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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Gonzalez c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration) (1re inst.) [1997] 3 C.F. 646

T-744-95

ENTRE :


MARIA GONZALEZ,


Plaignante,


et


LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,


La Commission,


et


LA COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION

DU CANADA,


Intimée,


et


LE TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE,


Le Tribunal.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NOËL

     Il s'agit du renvoi, à la demande du Procureur général du Canada, d'une question portant sur la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, du paragraphe 11(7) de la Loi sur l'assurance-chômage.1 Plus particulièrement, il s'agit de savoir si ledit paragraphe est contraire à la Loi canadienne sur les droits de la personne2 en ce qu'il constituerait un acte discriminatoire fondé sur la situation de famille en matière de fourniture de services.

I      LES FAITS

     Les faits ne font pas objet de litige, et sont exposés dans le dossier conjoint des parties :

         Le ou vers le 3 décembre 1992, Mme Maria Gonzalez a adopté son fils Marc-Antoine Lessard, né au Mexique le 19 septembre 1992. Le ou vers le 6 décembre 1992, Mme Maria Gonzalez a ramené du Mexique son fils.         
         Le ou vers le 11 décembre 1992, Mme Maria Gonzalez a formulé une demande de prestations en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage, et reçu les dix (10) semaines de prestations parentales, prévues pour les soins à donner à l'enfant placé chez elle en vue de son adoption.         
         Le ou vers le 10 février 1993, la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada a refusé d'octroyer à Mme Gonzalez les cinq (5) semaines de prestations additionnelles qu'elle réclamait en vertu du paragraphe 11(7) de la Loi sur l'assurance-chômage parce que l'une des conditions prévues à cet article n'était pas rencontrée, à savoir que l'enfant en question doive être âgé d'au moins six (6) mois lors du placement en vue de son adoption.         
         Comme le lui permettait l'article 79 de la Loi sur l'assurance-chômage, Mme Gonzalez a interjeté appel de cette décision devant le conseil arbitral lequel, après audition de la cause, a rejeté l'appel le 6 avril 1993 pour le même motif.         
         Le ou vers le 7 avril 1993, Mme Gonzalez a été informée de son droit d'en appeler de la décision du conseil arbitral au juge-arbitre.         
         Le ou vers le 27 août 1993, Mme Gonzalez déposait une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne alléguant que la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada avait posé des actes discriminatoires fondés sur la situation de famille en matière de fourniture de services en lui refusant des prestations aux termes du paragraphe 11(7) de la Loi sur l'assurance-chômage et ce, en contravention de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.         
         Le ou vers le 3 juin 1994, la plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne fut modifiée afin d'ajouter un second motif comme fondement de la plainte, soit celui de l'âge.         
         En vertu du paragraphe 49(1.1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission canadienne des droits de la personne a référé pour enquête au Tribunal des droits de la personne la plainte portant uniquement sur le motif de la situation de famille et un tribunal fut constitué le 18 janvier 1995 et remplacé le 25 mars 1995.         
         Le ou vers le 13 avril 1995, au terme du paragraphe 18.3(2) de la Loi sur la Cour fédérale, le Procureur général du Canada renvoyait devant la Cour fédérale, Section de première instance pour audition et jugement de la question de la validité, de l'applicabilité et de l'effet sur le plan constitutionnel de l'article 11(7) de la Loi sur l'assurance-chômage.3         

    

     J'ajouterai que les avis prévus à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale ont été signifiés au Procureur général de chacune des provinces et qu'aucun d'entre eux a choisi d'intervenir. La Commission canadienne des droits de la personne ("la Commission") s'est pour sa part jointe au présent recours à titre de partie conformément à la Règle 1502 des Règles de la Cour fédérale. Le présent renvoi fut assujetti à la procédure régissant les contrôles judiciaires conformément aux directives émises par le juge Pinard en date du 18 mai 1995. Par cette même directive, le juge Pinard a ordonné au tribunal saisi de la plainte de Madame Gonzalez de s'abstenir de considérer la question qui fait l'objet du renvoi avant que la Cour n'en dispose.

II      GENÈSE DE L'ARTICLE 11(7) DE LA LAC

     Le 1er janvier 1984, lors de l'adoption du projet de loi C-156, le législateur permettait pour la première fois le paiement de prestations à l'un ou l'autre des parents pour une période maximum de quinze semaines à l'occasion de l'intégration au foyer d'un enfant adoptif.4 Ces prestations étaient dites "parentales" et n'étaient disponibles qu'aux parents adoptifs.

     Dans le rapport qu'elle publiait le 23 octobre 1987, la Commission recommandait que la LAC soit modifiée afin d'offrir quinze semaines supplémentaires de prestations parentales aux parents naturels dont l'un ou l'autre des parents pourrait profiter tout comme dans le cas des prestations offertes aux parents adoptifs.5 Du même souffle, la Commission affirmait que les prestations

dites de "maternité" étaient de par leur nature destinées aux besoins de la mère naturelle pendant la période entourant la grossesse et l'accouchement et devaient être maintenues.6

     Le 7 juin 1988, la Cour fédérale, Section de première instance, était saisie de la demande d'un père naturel qui réclamait au même titre que les parents adoptifs des prestations pour s'occuper de son nouveau-né tandis que sa femme avait repris le travail.7 Monsieur le juge Strayer après avoir reconnu le caractère distinct des prestations de maternité a jugé que les dispositions de la LAC, qui refusaient d'accorder le bénéfice des prestations parentales aux pères naturels qui s'occupaient des enfants nouveau-nés afin de permettre aux mères la possibilité de retourner à un emploi rémunérateur tandis que les parents adoptifs en bénéficiaient, étaient discriminatoires. L'essentiel de l'opinion du juge Strayer sur cette question fut exprimée comme suit :

