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                                                   IMM-714-96

 

 

OTTAWA (Ontario), le 31 janvier 1997

 

 

EN PRÉSENCE DE : Monsieur le juge MacKay

 

ENTRE

 

               PEDRO BENJAMIN ORELLANO MANCIA,

 

                                                   requérant,

 

                             et

 

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                      intimé.

 

 

 

          VU la demande de contrôle judiciaire, de jugement déclaratoire et d'ordonnance portant annulation de la décision, en date du 8 février 1996, dans laquelle la section de la révision des revendications refusées du Centre d'immigration Canada de Vancouver a conclu que le requérant ne faisait pas partie de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada, prévue dans le Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, modifié;

 

          APRÈS avoir entendu l'avocat du requérant et celui du ministre intimé à Vancouver, le 13 août 1996, date à laquelle le prononcé de la décision a été remis à plus tard et la possibilité de soumettre d'autres observations écrites après l'audition a été donnée;

          APRÈS examen des observations faites à l'audition et des observations écrites présentées par les avocats par la suite;

 

                         ORDONNANCE

 

 

          IL EST ORDONNÉ :

          1. que la demande soit rejetée.

2. que la question suivante soit certifiée en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée :

 

     Un agent d'immigration qui procède à un examen en conformité avec les règles concernant la CDNRSRC contrevient-il au principe d'équité énoncé par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Shah lorsqu'il ne divulgue pas, avant de trancher l'affaire, les documents invoqués provenant de sources publiques relativement aux conditions générales en vigueur dans un pays?

 

 

 

 

                                          W. ANDREW MacKAY   

                                                JUGE

 

 

Traduction certifiée conforme                          

                                 Tan Trinh-viet


 

 

 

 

 

                                                   IMM-714-96

 

 

ENTRE

 

               PEDRO BENJAMIN ORELLANO MANCIA,

 

                                                   requérant,

 

                             et

 

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                      intimé.

 

 

 

 

                   MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

 

LE JUGE MacKAY

 

 

 

          La présente demande de contrôle judiciaire tend à l'obtention d'une ordonnance qui annulerait la décision, en date du 8 février 1996, de la section de la révision des revendications refusées du ministère de l'intimé à Vancouver selon laquelle le requérant ne fait pas partie de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC).  En conséquence, puisque la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention présentée par le requérant avait auparavant été rejetée, et qu'il n'existe aucun autre motif apparent justifiant sa prétention qu'il est en droit de demeurer au Canada, le requérant peut être obligé de quitter le Canada à l'initiative du ministre.

 

          Le requérant, citoyen salvadorien, est arrivé au Canada le 24 avril 1992, et il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.  Lorsque sa revendication a été examinée par la section du statut de réfugié, il a été conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.  Il prétendait craindre d'être persécuté au Salvador, en partie par d'anciens membres du FMLN, jadis une force révolutionnaire à laquelle il appartenait, mais qui est maintenant un parti politique appuyant l'établissement d'un gouvernement démocratique au pays.  Il prétendait également qu'il craignait d'être persécuté par l'armée à laquelle, selon lui, son nom d'ancien membre du FMLN aurait été communiqué.


 

          La décision selon laquelle le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention a été prise le 4 mai 1993.  En août 1995, le requérant a été avisé par lettre qu'il pouvait être considéré comme membre de la CDNRSRC, établie par règlement, et qu'il pouvait présenter des observations relativement à son inclusion possible dans cette catégorie.  La lettre disait notamment :

 

[TRADUCTION] ...Cette catégorie est limitée aux personnes qui s'exposeraient personnellement à un risque objectivement identifiable, savoir une menace pour leur vie, des sanctions excessives ou un traitement inhumain, si elles étaient obligées de quitter le Canada.

 

Vous pouvez, si vous le désirez, utiliser le formulaire ci-joint) (IMM 5319) pour présenter les observations qui, selon vous, se rapportent à la nature et à l'importance du risque auquel vous vous exposeriez dans le pays dans lequel vous pouvez être renvoyé...

