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                                                                                                                               T-2545-95

 

AFFAIRE intéressant une demande de contrôle judiciaire introduite sous le régime de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée, et tendant à faire annuler la décision interlocutoire du comité d'appel constitué en application de l'alinéa 5d) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, 1995, au sujet de certains appels formés sous le régime de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33 (Dossiers de la C.F.P. no 94‑TAX‑0726, -0727, -0728, -0729, -0840 et -0841)

 

 

Ottawa (Ontario), le 9 octobre 1996

 

En présence de Monsieur le juge Wetston

 

 

Entre :

 

                                 LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

 

                                                                                                                                requérant,

 

                                                                    - et -

 

 

                                 GREGORY THOMPSON, LORI O'CONNOR,

                           JANET DE KERGOMMEAUX, MICHEL LAROCHE

                                                         et KIM WICKER,

 

                                                                                                                                    intimés.

 

 

                                                          ORDONNANCE

 

 

            La demande de contrôle judiciaire contre la décision interlocutoire du comité d'appel de la fonction publique est rejetée.

 

            La requête en modification de l'avis de requête introductive d'instance du requérant pour rectifier le chef de demande est accueillie.

 

            La requête conjointe en suspension de la présente ordonnance afin de donner à «l'une ou l'autre partie la possibilité d'interjeter appel de l'ordonnance» est rejetée pour le moment.

 

 

                                                                                                                   Signé : J. Wetston           

                                                                                ________________________________

                                                                                                                                         Juge                    

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                ________________________________

                                                                                                                       F. Blais, LL. L.            


 

 

 

 

 

 

                                                                                                                               T-2545-95

 

 

AFFAIRE intéressant une demande de contrôle judiciaire introduite sous le régime de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée, et tendant à faire annuler la décision interlocutoire du comité d'appel constitué en application de l'alinéa 5d) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, 1995, au sujet de certains appels formés sous le régime de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33 (Dossiers de la C.F.P. no 94‑TAX‑0726, -0727, -0728, -0729, -0840 et -0841)

 

 

Entre :

 

                                 LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

 

                                                                                                                                requérant,

 

                                                                    - et -

 

 

                                 GREGORY THOMPSON, LORI O'CONNOR,

                           JANET DE KERGOMMEAUX, MICHEL LAROCHE

                                                         et KIM WICKER,

 

                                                                                                                                    intimés.

 

 

 

 

                                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

 

Le juge WETSTON

 

 

            Il y a en l'espèce demande de contrôle judiciaire contre la décision interlocutoire rendue le 13 octobre 1995 par un comité d'appel constitué par la Commission de la fonction publique (le comité d'appel) au sujet de demandes faites par Revenu Canada (le ministère) en vue de protéger la confidentialité de l'exercice in-basket de supervision (l'EIBS).

 

            Les intimés sont les candidats malheureux à un certain nombre de concours au sein de Revenu Canada.  Un pourcentage élevé de candidats a échoué à l'EIBS, dont les intimés en l'espèce.  Conformément aux règles établies pour le processus de sélection, cet échec les a exclus de l'étape suivante des concours en question.  Les requérants se sont fondés sur l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33 (la Loi), pour former appel contre les diverses sélections faites en vue de nominations.  Certains candidats reçus ont aussi participé en qualité d'intervenants aux appels devant le comité d'appel.  On ne sait pas exactement combien de ces candidats reçus y participaient, mais la décision du comité d'appel fait état d'au moins trois d'entre eux.

 

            L'EIBS est conçu pour l'appréciation de certaines qualités impératives en ce qui concerne l'aptitude à commander, l'esprit d'initiative, le pouvoir de raisonnement, la gestion et la communication écrite.  Les documents afférents à l'EIBS, généralement considérés par les parties comme confidentiels, comprennent : 1) le guide de notation; 2) l'exercice proprement dit; 3) les réponses données par les candidats malheureux; et 4) les réponses données par les candidats reçus.  Les intimés ne contestent pas que les documents EIBS soient, en règle générale, confidentiels, mais font observer que la question qui se pose devant le comité d'appel est de savoir s'il y a lieu de les tenir confidentiels vis-à-vis des intimés dans ce contexte.  Les candidats reçus ne sont représentés ni devant le comité d'appel ni devant la Cour.

