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     Date : 20000608


     Dossier : T-493-00

ENTRE :


CAPITAL VISION INC. et GREG COLEMAN,


     demandeurs,


- et -


LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     défendeur.


     Dossier : T-494-00

ET ENTRE :



CVI ART MANAGEMENT INC. et GREG COLEMAN,

     demandeurs,


- et -


LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     défendeur.


     Dossier : T-495-00

ET ENTRE :


CVI MANAGEMENT INC. et GREG COLEMAN,

     demandeurs,


- et -


LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,


défendeur.



Dossier : T-499-00

ET ENTRE :



THE CAPITAL VISION GROUP INC. et GREG COLEMAN,

     demandeurs,


- et -


LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     défendeur.

     Dossier : T-496-00

ET ENTRE :


BDO DUNWOODY LLP et RALPH T. NEVILLE,

     demandeurs,


- et -


LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     défendeur.

     Dossier : T-498-00

ET ENTRE :


PAUL BAIN et 1271724 ONTARIO INC.,

     demandeurs,


- et -


LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,


     défendeur.


     Dossier : T-497-00

ET ENTRE :


671514 ONTARIO LTD. et GERRY JOHN HOGENHOUT,

     demandeurs,


- et -


LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     défendeur.



MOTIFS DE L'ORDONNANCE



LE JUGE DAWSON

[1]      Le 14 mars 2000, j'ai entendu les requêtes formulées par les demandeurs dans la présente instance et qui sollicitaient, entre autres :

     1. une ordonnance provisoire, aux termes de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), F. 17, prorogeant le délai imparti pour se conformer aux demandes de production de documents et de fourniture de renseignements (les demandes) que le défendeur a signifiées aux demandeurs, afin qu'il s'étende jusqu'à 30 jours après la décision définitive rendue sur la demande de contrôle judiciaire de la décision du défendeur d'exiger des demandeurs qu'ils fournissent les renseignements en question;
     2. si nécessaire, une ordonnance provisoire, aux termes de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, suspendant l'exécution des demandes de renseignements et interdisant au défendeur de prendre quelque mesure que ce soit pour faire exécuter les demandes avant qu'une décision définitive ne soit rendue sur la demande de contrôle judiciaire.

[2]      Dans les demandes de renseignements en litige en l'espèce, le ministre du Revenu national (le ministre) exige la production des documents et des renseignements visés avant le 16 mars 2000, pour certains demandeurs, et avant le 31 mars 2000, pour d'autres.

[3]      Le 15 mars 2000, j'ai prononcé des ordonnances prorogeant le délai imparti pour se conformer aux demandes de renseignements pour qu'il s'étende jusqu'à 30 jours après la décision définitive rendue sur la demande de contrôle judiciaire. Les présents motifs s'appliquent à ces ordonnances.

LES FAITS

[4]      Le 15 février 2000, les demandeurs ont reçu signification de demandes, présentées aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), modifiée (la Loi), dans lesquelles le ministre exigeait la production de documents et de renseignements.

[5]      Capital Vision Inc. est enregistrée à la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario comme négociant sur le marché des valeurs dispensées. CVI Art Management Inc. et CVI Management Inc. sont des filiales à cent pour cent de Capital Vision Inc. The Capital Vision Group Inc. est une société de portefeuille privée qui ne se livre activement à aucune opération. Greg Coleman est le président et le directeur général de Capital Vision Inc.

[6]      Le demandeur BDO Dunwoody LLP est un cabinet de comptables agréés et d'experts-conseils qui, au cours des deux derniers exercices, a fourni des services de comptabilité à CVI Art Management Inc., à CVI Management Inc., à Capital Vision Inc. et à Greg Coleman. BDO Dunwoody a procédé à une vérification de The Capital Vision Group Inc. au cours des années 1998 et 1999 ainsi que de Capital Vision Inc. pendant l'exercice de 1998. Il a préparé les états financiers de Capital Vision Inc. pour les exercices de 1998 et de 1999. Le demandeur Ralph T. Neville est un comptable fiscaliste principal qui travaille pour BDO Dunwoody.

[7]      La demanderesse 1271724 Ontario Inc. a, au moins à une occasion, acheté des oeuvres d'art d'un organisme de bienfaisance qui les avait obtenues dans le cadre de la stratégie en matière de dons de charité expliquée plus loin. Paul Bain est un directeur de cette société et un avocat.

[8]      La demanderesse 671514 Ontario Ltd. est une société spécialisée dans la vente à commission qui prétend faire la promotion de la stratégie en matière de dons de charité pour le compte de Capital Vision Inc. Gerry Hogenhout est un directeur et le président de cette société.

[9]      D'après M. Coleman, qui n'a pas été contre-interrogé sur son témoignage, en 1996, Capital Vision Inc. et CVI Art Management Inc. ont mis au point et fait connaître la stratégie suivante en matière dons de charité. CVI Art Management Inc. achète en vrac des oeuvres d'art pour lesquelles elle obtient un rabais important (le prix représente environ 10 % de la juste valeur marchande). Une fois les oeuvres achetées, elle les répartit en groupes qu'elle vend aux acheteurs à un prix variant entre 28 et 33 % environ de la juste valeur marchande. Par ailleurs, elle prend des dispositions pour que l'acheteur donne une des oeuvres d'art qu'il a acquises à un organisme de bienfaisance enregistré ou à une autre institution reconnue. Ainsi l'acheteur réalise des économies nettes et obtient un crédit d'impôt important.

[10]      En octobre et en novembre 1998, l'organisme alors appelé Revenu Canada Impôt a communiqué avec M. Coleman dans le but déclaré de procéder à une vérification des années d'imposition 1995 à 1998 de Capital Vision Inc.

[11]      Selon ce que M. Coleman a déclaré sous serment, en novembre 1998, il a permis aux représentants de Revenu Canada Impôt de consulter, sans restriction, tous les livres et registres demandés. Il semble qu'il ait fourni tous ces renseignements vers la fin de novembre 1998.