 

 

 

          Le requérant a rempli et envoyé le formulaire accompagné d'une déclaration écrite, de 11 documents ou publications concernant la situation du Salvador, à titre de ses observations pour l'examen de sa demande d'inclusion dans la catégorie des DNRSRC.  Ces observations étaient datées du 11 septembre 1995 et ont été présentées à la section de la révision des revendications refusées au bureau de Vancouver, accompagnées d'une copie du formulaire de renseignements personnels et de la décision de la section du statut de réfugié rendue auparavant relativement à sa revendication du statut de réfugié.

 

          Par lettre datée du 8 février 1996, le requérant a été informé que, par suite de la révision de la revendication refusée, faite conformément au Règlement sur l'immigration pour déterminer le risque, s'il en était, qu'il courrait s'il était renvoyé au Salvador, il a été conclu qu'il ne faisait pas partie de la catégorie des DNRSRC.  Les motifs de cette décision sont donnés dans un document de trois pages intitulé [TRADUCTION] «Dossier de décision de l'ACRRR», dont une copie a été envoyée au requérant avec la lettre du 8 février 1996.  C'est cette décision que la présente demande cherche à faire annuler.

 

Les points litigieux

 

          Le requérant prétend que la décision de l'agent chargé de la révision des revendications refusées (l'ACRRR) soulève trois points généraux.

 

          Le premier point porte sur la preuve documentaire invoquée par l'ACRRR et sa divulgation.  La preuve documentaire est de deux types.  Pour ce qui est du premier type, il s'agit d'articles et d'information publiés sur la situation générale au Salvador, invoqués par l'ACRRR, qui n'ont fait l'objet d'aucune divulgation ou identification pour le requérant avant la décision, y compris quelques documents publiés après que le requérant eut présenté ses observations.  Le second type d'information se compose de documents fournis aux ACRRR par un projet de guide et des documents de formation comprenant le renvoi à la méthodologie ou aux lignes directrices pour l'évaluation du risque, comme l'exige la définition de personnes ayant la qualité de membre de la CDNRSRC.  L'avocat du requérant n'avait pas vu ces derniers documents, qui ne faisaient pas partie du dossier dont disposait la Cour lors de l'audition de l'espèce.  L'avocat de l'intimé a reçu l'instruction de fournir ces documents à l'avocat du requérant, et la possibilité a été donnée de présenter d'autres observations écrites sur cet aspect de la question générale de la divulgation.  Celles-ci ont été reçues à la suite de l'audition.

 

          La seconde question générale a trait à l'interprétation par l'ACRRR de la définition de la catégorie des DNRSRC sous le régime du Règlement, en particulier l'interprétation des sources de risques pour le requérant s'il devait être renvoyé au Salvador.

 

          La troisième question générale concerne le traitement par l'ACRRR des éléments de preuve présentés par le requérant, en particulier par rapport à sa préoccupation quant aux graves risques pour sa sécurité dans l'éventualité de son retour au Salvador, éléments de preuve qui, selon le requérant, ont été méconnus ou abordés de façon arbitraire par l'ACRRR.

 

          J'aborderai tour à tour chacune de ces questions générales.

 

Preuve documentaire invoquée par l'ACRRR et sa divulgation

 

          Dans le dossier de décision de l'ACRRR exposant le fondement de la décision selon laquelle le requérant ne faisait pas partie de la catégorie des DNRSRC, la preuve documentaire ou les rapports consultés par l'ACRRR, qui comprenaient des documents relatifs à la situation prévalant au Salvador, sont énumérés en détail, y compris le renvoi aux observations du requérant et de son avocat.

 

          Le requérant prétend que les citations données pour certains des documents énumérés consultés par l'ACRRR étaient obscures et ne pouvaient être facilement identifiées.  Il est en particulier fait mention de «CA Reports», d'«IPS reports», d'«AFP» et d'«Indexed Media Review Binders on El Salvador Jan-Sept/95».  Bien que le requérant note que le dossier de décision dit particulièrement que la [TRADUCTION] «décision repose sur des renseignements récents tirés d'une variété de sources publiques», il est allégué que les documents mentionnés sont d'une nature spéciale, ne constituent pas des rapports habituels sur la situation du pays d'origine et que, de plus, ils ont été cités au moyen d'obscures références que le public ne peut comprendre.  Il est allégué qu'ils relèvent de la catégorie de la [TRADUCTION] «preuve extrinsèque», dont on aurait dû aviser le requérant et  lui donner la possibilité de discuter, comme l'a dit le juge Rothstein dans l'affaire Nadarajah c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, non publié, Imm-3384-95, 14 mai 1996 (C.F.1re inst.), au paragraphe 7 où il a dit notamment :