         Ces éléments de preuve me convainquent que la distinction qui prive les parents naturels de la possibilité de recevoir des prestations d'assurance-chômage à l'égard de la période qu'ils consacrent au soin d'un nouveau-né est péjorative ou est d'un effet négatif. De plus, cette distinction cause aux parents naturels un désavantage considérable. Se trouve donc rempli le critère de la violation du paragraphe 15(1) de la Charte, critère établi par la jurisprudence tel l'arrêt Smith, Kline & French, par lequel je me trouve lié. Étant donné le caractère ténu de la jurisprudence à ce sujet, et la décision imminente de la Cour suprême dans l'affaire Andrews, où un critère plus strict a été appliqué pour établir la violation du paragraphe 15(1), je statuerai également que les distinctions contestées en l'espèce constituent une discrimination même lorsqu'on les mesure à l'aune des critères plus rigoureux. Selon les décisions du même type que l'arrêt Andrews, pour qu'il y ait violation du paragraphe 15(1), la distinction en question doit être "déraisonnable ou injuste". Ainsi que je l'ai indiqué, cette distinction entre les parents adoptifs et les parents naturels, si on s'en tient à celle-ci, n'a rien qui milite en sa faveur. Même si la preuve laisse entendre que l'article 32 vise sans doute des situations qui ne sont pas comparables à celles que vivent les parents naturels, je suis convaincu qu'il vise néanmoins nombre de situations comparables à celles que connaissent les parents naturels et qui ouvrent tout de même droit à des prestations considérablement différentes de celles qui sont versées à ces derniers. Le critère selon lequel des prestations sont payables lorsqu'il est "raisonnable" pour un parent de rester à la maison avec l'enfant est susceptible de réconcilier les distinctions qui peuvent exister entre les parents naturels et les parents adoptifs. Cela étant, j'estime déraisonnable et injuste d'accorder des prestations aux seconds et non aux premiers.8         

     C'est suite à cette décision que le projet de loi C-21 fut présenté à la Chambre des communes pour première lecture en date du 1er juin 1989. Il prévoyait, entre autres, le versement d'un total de dix semaines de prestations parentales tant aux parents naturels qu'aux parents adoptifs et ce, à l'un ou l'autre des parents.9

     Un comité législatif chargé d'étudier ce projet de loi a entendu, le 28 septembre 1989, les représentations de la "Open Door Society",10 un groupe de parents adoptifs en vue de modifier le projet de loi C-21.11 C'est ainsi que les représentantes de ce groupe, Mmes Atkins et Umbach, ont déclaré, le 28 septembre 1989, devant le comité parlementaire chargé de l'étude du projet de loi ce qui suit :

         Mme Umbach : Le gouvernement n'a nullement mentionné les besoins spéciaux d'un grand nombre de nourrissons et d'enfants plus âgés qu'on adopte aujourd'hui. Savez-vous que bon nombre des bébés adoptés aujourd'hui viennent de milieux difficiles, où l'on observe de graves troubles mentaux, la consommation de drogue et d'alcool et les risques de transmission du Sida? Savez-vous que la plupart des enfants âgés de plus de six mois sont issus d'un milieu où ils ont connu des traumatismes graves, y compris des voies de fait ou des abus sexuels des privations affectives et physiques et l'absence de soins?         
         Or, la plaidoirie du gouvernement était tellement incomplète et insuffisante que le juge de la Cour fédérale ne pouvait que conclure que l'article 32 n'était pas équitable. Cependant, les parents adoptifs ne devraient pas être punis, simplement parce que le gouvernement s'est mal défendu.         
         Mme Atkins : C'est moi qui vous présenterai la solution que nous avons conçue. Nous estimons que le gouvernement peut profiter de la décision de la Cour fédérale pour proposer une solution qui ne coûterait rien et ne punirait pas les parents adoptifs. Cette solution est donc gratuite, juste et conforme aux exigences de la Charte des droits.         
         Parlons d'abord des coûts. Il y a entre 140,000 et 150,000 mères naturelles qui réclament des prestations de maternité, et moins de 2,000 mères adoptives par année qui reçoivent des prestations d'assurance-chômage. Nous devons manifestement éviter d'accorder des prestations équivalentes aux parents naturels et aux parents adoptifs. Autrement dit, si l'on accordait 15 semaines de prestations parentales plutôt que les 10 proposées dans le projet de loi, cela pourrait coûter 150 millions de dollars de plus au gouvernement si une telle allocation était reconnue à tous les parents naturels qui réclament des prestations. Nous devons donc trouver une solution telle que les parents naturels ne bénéficient pas automatiquement des prestations, et qu'on corrige le manque d'équité des propositions du projet de loi.         
         Mme Umbach : Nous proposons que vous ajoutiez une disposition supplémentaire à l'article portant sur les prestations parentales. Elle devrait offrir 10 semaines ou 15 semaines supplémentaires de congé parental, dans le cas où l'enfant adopté a six mois au moins. Il faudrait aussi que l'organisme provincial de bien-être social délivre un certificat attestant que l'enfant en question a des antécédents tels, par exemple sur le plan émotif ou physique, qu'il est raisonnable d'accorder des semaines supplémentaires de prestations parentales, au-delà de la limite de 10 semaines. Cette solution couvrirait près de 80 p. 100 des enfants adoptifs.         
         Étant donné qu'elle n'exclurait pas les parents naturels, par exemple, de l'enfant hospitalisé pendant ses six premiers mois, cette solution serait conforme à l'interprétation de la Charte. Et pourtant, un tel régime coûterait très peu. Sauf dans des cas très rares, seuls les parents adoptifs y auraient droit cependant, ce qui ne fait que 3,000 cas par année.         
         Distingués membres du Comité, les parents adoptifs et leurs enfants ne devraient pas être pénalisés ni leurs chances amoindries. Toutefois, si les dispositions relatives à l'adoption qui figurent dans le projet de loi C-21 demeurent telles quelles, nous estimons que c'est précisément ce qui passera.         
         La disposition relative à l'entretien d'enfants que nous avons proposée, et qui, en principe serait aussi accessible aux parents naturels, représente un moyen concret d'empêcher une injustice involontaire. Nous estimons que le juge Strayer s'est trompé. La situation des parents adoptifs est très différente à bien des égards de celle des parents naturels. Dans un monde idéal, tous les parents adoptifs devraient avoir droit à des prestations parentales plus élevées, et ce que nous proposons est donc moins qu'idéal.12         

     Après avoir considéré les divers mémoires, le gouvernement s'est ensuite présenté en Chambre et a proposé un amendement au projet de loi C-21 :

M. William Kempling (secrétaire parlementaire de la ministre de l'Emploi et de l'Immigration) : Monsieur le Président, je voudrais traiter tout particulièrement de la motion no. 6 telle qu'elle figure au Procès-verbaux car plusieurs députés ont parlé des prestations dans les cas d'adoption. Plusieurs mémoires nous ont été soumis sur le sujet au cours des pérégrinations du comité, et le ministre, par cet amendement, tente de répondre aux requêtes de divers témoins.

