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Date : 19990415


T-1079-98

E n t r e :

     HANNA BELL LARSH,

     demanderesse,

     - et -

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

A.      Introduction

[1]      Hanna Bell Larsh est une femme de race noire qui est née en Jamaïque et qui est arrivée au Canada en 1990 sous le régime du Programme concernant les employés de maison étrangers, appellation sous laquelle était alors désigné le Programme des aides familiaux résidants. Elle a vécu un mariage bref " et, semble-t-il, malheureux " avec un homme qui a parrainé sa demande de résidence permanente au Canada, mais qui a retiré son engagement de parrainage après l'échec de leur mariage.

[2]      En mars 1995, Mme Larsh a été convoquée à une entrevue aux bureaux de Citoyenneté et Immigration Canada par suite, semble-t-il, du retrait de l'engagement de parrainage. À l'issue des entrevues, on lui a signifié un avis d'interdiction de séjour. Elle a par la suite été déboutée de sa demande de contrôle judiciaire de cet avis.

[3]      Mme Larsh a porté plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne dix-neuf mois après les entrevues en question au motif que les agents d'immigration qu'elle avait rencontrés avait exercé une discrimination contre elle sur le fondement de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique.

[4]      Malgré le fait que la plainte a été déposée plus d'un an après le dernier acte discriminatoire reproché, la Commission a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi pour enquêter sur la plainte en vertu de l'alinéa 41e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.

[5]      Le Commission a toutefois avisé Mme Larsh qu'elle avait résolu de rejeter sa plainte pour les motifs suivants : aucun élément de preuve n'avait été présenté pour justifier la plainte ; les agents d'immigration niaient avoir tenus les propos discriminatoires que Mme Larsh leur imputait ; il avait été impossible pour l'enquêteur de trouver des témoins des incidents en question. Pour tirer cette conclusion, la Commission disposait du rapport et de la recommandation du fonctionnaire de la Commission qui avait fait enquête au sujet de la plainte et qui en avait recommandé le rejet.

[6]      Mme Larsh a introduit la présente demande de contrôle judiciaire en vue de demander à la Cour d'annuler la décision par laquelle la Commission l'a déboutée de sa plainte et a décidé de ne pas déférer celle-ci au Tribunal canadien des droits de la personne pour qu'il rende une décision à son sujet.

B.      Questions en litige

Première question

[7]      La demanderesse affirme que la décision de la Commission est mal fondée en droit parce que, pour rejeter la plainte, la Commission a apprécié les éléments de preuve contradictoires qui lui étaient soumis et qu'elle doit avoir estimé que Mme Larsh n'était pas digne de foi. L'avocate de la demanderesse soutient que seul le Tribunal des droits de la personne peut tirer une telle conclusion au terme d'une audience au cours de laquelle une décision est rendue et où il est possible de contre-interroger Mme Larsh et les agents d'immigration.

Seconde question en litige

[8]      L'avocate de Mme Larsh soutient également qu'en rejetant la plainte au motif que les agents niaient avoir tenu les propos en question et qu'il n'y avait pas de témoin impartial pour corroborer le récit des événements de la demanderesse, la Commission a de ce fait abusé du pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi. L'avocate a affirmé plus particulièrement qu'en exigeant un degré de preuve minimale aussi élevé, la Commission va à l'encontre de l'objectif visé par la Loi, en l'occurrence la promotion et la défense du droit des individus d'être protégés contre toute discrimination directe fondée sur les motifs expressément interdits par la Loi.

C.      Dispositions législatives applicables

[9]      La seule disposition de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui se rapporte directement à la présente demande est le paragraphe 44(3), qui dispose que, sur réception du rapport de l'enquêteur, la Commission :

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

     (i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, ...

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

     (i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié, [...]

D. Contexte factuel

[10]      Il est acquis aux débats qu'un des aspects importants de la mission que la Loi confie à la Commission est d'éliminer les plaintes qui ne sont pas suffisamment fondées en droit ou sur le plan de la preuve pour justifier la tenue d'une audience en bonne et due forme par le Tribunal. L'avocate du ministre ne conteste pas non plus le fait que, s'ils ont effectivement été tenus, les propos en question constituaient un acte discriminatoire. La seule question qui se pose est celle de savoir s'ils ont oui ou non été tenus.