[12]      M. Coleman a également affirmé sous serment qu'au terme de l'enquête menée, un fonctionnaire de Revenu Canada Impôt, M. Teg Mammo, avait confirmé que Capital Vision Inc. avait fourni tous les renseignements demandés, à l'exception d'une liste des acheteurs ayant acquis des oeuvres d'art dans le cadre de la stratégie en matière de dons de charité décrite précédemment.

[13]      Au sujet des noms de ces acheteurs, Capital Vision Inc., par l'entremise de son avocat, a fait savoir à Revenu Canada qu'à son avis, elle était tenue de protéger la confidentialité de ses clients et que, par conséquent, elle ne dévoilerait leur identité que si la Loi l'y obligeait. Ainsi, Capital Vision Inc. a masqué les noms de ses clients sur certains documents qu'elle a fournis à Revenu Canada au cours de la vérification.

            

[14]      M. Coleman a déclaré sous serment, et il n'a pas été contredit, qu'après novembre 1998, aucun autre événement ne s'est produit relativement à la vérification jusqu'à ce qu'en novembre 1999, le défendeur, conformément aux paragraphes 231.2(1) et 231.2(3) de la Loi, saisisse la présente Cour d'une requête ex parte visant à obtenir une ordonnance autorisant le ministre à exiger des demandeurs la fourniture de renseignements et la production de documents prévues à la Loi concernant des personnes non désignées nommément.

[15]      Les paragraphes 231.2(1), 231.2(2) et 231.2(3) de la Loi prévoient ce qui suit :

231.2(1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

        

(b) any document.

(2) The Minister shall not impose on any person (in this section referred to as a "third party") a requirement under subsection (1) to provide information or any document relating to one or more unnamed persons unless the Minister first obtains the authorization of a judge under subsection (3).

(3) On ex parte application by the Minister, a judge may, subject to such conditions as the judge considers appropriate, authorize the Minister to impose on a third party a requirement under subsection (1) relating to an unnamed person or more than one unnamed person (in this section referred to as the "group") where the judge is satisfied by information on oath that



(a) the person or group is ascertainable; and

(b) the requirement is made to verify compliance by the person or persons in the group with any duty or obligation under this Act.         


(c) [Repealed by 1996, c. 21, s. 58(1).]

(d) [Repealed by 1996, c. 21, s. 58(1).]

231.2(1) Malgré les autres dispositions de la présente Loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l'application et l'exécution de la présente Loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d'une personne, dans le délai raisonnable que précise l'avis :

a) qu'elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

b) qu'elle produise des documents.

(2) Le ministre ne peut exiger de quiconque -- appelé « tiers » au présent article -- la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

(3) Sur requête ex parte du ministre, un juge peut, aux conditions qu'il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d'un tiers la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1)concernant une personne non désignée nommément ou plus d'une personne non désignée nommément -- appelée « groupe » au présent article --, s'il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi;

c) [Abrogé par 1996, chap. 21, art. 58(1).]

d) [Abrogé par 1996, chap. 21, art. 58 (1).]

    

[16]      La requête ex parte du ministre s'appuyait sur l'affidavit d'un vérificateur de l'impôt, Mark Ferguson, qui affirmait que, par ces demandes, le défendeur voulait obtenir des demandeurs la fourniture de renseignements et la production de documents concernant un groupe de personnes non désignées nommément, que le ministre entendait soumettre à une vérification. Ces contribuables non désignés nommément ont été identifiés comme étant, ou comme ayant été, des clients de Greg Coleman, de Capital Vision Inc. ou de CVI Art Management Inc.
[17]      Le 22 novembre 1999, le juge Reed a prononcé une ordonnance autorisant le ministre à exiger des demandeurs la fourniture de renseignements et la production de documents concernant les personnes non désignées nommément.
[18]      Lorsqu'ils ont reçu signification des demandes (que j'appellerai les anciennes demandes), les demandeurs ont sollicité le contrôle judiciaire de l'autorisation accordée ex parte ainsi qu'une ordonnance annulant ou modifiant les anciennes demandes.
[19]      Par la suite, l'avocat du ministre et ceux des demandeurs se sont entendus sur le déroulement de l'instance relative à la contestation des anciennes demandes. Cette entente se trouve exposée dans une lettre datée du 16 décembre 1999 envoyée par l'avocat qui représentait alors le ministre et dans laquelle il mentionnait :
         [TRADUCTION] Dans le cadre de ce processus, tous les délais précisés dans les demandes signifiées conformément à l'Ordonnance, ce qui s'applique également à toutes les dates limites pour la remise des documents touchés par celles-ci, seront prorogés jusqu'à la présentation de la requête ou jusqu'à ce que les questions en litige soient autrement réglées. Ainsi, il ne sera pas nécessaire pour les défendeurs [dans le cadre des anciennes demandes] d'obtenir une ordonnance de sursis à l'exécution de ces demandes ou de prorogation du délai fixé dans celles-ci. Le ministre du Revenu national, ou l'Agence canadienne des douanes et du revenu, s'engage à ne pas prétendre, ultérieurement, qu'il y a eu défaut de se conformer aux demandes si cette façon de procéder est respectée.
[20]      Par la suite, le 9 février 2000, l'avocat du ministre a fait savoir qu'aucune mesure ne serait prise pour faire exécuter les anciennes demandes et qu'il en serait délivré de nouvelles. Au cours de la même semaine, les demandes de production de documents et de fourniture de renseignements en litige en l'espèce ont été présentées et signifiées aux demandeurs. Ces nouvelles demandes ont été signifiées sans l'autorisation judiciaire prévue au paragraphe 231.2(1) de la Loi.
[21]      Selon l'avocat du ministre, les nouvelles demandes rendaient théorique toute contestation des anciennes demandes, ce que les parties semblent avoir accepté.
[22]      La nouvelle demande signifiée à Capital Vision Inc. prévoit, entre autres, ce qui suit :
     [TRADUCTION] DEMANDE DE PRODUCTION DE DOCUMENTS ET DE FOURNITURE DE RENSEIGNEMENTS
CONTEXTE
     1.      Conformément à l'alinéa 231.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la Loi), pour l'application et l'exécution de la Loi, une personne autorisée par le ministre du Revenu national peut inspecter, vérifier ou examiner les livres et registres d'un contribuable ainsi que tout document de celui-ci qui se rapporte ou qui est susceptible de se rapporter aux renseignements qui se trouvent ou qui devraient se trouver dans ses livres et registres, ou à tout montant que ce contribuable doit payer en vertu de la Loi.

