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Date : 20000515

Dossier : T-267-00

ACTION IN REM ET IN PERSONAM EN MATIÈRE D'AMIRAUTÉ

ENTRE :

ADECON SHIP MANAGEMENT INC.,

demanderesse,

- et -

LE GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE DE CUBA, LE MINISTÈRE

DE L'INDUSTRIE DE LA PÊCHE ET DE LA MARINE MARCHANDE (MINISTERIO DE LA INDUSTRIA PESQUERA Y MARINA MERCANTE),

LE MINISTÈRE DES TRANSPORTS, EMPRESA NAVEGACION

MAMBISA et NAVIERA POSEIDON, O.E.E.

défendeurs

(in personam)

- et -

LES PROPRIÉTAIRES DES NAVIRES M/V CALIX,

M/V AJANA (ex CARIBBEAN QUEEN), M/V GABYANA

(ex CARIBBEAN PRINCESS), M/V AVON, M/V LOTUS ISLANDS,

M/V LILAC ISLANDS, M/V AGATHE ISLANDS, M/V WEST ISLANDS,

M/V ODELYS (ex ROSE ISLANDS), M/V SOUTH ISLANDS, M/V EAST ISLANDS, M/V TEPHYS, M/V RIO YATERAS, M/V RIO CUYAGUATEJE,

M/V RIO NAJASA, M/V LILIET, M/V SANTANITA, M/V ANACAONA,

M/V GUARIONEX, M/V DAIQUIRI, M/V CAJIO, M/V MINAS DEL

FRIO, M/V GRAN PIEDRA et M/V MAGNOLIA REEFER,

et TOUTES AUTRES PERSONNES AYANT

UN DROIT SUR CES NAVIRES

défendeurs


(in rem)

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE ADJOINT GILES

[1]         Il s'agit des motifs abrégés de la décision que j'ai rendue à la fin de l'audience. Les requêtes dont je suis saisi visent à faire radier, pour absence de compétence, les parties des déclarations qui ont un lien avec une action in rem dans le cadre de laquelle un navire cubain a été saisi et une autre action in rem dans le cadre de laquelle on a déposé une mise en garde contre mainlevée de saisie. Selon l'avocat de l'opposant, si j'arrive à la conclusion que la Cour n'a pas la compétence in rem à l'égard du navire et ordonne la libération de ce dernier, il faut également radier l'opposition.

[2]         L'action découle de la présumée rupture d'un contrat visant la vente d'un certain navire, le Canadian Challenge ex Calix (le « Calix » ), à la demanderesse. Il est allégué que le navire devait être franc et quitte de tout privilège. Or, après la vente, la demanderesse a dû rembourser les privilèges pour obtenir un titre, mais celui-ci se serait révélé contestable. Le Calix a par la suite été saisi alors qu'il se trouvait à Cuba. La demanderesse fait valoir que tant la société venderesse que la société ayant procédé à la saisie sont des mandataires du gouvernement de Cuba. Les déclarations en matière réelle mentionnent le nom d'un certain nombre de navires cubains qui, suivant la demanderesse, sont des « navires-jumeaux » . Un des présumés navires-jumeaux a fait l'objet d'une saisie. Cette mesure a donné lieu aux présentes requêtes qui, comme il a déjà été mentionné, visent à faire radier les parties de la déclaration qui ont un lien avec les actions in rem.