[11]      Avant d'examiner les prétentions et les moyens de la demanderesse, je tiens à exposer plus en détail le contexte factuel. Mme Larsh s'est plainte du fait que le premier agent d'immigration qui l'a interrogée lui a dit que, malgré ses antécédents professionnels d'agent de sécurité et d'enquêteur, la carrière d'agent de police pour laquelle elle avait exprimé un intérêt, [TRADUCTION] " n'est de toute évidence pas pour vous ". Après un échange vraisemblablement animé entre Mme Larsh et l'agent, Mme Larsh a demandé à ce dernier s'il l'a mettait à la porte [TRADUCTION] " comme si je n'étais pas un être humain ". L'agent lui aurait répondu que c'était effectivement le cas et lui a claqué la porte derrière le dos après qu'elle eut quitté les lieux.

[12]      Mme Larsh affirme que, lors de sa seconde entrevue devant deux autres agents, l'un d'entre eux lui a dit qu'il en avait [TRADUCTION] " assez des gens comme vous ", alors que l'autre lui a dit que [TRADUCTION] " les gens comme vous ne sont pas les bienvenus ici ". C'est alors qu'un avis d'interdiction de séjour a été signifié à la demanderesse.

[13]      Un an après ces entrevues, un étudiant en droit qui travaillait pour une clinique d'aide juridique a écrit pour le compte de Mme Larsh une lettre dans laquelle il exhortait le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration à ouvrir une enquête sur les agissements des agents. Mme Larsh a, deux mois après l'envoi de cette lettre, elle-même écrit au ministre pour relater

les incidents au sujet desquels elle a par la suite porté plainte devant la Commission. Le but premier de sa lettre était toutefois d'essayer de persuader le ministre de lui permettre de demeurer au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire.

[14]      Le ministre a mené une enquête interne au sujet des plaintes formulées par Mme Larsh en ce qui concerne les agissements des agents et il a conclu que les plaintes n'étaient pas fondées. Finalement, il convient de noter que l'agent d'immigration qui se trouvait à l'extérieur du bureau duquel Mme Larsh se plaint d'avoir été renvoyée avec brusquerie affirme ne pas avoir entendu les propos que Mme Larsh impute à l'agent et ajoute que l'on n'a pas fait claquer la porte au moment où Mme Larsh a quitté le bureau.

E. Analyse

[15]      L'avocate de Mme Larsh a soutenu une thèse juridique audacieuse. Elle a affirmé que, sous réserve des nuances qui suivent, chaque fois que la Commission est confrontée à des versions contradictoires au sujet des agissements qui font l'objet d'une plainte, la Commission doit renvoyer la plainte au Tribunal des droits de la personne. L'avocate nuance cette proposition en précisant qu'il devrait être clair que, si la version du plaignant est véridique, les agissements reprochés violeraient la Loi et qu'il n'existe pas de façon fiable de résoudre les contradictions de la preuve sans contre-interrogatoire. Si la Commission rejetait la plainte en résolvant une question de crédibilité à l'encontre du plaignant, la Commission usurperait l'une des fonctions qui lui sont attribuées en tant qu'arbitre des faits.

[16]      L'avocate de la demanderesse invoque notamment l'arrêt Cashin c. Société Radio-Canada, [1984] 2 C.F. 209 (C.A.F.), dans lequel la Cour a annulé la décision par laquelle la Commission avait rejeté une plainte. La Cour a jugé que la décision de la Commission était injuste sur le plan de la procédure parce qu'on n'avait pas donné à la plaignante l'occasion

de contester directement les témoignages invoqués contre elle et de vérifier la crédibilité de leurs auteurs (à la page 215).

Le juge Mahoney a ajouté que, si la Commission n'arrive pas à trouver le moyen de faire le nécessaire pour statuer sur la plainte tout en respectant les limites imposées à son processus d'enquête :

[...] elle dispose d'une autre procédure qui semble mieux adaptée à un cas de ce genre.

L'avocate m'invite à interpréter ce passage comme une allusion au pouvoir de la Commission de déférer une plainte au Tribunal.