     2.      Conformément à l'alinéa 231.1(1) de la Loi, vers le mois d'octobre 1998, des vérificateurs du ministère du Revenu national (maintenant l'Agence canadienne des douanes et du revenu) (l'Agence) ont entrepris une vérification de Capital Vision Inc.

     3.      La vérification est en cours.

     [...]


     5.      Au cours de la vérification, les vérificateurs de l'Agence ont demandé à Capital Vision Inc. et à Gregory Scott Coleman de fournir des renseignements et de produire des documents.

     6.      Capital Vision Inc. et Gregory Scott Coleman n'ont pas produit tous ces renseignements et ces documents aux vérificateurs de l'Agence.

     7.      Cliff Rand, l'avocat de Capital Vision Inc., a envoyé, au demandeur, une lettre datée du 17 novembre et adressée au vérificateur Teg Mammo, pour l'informer qu'étant donné que Capital Vision Inc. était tenue de protéger la confidentialité de ses clients, elle ne dévoilerait pas leur identité à moins que la Loi ne l'y oblige. Par conséquent, Capital Vision Inc. a masqué les noms de ses clients dans l'annexe jointe à sa lettre, laquelle comprenait des factures. Une copie de cette lettre est jointe à titre d'annexe « A » de la présente demande.

                            

     [...]


     9.      Jusqu'à maintenant, ni Capital Vision Inc. ni Gregory Scott Coleman n'ont fourni à l'Agence tous les renseignements et les documents demandés et, tout spécialement, ils n'ont pas fourni les noms des clients de Capital Vision Inc. ou de CVI Art Management Inc.

     [...]


RENSEIGNEMENTS DEMANDÉS

     12.      Je demande les renseignements suivants : le nom et l'adresse de tous les clients de Capital Vision Inc. concernés par les opérations en matière d'oeuvres d'art faites pendant la période allant du 1er janvier 1996 au 31 janvier 2000, inclusivement.

DOCUMENTS DEMANDÉS

     14.      Je demande tous les documents, qu'ils soient écrits ou sous toute autre forme, notamment les comptes, les ententes, les livres, les graphiques ou les tableaux, la correspondance, les diagrammes, les formulaires, les images, les factures, les lettres, les cartes, les notes de service, les plans, les déclarations de revenus, les états financiers, les télégrammes, les pièces justificatives et toute autre chose contenant des renseignements, et qui se rapportent aux opérations en matière d'oeuvres d'art faites pendant la période allant du 1er janvier 1996 au 31 janvier 2000, inclusivement.

     15.      Sans restreindre la portée générale des documents énoncés précédemment au paragraphe 14, pour la période allant du 1er janvier 1996 au 31 janvier 2000, inclusivement, je demande, plus précisément :

         a) les documents décrits au paragraphe 14 qui se rapportent aux particuliers dont le nom figure à l'annexe « B » jointe à la présente demande.

         b) les documents répertoriés au paragraphe 14 qui se rapportent aux particuliers dont le nom ne figure pas à l'annexe « B » jointe à la présente demande. Ces particuliers comprennent ceux dont le nom a été masqué à l'annexe « A » de la présente demande.

     [...]


DÉFAUT DE SE CONFORMER

     18.      À défaut de vous conformer à la présente demande, Capital Vision Inc. et Gregory Scott Coleman s'exposent à l'application des dispositions prévues aux articles 238 et 242 de la Loi.

[23]      Les demandes signifiées aux autres demandeurs sont, essentiellement, rédigée de la manière suivante :

     [TRADUCTION] DEMANDE DE PRODUCTION DE DOCUMENTS

CONTEXTE

     1.      Conformément à l'alinéa 231.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la Loi), pour l'application et l'exécution de la Loi, une personne autorisée par le ministre du Revenu national peut inspecter, vérifier ou examiner les livres et registres d'un contribuable ainsi que tout document de celui-ci qui se rapporte ou qui est susceptible de se rapporter aux renseignements qui se trouvent ou qui devraient se trouver dans ses livres et registres, ou à tout montant que ce contribuable doit payer en vertu de la Loi.

     2.      Conformément à l'alinéa 231.1(1) de la Loi, vers les mois d'octobre 1998, des vérificateurs du ministère du Revenu national (maintenant l'Agence canadienne des douanes et du revenu) (l'Agence) ont entrepris une vérification.

    

     3.      La vérification est en cours.

     1.      Par conséquent, la présente demande de production de documents vous est signifiée conformément à l'alinéa 231.2(1)b) de la Loi, pour l'application et l'exécution de la Loi.

        

     [...]


DOCUMENTS DEMANDÉS

     6.      Je demande tous les documents, qu'ils soient écrits ou sous toute autre forme, notamment les comptes, les ententes, les livres, les graphiques ou les tableaux, la correspondance, les diagrammes, les formulaires, les images, les factures, les lettres, les cartes, les notes de service, les plans, les déclarations de revenus, les états financiers, les télégrammes, les pièces justificatives et toute autre chose contenant des renseignements, et qui se rapportent aux opérations en matière d'oeuvres d'art auxquelles ont participé les particuliers dont le nom figure à l'annexe « A » jointe au présent document pendant la période allant du 1er janvier 1996 au 31 janvier 2000, inclusivement.

     7.      L'expression « opérations en matière d'oeuvres d'art » est définie plus loin.


     [...]




DÉFAUT DE SE CONFORMER

     10.      À défaut de vous conformer à la présente demande, [...] [vous] vous exposez à l'application des dispositions prévues aux articles 238 et 242 de la Loi.

QUESTIONS EN LITIGE

[24]      D'après le ministre, les requêtes dont la Cour est saisie sont plutôt des requêtes qui visent à obtenir qu'elle empêche le dépôt d'accusations contre les demandeurs pour défaut de se conformer aux demandes de production de documents et de fourniture de renseignements qui leur ont été signifiées conformément au paragraphe 231.2(1) de la Loi. Il prétend qu'il s'agit d'une mesure de redressement que la Cour ne peut accorder.