 

            Le ministère a présenté de longues conclusions écrites au comité d'appel pour l'engager à protéger la confidentialité de l'EIBS comme suit : 1) certains éléments ne doivent pas être versés au dossier public d'appel, mais gardés par le comité d'appel dans une enveloppe clairement marquée confidentielle; 2) les documents ci-dessus ne doivent pas être reproduits en tout ou en partie dans la décision du comité d'appel; 3) ces documents doivent être restitués à Revenu Canada après l'expiration du délai de trentaine prévu pour l'appel à la Cour fédérale; et 4) tous débats en appel touchant les documents susmentionnés auraient lieu à huis clos (c'est-à-dire hors la présence des intimés, des intervenants et du public).

 

            Avant l'audience, le ministère a communiqué l'intégralité des documents en question aux représentants des intimés à la condition qu'ils ne les divulguent pas à leur tour à ces derniers.  Il n'est pas très certain qu'à l'audience devant le comité d'appel, les représentants des intimés aient accepté cette condition.  N'empêche qu'au moment de l'audience, ils se sont vu communiquer l'intégralité des documents EIBS, y compris les réponses des intimés et des candidats reçus.  Il a été demandé au comité d'appel de décider si ces représentants pouvaient divulguer les documents confidentiels aux intimés et si ceux-ci pouvaient être présents à l'audience  quand les débats portent sur ces documents.

 

La décision de la Commission

 

            Le comité d'appel a fait droit à la première demande faite par le ministère que les documents confidentiels soient gardés à part dans un dossier marqué confidentiel, mais n'a pas accédé à la seconde demande par le motif suivant :

 

            [TRADUCTION]

Je ne peux cependant pas accéder à la demande du ministère que je m'engage à ne pas reproduire les documents susmentionnés en tout ou en partie dans la décision du comité d'appel.  Il ne faut pas oublier que cette décision doit être motivée.  Je m'abstiendrai certainement de reproduire un élément quelconque de l'exercice si pareille omission est possible et je doute qu'il soit nécessaire de le reproduire, mais je ne peux me prononcer sur cette question sans avoir entendu les témoignages et les arguments au fond.

 

            Le comité d'appel a fait droit aussi à la troisième demande, savoir la restitution des documents, notant que les intimés ne s'opposaient pas à ce que ces documents soient restitués au ministère dans les 30 jours.

 

            Le comité d'appel a fait droit à la première partie de la quatrième demande, savoir l'exclusion du public des débats portant sur les allégations relatives à l'EIBS.  Il convenait qu'il y avait lieu de limiter l'accès du public à l'EIBS puisqu'il s'agit d'un test standardisé qui a coûté cher à mettre au point et que la divulgation des réponses pourrait en compromettre l'usage continu.  Il a cependant refusé d'accéder à la troisième et à la quatrième parties de la demande, portant exclusion des intimés et des intervenants (les candidats reçus) des débats portant sur les allégations relatives à l'EIBS.

 

            Le comité d'appel a autorisé les intervenants à être présents tout au long de l'audience.  Ceux-ci n'y étaient pas représentés, ne s'étaient pas vu communiquer la documentation confidentielle et souhaitaient être présents tout au long de l'audience.  Le comité d'appel a conclu que le droit de se faire entendre signifie le droit de participer tout au long de l'audience, même aux séances où des éléments d'information confidentiels sont présentés.  Il a en outre jugé qu'il n'était pas indiqué d'exiger des candidats reçus qu'ils soient représentés.  Les candidats malheureux étaient représentés par des membres de l'Alliance de la fonction publique du Canada, mais le syndicat n'assure pas la représentation des candidats reçus devant le comité d'appel.