Je traite avec plaisir de cet amendement à l'article 9 du projet de loi au nom de la ministre de l'Emploi et de l'Immigration. L'amendement accorde cinq semaines supplémentaires de prestations, soi 15 semaines au lieu de 10, dans les cas où un enfant d'au moins six mois arrive pour la première fois à la maison. Pour être admissible à ces prestations supplémentaires, le requérant devra produire l'attestation d'un médecin ou de l'agence de placement. Ce certificat confirmera que l'enfant est atteint de troubles physiques, psychologiques ou émotifs qui nécessitent la prolongation de la période de soins.

Cet amendement répond aux circonstances spéciales où sont placés les parents d'un enfant qui, pendant une longue période après la naissance, a été placé dans un établissement ou n'a pu être ramené à la maison. Il s'appliquera aussi aux cas d'adoption d'enfants d'au moins six mois, dont on estime la proportion à 90 p. 100 au Canada. Lorsque, pour une raison ou une autre, un enfant de plus de six mois entre dans un foyer pour la première fois, il est normal que le parent ait besoin d'une période supplémentaire pour l'accueillir, établir une routine et créer un lien fort entre lui et l'enfant.13

     Le 4 octobre 1989, le gouvernement a modifié le projet de loi C-21 en prolongeant de cinq semaines le congé parental tant pour les parents adoptifs que pour les parents naturels, suivant les deux conditions que l'on retrouve à l'article 11(7) de la loi, soit d'une part que l'enfant arrive à la maison après avoir atteint l'âge de six mois et qu'une attestation soit émise à l'effet qu'une période de soins prolongés est requise.14 Le projet de loi C-21 fut adopté par la Chambre des communes le 6 novembre 1989.

     C'est donc qu'à l'heure actuelle, la LAC prévoit que les prestations parentales peuvent être partagées entre les deux parents jusqu'à un maximum de dix semaines et qu'une prolongation de cinq semaines est possible lorsque les deux conditions du paragraphe 11(7) énoncées précédemment sont remplies.

III      QUESTION DEVANT LA COUR

     Lors du renvoi, le Procureur général du Canada a soumis la question suivante :

         Le paragraphe 11(7) de la Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. (1985) ch. U-1, est-il contraire à la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985) ch. H-6, en ce qu'il constituerait un acte discriminatoire fondé sur la situation de famille en matière de fourniture de services?         

IV      DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

A)      Loi canadienne sur les droits de la personne
         2      La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant: le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.         
         3(1)      Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.         
         (2)      Une distinction fondée sur la grossesse ou l'accouchement est réputée être fondée sur le sexe.         
         5      Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait pour le fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public :         
              a)      d'en priver un individu;         
              b)      de le favoriser à l'occasion de leur fourniture.         
         15      Ne constituent pas des actes discriminatoires :         
              g)      le fait qu'un fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public, ou de locaux commerciaux ou de logements en prive un individu ou le défavorise lors de leur fourniture pour un motif de distinction illicite, s'il a des motifs justifiables de le faire.         
B)      Loi sur l'assurance-chômage
         11(3) Sous réserve du paragraphe (7), le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées au cours d'une période de prestations est :         
              a)      dans le case d'une grossesse, quinze semaines;         
              b)      dans le cas de soins à donner à un ou plusieurs nouveau-nés du prestataire ou à un ou plusieurs enfants placés chez le prestataire en vue de leur adoption, dix semaines;         
              c)      dans le cas de maladie, blessure ou mise en quarantaine prévue par les règlements, quinze semaines.         
         (4) Sous réserve du paragraphe (7), les prestations ne peuvent être versées pendant plus de quinze semaines, dans le cas d'une seule et même grossesse, ou plus de dix, dans le cas de soins à donner à un ou plusieurs nouveau-nés d'une même grossesse ou du placement de un ou plusieurs enfants chez le prestataire en vue de leur adoption.         
         (7) Le nombre maximal de dix semaines visé à l'alinéa (3)b) et au paragraphe (4)      est porté à quinze lorsque les conditions suivantes sont réunies :         
              a)      l'enfant en question est âgé d'au moins six mois à son arrivée à la maison ou lors du placement en vue de son adoption;         
              b)      un médecin ou l'agent responsable du placement atteste que l'enfant est atteint de troubles physiques, psychologiques ou affectifs qui nécessitent la prolongation de la période de soins.         
         20(1) Par dérogation à l'article 14 mais sous réserve des autres dispositions du présent article, des prestations sont payables à un prestataire de la première catégorie pour demeurer à la maison pour prendre soin de son ou de ses nouveau-nés ou d'un ou plusieurs enfants placés auprès de lui en vue de leur adoption, en conformité avec les lois régissant l'adoption dans la province où il réside.         
         (2) Sous réserve de l'article 11, les prestations visées au présent article sont payables pour chaque semaine de chômage comprise dans la période qui :         
              a)      commence avec la semaine au cours de laquelle le ou les nouveau-nés arrivent à la maison ou le ou les enfants sont réellement placés auprès du prestataire en vue de leur adoption;         
              b)      se termine cinquante-deux semaines après la semaine au cours de laquelle le ou les nouveau-nés arrivent à la maison ou le ou les enfants sont ainsi placés.         

V      POSITION DES PARTIES

     La Commission prétend que le paragraphe 11(7) de la LAC crée une distinction illicite fondée sur la situation de famille dans la fourniture de services en violation de l'article 5 de la LCDP. Plus particulièrement, la Commission prétend que cette distinction a comme effet d'exclure du bénéfice des prestations additionnelles les parents adoptifs et naturels d'enfants alors même que ces enfants seraient en besoin de garde parentale selon les critères retenus par la loi au seul motif qu'ils sont âgés de moins de six mois lors de leur arrivée à la maison. Selon la Commission, ce dernier critère est arbitraire, sans pertinence et a un effet discriminatoire sur les familles qui s'adonnent à recevoir leur enfants à la maison avant qu'ils aient atteint l'âge de six mois.