[25]      Le ministre soutient également que, pour l'instant, il n'est pas nécessaire que la Cour accorde la mesure de redressement demandée, puisque les demandeurs ne subiront aucun préjudice, sauf s'ils négligent de se conformer aux demandes, qu'ils font l'objet d'accusations et qu'un moyen de contrainte est délivré contre eux.

[26]      Quoi qu'il en soit, le ministre fait valoir que la Cour ne devrait pas accorder la prorogation du délai imparti pour se conformer aux demandes et que les demandeurs ne satisfont pas, en droit, aux conditions ouvrant droit à cette prorogation.

ANALYSE

(i) La Cour est-elle compétente pour accorder la mesure de redressement demandée?

[27]      Je répète que, d'après le ministre, les présentes requêtes en mesure de redressement provisoire sont plutôt des requêtes au moyen desquelles les demandeurs tentent d'éviter d'être poursuivis pour défaut de se conformer aux demandes. Selon lui, cette mesure de redressement ne saurait être accordée parce qu'elle porterait atteinte au pouvoir discrétionnaire du poursuivant et au droit de déposer une dénonciation relativement à la perpétration d'un crime.

[28]      Cette observation repose sur la prémisse selon laquelle les demandeurs, s'ils négligent de se conformer aux demandes, risquent d'être reconnus coupables d'une infraction et passibles, par procédure sommaire, d'une amende ou d'une peine d'emprisonnement, comme le prévoit le paragraphe 238(1) de la Loi. Le ministre prétend que la Cour ne peut s'ingérer dans la poursuite des demandeurs parce que la Loi ne prévoit aucune limite applicable au droit de déposer une dénonciation et que la décision de poursuivre les demandeurs relève du pouvoir discrétionnaire du procureur général.

[29]      Le ministre invoque la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Dowson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 144, à la page 155, pour étayer son argument selon lequel, en l'absence d'une disposition législative au contraire, toute personne a le droit de déposer une dénonciation sans ingérence de qui que ce soit.

[30]      Selon le ministre, une fois qu'une sommation ou un mandat est délivré, en l'absence d'un emploi abusif manifeste du processus judiciaire, seul le procureur général a le pouvoir discrétionnaire de décider de poursuivre ou non un accusé et même le ministre ne peut s'ingérer dans l'exercice de ce pouvoir. À titre de précédent, le défendeur invoque l'arrêt R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601, à la page 613.

[31]      Comme le ministre ne peut empêcher le dépôt d'une dénonciation contre les demandeurs, ou empêcher le procureur général de les poursuivre, le ministre soutient que la Cour ne peut lui ordonner de faire quelque chose qu'il ne pourrait pas faire autrement.

[32]      Les demandeurs font valoir que la Cour a la compétence voulue pour accorder la mesure de redressement demandée. Ils font remarquer que, par le passé, la présente Cour a exercé cette compétence dans la décision Licht c. La Reine, 90 DTC 6574 (C.F.1re inst.).

[33]      De même, dans l'arrêt Bisaillon c. Canada, [1999] A.C.F. no 898, A-315-99 (21 septembre 1999) (C.A.), la Cour d'appel fédérale a sursis à l'exécution de la demande de production de documents, et ce, jusqu'à ce qu'elle se soit prononcée sur un appel interjeté contre une ordonnance rendue par un juge de la Section de première instance rejetant une demande de sursis à la production de documents.

[34]      Les demandeurs font également valoir que l'argument relatif à la question de compétence vise principalement leur demande de mesure de redressement subsidiaire : la demande en vue d'obtenir une ordonnance empêchant le ministre de prendre quelque mesure que ce soit pour faire exécuter les demandes. Selon eux, cet argument ne peut s'appliquer à une simple demande de prorogation du délai imparti pour se conformer aux demandes.

[35]      Les demandeurs signalent que la Loi confère au ministre à la fois du pouvoir de rédiger les demandes et celui de fixer le délai imparti pour s'y conformer. D'après eux, il était impossible d'espérer obtenir un jugement sur leur demande de contrôle judiciaire dans le délai imparti pour se conformer aux demandes.

[36]      Il s'ensuit donc que la prétention du ministre selon laquelle la Cour n'a pas la compétence requise a pour effet de permettre au ministre d'échapper au contrôle judiciaire de la Cour, un résultat qui, selon eux, n'est ni juste, ni indiqué.

[37]      Dans l'affaire Licht, (précitée), la présente Cour a exercé la compétence en litige dans un cas où cette compétence n'avait pas été contestée.

[38]      Malgré le nouvel argument avancé par l'avocat du défendeur, j'ai conclu que la Cour a bel et bien, conformément à l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée, la compétence voulue pour prononcer une ordonnance de prorogation du délai imparti pour se conformer aux demandes avant de rendre sa décision définitive dans l'instance en contrôle judiciaire des demandeurs.

[39]      L'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale prévoit ce qui suit :

18.2 On an application for judicial review, the Trial Division may make such interim orders as it considers appropriate pending the final disposition of the application.

18.2 La Section de première instance peut, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu'elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.

[40]      Cet article confère un vaste pouvoir d'accorder des mesures de redressement provisoires afin de maintenir le statu quo avant qu'une décision définitive ne soit rendue sur les demandes de contrôle judiciaire.

[41]      Je ne partage pas l'avis du ministre selon lequel il s'agit de requêtes en mesure de redressement provisoire qui visent à empêcher le dépôt d'accusations au criminel.

[42]      Aucune accusation ne peut être portée tant et aussi longtemps que les demandeurs n'ont pas fait défaut de se conformer aux demandes dans le délai imparti. En prorogeant ce délai afin de maintenir le statu quo, la Cour n'empêche pas le dépôt d'accusations. En revanche, le dépôt

d'accusations peut être différé tant qu'une décision définitive sur la validité des demandes n'a pas été rendue en faveur du ministre.

