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Date : 19990317


Dossier : IMM-3796-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 17 MARS 1999

DEVANT : LE JUGE LUTFY

ENTRE


FARSHID RAZM,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire ayant été entendue à Vancouver (Colombie-Britannique) le 1er mars 1999;

     CETTE COUR ORDONNE :

     Que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l"affaire soit renvoyée pour nouvelle audition devant une formation différente. Ni l"une ni l"autre partie n"a proposé la certification d"une question grave.

                     Allan Lutfy

                                         J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


Date : 19990317


Dossier : IMM-3796-98

ENTRE


FARSHID RAZM,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

[1]      Le demandeur est un ressortissant iranien qui affirme s"être converti de l"islamisme au zoroastrisme, soit une infraction passible de mort en Iran. Lorsqu"il est arrivé au Canada, le demandeur a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention parce qu"il était persécuté du fait de sa religion. La section du statut de réfugié ne croyait pas que le demandeur était devenu zoroastrien; elle a rejeté la revendication. Le demandeur conteste cette décision. La seconde des deux bandes utilisées pour enregistrer l"audience qui a eu lieu devant le tribunal a été égarée. L"une des principales questions soulevées par le demandeur est de savoir si les règles de justice naturelle exigent la tenue d"une nouvelle audience en l"absence d"une transcription complète.

[2]      Il est reconnu, et de fait il est maintenant de droit constant, que la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d"un témoignage1. Étant donné que les motifs de la décision qu"elle a rendue au sujet de la crédibilité doivent être énoncés en des termes clairs et explicites2, cette cour n"interviendra que dans des circonstances exceptionnelles.

[3]      Les avocats des parties ont examiné la jurisprudence pertinente concernant les conséquences d"un dossier incomplet, lorsque la loi n"exige pas qu"une transcription de l"audience soit effectuée. Dans l"arrêt Kandiah c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration3, le juge Pratte a conclu que l"absence de transcription, causée par le mauvais fonctionnement d"un enregistreur pendant une audience relative au statut de réfugié, n"équivalait pas à une omission d"observer un principe de justice naturelle. En faisant remarquer que la décision de la SSR peut faire l"objet d"un contrôle judiciaire, le juge Pratte a ajouté ce qui suit :

         Toutefois, un droit réel de révision peut exister sans que les procédures aient été transcrites ou enregistrées. En l"absence de transcription, l"appelant peut établir par d"autres moyens ce qui s"est produit à l"audition. Cela est particulièrement vrai dans le cas des auditions devant la section du statut de réfugié où le requérant est toujours présent et, dans la plupart des cas, est le seul témoin qui est entendu4.         

Dans l"arrêt Kandiah , la formation a décidé de ne pas suivre une décision contraire que la Cour d"appel avait rendue dans l"affaire Tung c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration)5; elle a préféré se fonder sur des arrêts antérieurs de la Cour. Dans l"arrêt Tung , le juge Stone a fait remarquer que " [...] l"absence d"un compte rendu complet et mot pour mot des débats a porté préjudice à l"appelant dans cet appel et [...] il y a eu ainsi déni de justice naturelle à son endroit ".

[4]      Ces arrêts contradictoires ont récemment été examinés par la Cour suprême du Canada dans l"affaire Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville)6. En concluant que la décision rendue dans l"affaire Kandiah se rapprochait davantage de l"interprétation traditionnelle, Madame le juge L"Heureux-Dubé a résumé ce qu"elle croyait comprendre de cet arrêt et a énoncé les principes à appliquer lorsque le dossier d"audience du tribunal administratif est incomplet :

         Dans l"arrêt Kandiah , la Cour d"appel fédérale a reconnu la préoccupation sous-tendant l"arrêt Tung , à savoir qu"un requérant puisse être dépouillé de ses moyens de révision ou d"appel dans le cas où il n"existe pas de transcription des délibérations de l"audition en litige. Cependant, la cour a statué que si la décision que la cour devait rendre pouvait être rendue sur la foi d"autres éléments de preuve, les principes de justice naturelle ne seraient pas enfreints.         
         [...]         
         En l"absence d"un droit à un enregistrement expressément reconnu par la loi, les cours de justice doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande d"appel ou de révision. Si c"est le cas, l"absence d"une transcription ne violera pas les règles de justice naturelle. Cependant, lorsque la loi exige un enregistrement, la justice naturelle peut nécessiter la production d"une transcription.         
         [...]         
         [...] en l"absence d"un droit à l"enregistrement d"une audition accordé par la loi, les droits que possède une partie eu égard à la justice naturelle ne seront violés que si la cour a un dossier inadéquat qui ne lui permet pas de fonder sa décision7.         

