)


[10]      J'estime que c'est à la lumière de ces arrêts, en particulier de l'affaire Gharu, qu'il faut décider de la présente affaire. En l'espèce, dans la mesure où la requérante principale Yolette Frézin désigne ses trois (3) filles comme personnes à charge, il n'y a pas de doute que nous sommes en présence d'une demande de visa déposée par une personne appartenant à la catégorie famille3. Il appert cependant du dossier qu'à part cette déclaration de la mère dont l'agent des visas n'était pas satisfait vu les déclarations de naissance tardives pour tous les enfants, aucune preuve n'a été faite d'un lien de filiation entre la mère et les filles. Bref, la requérante principale n'a pas convaincu l'agent des visas qu'elle avait ou . . . n'avait pas effectivement des personnes à charge. En effet, d'une part elle a déclaré ses filles comme personnes à charge en déposant une demande de visa dans la catégorie famille, mais d'autre part, elle n'a pas réussi à convaincre l'agent des visas de ce fait en dépit des demandes répétées de l'agent à ce sujet.

[11]      À mon avis, avant qu'on s'interroge sur l'admissibilité de personnes qui veulent obtenir un visa, encore faut-il que le requérant principal démontre, dans le cadre d'une demande de la catégorie de la famille, que ces personnes correspondent aux définitions de "personne à charge"4 et, comme en l'espèce, de "fille à charge"5 et même de "fille"6 prévues au Règlement. Ainsi, avant qu'on vérifie si une personne à charge est admissible, encore faut-il examiner si elle est une fille à charge, c'est-à-dire âgée de moins de 19 ans et non mariée, mais d'abord une fille ayant un lien avec la requérante principale. En ce sens, il n'est pas déraisonnable qu'un agent des visas s'assure d'abord et avant tout du lien filial entre une mère et les personnes qu'elle prétend être ses enfants.

[12]      En l'espèce, il est important de souligner que l'agent n'a pas rejeté la demande au motif que les enfants n'étaient pas à la charge de l'épouse du demandeur: il ne s'est aucunement prononcé sur cette question. La demande a été rejetée à défaut par la mère de produire des tests sanguins ADN qui auraient pu prouver les liens de filiation entre elle et ses enfants, vu que les déclarations de naissance tardives ou de présentations au temple ne satisfaisaient pas l'agent. Bref, l'épouse du demandeur n'a pas satisfait aux exigences de l'article 9(3) de la Loi n'ayant pu établir, de façon satisfaisante, le lien de filiation qui aurait démontré qu'elle avait des personnes à charge. Ce faisant, elle ne s'est pas acquittée de l'obligation qui lui incombait7. L'agent des visas a donc eu raison de conclure que la non-observation, de la part de la requérante principale, des conditions du paragraphe 9(3) de la Loi justifiait le refus d'un visa; il agissait alors conformément à la règle énoncée par le juge Pratte dans Kang. J'estime à cet égard, si besoin est de le démontrer8, que le refus de produire une telle preuve présentait un intérêt non seulement pour l'admissibilité des enfants mais aussi de l'épouse du demandeur.

[13]      Lors de l'audition, le demandeur a plaidé que dans la mesure où, devant la section d'appel, il s'était désisté de l'appel des enfants de son épouse, ils devaient être ainsi écartés de la demande d'établissement parrainée de leur mère en tant que personnes à charge. La section d'appel aurait donc erré en ne concluant pas que le désistement de son appel à l'égard des enfants de son épouse avait pour effet d'annuler leur demande d'admission au Canada. Si on poursuit à la limite la logique de cet argument du demandeur, ce désistement aurait pour effet de nier l'existence ou de faire en quelque sorte disparaître les enfants de son épouse.

[14]      Cet argument est dénué de tout fondement. D'abord, le dossier ne révèle pas que l'épouse du demandeur ait déposé une quelconque déclaration niant être la mère de ces enfants ou qu'elle ait amendé sa demande de résidence permanente au Canada pour en extraire ses filles comme personnes à charge. Mais il y a davantage. Aux termes de l'alinéa 6(1)a) du Règlement reproduit plus haut, l'épouse du demandeur se devait d'indiquer sur sa demande parrainée de droit d'établissement le nom de toutes ses personnes à charge, qu'elles l'accompagnent ou non. Cette disposition du règlement a été jugée intra vires dans l'affaire Ahmar Singh v. The Queen (1997), 123 F.T.R. 241, confirmée par la Cour d'appel (A-1014-96) le 6 novembre 1998.

[15]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[16]      La partie demanderesse a suggéré que la Cour certifie comme question sérieuse de portée générale, la question suivante:

L'absence de lien de filiation entre le requérant principal et une personne à charge, qui désirent immigrer au Canada, a-t-elle pour effet de rendre le requérant principal non admissible, au même titre que la personne à charge, en application de l'article 19(2)d) de la Loi sur l'immigration au point de justifier l'agent des visas de refuser de leur délivrer un visa d'entrée au Canada?