[43]      Je crois que la faille de l'argument du ministre a été mis en évidence lorsque son avocat a reconnu, en réponse à une question posée par la Cour, que le ministre peut, après avoir présenté une demande aux termes de la Loi, proroger le délai imparti pour s'y conformer.

[44]      Si le ministre peut proroger le délai imparti pour se conformer à la demande (ce qu'il a effectivement fait dans le cas des anciennes demandes) sans s'ingérer irrégulièrement dans le processus de la poursuite, il s'ensuit, à mon avis, que la présente Cour peut, elle aussi, maintenir le statu quo sans le faire.

[45]      Même s'il ne semble pas que la compétence de la Cour d'accorder la mesure de redressement provisoire ait été contestée devant le juge Cullen dans l'affaire Licht, (précitée), je trouve que sa décision étaye ma conclusion. Dans cette affaire, la Cour a statué que la possibilité d'être poursuivi aux termes de la Loi à moins qu'une prorogation ne soit accordée constituait un préjudice irréparable. Les motifs du juge Cullen n'indiquent nullement qu'il s'inquiétait du fait que son ordonnance puisse avoir pour effet d'entraver irrégulièrement le dépôt d'une accusation.

[46]      Le ministre a tenté de faire une distinction avec la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Bisaillon, (précité), au motif que, dans cette affaire, les parties qui demandaient la prorogation du délai n'avaient pas reçu signification des demandes prévues à la Loi et que, par conséquent, elles ne pouvaient saisir aucun autre tribunal pour vérifier la validité des demandes.

[47]      Je n'accepte pas cette distinction.

[48]      À mon avis, si la Cour peut, à la demande du contribuable dont les affaires ont attiré l'attention du ministre, proroger le délai imparti pour se conformer à une demande pendant qu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, elle doit également pouvoir le faire à la demande de la partie à qui l'on a signifié les demandes et qui s'expose à la possibilité d'une poursuite si elle néglige de s'y conformer.

[49]      Dans les deux cas, l'effet de la prorogation est le même : elle peut retarder le dépôt de toute accusation.

(ii) Convient-il d'accorder une prorogation du délai?

[50]      Sous cette rubrique, je vais examiner la prétention du ministre selon laquelle il n'est pas nécessaire que la Cour accorde la mesure de redressement demandée et celle selon laquelle les demandeurs ne satisfont pas, en droit, aux conditions ouvrant droit à cette prorogation.

[51]      Sur ce dernier point, les parties s'entendent pour dire que le critère juridique à satisfaire est celui énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt RJR-MacDonald c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311. Ce critère exige que les demandeurs établissent :

         a) qu'il existe une question sérieuse à juger;

         b) qu'ils subiront un préjudice irréparable si l'ordonnance

         provisoire n'est pas rendue;

         c) que la prépondérance des inconvénients favorise l'octroi de l'ordonnance

         provisoire.

(a) Existe-il une question sérieuse à juger?

     Capital Vision Inc.

[52]      La jurisprudence établit que, pour qu'une procédure soulève une question sérieuse à juger, cette question ne doit pas être frivole ou vexatoire. Ces exigences minimales ne sont pas élevées.

[53]      Les demandeurs soutiennent qu'en ce qui concerne la demande signifiée à Capital Vision Inc., le ministre était tenu d'obtenir une autorisation judiciaire puisque la demande vise la fourniture de renseignements concernant des personnes non désignées nommément. Ils font valoir que le défaut du ministre d'obtenir une telle autorisation soulève une question sérieuse quant à la validité de la demande signifiée à Capital Vision Inc.

[54]      En formulant cette prétention, les demandeurs insistent sur le libellé du paragraphe 231.2(2) et invoquent ce qui suit :

     (i)      La demande [exposée au paragraphe 22 de la présente décision] sollicite, entre autres, le nom et l'adresse de tous les clients de Capital Vision Inc. concernés par les opérations en matière d'oeuvres d'art faites pendant la période allant du 1er janvier 1996 au 31 janvier 2000, inclusivement, ainsi que les copies originales des documents concernant les particuliers dont les noms ont été masqués dans des documents remis antérieurement au ministre par Capital Vision Inc.
     (ii)      Le ministre n'a pas obtenu l'autorisation préalable d'un juge avant de signifier la demande à Capital Vision Inc. (comme il l'avait fait pour les anciennes demandes).
     (iii)      Dans les motifs qu'il a prononcés dans la décision Andison c. M.N.R., 95 D.T.C. 5058 (C.F. 1re inst.), le juge Dubé indique, à la page 5060 :
              Le paragraphe 231.2(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu interdit au ministre d'exiger la fourniture de renseignements ou la production de documents concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe 231.2(3). Le paragraphe 231.2(4) prévoit que l'autorisation accordée, le ministre doit la signifier avec l'avis visé au paragraphe (1). Ainsi, la demande formelle concernant les renseignements et les documents ayant trait à toute corporation non désignée nommément dont Lieberman est actionnaire est invalide. [Non souligné dans l'original]

[55]      Le ministre répond en soutenant que, dans le cadre d'une vérification, la Loi permet aux fonctionnaires d'examiner tous les livres, registres ou documents. Les documents produits aux fonctionnaires du ministre par Capital Vision Inc. ne précisaient pas le nom des clients. L'examen du ministre n'est pas limité à une partie des registres et des documents. En outre, les renseignements demandés concernent autant Capital Vision Inc. que les particuliers auxquels ils renvoient. Le ministre soutient que, sans les noms des clients de Capital Vision Inc., il n'a aucun moyen de vérifier l'exactitude du revenu et des dépenses déclarés par cette société. Comme elle a masqué les noms des clients, Capital Vision Inc. ne peut maintenant exiger que le ministre obtienne l'autorisation d'un juge pour se procurer des renseignements et des documents qui la concernent et que le ministre avait déjà le droit d'examiner aux termes de l'article 231.1 de la Loi.