[3]         Au début de l'audience, le défendeur requérant s'est opposé au dépôt d'un certain nombre d'extraits de la liste d'armateurs de la Lloyd's portant sur plusieurs années qui étaient annexés au mémoire de la demanderesse sans être étayés par des affidavits. Les mêmes extraits étaient également annexés à la transcription d'un contre-interrogatoire d'un des déposants des défendeurs. La demanderesse a tenté de produire, relativement à la White Swan Shipping Company Limited (ci-après « White Swan » ), des documents qui eux non plus n'étaient pas étayés par des affidavits. J'ai signalé que les documents relatifs à la Lloyd's et à White Swan étaient tous irrégulièrement présentés devant moi, mais qu'ils pouvaient se révéler importants et devraient réellement être soumis à l'examen de la Cour. Le fait d'accorder un ajournement pour permettre le dépôt de ces documents, étayés par les affidavits appropriés, retarderait aussi le contre-interrogatoire portant sur ces affidavits. J'ai donc proposé d'accepter que la Cour soit saisie des documents afin d'éviter des retards, et j'ai pris note des objections respectives des parties.

[4]         Le défendeur requérant a d'abord soutenu que la demanderesse était le propriétaire inscrit et le propriétaire bénéficiaire du navire Calix, objet de l'action. Selon lui, le navire saisi et les navires de tous les autres défendeurs n'étaient pas et n'ont jamais été la propriété de la demanderesse et ne pouvaient donc être des navires-jumeaux.


[5]         Le défendeur requérant a par la suite prétendu que, si la question de la propriété doit être tranchée à la lumière des faits existants à une date antérieure à celle de la vente, la société venderesse du Calix n'était pas la même que celle ayant la propriété du navire saisi et qu'en outre les deux sociétés propriétaires du navire saisi au moment de la vente n'étaient pas toutes des créations du gouvernement cubain. En effet, la société propriétaire de 51 p. 100 de la société à laquelle appartenait le navire à cette époque n'était pas la propriété de Cuba. La société propriétaire de 49 p. 100 de la société propriétaire du navire saisi au moment de la vente du Calix était une société propriété des Cubains, mais elle avait vendu sa participation à White Swan lorsque l'action a été introduite. White Swan n'était pas une entité appartenant au gouvernement cubain. Le défendeur a avancé d'autres arguments dont je ne ferai pas état puisque je n'en ai pas tenu compte pour rendre ma décision.

[6]         Au début de sa réponse, l'avocat de la demanderesse a tenté de produire un affidavit traitant du droit cubain déposé relativement à une autre action dans le cadre de laquelle on a obtenu un bref de saisie-exécution à l'égard du navire saisi. Le fait d'admettre un tel affidavit obligerait à accorder un ajournement pour le contre-interrogatoire et il ne fait aucun doute qu'on tenterait de déposer d'autres affidavits contradictoires qui retarderaient encore davantage l'examen de la présente requête.

[7]         À mon avis, il est manifeste que le droit cubain n'a aucune pertinence quant à la première question soulevée par le défendeur, savoir que, à la lumière de l'allégation selon laquelle la demanderesse était propriétaire du navire en cause et du fait que la demanderesse n'était pas propriétaire du navire saisi, ce dernier ne pouvait être un navire-jumeau. Cette question relève du droit canadien. J'ai donc ordonné qu'on procède au débat quant à la première question. Si je tranche ce premier point en faveur de la demanderesse, il faudra examiner la question de l'affidavit portant sur le droit cubain avant que les présentes requêtes puissent être instruites de façon complète. D'un autre côté, si je décide en faveur du défendeur, radie la réclamation réelle et ordonne que le navire soit libéré de la saisie, la question de l'affidavit touchant le droit cubain n'aura pas à être examinée. J'ai donc ordonné la poursuite de la requête uniquement en ce qui concerne la première question en litige.