[17]      L'avocate de Mme Larsh a également attiré mon attention sur des affaires dans lesquelles il a été jugé que l'obligation d'agir avec équité oblige dans d'autres contextes les tribunaux administratifs à permettre la tenue d'un contre-interrogatoire lorsque la crédibilité n'est pas la question centrale en litige (voir, en particulier, l'arrêt Khan c. Université d'Ottawa (1997), 148 D.L.R. (4th) 577 (C.A. Ont.). En outre, bien que, comme l'avocate l'a reconnu, la Commission ne soit pas un organisme juridictionnel, lorsqu'elle rejette une plainte, elle rend une décision définitive en ce sens qu'elle empêche ainsi le plaignant d'obtenir une réparation en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[18]      Bien qu'il soit séduisant à première vue, je ne suis pas convaincue que l'argument que l'avocate a développé soit bien fondé. Tout d'abord, cet argument sous-estime selon moi l'importance du pouvoir discrétionnaire qui est conféré à la Commission par le libellé du sous-alinéa 44(3)b)(i), en l'occurrence, celui de rejeter la plainte " si elle est convaincue [...] compte tenu des circonstances relatives à la plainte,, [que] l'examen de celle-ci n'est pas justifié ". L'argument de la demanderesse suivant lequel la plainte doit être déférée au Tribunal des droits de la personne chaque fois que la crédibilité constitue la principale question en litige dans une affaire mettant en cause les droits de la personne ne semble pas compatible avec le libellé subjectif du sous-alinéa 44(3)b)(i) , ni avec la compétence et l'expérience de la Commission en tant qu'organisme spécialisé chargé d'enquêter sur les plaintes déposées en matière de droits de la personne et de se prononcer sur leur bien-fondé.

[19]      En second lieu, même s'il est vrai que la décision de rejeter la plainte est définitive au sens susmentionné, la Commission n'est pas pour autant tenue d'aborder la preuve de la même manière qu'un tribunal ayant le pouvoir de rendre la justice ou de tirer des conclusions de fait, notamment en ce qui concerne la crédibilité du plaignant.

[20]      La nature de la mission que la Loi confie à la Commission en ce qui concerne l'examen des plaintes a été définie dans les termes les plus nets dans l'arrêt Cooper c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, à la page 891, dans lequel le juge La Forest déclare :

Il ne lui [la Commission] appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l'ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L'aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s'il existe une preuve suffisante. [Non souligné dans l'original.]

Voir également le jugement Boahene-Agbo c. Commission canadienne des droits de la personne, (1994), 86 F.T.R. 95, aux pages 119 et 120 (C.F. 1re inst.).

[21]      Ainsi, en l'espèce, la Commission n'était pas tenue de tirer une conclusion sur la question de savoir si Mme Larsh disait la vérité sur les propos que les agents d'immigration auraient tenus à son endroit. D'ailleurs, comme l'enquêteur n'a pas parlé à Mme Larsh, il aurait été fort mal venu d'essayer de le faire. La Commission n'est tout simplement pas outillée pour tirer des conclusions de fait de ce genre.

[22]      Il incombe à la Commission d'apprécier dans leur ensemble les éléments de preuve qui lui sont soumis dans le but limité de déterminer si la preuve justifie raisonnablement le Tribunal des droits de la personne de conclure que l'auteur de la plainte a été victime d'un acte discriminatoire illicite (Syndicat des employés de production du Québec et l"Acadie c. Commission canadienne des droits de la personne, [1989] 2 R.C.S. 879, à la page 899.

[23]      La conception plus étroite du rôle de la Commission qui a été retenue dans le jugement Thibodeau v. Prince Edward Island (Human Rights Commission), (1993) 23 Admin. L.R. (2d) 219 (C.S. Î.-P.É.) peut s'expliquer par le fait que la loi examinée dans cette affaire ne renfermait pas de disposition équivalente au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La mission de la commission provinciale se bornait à mener une enquête et a soumettre un rapport au ministre, à qui la loi donnait le pouvoir discrétionnaire de déférer une plainte à un organisme juridictionnel.

[24]      De même, les dispositions législatives examinées dans l'affaire Cook v. British Columbia (Council of Human Rights), (1988), 9 C.H.R.R. 38156 (C.S. C.-B.) ne permettaient pas au Conseil de savoir dans quels cas on devait mettre fin à une instance, et elles conféraient au ministre de pouvoir de rejeter une plainte lorsqu'il estimait que celle-ci n'était pas justifiée. Les propos de la Cour au sujet de l'incapacité du Conseil d'apprécier les éléments de preuve portés à sa connaissance doivent être interprétés dans ce contexte et sont par conséquent de peu d'utilité lorsqu'il s'agit de définir la portée des pouvoirs conférés par la loi à la Commission fédérale.

[25]      L'avocate de la demanderesse se fonde sur le passage de sa lettre dans laquelle la Commission a avisé la plaignante qu'il n'y avait " pas d'éléments de preuve " pour appuyer les allégations de Mme Larsh. L'avocate de la demanderesse me demande d'en inférer que la Commission n'a pas cru Mme Larsh, et qu'elle a par conséquent tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité de cette dernière, parce qu'autrement, ses allégations constitueraient elles-mêmes une preuve de leur véracité.