[56]      Toutefois, dans l'instance dont le juge Reed a été saisie, le représentant du ministre a affirmé sous serment que ce dernier avait besoin de ces renseignements parce qu'il voulait soumettre les clients de Capital Vision Inc. à des vérifications. Il n'avait pas demandé ces renseignements pour la vérification de Capital Vision Inc. elle-même. Par conséquent, je suis convaincu qu'en ce qui concerne la demande signifiée à Capital Vision Inc., il existe une question sérieuse quant à la régularité des efforts déployés par le ministre pour découvrir l'identité de certains contribuables, obtenir leur adresse et se procurer des documents qui se rapportent à eux en l'absence d'une autorisation prévue au paragraphe 231.2(3) de la Loi.

[57]      En arrivant à cette conclusion, je remarque aussi le long délai qui s'est écoulé entre le moment du dernier contact du ministre avec des représentants de Capital Vision Inc. (pendant la vérification dont cette dernière a fait l'objet) et celui où il a engagé des démarches devant la présente Cour afin d'obtenir une ordonnance autorisant la signification des anciennes demandes.

Les autres demandeurs

[58]      En ce qui concerne les demandes signifiées aux autres demandeurs, les demandeurs affirment que le ministre a agi sans pouvoir ou a outrepassé ses pouvoirs en transmettant ces demandes parce que celles-ci contiennent une déclaration d'intention fausse ou trompeuse.

[59]      Les demandeurs font référence à l'affidavit de Mark Ferguson, dans lequel ce dernier affirme que le ministre demandait les renseignements et les documents mentionnés dans les anciennes demandes afin de vérifier si les personnes non désignées nommément avaient respecté les devoirs et les obligations que leur imposait la Loi. Peu après l'introduction, par les demandeurs de l'instance en vue de l'annulation des anciennes demandes, les nouvelles demandes leur ont été signifiées. Il semblerait que, par ces demandes, le ministre cherchait à obtenir des renseignements et des documents afin de poursuivre plus en profondeur, la vérification de Capital Vision Inc.

[60]      Les demandeurs prétendent que le ministre a signifié les demandes pour vérifier si les contribuables qui ont acheté des oeuvres d'art dans le cadre de leur stratégie en matière de dons de charité avaient respecté la Loi.

[61]      Ils attirent l'attention sur le libellé des demandes [dont un exemple se trouve au paragraphe 23 de la présente décision] et plus particulièrement sur les paragraphes 2, 3 et 4. Au paragraphe 2, il est tout simplement fait mention du commencement d' « une vérification » . Au paragraphe 3, on indique que la vérification, sans plus de précision, est en cours. Le paragraphe 4 commence par l'expression [TRADUCTION] « Par conséquent » ce qui, selon les demandeurs, laisse entendre que les demandes sont liées à la vérification dont Capital Vision Inc. avait fait l'objet. Les demandeurs ajoutent que la preuve ne fait état d'aucune autre vérification.

[62]      Dans l'arrêt Montreal Aluminium Processing Limited et autre c. Procureur général du Canada et autre, 92 DTC 6567 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale, siégeant en appel d'une ordonnance radiant une déclaration, a conclu qu'on pouvait du moins soutenir que le destinataire d'une demande avait droit à un avis équitable sur la fin pour laquelle le ministre entendait exercer ses pouvoirs. Le juge Hugessen, se prononçant pour la Cour, a précisé ce qui suit aux pages 6569 et 6570 :

             Il est établi en droit que le critère qui consiste à savoir si le ministre, lorsqu'il exerce ses pouvoirs en vertu du paragraphe 231.2 (1), agit pour une fin visée dans la Loi est un critère objectif4. À mon avis, on peut soutenir que le destinataire d'une demande a droit à un avis équitable sur la fin pour laquelle le ministre entend exercer les pouvoirs qu'il tient du paragraphe 231.2(1). En conséquence, j'estime que la prétention qu'un énoncé de but faux ou trompeur invalide une demande n'est pas une prétention qui échouera évidemment et incontestablement.

         ________________

         4 The Canadian Bank of Commerce v. The Attorney General of Canada, [1962] R.C.S. 729; James Richardson & Sons c. M.R.N., [1984] 1 R.C.S. 614.

[63]      Sur ce fondement, les demandeurs font valoir qu'ils ont établi l'existence d'une question sérieuse quant à savoir si le ministre a agi régulièrement ou non en présentant les demandes.

[64]      L'avocat de la société 671514 Ontario Ltd. et de M. Hogenhout soutient également que les demandes signifiées aux demandeurs concernaient des personnes non désignées nommément. Il note que, dans le paragraphe 1 de ces demandes, il est fait état d'une vérification ou d'un examen des livres, registres et de tout document du contribuable et que, dans le paragraphe 2, il est signalé qu'une vérification est commencée.

[65]      L'avocat invoque la décision du juge en chef adjoint Jerome (tel était alors son titre) dans l'arrêt Canadian Forest Products Ltd. et autres c. Ministre du Revenu national, 96 DTC 6506 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, le ministère du Revenu national avait signifié des demandes à des sociétés oeuvrant dans l'industrie forestière afin d'obtenir des renseignements qui permettraient au ministère de déterminer certains prix pour ensuite vérifier ceux-ci au regard des prix déclarés par des sociétés faisant l'objet d'une vérification, en vue de décider si ces dernières avaient ou non déclaré leurs revenus avec exactitude.

[66]      Devant le juge en chef adjoint Jerome, l'avocat des requérants a prétendu que la jurisprudence indiquait que les tribunaux favorisent l'adhésion formaliste à la règle selon laquelle le ministre doit désigner nommément les contribuables faisant l'objet d'une enquête ou invoquer le paragraphe 231.2(2) de la Loi. L'avocat a soutenu que le paragraphe 231.2(3) avait été conçu pour protéger les contribuables contre les enquêtes abusives effectuées par le ministère du Revenu national.

[67]      Le juge en chef adjoint Jerome a tiré la conclusion suivante :

     En l'espèce, le ministre ne demande pas des renseignements pour vérifier si les requérants se conforment à la Loi de l'impôt sur le revenu. Il demande plutôt des renseignements ayant trait aux déclarations d'impôt de contribuables non identifiés. Comme ces contribuables faisant l'objet d'une enquête ne sont pas désignés nommément, le ministre doit invoquer le paragraphe 231.2(3) avant d'exiger les renseignements qu'il souhaite obtenir aux termes du paragraphe 231.2(1). Ces demandes de contrôle judiciaire ayant trait aux exigences imposées par le défendeur conformément au paragraphe 231.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu sont accueillies avec dépens.