     Le Procureur général du Canada, en son nom propre et au nom de l'intimée, prétend que le paragraphe 11(7) de la LAC n'est pas contraire à l'article 5 de la LCDP parce qu'il ne constitue pas un acte discriminatoire fondé sur la situation de la famille en matière de fourniture de services. Selon le Procureur général, le paragraphe 11(7) n'opère aucune distinction illicite sur la base de la situation de la famille puisqu'il traite les familles biologiques et adoptives exactement de la même façon. Il ajoute que la distinction attaquée repose sur l'âge de l'enfant et qu'il s'agit là d'une caractéristique personnelle qui appartient

à l'enfant et non pas à ses parents ou sa famille. Selon le Procureur général l'âge de l'enfant ne peut être invoqué comme motif de distinction fondé sur la situation de la famille.

     Dans la mesure où le paragraphe 11(7) défavorise l'accès aux prestations pour un motif de distinction illicite, le Procureur général prétend que le législateur avait un motif justifiable pour agir ainsi au sens de l'article 5 de la LCDP et que donc le paragraphe 11(7) ne constitue pas un acte discriminatoire. Le Procureur général soumet que c'est dans un contexte de restrictions budgétaires que le projet de loi C-21 a été présenté. À cette occasion, le Parlement a dû faire des choix et l'un d'eux fut d'établir à dix le nombre de semaines de prestations parentales pouvant être octroyé. La prolongation exceptionnelle de cinq semaines ajoutée au projet de loi était destinée aux seuls parents qui rencontraient les deux conditions stipulées. Selon le Procureur général il s'agit là d'un choix libre et éclairé, découlant des contraintes budgétaires. À ce titre, ce choix ne devrait pas être assujetti à l'examen de la Cour.

VI      ANALYSE ET DÉCISION

     Avant d'aborder le sujet comme tel, il est utile de se rappeler que le projet de loi C-21 tel qu'il fût présenté à la Chambre des communes pour la première fois, le 1er juin 1989, donnait pleinement effet au jugement rendu dans l'arrêt Schachter. Le juge Strayer dans cette affaire avait ordonné que les parents naturels puissent obtenir des prestations égales à celles versées aux parents adoptifs. Il avait cependant laissé au Parlement le soin de déterminer comment cet objectif devait être atteint :

         J'estime plutôt convenable et juste de ... de laisser au législateur le soin de remédier à la situation conformément à la Charte, soit en étendant de semblables prestations aux parents naturels, soit en éliminant les prestations accordées aux parents adoptifs, soit en prévoyant des prestations plus restreintes dont bénéficieraient également les parents tant adoptifs que naturels à l'égard du soin des enfants. Je n'entends pas imposer au législateur une solution ou une autre : je dis simplement que s'il veut prévoir des prestations, il doit les prévoir de façon non discriminatoire. Je suis disposé à présumer, à ce stade, que le législateur va prendre la mesure nécessaire pour égaliser un système de prestations que cette Cour juge injuste.15         

     Suite à cette décision, le Parlement pouvait donc sauver des deniers publics en réduisant les prestations à dix semaines pour tous; ajouter à ses dépenses en augmentant les prestations à quinze semaines pour tous ou neutraliser l'effet monétaire de la décision en réduisant les prestations au niveau requis pour

ce faire tout en traitant les deux catégories de parents de façon identique. L'effet initial du projet de loi C-21 était de procurer le bénéfice des prestations aux deux groupes de parents pour une période de dix semaines.16

     Il convient d'ouvrir une parenthèse ici pour préciser que le juge Strayer avait aussi donné un effet immédiat à son jugement en décrétant que dans l'intérim17 les parents naturels auraient droit aux mêmes prestations que celles octroyées aux parents adoptifs.18 Cette façon de procéder fut attaquée par le Procureur général agissant au nom du gouvernement et de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada.19 La Cour fédérale d'appel rejeta le pourvoi20 mais la Cour suprême y donna suite.21 Selon la Cour suprême, le juge Strayer avait eu tort de donner un effet immédiat à son jugement. Le juge en chef Lamer exprimant l'opinion d'une Cour unanime sur ce point cassa le jugement de première instance en ces termes :

         En l'espèce, le bénéfice est une somme d'argent versée aux parents en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage et il ne s'agit pas d'un bénéfice que la Constitution oblige le Parlement à verser au groupe inclus ou au groupe exclu. À la suite de la violation concédée de l'art. 15, le Parlement est tenu d'égaliser la prestation de ce bénéfice. Le bénéfice en soi n'est pas interdit par la Constitution; la disposition pertinente est simplement trop limitative. En conséquence, il serait inapproprié de procéder à l'annulation immédiate de la disposition car on priverait ainsi des personnes admissibles d'un bénéfice, sans offrir une réparation à l'intimé. Dans un tel cas, il faut tout au moins que l'effet de la déclaration d'invalidité soit suspendu pour permettre au Parlement d'harmoniser la disposition avec les exigences constitutionnelles. Tous les procureurs généraux intervenants sont d'accord avec cette proposition même si la plupart d'entre eux sont intervenus en faveur des appelantes.22         

     Le dispositif du jugement de la Cour suprême se lit comme suit :

         ... le pourvoi est accueilli et le jugement du juge de première instance est infirmé. Normalement, j'ordonnerais que l'art. 32 de la Loi de 1971 de l'assurance-chômage (par la suite l'art. 20 de la Loi sur l'assurance-chômage) soit annulé conformément à l'art. 52 et soit déclaré inopérant et je suspendrais aussi l'effet de cette déclaration d'invalidité jusqu'à ce que le Parlement ait modifié la loi pour l'harmoniser avec ses obligations constitutionnelles. Toutefois, je n'ai pas à le faire en l'espèce puisque la disposition attaquée a été abrogée et remplacée en novembre 1990.23         

     Quant à cette dernière phrase, elle doit se lire à la lumière d'une remarque qu'avait faite précédemment le juge en chef Lamer à l'effet suivant :

         Je tiens à signaler que le Parlement a depuis modifié la disposition attaquée, qui prévoit maintenant que les parents naturels ont droit, selon des modalités identiques, aux mêmes prestations que les parents adoptifs, pendant une période totale de 10 semaines au lieu des 15 semaines prévues initialement.24         

     C'est donc en prenant pour acquis que le Parlement avait rempli ses obligations constitutionnelles en promulguant l'égalité du droit aux prestations des deux catégories de parents conformément au jugement de la Cour fédérale que la Cour suprême a rendu sa décision.