 

            Enfin, pour ce qui est de la présence des appelants tout au long de l'audience, le comité d'appel s'est prononcé sur la demande de confidentialité du ministère en ces termes.  Il note que l'EIBS doit être protégé autant que possible et qu'il faut prévenir l'accès indu à ses éléments confidentiels.  À cette fin, il a établi la procédure suivante pour la divulgation des documents confidentiels.  Il ordonne aux appelants et aux candidats reçus de ne pas prendre des notes lorsque les débats portent sur ces documents à l'audience.  Les candidats reçus doivent s'engager à ne divulguer les documents confidentiels à qui que ce soit, alors que les appelants doivent s'engager à ne les divulguer à personne sauf leurs représentants.  Ceux-ci sont avertis de ne pas évoquer indûment le contenu de l'exercice durant l'audience.  Le comité d'appel décide que lorsqu'un représentant estime nécessaire d'évoquer les documents confidentiels à l'audience, il doit lui en demander la permission et le comité d'appel décidera dans chaque cas.  Les représentants auraient à prouver qu'ils ne peuvent faire valoir leurs arguments sans évoquer les documents confidentiels.  Ils seraient aussi tenus d'obtenir du comité d'appel la permission de discuter du contenu des documents confidentiels avec les intimés.  Ils auraient aussi à prouver que la divulgation aux intimés était nécessaire en vue de leur argumentation.

 

            Le comité d'appel s'est appuyé notamment sur la jurisprudence Barton et Watkins (1993), 66 F.T.R. 54 (1re inst.).  D'autre part, il a pris acte dans sa décision du coût public de la mise au point du test et de la possibilité que l'accès indu en compromette l'usage continu par suite de l'avantage injuste qu'en tireraient les appelants.  C'est pourquoi il a fixé les procédures susmentionnées pour la divulgation dans le contexte du droit de se faire entendre des appelants comme des intervenants.

 

Analyse

 

            Le comité d'appel de la fonction publique est un organisme créé par la Loi; il est régi par cette dernière ainsi que par le Règlement sur l'emploi dans la fonction publique, DORS/93-286 (le Règlement).  L'article 21 de la Loi prévoit que la Commission charge un comité de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général concerné peuvent se faire entendre.  Il est indubitable qu'un candidat reçu a aussi le droit de se faire entendre à cette enquête; v. Schwartz c. La Reine, [1982] 1 C.F. 386 (C.A.).  Selon le paragraphe 21(2) de la Loi, la Commission, après notification de la décision du comité d'appel, s'y conformera pour confirmer ou révoquer la nomination, ou pour procéder ou non à la nomination au cas où elle n'a pas été faite.

 

            En ce qui concerne la communication des documents, les paragraphes 24(1), (2) et (3) du Règlement prévoient ce qui suit :

 

24.(1)  L'appelant ou son représentant a accès, sur demande, à tout document qui contient des renseignements concernant l'appelant ou le candidat reçu qui sont susceptibles d'être communiqués au comité d'appel.

 

(2)  L'administrateur général compétent peut fournir, sur demande, une copie de tout document visé au paragraphe (1) à l'appelant ou à son représentant.

 

(3)  Dans le cas où l'administrateur général compétent refuse de fournir une copie d'un document, l'appelant ou son représentant peut demander que le comité d'appel ordonne la délivrance d'une copie du document à l'un ou à l'autre.

 

Ces dispositions représentent la règle générale de communication des documents dans le contexte des audiences du comité d'appel, mais ne disent rien des documents confidentiels.