[68]      En l'espèce, l'avocat du ministre a déclaré que le ministre veut encore savoir si les clients de Capital Vision Inc. ont respecté la Loi et ajoute que les demandeurs n'ont présenté aucune preuve selon laquelle le ministre ne procédait pas à une véritable enquête sur la situation fiscale des personnes nommées à l'annexe B de la demande signifiée à Capital Vision Inc. et à l'annexe A des autres demandes.

[69]      Le ministre soutient que les demandes n'étaient pas trompeuses étant donné que l'article 241 de la Loi l'oblige à protéger la confidentialité des renseignements et que, de toute façon, les demandeurs étaient tous au courant qu'il s'intéressait à ces contribuables.

[70]      D'après le ministre, tant et aussi longtemps qu'il procède à une enquête véritable sur la situation fiscale d'une personne désignée, il a le droit, en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi, de signifier les demandes exigeant la production de documents relativement à ces personnes et il n'est pas nécessaire que les contribuables fassent l'objet d'une quelconque vérification.

[71]      À mon avis, pour faire valoir qu'il ne se soulève aucune question sérieuse à juger, il ne suffit pas au ministre de soutenir que les demandeurs n'ont produit aucune preuve étayant qu'il ne procédait pas à une enquête véritable sur la situation fiscale des particuliers nommés à l'annexe A des demandes signifiées aux demandeurs autres que Capital Vision Inc. Il ne peut, non plus, se contenter de soutenir, dans le même but, que les demandeurs savaient qu'il s'intéressait aux renseignements et aux documents concernant les clients de Capital Vision Inc.

[72]      Je conclus que, compte tenu du libellé des demandes qui ont été signifiées aux demandeurs autres que Capital Vision Inc., une question sérieuse à juger a été soulevée quant à savoir si les demandes étaient trompeuses et, dans l'affirmative, quant à savoir si une déclaration trompeuse rend ces demandes invalides.

[73]      Pour les raisons avancées par l'avocat de 671514 Ontario Ltd. et de M. Hogenhout, et qui ont été énoncées précédemment, je conclus également que les circonstances de l'espèce soulèvent une question sérieuse à juger quant à savoir si le défaut de préciser le nom des contribuables sous enquête entache d'un vice les demandes qui ont été signifiées à ces demandeurs.

(b) Les demandeurs ont-ils établi qu'ils subiront un préjudice irréparable si la prorogation n'est pas accordée?

[74]      Selon le ministre, les demandeurs n'ont pas besoin d'obtenir la mesure de redressement qu'ils sollicitent puisqu'ils ne sont pas tenus de se conformer aux demandes. Il déclare que, si les demandeurs ne se conforment pas aux demandes, ils s'exposent à des accusations prévues soit à l'article 238 soit à l'article 242 de la Loi. Ils auront alors l'occasion de contester la validité des demandes devant les cours criminelles.

[75]      En ce qui concerne l'existence d'un préjudice irréparable, le ministre soutient que le préjudice que les demandeurs subiraient n'est que pure spéculation et que, même si la présente instance devenait théorique, il ne leur serait causé aucun préjudice puisqu'ils peuvent toujours contester la validité des demandes devant une cour criminelle.

[76]      Le ministre invoque la décision prononcée par la présente Cour dans l'affaire 047424 N.B. Inc. c. M.R.N, D.T.C. 6552 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 23. Dans cette affaire, des accusations criminelles d'évasion fiscale avaient été portées contre des contribuables et le ministre, préoccupé par un transfert possible d'actifs, avait présenté des demandes de renseignements conformément à l'article 231.2 de la Loi. Les contribuables avaient, entre autres, demandé des ordonnances provisoires de suspension des demandes du ministre jusqu'au jugement de la demande de contrôle judiciaire. Le juge Mackay a rejeté la demande de mesures de redressement provisoires et a précisé :

[23]      À mon avis, bien que les questions soulevées concernent le pouvoir du défendeur de demander des renseignements compte tenu de la Charte, la difficulté de quantifier les dommages-intérêts, si le défendeur a accès aux renseignements demandés, ne constitue pas à elle seule, en l'espèce, un préjudice irréparable. Si les renseignements demandés sont fournis, mais que le défendeur ne prend aucune mesure non autorisée ayant des effets préjudiciables sur les demandeurs, ceux-ci ne subissent pas de préjudice. Si le préjudice appréhendé est l'utilisation possible des renseignements dans la poursuite criminelle, la validité de cette utilisation peut être contestée dans le cours de cette instance. Si l'utilisation n'est pas permise, il n'y aura pas de préjudice irréparable pour les demandeurs et si elle est permise dans d'autres instances, sur approbation judiciaire, cette utilisation ne pourra pas constituer un préjudice irréparable.

[77]      Je conclus que la présente affaire se distingue de la décision 047424 N.B. Inc., (précitée), parce qu'en l'espèce, à l'heure actuelle, les demandeurs ne font face à aucune accusation criminelle.

[78]      J'accepte les observations des demandeurs selon lesquelles la thèse du ministre suppose qu'il considère que le dépôt d'une accusation criminelle prévue à la Loi n'a aucune incidence sur la vie d'un contribuable. Je conviens aussi qu'il est contraire au bon sens pour le ministre de prétendre que, si les demandeurs veulent obtenir le droit de se faire entendre en audience publique, ils n'ont qu'à attendre le dépôt d'accusations.

[79]      Le simple fait de déposer des accusations criminelles contre les demandeurs comporte réellement la possibilité de causer un préjudice grave aux demandeurs et à leur réputation, même s'ils sont finalement acquittés.

[80]      Le préjudice irréparable renvoie à la nature du préjudice qui sera subi. Ce préjudice doit être de nature matérielle et ne pas pouvoir être adéquatement compensé par des dommages-intérêts.