     C'est suite aux représentations du groupe de parents adoptifs que le droit à une période prolongée de cinq semaines fut ajouté au projet de loi. Le projet dans son état initial prévoyait dix semaines selon des modalités identiques pour les deux groupes de parents. Ce groupe, insatisfait de la proposition initiale, a prétendu en Comité parlementaire que l'affaire Schachter avait mal été plaidée et a laissé entendre que la Cour n'aurait pas conclu à l'inégalité du traitement accordé aux parents adoptifs si leur point de vue avait mieux été présenté. Ses représentantes ont conçu et suggéré l'adoption d'un amendement qui remplissait les exigences de la Charte canadienne des droits et libertés sur papier mais qui de fait maintenait le traitement inégal des deux groupes de parents.

     En effet, en suggérant que seuls les parents d'enfants ayant atteint l'âge de six mois ou plus lors de leur arrivée à la maison puissent bénéficier des prestations additionnelles, ce groupe faisait valoir que 80 p. 100 des enfants adoptifs25 se qualifieraient alors que les enfants naturels seraient, à toute fin pratique, exclus.26 Cette solution fut présentée au Comité parlementaire comme en étant une qui "ne coûterait rien" puisque malgré les apparences, son effet était de maintenir le traitement avantageux que procurait l'ancienne loi aux parents adoptifs et le traitement désavantageux qu'elle procurait aux parents naturels.

     Comme nous le savons, le Parlement a décidé d'adopter l'amendement proposé par ce groupe de parents et a retenu le critère de l'âge de l'arrivée à la maison pour délimiter le droit aux prestations additionnelles de cinq semaines que prévoit le paragraphe 11(7) de la LAC.

     Cette brève revue du contexte dans lequel le paragraphe 11(7) a été adopté permet de mieux saisir le pourquoi de la distinction qui est maintenant faite entre les parents d'enfants qui arrivent à la maison après l'âge de six mois et ceux qui arrivent avant d'avoir atteint cet âge dans la perspective de ceux qui l'ont proposée.

     En analysant la raison d'être de cette distinction dans le cadre du présent renvoi, je dois cependant prendre pour acquis que le Parlement est respectueux de l'état du droit. Comme l'a fait remarquer la Cour suprême dans l'affaire Schachter, le Parlement était, suite à la décision de la Cour fédérale, tenu d'égaliser le bénéfice des prestations entre les parents adoptifs et les parents naturels.27 Le principe d'égalité entre les parents adoptifs et naturels à l'égard des prestations parentales ayant été prononcé dans le cadre d'une décision finale fondée sur la Charte, tous incluant nos élus devaient la respecter. De fait, le but déclaré du Parlement en adoptant les amendements apportés par le projet de loi C-21 à l'article 11 de la LAC était de se conformer à la Charte en donnant effet à la décision de la Cour dans l'affaire Schachter.28

     C'est donc qu'en analysant le pourquoi de la distinction retenue par le Parlement en adoptant le paragraphe 11(7), je ne peux lui attribuer le motif d'exclusion qui animait le groupe de parents adoptifs qui l'a suggéré puisque ce groupe, en insérant la condition reliée à l'âge, avait carrément comme objectif de maintenir l'inégalité entre les parents naturels et adoptifs sous l'égide d'une disposition qui en apparence traitait les deux groupes de parents de façon égale. Je me dois au contraire de présumer que c'est dans le respect du principe de l'égalité des parents adoptifs et des parents naturels à l'égard des prestations parentales que le paragraphe 11(7) a été adopté par le Parlement. À sa face même, l'article 11(7) respecte ce principe et puisque le Parlement était tenu de le respecter je présume que c'est ce qu'il a fait. D'ailleurs l'avocate du Procureur général et de l'intimée s'est dite d'accord sur ce point lors de l'audition.

     Gardant ceci à l'esprit, l'on peut maintenant s'enquérir de la raison d'être de la condition reliée à l'âge qui apparaît au paragraphe 11(7) de la loi et en particulier de la question à savoir si cette distinction est illicite au point de faire du paragraphe 11(7) un acte discriminatoire. Lors de la présentation de

l'amendement en Chambre des communes, le secrétaire parlementaire du ministre responsable en a décrit la raison d'être en ces termes :

         Cet amendement répond aux circonstances spéciales où sont placés les parents d'un enfant qui, pendant une longue période après la naissance, a été placé dans un établissement ou n'a pu être ramené à la maison. ... Lorsque, pour une raison ou une autre, un enfant de plus de six mois entre dans un foyer pour la première fois, il est normal que le parent ait besoin d'une période supplémentaire pour l'accueillir, établir une routine et créer un lien fort entre lui et l'enfant.29         

     Selon la Commission, le raisonnement pour attribuer aux parents qui reçoivent leurs enfants à la maison après qu'ils aient atteint l'âge de six mois un traitement différent des parents qui s'adonnent à les recevoir plus tôt est sans fondement rationnel et est discriminatoire à l'égard des parents de la deuxième catégorie. La Commission propose la définition suivante comme fondement de sa position :

... la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un group d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société.30

     Je débute mon analyse en précisant que le législateur est constamment appelé à faire des choix et que la simple existence d'une distinction n'équivaut pas à discrimination. Ce n'est que dans la mesure où une distinction est illicite au sens de l'article 5 de la LCDP qu'elle est susceptible de donner lieu à un traitement discriminatoire. Gardant à l'esprit les critères retenus par la Cour suprême en vertu de l'article 15 de la Charte,31 une distinction est susceptible d'être illicite si elle est dénudée de raison dans un contexte législatif donné; même si le contraire n'est pas nécessairement vrai, une distinction sans pertinence ou arbitraire suggère l'existence d'une distinction discriminatoire.32