 

            L'avocat du requérant cite diverses jurisprudences sur la confidentialité qui, à son avis, définissent les règles juridiques fondamentales à observer dans l'examen de la question de savoir ce qu'il faut faire de documents confidentiels.  Ces décisions portent au premier chef sur des affaires de propriété intellectuelle et des affaires mettant en jeu la Loi sur l'accès à l'information.  Dans certains domaines, le législateur a prévu les modalités de communication de documents confidentiels; voir par exemple la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, paragraphe 39(1); la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1, paragraphe 35(1); la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, article 48; la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, article 40.1, et la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, paragraphe 20(4).  En général, le législateur ne fixe pas les modalités par voie législative, et il incombe aux tribunaux administratifs et tribunaux judiciaires de définir les modalités de divulgation qui s'imposent.  Dans Hunter c. Canada, [1991] 3 C.F. 186 (C.A.), en page 205, le juge Décary, J.C.A., a fait l'observation suivante :

 

Lorsque le Parlement a jugé que les impératifs étatiques étaient tels qu'ils exigeaient l'exclusion de toute forme de mise en question ou l'imposition de sévères restrictions à l'accès aux renseignements confidentiels en litige, il n'a pas hésité à légiférer en ce sens.  Lorsque le Parlement a décidé d'imposer une «technique» particulière, il l'a fait.  Lorsque le Parlement a décidé que les tribunaux pouvaient choisir la «technique» qui leur apparaissait convenir le mieux, il l'a dit.

 

En l'espèce donc, il appartient au comité d'appel de décider des modalités de communication des documents confidentiels, sous réserve de la Loi et du Règlement, et il appartient à la Cour, saisie du recours en contrôle judiciaire, de juger s'il y a eu erreur de droit justifiant son intervention.

 

            Le comité d'appel a pour responsabilité de juger si des employés ont été nommés conformément au principe de la sélection au mérite.  Dans Charest c. Procureur général du Canada, [1973] C.F. 1217 (C.A.), le juge Pratte de la Cour d'appel fédérale a donné en page 1221 l'explication suivante de la nature de l'appel prévu à l'article 21 :

 

il est important de voir que c'est également dans le but d'assurer le principe de la sélection au mérite que l'article 21 accorde un droit d'appel aux candidats qui n'ont pas été reçus à un concours.  Lorsqu'un candidat exerce ce droit, il n'attaque pas la décision qui l'a déclaré non qualifié, il appelle, comme le dit l'article 21, de la nomination qui a été faite ou qui est sur le point d'être faite en conséquence du concours.  Si l'article 21 prévoit un droit d'appel, ce n'est donc pas pour protéger les droits de l'appelant, c'est pour empêcher qu'une nomination soit faite au mépris du principe de la sélection au mérite.

 

Bien qu'il expose les points litigieux en détail, l'avocat du requérant soutient lors des débats qu'essentiellement la question soumise à la Cour concerne la réconciliation du droit de se faire entendre et les impératifs de confidentialité.  En d'autres termes que le comité d'appel n'a pas appliqué les règles de droit de manière à réconcilier les droits et intérêts opposés des parties en matière de communication et le droit de se faire entendre, en particulier au sujet de la manière dont la validité et la fiabilité de l'EIBS peuvent être contestées.

 

            Les deux précédents relatifs à la communication de documents confidentiels devant la comité d'appel sont Hasan c. Procureur général du Canada, [1996] F.C.J. No. 491 (QL) et Barton et Watkins susmentionné.  Dans Hasan, l'appelant, qui n'était pas représenté, demandait que tous les documents pertinents lui soient communiqués personnellement.  Cette affaire portait sur des tests de simulation et non sur l'exercice in-basket de supervision.  Les tests de simulation sont la propriété de la Commission de la fonction publique, alors que l'EIBS est un test standardisé qui est la propriété, en l'espèce, de Revenu Canada.  L'avocat du requérant relève trois principales différences entre les exercices de simulation et les exercices in-basket : 1) les simulations sont notées par les membres du comité de sélection, alors que les exercices in-basket sont notés au siège central par des tiers qui ont une formation spéciale en la matière; 2) les exercices de simulation ne sont pas soumis à une grille de notation fixe, à l'opposé des exercices in-basket; et 3) les exercices de simulation sont notés sur la base d'épreuves écrites et orales, alors que les exercices in-basket sont exclusivement écrits.