Sur la base des critères énoncés par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Liyanagamage9, j'estime qu'il n'y a pas lieu de certifier cette question dans la mesure où ni l'agent des visas ni la section d'appel n'ont conclu à l'absence d'un lien de filiation entre la requérante principale et ses personnes à charge. La question proposée ne serait donc pas déterminante du présent dossier. Par ailleurs, la question telle que formulée a déjà été décidée, sur le fond, dans les arrêts dont j'ai traité plus haut mais sans les nuances que la Cour a cru bon d'y apporter. Aucune question ne sera donc certifiée.


                             _____________________________

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

le 30 juin 2000

__________________

     1      9.(3) Toute personne doit répondre franchement aux questions de l'agent des visas et produre toutes les pièces qu'exige celui-ci pour établir que son admission ne contreviendrait pas à la présente loi si à ses règlements.      ***      9.(3) Every person shall answer truthfully all questions put to that person by a visa officer and shall produce such documentation as may be required by the visa officer for the purpose of establishing that his admission would not be contrary to this Act or the regulations.

     2      19.(2) Appartiennent à une catégorie non admissible les immigrants et, sous réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui:      . . .      d) soit ne se conforment pas aux conditions prévues à la présente loi et à ses règlements ou aux mesures ou instructions qui en procèdent, soit ne peuvent le faire.      ***      19.(2) No immigrant and, except as provided in subsection (3), no visitor shall be granted admission if the immigrant or visitor is a member of any of the following classes:      . . .      (d) persons who cannot or do not fulfil or comply with any of the conditions or requirements of this Act or the
     [suite de la note 2]      regulations or any orders or directions lawfully made or given under this Act or the regulations.

     3      Dossier du tribunal (D.T.) p. 026.

     4      "personne à charge"      a) par rapport à une personne qui demande un prêt visé à l'article 45:      (i) son conjoint,      (ii) son fils ou sa fille ou celui ou celle de son conjoint, lequel fils ou laquelle fille est âgé de moins de 19 ans et non marié au moment où sa demande de visa d'immigrant est reçue par l'agent d'immigration,      (iii) le fils ou la fille du fils ou de la fille visé au sous-alinéa (ii), le fils ou la fille mentionné en premier lieu étant âgé de moins de 19 ans et non marié au moment où sa demande de visa d'immigrant est reçue par l'agent d'immigration;      b) par rapport à une personne visée au paragraphe 6(3), son fils ou sa fille âgé de moins de 19 ans et non marié;      c) par rapport à une personne non visée aux alinéas a) et b):      (i) son conjoint,      (ii) le fils à sa charge ou la fille à sa charge ou le fils à la charge ou la fille à la charge de son conjoint, ...      ***      "dependant", means,      (a) with respect to a person who applies for a loan referred to in section 45,      (i) the spouse of that person,      (ii) any son or daughter of that person or of the spouse of that person, where the son or daughter is less than      19 years of age and unmarried at the time the son's or daughter's application for an immigrant visa is received by an immigrant officer, and      (iii) any son or daughter of a son or daughter referred to in subparagraph (ii), where the son or daughter is less than 19 years of age and unmarried at the time the son's or daughter's application for an immigrant visa is received by an immigrant officer,      (b) with respect to a person referred to in subsection 6(3), a son or daughter of that person, where the son or daughter is less than 19 years of age and unmarreid, and      (c) with respect to a person other than a person referred to in paragraph (a) or (b),      (i) the spouse of the person,      (ii) any dependent son or dependent daughter of that person or of the spouse of that person, and ...

     5      "fille à charge" Fille:      a) soit qui est âgée de moins de 19 ans et n'est pas mariée; ...      ***      "dependant daughter" means a daughter who      (a) is less than 19 years of age and unmarried, ...

     6      "fille" désigne, par rapport à une personne, une personne du sexe féminin      a) descendant de cette personne et qui n'a pas été adoptée par une autre personne, ou      b) qui a été adoptée par cette personne avant l'âge de 19 ans;      ***      "daughter" means, with respect to a person, a female      (a) who is the issue of that person and who has not been adopted by another person, or      (b) who has been adopted by taht person before having attained 19 years of age;

     7      Biao c. Canada [2000] 2 C.F. 348, à la p. 358.

     8      Dans Mundi , le juge en chef Thurlow (p. 187) a estimé que le défaut de convaincre l'agent des visas relativement à l'âge du fils ne pouvait préjudicier à l'admissibilité du père et des autres personnes à charge que si le faux certificat relatif à l'âge du fils présentait aussi un intérêt pour l'admissibilité du père.

     9      Liyanagamage c. Canada (M.E.I.), (1994), 176 N.R. 4 (F.C.A.).

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