     Quelles sont donc les vertus de la condition reliée à l'âge que l'on retrouve au paragraphe 11(7) de la LAC ? Avant de tenter de répondre à cette question, il est utile de s'attarder à l'autre condition que l'on retrouve à ce paragraphe, soit l'attestation d'un médecin ou de l'agent responsable du fait que l'enfant visé est atteint de troubles physiques, psychologiques ou affectifs qui nécessitent la prolongation de la période de soins. Cette deuxième condition indique sans équivoque que le but des prestations additionnelles est de permettre aux parents de prendre soin des enfants qui, à cause de leur condition, ont besoin de présence parentale pour une période prolongée. C'est donc le bien-être de l'enfant qui forme l'objet de la législation et le moyen utilisé pour atteindre cet objectif est de permettre à l'un ou l'autre des parents de laisser son travail afin de procurer des soins à l'enfant pendant la période prolongée en lui fournissant un moyen alternatif de subsistance.33

     À partir de ceci, l'on peut constater que le rapport entre l'âge de l'enfant lors de son arrivée à la maison et l'objectif législatif, s'il existe, n'est pas évident. Un enfant qui à cause de sa condition affective, physique ou psychologique est en besoin de soins prolongés lors de son arrivée à la maison à l'âge de six mois, ne l'est pas moins du fait qu'il soit arrivé à la maison plus tôt. Le cas de Madame Gongalez illustre ceci dans un contexte d'adoption,34 et la chose est tout aussi vrai à l'égard d'un enfant naturel. Il n'existe en fait aucun lien rationnel entre l'âge de six mois exigé par l'article 11(7) et l'état de l'enfant. L'on ne peut aucunement mesurer l'étendu du besoin de soins d'un enfant qui souffre d'une maladie quelconque par référence à l'âge auquel il est intégré au foyer. D'ailleurs, il est facile de concevoir que plus un enfant est malade plus il est en besoin d'intégrer le foyer rapidement afin de bénéficier du contact parental. La prétention selon laquelle un enfant malade qui est en besoin de soins prolongés selon l'attestation d'un médecin et qui intègre le foyer à l'âge de six mois, est plus en besoin de soins prolongés que l'enfant qui, également malade et assujetti à la même attestation, intègre le foyer plus tôt est totalement dénudé de fondement rationnel. Dans le contexte statutaire, l'âge de l'enfant est tout aussi arbitraire comme condition que le serait, par exemple, une exigence portant sur la longueur ou la couleur de ses cheveux au moment de son intégration au foyer.

     Si une distinction qui fonde l'existence d'un droit ou d'un privilège n'a aucun lien rationnel avec l'objectif législatif, elle est de ce fait déraisonnable. Priver une personne d'un droit ou d'un privilège qui lui est destiné selon le but recherché par la loi pour un motif totalement dénudé de raison équivaut à priver cette personne sans raison. Je ne peux trouver aucune vertu à cette exigence quant à l'âge. Tout ce que je constate c'est qu'elle est sans pertinence dans le contexte législatif et qu'elle exclut sur une base purement arbitraire les parents d'enfants en besoin de soins prolongés au seul motif qu'ils sont intégrés au foyer avant d'avoir atteint l'âge de six mois.35

     J'en viens donc à la conclusion que la distinction quant à l'âge est illicite au sens de l'article 5 de la LCDP.

     Le Procureur général prétend cependant que cette distinction quant à l'âge ne peut être invoquée comme motif fondé sur la situation de la famille. Selon lui, l'âge auquel un enfant est intégré à la maison est une caractéristique personnelle qui appartient à l'enfant et non pas au prestataire en tant que parent adoptif ou naturel de l'enfant ou en tant que personne responsable de la famille. Je ne suis pas de cet avis. L'âge auquel l'enfant intègre le foyer caractérise la famille qui le reçoit puisqu'il a comme effet, face à des enfants qui ont les mêmes besoins, d'attribuer ou de soutirer à ces familles le droit aux prestations prolongées selon l'âge d'intégration.

     Le Procureur général fait aussi valoir que le refus de payer des prestations découle de l'effet de la loi et que la privation alléguée ne résulte pas des actions de l'intimée en tant que fournisseur de services au sens de l'article 5 de la LCDP. Il me semble que cette question a déjà, a bon droit, été concédée par le Procureur général dans l'affaire Druken.36 L'une des questions soulevées dans cette affaire était précisément celle à savoir si la fourniture de prestations d'assurance-chômage était un service destiné au public au sens de l'article 5 de la LCDP :

Bien qu'ils fussent soulevés dans le mémoire du procureur général, n'ont pas été repris l'argument voulant que la fourniture de prestations d'assurance-chômage ne soit pas un service destiné au public et l'argument que sa privation en vertu de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage et de l'alinéa 14a) [mod. par DORS/78-710, art. 1] du Règlement sur l'assurance-chômage est fondée sur l'état matrimonial et/ou la situation de famille de la personne concernée. Cette dernière assertion semble si évidente en soi qu'elle n'a pas besoin d'être commentée. En ce qui concerne la proposition précédente, le requérant semble avoir trouvé convaincante l'opinion incidente exprimée dans l'arrêt Singh (Re), [1989] 1 C.F. 430 (C.A.) dans laquelle le juge Hugessen, prononçant les motifs de cette Cour, a dit à la page 440 :

              On peut à vrai dire soutenir que les termes qualificatifs de l'article 5         
              5. ... le fournisseur de ... services ... destinés au public ...         
         ne peuvent jouer qu'un rôle limitatif dans le contexte des services qui sont rendus par des personnes physiques ou par des personnes morales et que, par définition, les services que rendent les fonctionnaires publics aux frais de l'État sont des services destinés au public et qu'ils tombent donc sous le coup de l'article 5. Il n'est cependant pas nécessaire de trancher cette question de façon définitive à cette étape-ci et il suffit de dire qu'il est loin d'être clair pour moi que les services rendus, tant au Canada qu'à l'étranger, par les fonctionnaires chargés de l'application de la Loi sur l'immigration de 1976 ne sont pas des services destinés au public.37         

     Malgré le fait que le Procureur général n'ait pas fait de concession à cet égard dans le cadre du présent renvoi, il me semble évident que le système d'assurance-chômage est un service offert au public et on a porté à mon attention aucune raison qui me permettrait d'exclure ce service de la porté de l'article 5 au motif qu'il est offert par l'État.