 

En général, une preuve extrinsèque est une preuve dont les requérants n'ont pas connaissance parce qu'elle vient d'une source externe... En ce qui concerne l'information relative à la situation qui a cours dans un pays, si l'information utilisée par l'agent des revendications refusées est une information à laquelle les requérants n'auraient pu avoir accès, et si cette information est essentielle pour la décision qui est prise, alors je crois qu'il pourrait bien s'agir d'une preuve extrinsèque.

 

 

 

          Je note que, dans l'affaire Nadarajah, le juge Rothstein a considéré la preuve documentaire en question dans cette affaire comme provenant de sources dont disposait le public, et qu'il a fait état de la décision rendue par le juge Rouleau dans l'affaire Quintanilla c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, non publiée, IMM-1390-95, 22 janvier 1996 (C.F.1re inst.).  Dans cette dernière affaire, où la preuve documentaire de la situation du pays d'origine examinée dans une évaluation au titre de la CDNRSRC est un document auquel le public pouvait avoir accès, le juge Rouleau a conclu qu'il n'existait aucune obligation d'informer le requérant, avant qu'une décision ne fût prise, de documents particuliers concernant la situation du pays d'origine qui étaient examinés.  Ce même principe a été appliqué dans l'affaire Nadarajah par le juge Rothstein, et j'estime qu'il s'applique en l'espèce, du moins pour ce qui est de documents publiés et disponibles à partir de sources publiques antérieurement à la date de toute observation de la part du requérant.

 

          À mon avis, les documents énumérés en l'espèce et consultés par l'ACRRR sont des publications qui peuvent être mises à la disposition du public, particulièrement de ceux qui connaissent bien le traitement des revendications du statut de réfugié, des appels, des demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire et des demandes présentées dans la CDNRSRC.  Dans toutes ces procédures, il est généralement fait mention de rapports sur la situation prévalant dans un pays, et ces rapports proviennent généralement de sources publiques, sont maintenus et accessibles au moyen de dossiers, de répertoires et de dossiers émanant de section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, ou sont disponibles par l'entremise de cette section.  Si les citations pour certains documents semblent obscures pour le requérant, cela est regrettable.  Je note qu'en l'espèce, les observations du requérant lui-même, aux fins de son inclusion dans la CDNRSRC, comprenaient un extrait du Central America Report (CA Report, dans la décision de l'ACRRR), d'Inter/Press service (IPS Report, dans cette décision), et deux publications de la série questions et réponses données par la CISR pour avril 1994 et mars 1995, chacune d'elles ayant une liste des lectures de référence abondantes de Central America Reports, de l'Inter Press Service, d'Agence France Press (AFP).

 

          Dans les cas où le requérant est au courant d'un processus général de recours aux sources d'information documentaires publiées sur la situation du pays d'origine, comme le requérant à l'instance doit être présumé l'avoir été, et lorsqu'il a fourni des renseignements de ce genre avec sa demande, je ne saurais conclure que les renseignements mentionnés par l'ACRRR dépassaient la portée des renseignements disponibles pour le public qu'un requérant raisonnable, assisté par avocat, comme le requérant à l'instance l'a été, prévoirait que l'ACRRR examinerait en prenant sa décision.

 

          Il s'agissait de renseignements disponibles pour le public, comme dans les affaires Nadarajah et Quintanilla.  À mon avis, il n'existait, de la part de l'ACRRR, aucune obligation d'indiquer les documents particuliers qu'il examinait avant de prendre sa décision.  Il n'y a pas eu violation de l'obligation d'équité en se reportant à des documents disponibles émanant de sources publiques sans identifier les documents particuliers  avant que la décision de l'ACRRR n'ait été prise.