[26]      Il s'agit là d'une analyse grammaticale trop clinique et abstraite de la lettre de la Commission. À mon avis, une interprétation qui s'accorde mieux avec les fonctions que la loi confère à la Commission est que celle-ci n'était pas persuadée qu'il existait des éléments de preuve permettant raisonnablement à un tribunal des droits de la personne de décider, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations de Mme Larsh étaient véridiques.

[27]      Il n'y a aucun doute que la Commission en est arrivée à cette conclusion après avoir tenu compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait, y compris du fait qu'il n'y avait pas de témoin indépendant pour corroborer la version des événements de Mme Larsh, que les agents en question niaient les allégations, qu'au terme de l'enquête qu'il avait menée, le ministre avait conclu que les allégations n'étaient pas fondées, que la discrimination n'était pas alléguée dans la demande de contrôle judiciaire présentée par Mme Larsh en vue de contester la validité de l'avis d'interdiction de séjour et, finalement, qu'un autre agent avait affirmé ne pas avoir entendu de propos injurieux et que la porte n'avait pas été claquée derrière Mme Larsh.

[28]      Évidemment, il est toujours possible que, lors d'un contre-interrogatoire, la crédibilité des agents contre qui Mme Larsh a porté plainte soit fortement ébranlée, et que la crédibilité de Mme Larsh soit clairement établie. Il est également possible que l'on réussisse à démontrer que l'autre agent n'était pas en mesure d'entendre ce que les agents ont dit à Mme Larsh et que la crédibilité de son affirmation que la porte n'a pas été claquée derrière elle soit ébranlée pour d'autres raisons. Mais, compte tenu du rôle d'enquête et de poursuite que la loi lui confie en vue de protéger les personnes physiques contre la discrimination, la Commission est nécessairement obligée de déterminer si, eu égard à l'ensemble des circonstances de la plainte, cette possibilité justifiait le renvoi de la plainte à un organisme juridictionnel.

[29]      On ne m'a pas non plus convaincue que l'arrêt Cashin, précité, appuie autant la thèse de la demanderesse que ne le prétend son avocate. Dans cette affaire, la Cour a jugé que la plaignante n'avait pas eu la possibilité de connaître les éléments de preuve retenus contre elle et d'y répondre et que la Commission l'avait de ce fait privé de l'équité procédurale. Or, ce ne sont pas les motifs que Mme Larsh invoque au soutien de sa plainte.

[30]      Il semble également que, dans l'arrêt Cashin, précité, la Cour ait déclaré que, si la Commission n'était pas en mesure de donner à la plaignante la possibilité de " contester directement les témoignages invoqués contre elle et de vérifier la crédibilité de leurs auteurs ", elle devait déférer la plainte au Tribunal, qui accorderait cette possibilité à la plaignante.

[31]      Toutefois, non seulement ce passage ne constitue-t-il qu'une remarque incidente, mais encore est-il précédé par ces mots extrêmement importants : " en l'espèce ". D'ailleurs, dans l'arrêt Labelle c. Canada (Conseil du Trésor) , (1987), 25 Admin. L.R. 10 (C.A.F.), le juge Mahoney semble (à la page 17) restreindre la portée des propos qu'il avait tenus dans l'arrêt Cashin, précité, en faisant remarquer que, dans cette dernière affaire :

                 En plus de l'opinion du plaignant, la preuve circonstancielle semblait contredire la preuve directe de l'employeur. À l'unanimité, la Cour a jugé que, dans ce cas, il était impossible de trancher légitimement la question sans la tenue d'une audience permettant au plaignant de contre-interroger [...]      [Non souligné dans l'original.]                 

[32]      Plus récemment, la même question a été examinée par le juge Hugessen dans le jugement Miller c. Canada (procureur général) (C.F. 1re inst., T-391-98, 28 septembre 1998), dans lequel il a déclaré ce qui suit :

                 Il affirme [...] que c'est à tort que la Commission a omis d'ordonner la tenue d'une audition, car le dossier soulevait un certain nombre de questions touchant la crédibilité. D'après moi, il ressort clairement de la loi que la Commission n'est nullement obligée d'ordonner la tenue d'une audition. Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, la liberté n'est pas mise en cause dans le cadre de l'enquête qui est menée, j'estime que la tenue d'une audition n'est jamais obligatoire. D'ailleurs, lorsqu'on examine la nature du pouvoir discrétionnaire que le libellé même de la loi confère à la Commission, il est claire que, dans certains cas, la Commission peut rejeter une plainte lorsqu'elle estime que celle-ci est insuffisamment fondée au regard de la preuve, alors qu'il faudrait effectivement qu'il y ait audition si la plainte était retenue. En d'autres termes, le pouvoir discrétionnaire reconnu à la Commission permet manifestement à celle-ci de ne pas ordonner la tenue d'une audition devant le tribunal.                 