 

            Dans Hasan susmentionné, le ministère s'opposait à la communication intégrale de certains documents par ce motif que pareille communication ne pouvait se faire qu'à un représentant en règle de l'appelant, selon la procédure habituelle adoptée par la Commission de la fonction publique en matière de divulgation du contenu des tests standardisés.  Le juge Richard a jugé, en page 7, que les droits des parties en matière de communication étaient fonction de l'interprétation de l'article 24 du Règlement.  La Cour a ordonné la communication de certains documents.

 

            Dans Barton et Watkins susmentionné, le juge Rothstein a fait en page 56 la constatation suivante au sujet de la confidentialité d'un EIBS :

 

                Dans l'action intentée devant moi, il n'y a pas eu, entre les avocats, contestation de l'importance du maintien de la confidentialité des renseignements en question.  Si les renseignements demandés étaient publiquement divulgués, un grave préjudice pourrait être causé à l'employeur à cause des frais nécessaires à la préparation et l'utilisation des tests normalisés.  En fait, l'avocat des requérants a déclaré qu'il importait à ceux-ci et à l'Alliance de la fonction publique du Canada que la sélection des fonctionnaires se fasse sur la base du mérite, et que l'efficacité et, par conséquent, la confidentialité de ces tests constituent un aspect important de cet objectif.

 

Il est aussi hors de doute que la procédure prévue à l'article 21 est une procédure contradictoire de par sa nature, malgré l'emploi du terme «enquête»; v. Wiebe c. Canada, [1992] 2 C.F. 592 (C.A.), et Barton et Watkins susmentionné, où le juge Rothstein l'a décrite en ces termes, en page 57 :

 

Dans de telles procédures contradictoires, les parties ont le droit de se faire représenter.  Cette représentation doit être effective en ce sens qu'un avocat ou un représentant doit avoir la possibilité de savoir quel témoignage sera rendu par les témoins qu'il citera.  Il doit avoir la possibilité d'examiner le témoignage du témoin expert, d'organiser la preuve, de s'assurer que les éléments de preuve sont cohérents, d'insister sur leurs meilleurs traits et de préparer le témoin au contre-interrogatoire.  Il s'agit là des fonctions normales d'avocat.  Sans avoir accès à tous les renseignements pertinents et, en particulier, à tous les renseignements confidentiels sur lesquels le témoignage d'expert reposerait et sur lesquels le témoin serait contre-interrogé, l'avocat ou le représentant ne saurait, de façon appropriée, s'acquitter de la tâche de persuader la cour ou le tribunal du bien-fondé de la cause du client.

 

            Les allégations faites devant le comité d'appel forment le cadre de sa décision en matière de confidentialité.  Les avocats de part et d'autre ne sont pas du même avis quant à la question de savoir si ces allégations portent uniquement sur la validité et la fiabilité de l'EIBS, ou si elles portent aussi spécifiquement sur certaines aptitudes des candidats.  Il ressort du dossier que si ces allégations contestent au premier chef la validité et la fiabilité de l'EIBS, elles visent aussi certaines références spécifiques aux aptitudes des candidats.

 

            Dans ses conclusions sur la confidentialité, le ministère soutient que si les documents EIBS ne sont pas protégés contre la divulgation publique dans un appel fondé sur l'article 21, Revenu Canada ne pourrait plus considérer ce test comme un instrument d'appréciation valide et perdrait ainsi beaucoup de temps et d'argent pour sa mise au point.  Il estime le coût de remplacement du test à 200 000 $, et soutient en conséquence que la protection de la confidentialité du test est une question d'intérêt public.