[81]      En plus du préjudice inhérent au fait d'avoir à faire face à une accusation prévue à la Loi, au moins deux demandeurs, soit BDO Dunwoody et Ralph T. Neville, ont indiqué qu'ils allaient se conformer aux demandes s'ils n'obtenaient pas la mesure de redressement provisoire demandée.

[82]      Si les demandeurs se conforment aux demandes, la demande de contrôle judiciaire deviendra inopérante et, contrairement à ce que prétend le ministre, ne leur donnera pas la possibilité de saisir les cours criminelles d'une contestation.

[83]      Dans ces circonstances, je conclus que les demandeurs ont établi l'existence d'un préjudice irréparable.

(c) La prépondérance des inconvénients

[84]      Pour trancher la question de la prépondérance des inconvénients, il faut se demander quelle partie subira le plus grand préjudice selon que la Cour accorde ou refuse la mesure de redressement provisoire en attendant qu'elle se prononce sur le bien-fondé des demandes sous-jacentes.

[85]      En plus de répéter ses arguments quant à la possibilité pour les demandeurs de contester la validité des demandes devant une cour criminelle, le ministre affirme que, sans les renseignements et les documents demandés, il « peut » arriver qu'avant qu'il obtienne les renseignements qu'il lui faut pour délivrer de nouveaux avis de cotisation aux clients de Capital Vision Inc. pour l'année d'imposition 1996, le délai de prescription applicable vienne à expiration.

[86]      Le ministre n'a présenté aucune preuve pour étayer cette prétention. De plus, celle-ci n'est pas confirmée par le témoignage de M. Coleman qui a prétendu que, le 16 décembre 1999, un vérificateur du Bureau des services fiscaux de Kitchener de l'Agence canadienne des douanes et du revenu lui aurait confié que l'Agence pouvait extraire rapidement de ses bases de données le nom des personnes qui avaient participé à la stratégie en matière de dons de charité. Le ministre n'a pas contesté cette déclaration.

[87]      À mon avis, une fois que ces renseignements sont connus, le ministre pourrait obtenir les renseignements dont il a besoin (de manière à éviter un préjudice irréparable) en commençant des vérifications de ces contribuables, en signifiant des demandes adressées à ces contribuables ou en prenant d'autres mesures. En outre, il est possible de présenter des avis de nouvelle cotisation, puis de les modifier. Le ministre pourrait protéger le délai de prescription en présentant rapidement des avis de nouvelle cotisation.

[88]      De plus, le 16 décembre 1999 (dans le contexte de la contestation des anciennes demandes), le ministre, par l'intermédiaire de celui qui était alors son avocat, a convenu qu'il n'était pas nécessaire que les demandeurs sollicitent un sursis à l'exécution des anciennes demandes ou une prorogation du délai imparti pour s'y conformer.

[89]      En réponse à une question de la Cour qui lui demandait comment l'octroi d'une prorogation de ce genre pourrait maintenant être préjudiciable, l'avocat a indiqué que le fait qu'une prorogation n'ait pas été considérée comme préjudiciable auparavant ne signifiait pas qu'elle ne l'était pas maintenant.

[90]      Je reconnais la justesse de cette réponse sur le plan de la logique, mais je ne suis pas convaincu, compte tenu du fait que le ministre était disposé à accorder une prorogation indéfinie en décembre 1999 et compte tenu de l'absence de preuve de sa part, que le ministre subirait le préjudice auquel il prétend maintenant s'exposer.

[91]      Le défaut d'accorder la prorogation placerait les demandeurs dans une position où ils devraient choisir entre fournir les renseignements et produire les documents demandés (ce qui rendrait l'instance en contrôle judiciaire inopérante et théorique et serait susceptible de nuire aux relations commerciales entre Capital Vision Inc. et ses clients) et négliger de le faire (ce qui pourrait donner lieu à une poursuite au criminel).

[92] Dans ces circonstances, je suis convaincu que la prépondérance des inconvénients favorise l'octroi de la prorogation.

[93]      Pour ces motifs, la Cour a accordé l'ordonnance signée le 15 mars.



                             « Eleanor R. Dawson »

                        

                                     Juge



Ottawa (Ontario)

le 8 juin 2000



Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Nos DU GREFFE :              T-493-00, T-494-00, T-495-00, T-496-00, T-497-00,

                     T-498-00, T-499-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Capital Vision Inc. et al. c. Ministre du Revenu national
                     CVI Art Management Inc. et al. c. Ministre du Revenu national
                     CVI Management Inc. et al. c. Ministre du Revenu national
                     The Capital Vision Group Inc. c. Ministre du Revenu national
                     BDO Dunwoody LLP et al. c. Ministre du Revenu national

                     Paul Bain et al. c. Ministre du Revenu national

                     671514 Ontario Ltd. c. Ministre du Revenu national

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          le 14 mars 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE DAWSON le 8 juin 2000



ONT COMPARU :

Clifford Rand                          POUR LA DEMANDERESSE (Capital Vision et autres)
Sheldon Silver                      POUR LA DEMANDERESSE (The Capital Vision Group et autres)
Barry Weintraub                      POUR LA DEMANDERESSE (671514 Ontario Ltd. et autres)
Allen Coleman                      POUR LE DEMANDEUR (Paul Bain et autres)
James C. Orr                          POUR LE DEMANDEUR (BDO Dunwoody et autres)
Arnold Bornstein                      POUR LE DÉFENDEUR (tous les dossiers)


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wilderboer Rand Thomson Apps & Dellelce      POUR LA DEMANDERESSE (Capital Vision et Toronto (Ontario)                      autres)

Goodman Phillips & Vineberg              POUR LA DEMANDERESSE (The Capital Vision Toronto (Ontario)                      Group et autres)

Genest Murray                      POUR LA DEMANDERESSE (671514 Ontario Ltd. Toronto (Ontario)                      et autres)

Osler Hoskin & Harcourt                  POUR LE DEMANDEUR (Paul Bain et autres)

Toronto (Ontario)

Kelly Affleck Greene                      POUR LE DEMANDEUR (BDO Dunwoody et Toronto (Ontario)                      autres)

Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR (tous les dossiers)

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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