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Date : 19981007


Dossier : T-595-98

ENTRE :          AVIATION QUÉBEC LABRADOR LTÉE,

     Demanderesse

ET:              MINISTRE des TRANSPORTS,

     Défendeur

     MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT:

[1]      En l'instance, la demanderesse s'est vu privée par le ministre de certaines spécifications que contenait son certificat d'exploitation émis en vertu de la Loi sur l'aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2 (la loi). Sa requête en révision auprès du Tribunal de l'aviation civile a été rejetée, de même que son appel auprès du comité d'appel. Elle demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

[2]      Il importe de résumer les faits, d'ailleurs non contestés. Avant le 12 décembre 1996, la demanderesse, une entreprise de transport aérien, était détentrice du certificat d'exploitation numéro 5791. Ce certificat comportait, entre autres, des spécifications d'exploitation (numéros 3, 4, et 120) qui lui permettaient de déroger à l'article 24 et au paragraphe 39(3) de l'Ordonnance sur la navigation aérienne (O.N.A.) série VII no.3, adoptée en mars 1973. Or, le 12 décembre 1996, le ministre des Transports du Canada avisait la demanderesse qu'il annulait, en totalité, le certificat d'exploitation No 5791 au motif que celui-ci ne répondait plus aux conditions de délivrance. Le ministre expliqua ainsi sa décision: " le Règlement de l'air et les Ordonnances sur la navigation aérienne ont été abrogés le 10 octobre 1996." Le nouveau certificat d'exploitation que le ministre a émis à la demanderesse ne comporte pas les spécifications d'exploitation numéros 3 et 120; ces avantages sont complètement disparus1. Il contient, cependant, la spécification d'exploitation No 11 qui permet de déroger à l'article 703.86 du nouveau Règlement de l'aviation canadien, adopté_en octobre 1996, lequel correspond essentiellement à l'ancien paragraphe 39(3) de l'O.N.A. série VII No.3 et à la spécification d'exploitation No 4. De cette façon, la demanderesse peut continuer à faire voler un avion ayant des passagers à bord "sans pilote commandant en second", comme elle le faisait déjà grâce à la spécification No 4 qui fut annulée en décembre 1996.

[3]      Les principaux arguments soulevés par la demanderesse tiennent au rôle joué par le ministre dans le cadre de la Loi sur l'aéronautique.

[4]      La demanderesse soumet d'abord que le tribunal a commis une erreur de droit en situant l'octroi des spécifications d'exploitation par le ministre à l'intérieur du cadre réglementaire. Elle prétend en effet que ce n'est pas en vertu du règlement que le ministre détenait le pouvoir d'accorder au détenteur d'un certificat d'exploitation la permission de déroger, à certaines conditions, aux textes réglementaires mais en vertu du paragraphe 5.9(2) de la loi2. Or, plaide-t-elle, si l'Ordonnance sur la navigation aérienne en vertu de laquelle son certificat d'exploitation comportaient des spécifications d'exploitation a été abrogée, le paragraphe 5.9(2) de la loi, lui, ne l'a pas été.

[5]      J'estime que cet argument soulevé par la demanderesse résulte d'une mauvaise lecture de la loi et des textes réglementaires et qu'il ne peut résister à l'analyse des textes.

[6]      Il ne fait pas de doute, à la lecture des spécifications d'exploitation numéros 3, 4 et 120 de la demanderesse3, qu'elles lui ont été délivrées en vertu de l'article 3 de l'O.N.A. série VII, no.34. Cette ordonnance, rendue par le ministre des Transports le 16 mars 1973, c'est la Loi sur l'aéronautique en vigueur à l'époque5 et le Règlement de l'air, DORS 61-106 adopté par le gouverneur en conseil qui l'autorisaient à la rendre. Par ailleurs, c'est l'article 7 de la même ordonnance qui autorise le ministre à délivrer, à un demandeur qui satisfait à toutes les conditions qui en régissent la délivrance, un certificat d'exploitation numéroté attestant que le transporteur aérien se conforme "... aux dispositions du Règlement de l'air, des Ordonnances sur la navigation aérienne, et aux spécifications d'exploitation constituant une partie intégrante du certificat". Quant à l'article 8, il énumère ce que doit porter le certificat.

[7]      Bref, l'autorité d'émettre des spécifications d'exploitation découle d'un règlement adopté par le gouverneur en conseil et non pas, comme le plaide la demanderesse, en vertu du pouvoir ministériel prévu au paragraphe 5.9(2) de la loi.