 

          Pour ce qui est de la preuve documentaire mentionnée dans le dossier de décision de l'ACRRR, le requérant identifie également quatre ouvrages dont il dit qu'ils ont été publiés après sa demande du 11 septembre 1995.  Je ne tiens pas compte de l'un d'entre eux, le National Geographic de septembre/95, puisque l'un des extraits sur la situation du pays d'origine figurant dans les propres observations du 11 septembre du requérant est tiré de cette même publication.  Les trois autres documents ne proviennent pas, de l'aveu de tous, de sources disponibles pour le requérant à l'époque de ses observations, et il s'agissait donc de documents  sur lesquels il ne pouvait faire de commentaires  à moins qu'ils n'aient été portés à son attention après sa demande et avant la décision de l'ACRRR.  Néanmoins, ils ne sont pas des documents qui sont importants en soi aux fins de la décision de l'ACRRR.  Ils n'introduisent aucun nouveau renseignement qui ne soit déjà disponible à partir des autres documents énumérés provenant de sources publiées disponibles pour le public avant la présentation de la demande.  J'estime que la mention de ces trois documents ne constitue pas une violation de l'obligation d'équité qui, en soi, justifierait que la Cour intervienne.

 

          L'avocat du requérant fait valoir que le principe de la  divulgation et la possibilité de connaître et d'aborder les allégations auxquelles il faut répondre sont aussi importants dans le contexte du règlement d'une demande présentée dans la CDNRSRC que dans le contexte pénal, principe énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Stinchcombe c. La Reine, [1991] 3 R.C.S. 326, 68 C.C.C. (3d) 1.  Je ne suis pas persuadé que le principe de la divulgation de la preuve contre un accusé antérieurement au procès soit applicable à la preuve documentaire de la situation du pays d'origine tirée de documents publics, auxquels un requérant peut facilement avoir accès à l'occasion de revendications du statut de réfugié ou de revendications connexes, telle une demande présentée dans la CDNRSRC.

 

          Dans l'affaire Nadarajah, le juge Rothstein a noté que ce serait une pratique raisonnable pour un ACRRR d'informer un requérant de la preuve documentaire de la situation du pays d'origine qui était examinée, mais l'omission de le faire, à moins que cette preuve ne soit pas publique et soit importante pour la décision, ne constitue pas une violation des principes d'équité procédurale.  Ce raisonnement a été accepté par le juge Heald dans Xavier c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, non publié, IMM-550-96, 1er octobre 1996 (C.F. 1re inst), et par le juge Gibson dans Garcia c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, non publié, IMM-149-96, 1er novembre 1996 (C.F.1re inst.).  L'équité exige que les documents ou autres éléments de preuve auxquels le public ne peut avoir facilement accès devraient être divulgués, mais elle n'exige pas davantage.  En particulier, elle n'exige pas que, avant la décision d'un ACRRR, il y ait divulgation de documents particuliers qui sont du domaine public et sont à la disposition d'un requérant et sur lesquels l'ACRRR peut s'appuyer pour la preuve de la situation actuelle du pays d'origine.

 

          L'argument relatif à la divulgation est invoqué avec plus de vigueur en ce qui concerne la méthodologie et les principes qui sous-tendent l'évaluation du risque à laquelle font face ceux qui prétendent être visés par la catégorie des DNRSRC.  Cette question a été mise en lumière à l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire et, ainsi qu'il a été noté ci-dessus, la Cour ne disposait pas de la preuve de l'existence de lignes directrices, d'instructions ou de principes sous-tendant l'évaluation du risque ou devant s'appliquer à celle-ci.  La définition de la catégorie prévue au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, modifié (le Règlement), prévoit notamment :

 

«demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada» Immigrant au Canada :

 

...

 

a) à l'égard duquel...

b) auquel...n'a pas...,

c) dont le renvoi vers un pays dans lequel il peut être renvoyé l'expose personnellement, en tout lieu de ce pays, à l'un des risques suivants, objectivement identifiable, auquel ne sont pas généralement exposés d'autres individus provenant de ce pays ou s'y

trouvant :

 

(i) sa vie est menacée pour des raisons autres que l'incapacité de ce pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats,

 

(ii) des sanctions excessives peuvent être exercées contre lui,

 

(iii) un traitement inhumain peut lui être infligé.