[8]         La demanderesse intimée quant à la requête a fait valoir que le paragraphe 43(8) de la Loi sur la Cour fédérale doit être lu à la lumière du paragraphe 43(3). Elle prétend que l'exigence relative à l'existence d'un droit de propriété à un moment donné qui est prévue par cette dernière disposition afin de restreindre les actions in rem doit être utilisée pour limiter l'imposition de contraintes liées au moment où existe le droit de propriété énoncées au paragraphe 43(8) et que, dans les cas où les contraintes prévues au paragraphe 43(3) ne s'appliquent pas, elles ne doivent pas davantage s'appliquer en ce qui touche le paragraphe 43(8). Le paragraphe 43(3) n'a pas pour effet de limiter les actions in rem qui portent sur les questions notamment mentionnées aux alinéas 22(2)a) ou c). De la même façon, on a soutenu que le paragraphe 43(8) ne doit pas exclure les actions in rem intéressant les questions énoncées aux alinéas 22(2)a) ou c) et que, comme on a allégué que le Calix avait déjà appartenu aux entités gouvernementales cubaines, un navire dont le gouvernement cubain est maintenant propriétaire constitue un navire-jumeau.

[9]         La demanderesse intimée affirme en outre que, comme le vendeur du navire n'a pas remis un titre valable à l'acquéreur, il n'a pas totalement exécuté les obligations lui incombant aux termes du contrat de vente et il détient toujours un droit de propriété à l'égard du Calix. Par conséquent, le Calix et le navire saisi étant tous deux la « propriété » du gouvernement cubain, ils constitueraient des navires-jumeaux.

[10]       Dans l'affaire Looiersgracht (Ssangyong Australia Pty. Ltd. c. Navire Looiersgracht et al (1994), 85 F.T.R. 265), on signale que le fait de détenir un droit de propriété partiel à l'égard de deux navires n'est pas en soi suffisant pour affirmer qu'il s'agit de navires-jumeaux. Le droit de propriété complet doit être le même.                                   


[11]       À mon avis, le Calix appartenait à la demanderesse au moment où l'action a été intentée. J'estime en outre, même si ce fait n'est pas pertinent, que le Calix était la propriété de la demanderesse au moment du fait générateur. En effet, le transport du navire emporte le transfert du titre à l'acquéreur même si ce titre n'est pas franc et quitte de tout grèvement. Les droits, quels qu'ils soient, détenus par le gouvernement cubain en raison de privilèges qui lui ont été consentis, ne pourraient être assimilés à un droit de propriété, qu'ils s'agissent de titres participatifs, d'intérêts bénéficiaires ou autres; ils s'apparenteraient plutôt à des charges et à des hypothèques qui ne constituent pas un droit de propriété en matière d'amirauté.

[12]       Quant aux contraintes de temps prévues au paragraphe 43(8), il est à mon sens évident que cette disposition doit être lue seule. Les dispositions relatives au moment de l'existence du droit de propriété énoncées au paragraphe 43(3) ont pour objet de préciser que les réclamations fondées sur un droit de propriété, une hypothèque ou un privilège maritime suivent le navire, contrairement aux réclamations touchant les approvisionnements nécessaires qui suivent plutôt le propriétaire visé même si elles ont été présentées relativement au navire alors que celui-ci appartenait toujours à ce propriétaire. Selon moi, les contraintes de temps énoncées au paragraphe 43(8) sont très simples et, logiquement, ne se rapportent qu'aux droits que détenait le défendeur au moment de l'introduction de l'action. En effet, historiquement, la saisie des biens des défendeurs était autorisée afin de garantir l'exécution de tout jugement éventuel prononcé en faveur de la demanderesse dans l'avenir et les seuls biens susceptibles de saisie étaient ceux appartenant en propre aux défendeurs. Bien sûr, à l'origine, le défendeur lui-même pouvait aussi être arrêté.


[13]       J'estime que pour être un navire-jumeau, le navire saisi doit appartenir à titre bénéficiaire au propriétaire du Calix. Rien ne permet de penser que la demanderesse était propriétaire du navire saisi et, le cas échéant, il importe peu de savoir à qui appartenait le navire puisqu'il ne pouvait s'agir d'un navire-jumeau. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de recourir au droit cubain pour décider de la question de la propriété.