 

            Il est hors de doute qu'étant donné la nature contradictoire de la procédure, le comité d'appel doit trancher certaines questions, y compris les objections relatives à la confidentialité.  Il est bien établi qu'il doit jouir d'une certaine latitude dans la définition de ses propres pratique et procédure.  Une fois qu'il a jugé que les documents sont confidentiels, il doit décider si la communication en est requise, quels documents doivent être communiqués, et quelles conditions doivent s'attacher à la communication, y compris les mesures de protection nécessaires.  Les conditions de communication visent en l'espèce à réconcilier deux intérêts publics : celui que représente la communication intégrale de façon que les appelants et les intervenants puissent se faire pleinement entendre à l'appel, et celui que représente la protection de la confidentialité des documents de façon à en empêcher qu'ils ne perdent de leur utilité à l'occasion de tests futurs.

 

            Le comité d'appel a-t-il pris en considération et réconcilié les intérêts publics en jeu et y a-t-il répondu de façon à ne violer aucun principe de droit?  La réponse à cette question dépend en partie des fonctions du comité et de son expertise spéciale dans la question de savoir si les sélections ont été faites au mérite.  Une réconciliation judicieuse de ces intérêts en matière de communication prend en compte ses répercussions sur les droits de l'individu et sur l'intérêt qu'a le ministère à préserver les informations contenues dans l'EIBS.  Dans Wiebe c. Canada susmentionné, en pages 595 et 596, le juge Hugessen de la Cour d'appel fédérale s'est prononcé en ces termes :

 

                Manifestement, les tribunaux administratifs ne sont pas toujours tenus de suivre les mêmes règles que les cours.  Pour chaque tribunal, les exigences varieront selon la nature de l'enquête tenue, et elles dépendront de la question de savoir si et dans quelles mesure on peut considérer à bon droit la procédure comme contradictoire.  Dans le cas des comités d'appel établis en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique en général, et plus particulièrement dans les circonstances de l'espèce, je suis d'avis que le comité aurait dû concevoir son pouvoir discrétionnaire de la même façon qu'une cour.

 

                Bien qu'elle soit appelée «enquête», la procédure visée à l'article 21 est des plus contradictoire en nature puisque le requérant et l'employeur soutiennent des points de vue opposés et ils sont généralement représentés par des experts dans ce genre de litige spécialisé

 

                Il arrive fréquemment qu'une ou plusieurs autres parties soient également intéressées, particulièrement les candidats reçus ou les personnes dont le nom a été porté à la liste d'admissibilité.  Ils peuvent participer de plein droit [Schwartz c. R., [1982] 1 C.F. 386], et s'ils désirent témoigner, ils doivent se soumettre à un contre-interrogatoire [Sorobey c. Canada (Comité d'appel de la Commission de la fonction publique), [1987] 1 C.F. 219].  Les circonstances étant très semblables à celles d'un procès, le comité d'appel devrait tenir compte des mêmes facteurs lorsqu'il envisage l'exclusion des témoins.

 

            Le comité d'abord a fait un choix délibéré pour ce qui est de la procédure à appliquer à la communication des documents EIBS.  À mon avis et à la lumière de la jurisprudence citée supra, le comité d'appel n'a pas commis une erreur en décidant que les appelants avaient indiscutablement le droit d'être présents à l'audition de leur propre appel.  Il n'a pas commis une erreur non plus en décidant que les candidats reçus avaient également le droit d'être présents.  Il est clair que le comité d'appel a noté à bon droit que cet appel est de nature quasi judiciaire et que, de ce fait, il est soumis aux règles de justice naturelle; v. Blagdon c. Commission de la fonction publique, [1976] 1 C.F. 615 (C.A.).  Il a effectivement pris en considération la question des intérêts publics en jeu, y compris le coût de mise au point du test et la nécessité de prévenir l'accès indu aux éléments confidentiels de ce test, accès indu qui en compromettrait l'usage continu.  Le comité d'appel a fait la constatation suivante en page 34 de sa décision :

 

[TRADUCTION]

Il ne s'agit pas de protéger cet exercice contre les contestations, mais contre la divulgation inutile.