 

 

 

À la suite de l'audition, l'avocat de l'intimé a, comme cela était permis, fourni au requérant aux fins de commentaires une copie des documents internes de l'intimé destinés à guider les ACRRR, y compris un [TRADUCTION] «projet de guide pour les ACRRR» et un programme de formation par modules pour les ACRRR comprenant ce projet de guide.

 

          Les observations présentées par le requérant après l'audition étaient approfondies, son avocat ayant examiné deux principales discussions théoriques de la méthodologie de l'évaluation du risque.  Sur la base de celles-ci, l'avocat a critiqué la méthodologie de l'évaluation du risque telle qu'elle découle du projet de guide.  Je crois que cette observation devrait intéresser les agents chargés de la politique, de la planification et de la formation de l'intimé.  À mon avis, elle ne se concentre pas sur la question soulevée à l'audition, c'est-à-dire l'importance d'une omission de divulguer, avant la décision de l'ACRRR en l'espèce, la méthodologie de l'évaluation du risque suivie dans le règlement des demandes d'inclusion dans la catégorie des DNRSRC.  L'observation présentée après l'audition ne note pas que, dans le projet de guide, l'accent est mis sur l'obligation de révéler les renseignements ou les éléments de preuve invoqués par un ACRRR auxquels le public n'a pas facilement accès.

 

          Par analogie, compte tenu de la décision Clarke c. M.C.I., non publié, IMM-2962-95, 28 novembre 1996 (C.F.1re inst.), le juge Wetston, qui traite de la question de la nécessité de motiver une décision fondée sur le paragraphe 70(5) de la Loi, l'avocat du requérant soutient, dans des observations écrites présentées après l'audition en l'espèce, que les motifs de l'ACRRR dans une décision concernant l'appartenance à la catégorie des DNRSRC devraient démontrer une [TRADUCTION] «méthodologie de l'évaluation du risque... essentiellement rationnelle et rationnellement liée au domaine socio-scientifique de la méthodologie de l'évaluation du risque».

 

          Je ne suis pas persuadé que l'obligation d'équité s'étende à la divulgation d'une méthodologie de l'évaluation du risque qui serait acceptée par les théoriciens ou universitaires que préoccupent la théorie et la pratique de l'évaluation du risque.  Je ne suis pas non plus persuadé que les incertitudes et la mesure de celles qui peuvent être reconnues en cherchant à évaluer les risques aux fins de la catégorie des DNRSRC devraient être révélées comme l'avocat du requérant le suggère.  L'évaluation du risque n'est pas une science exacte, même pour les actuaires et les mathématiciens dont la vocation peut consister dans la tâche professionnelle de mesurer les risques comparatifs.  L'évaluation du risque faite par un ACRRR n'est pas de ce genre.  Je ne suis pas convaincu qu'elle doive être plus qu'une évaluation raisonnable, faite objectivement en ce sens qu'elle est faite en tenant compte des éléments de preuve qui peuvent être disponibles dans toutes les circonstances, du grave risque pour la vie ou la liberté du demandeur particulier.

 

          Si les requérants et leur avocat peuvent avoir facilement accès aux guides ministériels qui décrivent le processus et la méthodologie, cela peut les aider.  Cela serait conforme à la pratique ministérielle apparente relativement aux autres décisions devant être faites sous le régime de la Loi.  La Cour encouragerait la divulgation générale de renseignements, sur les conditions prévalant dans un pays et sur le processus devant être suivi pour évaluer les demandes, dans des lettres d'avis destinées aux requérants éventuels, du moins par renvoi aux sources où les renseignements peuvent être obtenus.

 

          Ayant encouragé une telle divulgation, pour aider les requérants, je conclus néanmoins que la non-divulgation de renseignements sur les méthodes ou la procédure d'évaluation du risque pour déterminer si les requérants sont admissibles à la catégorie des DNRSRC, avant qu'une décision ne soit prise, ne constituait pas une injustice en l'espèce.  Je note que ces renseignements n'ont pas été demandés au nom du requérant lorsqu'il a été avisé qu'il pouvait présenter des observations, ou lorsqu'il l'a fait.  Ainsi donc, il n'y a pas eu refus de produire les renseignements.  On n'a pas démontré l'injustice envers le requérant dans l'application des procédures ou des méthodes qu'a suivies l'ACRRR en l'espèce.  Par exemple, aucun argument n'a été invoqué pour dire que l'application des lignes directrices ou des principes exposés dans le guide constituait une injustice à l'égard du requérant dans les circonstances de l'espèce.  L'avocat du requérant fait valoir que dans la mesure où le guide révèle la méthodologie, celle-ci ne convient pas à l'évaluation objective du risque par comparaison avec les approches théoriques de l'évaluation du risque.  J'estime que la Cour n'est pas saisie d'une telle question dans une demande de contrôle judiciaire.  Il se peut que l'avocat puisse persuader la Cour que les méthodes adoptées n'ont aucune valeur pour l'évaluation du risque, mais je ne suis pas persuadé que tel soit le cas de l'espèce.