[8]      La demanderesse plaide aussi que le ministre ne pouvait, comme il l'a fait, annuler son certificat d'exploitation et ainsi révoquer les privilèges qui lui avaient été accordés qu'en démontrant qu'il était dans l'intérêt public de le faire, aux termes du paragraphe 7.1(1) de la loi. Dans la mesure où le ministre n'a pas fait cette démonstration, plaide la demanderesse, il a outrepassé ses pouvoirs, se contentant d'énoncer dans l'avis d'annulation que le certificat d'exploitation ne répondait plus aux conditions de délivrance vu l'abrogation du Règlement de l'air et les Ordonnances sur la navigation aérienne en date du 10 octobre 1996. La demanderesse soutient donc que le tribunal a commis une erreur en permettant au ministre d'annuler un document d'aviation canadien sans qu'il n'ait fait la preuve de l'existence d'un des motifs prévus au paragraphe 7.1(1) de la loi.

[9]      Cet argument ne résiste pas davantage à l'analyse du texte du paragraphe 7.1(1).

[10]      Il importe de reproduire le texte de l'article 7.1 de la loi, tant dans sa version française qu'anglaise:


7.1      (1) Where the Minister decides

(a) to suspend, cancel or refuse to renew a Canadian aviation document on medical grounds,

(b) to suspend or cancel a Canadian aviation document on the grounds that the holder of the document is incompetent or the holder or any aircraft, airport or other facility in respect of which the document was issued ceases to have the qualifications necessary for the issuance of the document or to meet or comply with the conditions subject to which the document was issued, or

(c) to suspend or cancel a Canadian aviation document because the Minister is of the opinion that the public interest and, in particular, the record in relation to aviation of the holder of the Canadian aviation document or of any principal of the holder, as defined in regulations made under subsection 6.71(2), warrant it,

the Minister shall, by personal service or by registered mail sent to the holder or to the owner or operator of the aircraft, airport or facility, as the case may be, at the lates known address of the holder, owner or operator, notify the holder, owner or operator of the Minister's decision.

7.1      (1) Lorsque le ministre décide soit de suspendre, d'annuler ou de ne pas renouveler un document d'aviation canadien pour des raisons médicales, soit de suspendre ou d'annuler un document parce que le titulaire du document est inapte ou que le titulaire ou l'aéronef, l'aéroport ou autre installation que vise le document ne répond plus aux conditions de délivrance ou de maintien en état de validité du document, soit encore de suspendre ou d'annuler un document du titulaire ou de la personne morale dont celui-ci est un dirigeant - au sens du règlement pris en application du paragraphe 6.71(2) -, s'il estime que l'intérêt public, et notamment les antécédents aériens du titulaire ou de tel de ses dirigeants, le requiert, il expédie un avis de la mesure par signification à personne ou par courrier recommandé à la dernière adresse connue du titulaire ou du propriétaire, exploitant ou utilisateur en cause.


     (2) A notice under subsection (1) shall be in such form as the Governor in Council may by regulation prescribe and shall, in addition to any other information that may be so prescribed,

(a) indicate, as the case requires.

     (i) the medical grounds on which the decision of the Minister is based,
     (ii) the nature of the incompetence of the holder of the Canadian aviation document that the Minister believes exists, the qualifications necessary for the issuance of the document that the Minister believes the holder of the document or the aircraft, airport or facility in respect of which the document was issued ceases to have or the conditions subject to which the document was issued that the Minister believes are no longer being met or complied with, or
     (iii) the elements of public interest on which the decision of the Minister is based; and

(b) state the date, being thirty days after the notice is served or sent, on or before which and the address at which a request for a review of the decision of the Minister is to be filed in the event the holder of the document or the owner or operator concerned wishes to have the decision reviewed.

     (2) L'avis est établi en la forme que peut fixer le gouverneur en conseil par règlement. Y sont en outre indiqués:

(a) soit la raison médicale ou fondée sur l'intérêt public à l'origine, selon le ministre, de la mesure, soit la nature de l'inaptitude, soit encore les conditions - de délivrance ou maintien en état de validité - auxquelles, selon le ministre, le titulaire ou l'aéronef, l'aéroport ou autre installation ne répond plus;

(b) le lieu et la date limite, à savoir trente jours après l'expédition ou la signification de l'avis, du dépôt d'une éventuelle requêteen révision.



[11]      Il faut remarquer qu'en l'espèce, le ministre n'a pas annulé le certificat de la demanderesse parce que l'intérêt public et les antécédents aériens du titulaire le requéraient (paragraphe 7.1(1)c) du texte anglais) mais parce qu'il ne répondait plus aux conditions de délivrance du document (paragraphe 7.1(1)b) du texte anglais). En ce sens, la demanderesse a tort de reprocher au tribunal de l'aviation civile d'avoir entériné l'annulation de son certificat alors que le ministre n'avait pas fait la preuve que l'intérêt public et notamment les antécédents aériens du titulaire le requéraient.

[12]      Mais, dans le cadre de ce même argument, la demanderesse reproche aussi au tribunal de l'aviation civile et au comité d'appel d'avoir négligé de tenir compte que le ministre n'avait pas respecté les exigences du paragraphe 7.1(2) de la loi à savoir indiquer les conditions de délivrance auxquelles, selon lui, le titulaire ne répond plus. À cet égard, j'estime que la demanderesse a raison.