     À tout événement, le Procureur général se fondant sur la décision de la Cour suprême dans l'affaire Berg,38 prétend que la plaignante est exclue du groupe de personnes auxquelles le service est destiné. Selon le Procureur général, chaque service a son propre public et ce n'est qu'à l'intérieur des critères d'admissibilité définis par celui qui les procure que la LCDP interdit d'établir des distinctions. Nul doute est-ce vrai, mais dans l'instance c'est précisément à l'intérieur du groupe de personnes auxquels le service est destiné que la distinction attaquée est inscrite.39 Il convient à cet égard de souligner le caveat qu'avait clairement exprimé le juge en chef Lamer dans l'arrêt Berg :

Ces critères d'admissibilité, pourvu qu'ils ne soient pas discriminatoires, font nécessairement partie de la plupart des services, en ce sens qu'ils garantissent que les services sont offerts seulement aux bénéficiaires qu'ils visent, c'est-à-dire leur "public" évitant ainsi l'utilisation abusive et l'épuisement inutile des ressources rares.40 (Le souligné est le mien.)

     Finalement, le Procureur général prétend que dans la mesure où le Parlement a posé un acte discriminatoire en édictant le paragraphe 11(7), il était justifié d'agir ainsi. Il cite l'article 15 de la LCDP qui stipule que le fait pour un fournisseur de services de priver ou défavoriser un individu lors de leur fourniture pour un motif de distinction illicite ne constitue pas un acte discriminatoire si le fournisseur de services est par ailleurs justifié d'agir ainsi.

     Selon le Procureur général, c'est dans un contexte de restrictions budgétaires que le projet de loi C-21 a été sanctionnée par la Chambre des communes.41 Le législateur a fait des choix et a décidé de réduire de quinze à dix le nombre de semaines de prestations parentales pouvant être octroyé. La prolongation exceptionnelle de cinq semaines ajoutée au projet de loi le 4 octobre 1989 était destinée qu'aux seuls parents qui rencontraient les deux conditions édictées. Selon le Procureur général le Parlement était justifié de retenir cette distinction illicite afin de contrôler ses dépenses.42

     Je pourrais peut être concevoir du bien fondé d'un tel argument si le seul moyen à la disposition du Parlement pour contrôler ses dépenses avait été d'édicter la distinction illicite. Mais tel n'est pas le cas. Suite à la décision rendue dans l'affaire Schachter, le Parlement conservait la discrétion la plus absolue quant à la façon de se conformer à ce jugement. Comme je le mentionnais précédemment il avait le loisir d'augmenter, diminuer ou neutraliser l'éligibilité aux prestations mais rien ne l'obligeait à utiliser une distinction illicite pour ce faire.

     D'ailleurs, il est utile de constater que l'ajout du paragraphe 11(7) au projet de loi C-21, le 4 octobre 1989, a eu comme effet d'augmenter les dépenses gouvernementales puisque dans sa forme initiale, le projet ne prévoyait rien d'autre que des prestations parentales de dix semaines. Il faut donc se rendre à l'évidence et constater que le Parlement en instaurant le droit aux prestations prolongées était disposé à consacrer un financement additionnel pour venir en aide aux parents d'enfants qui sont en besoin de soins prolongés.43 Rien par contre ne l'obligeait à insérer une distinction illicite pour façonner cette enveloppe budgétaire. Le Parlement demeurait tout à fait libre de diminuer l'octroie ou la période de prestations afin de rendre la mesure acceptable sur le plan budgétaire. C'est donc que le Procureur général ne peut justifier l'existence de la distinction illicite pour des motifs de contraintes budgétaires.

     J'en viens donc à la conclusion que le paragraphe 11(7) de la LAC est discriminatoire en ce qu'il incorpore une distinction illicite qui a comme effet d'exclure du bénéfice des prestations prolongées les parents d'enfants qui sont en besoin de soins prolongés pour le seul motif que ces enfants intègre le foyer avant d'avoir atteint l'âge de six mois.

     Dans ses conclusions, la Commission demande que soit déclaré illégal l'alinéa 11(7)a) de la LAC laissant ainsi la condition prévue à l'alinéa 11(7)b)44 comme seul critère d'accès à la période de prestation prolongée. Il s'agit là d'une façon d'éliminer le traitement inégal qui découle du paragraphe 11(7), mais ce n'est pas la seule. Comme le disait le juge Strayer dans l'affaire Schachter, c'est au législateur de choisir la façon d'assurer un traitement égalitaire. La preuve devant moi révèle qu'il en coûterait une somme additionnelle de 16 millions si les prestations prolongées étaient maintenues tout en éliminant la condition quant à l'âge.45 À l'autre extrême une économie quelconque mais non identifiée serait réalisée si les prestations prolongées étaient tout simplement abolies. À même ces extrêmes, le législateur pourrait neutraliser l'effet budgétaire de la mesure corrective en réduisant la période de prestations prolongées ou la valeur des prestations à un niveau qui, sur le plan des coûts, coïncide avec le niveau actuel du programme.

     De plus comme le disait la Cour Suprême, nous ne traitons pas ici d'un bénéfice que le Parlement est tenu de verser à l'un ou l'autre des deux groupes en cause. Le bénéfice en est un que le Parlement a le droit d'accorder à ceux qui y ont accès présentement; seule la condition discriminatoire est en cause. Pour reprendre les mots de la Cour suprême dans l'affaire Schachter :

... il serait inapproprié de procéder à l'annulation immédiate de la disposition car on priverait ainsi des personnes admissibles d'un bénéfice, sans offrir une réparation à l'intimé.46

     À la lumière de ce qui précède, la réponse à la question soumise dans le cadre du présent renvoi est oui et une ordonnance sera émise déclarant que le paragraphe 11(7) de la LAC est discriminatoire puisqu'il crée une distinction illicite fondée sur la situation de famille, dans la fourniture de services contrairement à l'article 5 de la LCDP en excluant du bénéfice des prestations prolongées les parents d'enfants qui à cause de leur état de santé sont en besoin de soins prolongés au seul motif que ces enfants intègrent le foyer avant d'avoir atteint l'âge de six mois. La déclaration sera suspendue pour une période de douze mois à compté de la date du prononcé afin de permettre au Parlement de remédier au traitement discriminatoire selon la méthodologie de son choix. Dans la mesure où le Parlement n'agit pas dans le délai prévu, l'intimée sera dès lors tenue de cesser d'appliquer l'alinéa 11(7)a) de la LAC et le Tribunal saisi de la plainte de Madame Gonzalez en disposera en prenant pour acquis que l'alinéa 11(7)a) de la LAC va à l'encontre de la LCPD.