 

          J'estime donc que, en l'espèce, l'omission de divulguer les renseignements sur les méthodes ou les principes d'évaluation du risque ne justifie pas que la Cour intervienne.

 

Interprétation de la catégorie des DNRSRC

 

          Dans les observations écrites faites avant l'audition, mentionnées brièvement par l'avocat du requérant lorsque l'affaire a été entendue, il est allégué que l'ACRRR a commis une erreur de droit dans l'interprétation de la définition de la catégorie des DNRSRC figurant au paragraphe 2(1) du Règlement en faisant état de l'absence de la preuve que les autorités salvadoriennes agissaient contre les sympathisants du FMLN.  Le requérant en déduit que l'ACRRR laissait entendre que le risque devait être attribuable aux [TRADUCTION] «autorités» d'un pays, limitation qui ne figure pas dans la définition.  Toutefois, comme l'indique l'intimé, le dossier de décision de l'ACRRR fait également état des préoccupations du requérant quant à la possible action d'anciens sympathisants du FMLN contre lui, et ce dossier note particulièrement que la crainte par le requérant des activités et des pouvoirs des anciens sympathisants du FMLN n'est pas étayée par la preuve.

 

          À mon avis, l'ACRRR a tenu compte des risques que courrait le requérant s'il était renvoyé au Salvador en réponse aux inquiétudes exprimées par le requérant dans ses observations, et cette considération n'était pas limitée au risque pour lui que pourraient représenter les «autorités» du pays.

 

Allégation d'examen inadéquat des éléments de preuve produits

 

          La dernière préoccupation du requérant porte sur le fait que l'ACRRR a méconnu ou a traité, de façon arbitraire, les faits concernant la cible visée par divers escadrons de la mort du FMLN et par les anciens membres du FMLN et l'incapacité du gouvernement salvadorien d'empêcher ou de traduire en justice ceux qui sont responsables des menaces de mort, des blessures ou des décès d'anciens membres du FMLN, comme lui.  Il est vrai que l'ACRRR disposait de rapports qui appuieraient une scène de violence effrénée connue par certains anciens membres du FMLN, qu'il existait d'autres rapports qui soulignaient l'amélioration de cette situation lugubre et qui étayaient les conclusions de l'ACRRR, savoir notamment qu'il n'existait aucune preuve que les autorités visaient les anciens sympathisants du FMLN et restreignaient la preuve que les anciens membres cherchent à dissiper les anciens soupçons de façon violente, ou qu'ils contrôlaient des centres de voyage stratégiques selon la crainte du requérant.  De plus, le rôle relativement mineur joué par le requérant au sein du FMLN, l'absence de la preuve, malgré ses craintes, que son nom avait en fait été signalé aux autorités, plus de six ans auparavant avant son départ du Salvador, l'absence de la prétention que les autorités ou les sympathisants du FMLN avaient tenté de faire quelque chose contre lui avant son départ, ou avaient harcelé sa famille depuis lors, par déduction, étayent la conclusion de l'ACRRR selon laquelle il pouvait retourner sans risque au Salvador.

 

          Il y a une question particulière, que l'ACRRR n'a pas mentionnée particulièrement et dont il est allégué qu'elle constitue un élément de preuve important qui a été produit mais qui n'a pas du tout été examiné.  Il s'agit de l'allégation du requérant selon laquelle il avait été auparavant témoin de ce qu'un officier de l'armée avait assassiné un jeune homme, et il craignait de rencontrer cet officier qui se souviendrait de lui après cette occasion qui a eu lieu il y a quelques années.