 

Je conviens avec l'avocat des intimés que le comité d'appel a imposé diverses garanties procédurales en vue de protéger la confidentialité de l'EIBS, tout en préservant le droit des intimés et des intervenants de se faire pleinement entendre.  Sauf erreur de droit ou application d'un mauvais principe, il appartient au comité de définir les modalités de communication.

 

            Le requérant invoque certaines jurisprudences pour soutenir que les tribunaux judiciaires ont de la confidentialité la même conception que celle qu'il fait valoir en l'espèce.  Je n'accepte cependant pas l'argument que les jurisprudences citées font que le comité d'appel n'a d'autre choix que d'adopter les mêmes procédures.  Les dispositions de l'ordonnance de confidentialité varient selon le cas d'espèce; elles sont subordonnées aux points litigieux et au régime légal considérés par l'autorité juridictionnelle.  Après examen des ordonnances et décisions citées par le requérant, je ne suis pas convaincu que le comité d'appel ait commis une erreur de droit ou de principe.

 

            L'avocat du requérant soutient que le comité d'appel a imposé des garanties qui ne sont pas exécutables.  Il se peut qu'il ait raison, mais cela ne signifie pas qu'il y ait eu erreur de droit.  L'absecnce d'un pouvoir de faire respecter les conditions de divulgation est une question qui concerne l'exécutif et le législatif; elle n'est pas une raison pour annuler la décision du comité d'appel.

 

            Je conclus donc que le comité d'appel n'a commis aucune erreur de droit dans sa décision relative aux demandes de maintien de la confidentialité de l'EIBS.  Je rejette l'allégation faite par le requérant que le comité a conclu que le droit de se faire entendre est absolu.  Il ressort d'un examen de la décision dans son ensemble que le comité d'appel a pleinement conscience des intérêts contradictoires en présence.  Il a limité l'accès aux documents confidentiels de façon à assurer une participation concrète tout en consacrant la nécessité d'en préserver, autant que faire se peut, la confidentialité.  En conséquence, la demande sera rejetée.

 

            L'avocat du requérant a également demandé l'autorisation de modifier l'avis de requête introductive d'instance afin de modifier le chef de demande.  Cette requête sera accueillie.

 

            Les deux parties ont conjointement demandé qu'il soit sursis à mon ordonnance pour donner à «l'une ou l'autre partie la possibilité d'en faire appel».  Durant les débats, l'avocat du requérant a fait savoir qu'il demanderait, au besoin, la jonction de l'affaire en instance avec la décision Hasan, susmentionnée, en Cour d'appel.  Les parties ont 30 jours pour décider si elles veulent interjeter appel de la présente décision.  La requête en sursis ne sera donc pas accueillie pour le moment.

 

                                                                                                                   Signé : J. Wetston           

                                                                                ________________________________

                                                                                                                                         Juge                    

 

Ottawa (Ontario),

le 9 octobre 1996

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                ________________________________

                                                                                                                       F. Blais, LL. L.            


 

 

                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                           SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                           AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

NUMÉRO DU GREFFE :   T-2545-95

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :         Le procureur général du Canada

 

                                                            c.

 

Gregory Thompson, Lori O'Connor, Janet de Kergommeaux, Michel Laroche et Kim Wicker

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE : 18 septembre 1996

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE WETSTON

 

 

LE :                                                    9 octobre 1996

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

 

M. Dogan Akman                                           pour le requérant

 

 

M. James Cameron                                          pour l'intimé

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

George Thomson                                             pour le requérant

Sous-procureur général du Canada

 

 

Raven, Jewitt & Allen                                    pour l'intimé

Ottawa (Ontario)

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