Je suis pour l'essentiel d'accord avec cet énoncé du droit et, comme la conclusion que la Commission a tirée n'était pas irrationnelle compte tenu des faits dont elle disposait, je conclus que la Commission n'a pas commis d'erreur de droit en rejetant la plainte.

[33]      J'estime d'ailleurs qu'il serait irresponsable de la part de la Commission de ne pas apprécier les éléments de preuve dont elle dispose pour la simple raison que le plaignant et la personne qui fait l'objet de la plainte ont donné des versions contradictoires des événements sur lesquels la plainte est fondée. La Commission a le droit " et est tenue " de scruter de près la preuve avant de décider si, eu égard aux circonstances de l'espèce, la tenue d'une audience devant un tribunal des droits de la personne est justifiée.

Seconde question en litige

[34]      Il s'agit de savoir si, compte tenu de l'importance primordiale que le législateur fédéral accorde au droit d'être protégé contre toute discrimination, il était déraisonnable de la part de la Commission de rejeter la plainte de Mme Larsh au motif que les agents en question avaient nié les allégations et qu'il n'y avait aucun témoin indépendant pouvant appuyer la version de la plaignante en ce qui concerne ce que les agents lui ont dit.

[35]      L'avocate de la demanderesse maintient qu'il est courant que les personnes qui font l'objet de plaintes de discrimination nient celles-ci, et qu'il arrive souvent qu'il n'y ait pas de témoin direct des incidents de discrimination directe. Elle affirme, par conséquent, qu'en rejetant la plainte pour ces motifs, la Commission a exigé un degré de preuve tellement élevé qu'il va à l'encontre de l'esprit de la Loi et que la Commission a ainsi abusé du pouvoir discrétionnaire que lui confère le sous-alinéa 44(3)b)(i) de décider si elle est convaincue que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, la tenue d'une audience n'est pas justifiée.

[36]      Pour l'examen de cet argument, je suis disposée à présumer que la décision par laquelle la Commission a rejeté les plaintes devrait faire l'objet d'un examen plus attentif que les décisions par lesquelles des plaintes sont déférées au Tribunal. Un débouté est, après tout, une décision définitive qui empêche le plaignant d'obtenir toute réparation prévue par la loi et qui, de par sa nature même, ne saurait favoriser l'atteinte de l'objectif général de la Loi, c'est-à-dire protéger les personnes physiques de toute discrimination, mais qui, s'il est erroné, risque de mettre en échec l'objet de la Loi.

[37]      Néanmoins, il ne faut pas oublier que c'est à la Commission, et non à notre Cour, que le législateur fédéral a confié la tâche de se convaincre que la tenue d'une audience devant un tribunal des droits de la personne est ou n'est pas justifiée, compte tenu de l'ensemble des circonstances entourant la plainte. Ainsi que je l'ai déjà précisé, les motifs du rejet de la plainte que la Commission a formulés dans la lettre par laquelle elle a communiqué sa décision ne doivent pas être disséqués et être interprétés hors contexte.

[38]      J'estime donc que la Commission ne dit pas dans sa lettre qu'en aucun cas elle ne déférera une plainte au Tribunal lorsque l'auteur présumé d'un acte discriminatoire nie l'avoir commis et qu'il n'y a aucun témoin qui corrobore la version du plaignant. J'interprète plutôt la lettre de la Commission comme une simple décision que, compte tenu des circonstances particulières de la présente plainte, elle était convaincue qu'une audience n'était pas justifiée.

F.      Dispositif

[39]      Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     " John M. Evans "

TORONTO (ONTARIO)     

     J.C.F.C.

Le 15 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE :              T-1079-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      HANNA BELL LARSH
                                 demanderesse,
                     - et -
                     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,
                                 défendeur.
DATE DE L'AUDIENCE :          LE MARDI 6 AVRIL 1999
LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Evans le jeudi 15 avril 1999

ONT COMPARU :

Me J. Chic                  pour la demanderesse
Me K. Hucal                  pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

Parkdale Community Legal Services

Avocats et procureurs

165, rue Dufferin

Toronto (Ontario)

M6K 1Y9                  pour la demanderesse

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général

du Canada                  pour le défendeur

                            

                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                            

                                 Date : 19990415

                        

         T-1749-98

                             E n t r e :

                             HANNA BELL LARSH,

     demanderesse,

                             - et -
                             PROCUREUR GÉNÉRAL

                             DU CANADA,

     défendeur.

                            

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                            

                            

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