     Marc Noël

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 6 juin 1997

__________________

     1      L.R.C. (1985) ch. U-1, ci-après la "LAC". Suite à une récente réorganisation législative, le paragraphe 11(7) de la LAC apparaît maintenant au paragraphe 12(7) de la Loi sur l'assurance-emploi, S.C. 1996, ch. 23 et la Commission de l'assurance-emploi du Canada assume les droits et obligations de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada comme intimée en vertu de l'article 42 de la Loi sur le Ministère du Développement des ressources humaines, L.R.C. 1996, ch. 11.

     2      L.R.C. (1985) ch. H-6, ci-après la "LCDP".

     3      Exposé conjoint des faits, dossier conjoint, vol. II, p. 412.

     4      Dossier conjoint, vol. I, pp. 58-59, 76-103.

     5      Dossier conjoint, vol. I, p. 62.

     6      Dossier conjoint, vol. II, p. 295.

     7      Schachter c. Canada, [1988] 3 C.F. 515.

     8      Schachter, supra note 7, p. 542.

     9      Paragraphes 14(1) et (2) du projet de loi C-21 tel qu'il fût déposé en première lecture, dossier conjoint, vol. II, p. 351.

     10      Open Door Society Inc., organisme parrainé par la Société de l'aide à l'enfance d'Ottawa-Carleton.

     11      Dossier conjoint, vol. I, p. 65 et vol. II, pp. 365-386.

     12      Dossier conjoint, vol. II, pp. 367-368.

     13      Extrait des débats de la Chambre des communes le 16 octobre 1989, dossier conjoint, vol. II, p. 392.

     14      Article 9 du projet de loi C-21, dossier conjoint, vol. I, pp. 399-400.

     15      Schachter, supra note 7, p. 544.

     16      Selon la preuve, les coûts reliés à cet amendement étaient de 340 millions de dollars et il en aurait coûté 150 millions de plus pour étendre la période de prestations à quinze semaines pour les deux catégories de parents. Dossier conjoint, vol. I, p. 65.

     17      Tant et aussi longtemps que l'article jugé inconstitutionnel demeurerait en vigueur.

     18      Voir le texte de l'ordonnance reproduit en annexe au jugement de la Cour fédérale d'appel, [1990] 2 C.F. 129, p. 166.

     19      Les appelants avaient par ailleurs concédé la justesse de la décision du juge Strayer.

     20      Schachter c. Canada, [1990] 2 C.F. 129.

     21      Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679.

     22      Schachter, supra note 21, p. 721.

     23      Schachter, supra note 21, p. 725.

     24      Schachter, supra note 21, p. 690. Ce passage est le seul qui fait état de la compréhension qu'avait la Cour de l'effet du projet de Loi C-21 tel qu'il fût sanctionné.

     25      90 p. 100 selon l'énoncé en Chambre, dossier conjoint, vol. II, p. 392.

     26      "Sauf dans les cas très rares, seuls les parents adoptifs y auraient droit.". Présentation du "Open Door Society" au Comité parlementaire, dossier conjoint, vol. II, pp. 367-368, supra note 11.

     27      Schachter, supra note 21, p. 721.

     28      "Cette disposition est motivée par la nécessité de traiter les parents naturels et les parents adoptifs sur un pied d'égalité afin de se conformer aux dispositions d'égalité de la Charte canadienne des droits et libertés ." Énoncé en Chambre du secrétaire parlementaire du ministre responsable, dossier conjoint, vol. II, p. 392.

     29      Extrait des débats de la Chambre des communes le 29 septembre 1989, dossier conjoint, vol. II, p. 392.

     30      Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143 à la page 174.

     31      De façon générale, les principes appliqués aux questions de discrimination au sens de l'article 15(1) de la Charte s'appliquent également en matière de législation portant sur les droits de la personne et vice versa. Andrews, supra note 30, p. 175.

     32      Miron v. Trudel [1995] 2 R.C.S. 418, p. 492.

     33      Le paragraphe 20(2) de la LAC précise par ailleurs que nulle prestation peut être versée au delà de l'année après laquelle l'enfant arrive à la maison ou est placé dans son foyer d'adoption. C'est donc que la période de prestations prolongées est confinée dans le temps : le législateur est disposé à offrir quinze semaines de prestations aux parents d'enfants dont la condition nécessite des soins prolongés en autant que cette période se situe à l'intérieur de l'année qui suit l'intégration au foyer.

     34      L'enfant de la plaignante souffrait de malnutrition et son état nécessitait des soins prolongés comme en fait foi l'attestation médicale qu'elle a produite. Dossier conjoint, vol. I, p. 42.

     35      En bout de ligne, il est évident que la seule "vertu" de cette condition quant à l'âge dans le contexte législatif serait d'exclure de façon systémique les parents naturels du bénéfice de prestations prolongées, chose que, de l'avis de tous, le Parlement ne peut avoir recherchée ou voulue.

     36      Canada (Procureur général) c. Druken [1989] 2 C.F. 24.

     37      Drunken, supra note 36, p. 28. Le juge Mahoney exprime l'opinion de la Cour.

     38      Université de Colombie-Britannique c. Berg [1993] 2 R.C.S. 353.

     39      Soit les parents naturels ou adoptifs dont les enfants sont en besoin de soins prolongés au moment de leur intégration au foyer et qui, avec l'aide que la LAC leur procure, sont en mesure de laisser leur travail pour s'occuper d'eux.

     40      Berg, supra note 38, p. 384.

     41      Considéré dans son ensemble, le projet de loi C-21 avait pour effet d'économiser au gouvernement la somme de 1.29 milliard de dollars par le biais du resserrement des normes d'admissibilité aux prestations.

     42      Paragraphe 52 du mémoire du Procureur général et de l'intimée.

     43      Malheureusement, le coût relié aux prestations prolongées en vertu de l'article 11(7) n'a pas été mis en preuve.

     44      L'attestation quant au besoin de soins prolongés.

     45      Dossier conjoint, vol. II, pp. 410-411.

     46      Schachter, supra note 22.

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