[14]       J'arrive donc à la conclusion que la Cour n'a pas compétence in rem et que les réclamations de cette nature soumises par Roxford devraient être radiées. Cela étant fait, rien ne permet de justifier la saisie et, en ce qui concerne les réclamations de Roxford, le navire devrait être libéré. Adecon Ship Management Inc. a déposé une mise en garde contre mainlevée de saisie afin de garantir les réclamations qu'elle a présentées contre le gouvernement de Cuba. Adecon n'était propriétaire d'aucun des navires en cause, mais l'existence de ses réclamations intéresse le Calix. La déclaration déposée par Adecon ne renferme aucune demande de réparation in persoman visant Roxford et ne comporte donc pas de réclamation réelle. De plus, aucune réclamation de cette nature n'est alléguée contre le Calix qui, à tous les moments pertinents, appartenait à Roxford. Les réclamations in rem d'Adecon semblent découler d'une charge que lui a consentie le gouvernement cubain à l'égard de certains navires en raison d'engagements dont l'existence est liée au Calix. Aucune réclamation n'est faite contre le Calix ni contre les navires grevés de cette charge. Il n'y a donc aucun navire avec lequel le navire saisi puisse être un navire-jumeau. Il n'existe aucune réclamation directe contre le navire saisi. La déclaration ne fait état d'aucune réclamation in rem relevant de la compétence conférée à la Cour par le paragraphe 43(8).


ORDONNANCE

[15]       Les parties de la déclaration portant sur une action in rem contre le M/V Rio Cuyaguateje sont radiées. La mise en garde contre mainlevée de saisie déposée par Adecon à l'égard du M/V Rio Cuyaguateje est annulée et levée.

« Peter A. K. Giles »

                                                                                                                              Protonotaire adjoint               

Toronto (Ontario)                                 

Le 15 mai 2000

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                  Avocats et avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                                   T-267-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                            ACTION IN REM ET IN PERSONAM EN MATIÈRE D'AMIRAUTÉ

ADECON SHIP MANAGEMENT INC.

                                                                                    - et -

LE GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE DE CUBA, LE MINISTÈRE DE L'INDUSTRIE DE LA PÊCHE ET DE LA MARINE MARCHANDE (MINISTERIO

DE LA INDUSTRIA PESQUERA Y MARINA MERCANTE), LE

MINISTÈRE DES TRANSPORTS, EMPRESA NAVEGACION MAMBISA

et NAVIERA POSEIDON, O.E.E.

- et -

LES PROPRIÉTAIRES DES NAVIRES          M/V CALIX, M/V AJANA (ex CARIBBEAN QUEEN), M/V GABYANA (ex CARIBBEAN PRINCESS), M/V AVON, M/V LOTUS ISLANDS, M/V LILAC ISLANDS, M/V AGATHE ISLANDS, M/V WEST ISLANDS, M/V ODELYS (ex ROSE ISLANDS), M/V SOUTH ISLANDS, M/V EAST ISLANDS, M/V TEPHYS, M/V RIO YATERAS, M/V RIO CUYAGUATEJE, M/V RIO NAJASA, M/V LILIET, M/V SANTANITA, M/V ANACAONA, M/V GUARIONEX, M/V DAIQUIRI, M/V CAJIO, M/V MINAS DEL FRIO, M/V GRAN PIEDRA et M/V MAGNOLIA REEFER, et TOUTES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR CES NAVIRES

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE JEUDI 11 MAI 2000

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE PROTONOTAIRE ADJOINT GILES LE LUNDI 15 MAI 2000.


CONCLUSIONS ÉCRITES :                                    Me Peter F. Jones

Pour la demanderesse

Me Cecily Y. Strickland

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                   Patterson, MacDougall

Barristers & Solicitors

1, rue Queen East

Bureau 2100, boîte 100

Toronto (Ontario)

M5C 2W5

Pour la demanderesse

Me Cecily Y. Strickland

Barrister & Solicitor

Cabot Place

Bureau 1100

100, rue New Gower

St. John's (Newfoundland)

A1C 6K3

Pour les défendeurs

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