[13]      En effet, aux termes du paragraphe 7.1(1) de la loi, lorsque le ministre décide d'annuler ou de ne pas renouveler un document d'aviation canadien, entre autres parce que le titulaire de ce document ne répond plus aux conditions de délivrance de celui-ci, le législateur lui impose l'obligation d'en aviser le titulaire. Il importe de préciser qu'un "document d'aviation canadien", tel que défini par la loi, comprend "tout document - permis, licence... certificat ou autre - délivré par le ministre..." (art.3). L'article 6.6 précise de plus que: "Pour l'application des articles 6.7 à 7.2, est assimilé à un document d'aviation canadien tout avantage qu'il octroie". Il faut en déduire qu'en l'espèce, les spécifications d'exploitation font partie du certificat, celui-ci constituant un document d'aviation canadien.

[14]      Or, il appert que le législateur a voulu accorder une protection supplémentaire aux détenteurs de tels certificats en cas de changements, entre autres, aux conditions de délivrance d'un document d'aviation canadien. En pareille situation, le législateur oblige le ministre à préciser, dans l'avis qu'il doit envoyer au titulaire d'un certificat, auxquelles conditions celui-ci ne répond plus. J'estime qu'en l'espèce, il n'était pas suffisant pour le ministre d'indiquer dans l'avis d'annulation7 que "le Règlement de l'air et les Ordonnances sur la navigation aérienne ont été abrogés le 10 octobre 1996". Il se devait de préciser en quoi le titulaire, détenteur du certificat d'exploitation comprenant entre autres les spécifications d'exploitation numéros 3, 4 et 120, ne répondait plus aux conditions de délivrance du Règlement de l'aviation canadien entré en vigueur en octobre 1996.

[15]      La demande de contrôle judiciaire doit donc être accueillie. Vu les circonstances, il n'est pas nécessaire que la Cour se prononce sur la question des droits acquis soulevée par la demanderesse.

     O R D O N N A N C E

La Cour :

     -      accueille la demande de contrôle judiciaire;
     -      annule la décision rendue par le comité d'appel du Tribunal de l'aviation civile le 11 mars 1998;
     -      renvoie le dossier au Tribunal de l'aviation civile et lui ordonne de reconsidérer sa décision en tenant compte de l'obligation du ministre d'indiquer, aux termes du paragraphe 7.1(2)a) de la Loi sur l'aéronautique, les conditions de délivrance auxquelles, selon le ministre, la demanderesse ne répond plus.

     J.C.F.C.

__________________

1      La spécification d'exploitation No 120 autorisait le commencement des vols (décollage) lorsque la visibilité signalée est égale ou supérieure à RVR 1200 pieds, sans égard au plafond, sous réserve de certaines contraintes opérationnelles, en dérogation à l'article 24 de l'O.N.A. série VII No 3.

2      5.9(1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement et aux conditions prévues, soustraire toute personne, tout aéronef, aérodrome ou service, ou toute installation à l'application des textes d'application de la présente partie.      (2) Le ministre peut, aux conditions qu'il juge à propos procéder à une telle exemption s'il estime qu'il est dans l'intérêt public de le faire et que la sécurité aérienne ne risque pas d'être compromise.

3      Ces spécifications d'exploitation ont été accordées respectivement le 17 juillet 1991, le 16 octobre 1992 et le 15 octobre 1993. On les retrouve aux pages 25, 26 et 31 du dossier de la demanderesse.

4      3. Sauf autorisation contraire contenue dans les spécifications d'exploitation , un transporteur aérien devra exploiter un avion petit porteur affecté à quelque opération de transport que ce soit en conformité des dispositions de la présente ordonnance

5      S.R.C. 1970, ch.A-3,      art. 6.(1). Sous réserve de l'approbation du gouverneur en conseil, le ministre peut établir des règlements pour contrôler et régler la navigation aérienne au Canada...
     art. 6.(2). Tout règlement édicté en vertu du paragraphe (1) peut autoriser le ministre à établir des ordonnances ou des directives concernant les métiers tombant sous le présent article, ainsi que des règlements peuvent le prescrire.                  ...      La substance de ces articles se retrouve maintenant au paragraphe 4.3(2) de la Loi:      Délégation ministérielle      4.3(1)...          Arrêtés ministériels      4.3(2).Le ministre peut, lorsque le gouverneur en conseil l'y autorise par règlement, prendre des arrêtés en toute matière que ce dernier peut régir par règlement au titre de la présente partie,     

6      L'article 702 de ce règlement, devenu l'article 703 lors de la codification de 1978, s'énonçait ainsi:          702. Sous réserve du présent règlement, nul n'exploitera un service aérien commercial si ce n'est en conformité des normes prescrites par le ministre pour l'exploitation sûre et convenable du service en cause. (Dossier du défendeur, p. 42 à 45).

7      Dossier de la demanderesse p. 42.

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