[5]      En l"espèce, le tribunal a fondé sur plusieurs motifs sa conclusion défavorable en ce qui concerne la crédibilité de l"allégation du demandeur selon laquelle il s"était converti de l"islamisme au zoroastrisme. Premièrement, le tribunal ne croyait pas que quelqu"un qui alléguait avoir été persécuté par suite de sa conversion [TRADUCTION] " [...] ne communiquerait pas avec la collectivité zoroastrienne une fois arrivé à Vancouver ". Pourtant, le demandeur a témoigné avoir assisté à des séances [TRADUCTION] " un certain nombre de fois " avec un représentant ou un membre de la collectivité zoroastrienne de Vancouver8. De même, la conclusion du tribunal selon laquelle le demandeur [TRADUCTION] " ne connaissait pas les noms des dirigeants et des représentants de la collectivité zoroastrienne en Iran ou au Canada " ne tient pas compte, en l"absence de quelque autre explication, du fait qu"il a désigné dans son témoignage un ancien de la collectivité zoroastrienne à Téhéran9. Il a également désigné un représentant de la collectivité à Vancouver. Il est difficile de comprendre pourquoi le tribunal n"a pas retenu ce témoignage dans lequel le demandeur désigne des représentants, sinon des dirigeants, de la collectivité zoroastrienne. Le tribunal a en outre commis une erreur en disant que le demandeur [TRADUCTION] " ne connaissait pas le temple zoroastrien bien connu, à Yazd ". En fait, on a demandé au demandeur s"il savait où était situé [TRADUCTION] " un temple [...] Jameh-e-kabir " qui, selon la preuve documentaire, est une mosquée islamique et non un temple zoroastrien10.

[6]      Ni la Loi sur l"immigration11 ni les Règles de la section du statut de réfugié12 n"exigent que l"audience soit enregistrée. Toutefois, comme cela semble être la pratique commune en ce qui concerne les audiences de la section du statut, ce tribunal a décidé de faire enregistrer l"audience. La transcription partielle à elle seule révèle que le tribunal a tiré trois conclusions apparemment non motivées. Il importe peu que le demandeur n"ait pas fourni un affidavit plus complet au sujet du témoignage qui était enregistré sur la bande manquante compte tenu des divergences importantes entre les motifs de la décision et la partie de la transcription dont nous disposons. Ces divergences pourraient bien constituer une raison suffisante pour infirmer la décision, en particulier s"il était possible d"avoir la transcription complète pour examen. En l"espèce, il n"est pas possible d"effectuer un contrôle judiciaire valable à l"aide de la transcription partielle, qui révèle que des erreurs sérieuses ont peut-être été commises. Ce dossier incomplet ne me permet pas, comme l"a dit Madame le juge L"Heureux-Dubé dans l"arrêt SCFP13, " de statuer convenablement sur la demande d"appel " à l"égard des questions de fond. Cela étant, je n"ai pas à examiner les autres motifs invoqués par le demandeur.

[7]      Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l"affaire sera renvoyée pour nouvelle audition devant une formation différente. Ni l"une ni l "autre partie n"a proposé la certification d"une question grave.

                     Allan Lutfy

                                         J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 17 mars 1999

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :              IMM-3796-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      FARSHID RAZM
                     c.
                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION
LIEU DE L"AUDIENCE :          VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
DATE DE L"AUDIENCE :          LE 1er MARS 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DU JUGE LUTFY EN DATE DU 17 MARS 1999.

ONT COMPARU :

Lee Rankin                  pour le demandeur

Kim Shane                  pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rankin et associés              pour le demandeur

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg              pour le défendeur

Sous-procureur général

du Canada

__________________

1      Aguebor c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

2      Hilo c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.).

3      (1992), 141 N.R. 232, 6 Admin. L.R. (2d) 42 (C.A.F.).

4      Ibid. à la p. 235.

5      (1991), 124 N.R. 388 (C.A.F.).

6      [1997] 1 R.C.S. 793.

7      Ibid. aux paragraphes 76, 81 et 83.

8      Dossier du tribunal, p. 27 et 36.

9      Dossier du tribunal, p. 26.

10      Dossier du tribunal, p. 28, 29 et 202.

11      L.R.C. (1985), ch. I-2.

12      DORS/93-45.

13      Supra, note 6 au paragraphe 3.

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