 

          Il est bien établi qu'un décideur, en l'occurrence l'ACRRR, n'a pas à discuter de toutes réclamations ou de tous aspects de la preuve dont il est saisi pour établir le fondement de sa décision.  En l'espèce, il n'existe aucune preuve que l'officier de l'armée que le requérant craignait avait recherché le requérant avant son départ du Salvador, et il n'existe pas non plus la preuve que cet officier est encore vivant après l'incident qui a eu lieu il y a quelque huit ans et dont il a été témoin.

 

          Je ne suis pas persuadé que l'omission par l'ACRRR de faire état de cet aspect des craintes exprimées par le requérant justifie que la Cour intervienne, ni que cet aspect n'a pas été examiné par l'ACRRR.

 

Conclusion

 

          En bref, je ne suis pas persuadé que l'un quelconque des motifs invoqués au nom du requérant pour le contrôle judiciaire soit établi.  Rien ne justifie que la Cour intervienne pour annuler la décision de l'ACRRR.

 

          Dans les circonstances, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Question proposée aux fins de certification, par. 83(1) de la Loi

 

          L'avocat du requérant insiste sur la certification de certaines questions pour que la Cour d'appel en connaisse en application du paragraphe 83(1) de la Loi.  À l'audition, l'avocat a proposé la question suivante :

 

[TRADUCTION]  Un agent d'immigration qui procède à un examen en conformité avec les règles concernant la CDNRSRC contrevient-il au principe d'équité énoncé par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Shah lorsqu'il ne divulgue pas, avant de trancher l'affaire,

 

a) les documents invoqués provenant de sources publiques relativement aux conditions générales en vigueur dans un pays, ou

 

b) les documents qui dégagent les principes théoriques et les lignes directrices méthodologiques qui sont invoqués pour faire l'évaluation du risque au titre de la CDNRSRC.

 

 

 

 

À la suite de l'audition, le second aspect de cette question, concernant la méthodologie de l'évaluation du risque, a été précisé par l'avocat du requérant dans des observations écrites, qui proposaient trois questions se rapportant particulièrement aux méthodes de détermination du «risque objectivement identifiable» en l'espèce et en général.

 

          L'avocat du ministre intimé fait valoir qu'aucune question ne doit être certifiée.  La question proposée relative à des documents du domaine public concernant les conditions générales d'un pays ressemble à celle qui a été certifiée par le juge Rothstein dans l'affaire Nadarajah supra, et aussi dans l'affaire Singh c. M.C.I., IMM-3525-95, [1996] F.C.J. No. 781, 6 juin 1996, par le juge suppléant Heald dans l'affaire Xavier supra et par le juge Gibson dans l'affaire Garcia supra.  Dans ces affaires, les faits relatifs à l'utilisation par l'ACRRR de renseignements publics sans en donner avis au requérant sont généralement analogues aux faits de l'espèce.  La question posée porte sur l'équité du processus suivi par l'ACRRR.

 

          Reconnaissant l'importance de la courtoisie judiciaire à l'égard des décisions de mes collègues, et l'importance de traiter de la même façon les personnes qui se trouvent dans des circonstances semblables mais qui relèvent de cas différents, j'estime qu'il convient de certifier en l'espèce une question en termes semblables à ceux de la question proposée dans l'affaire Nadarajah et les autres affaires mentionnées, concernant l'omission de divulguer, avant qu'une décision ne soit prise, les renseignements invoqués provenant de sources publiques.  Le fait pour la Cour d'appel de régler cette question dans l'une quelconque des autres affaires tranchera en fait tout appel fondé sur l'article 83 en l'espèce, sous réserve de l'exigence d'une ordonnance formelle de la Cour d'appel qui statue sur un appel s'il en est.

 

          Je ne suis pas persuadé que le second aspect soulevé par les questions proposées par le requérant, relativement à la divulgation de documents portant sur la méthodologie et les principes théoriques qui doivent être suivis dans l'évaluation du risque pour examiner si les requérants sont visés par la catégorie des DNRSRC, soulève «une question grave de portée générale» au sens de cette expression figurant au paragraphe 83(1) de la Loi.  Les questions proposées concernent l'application d'un principe établi à un nouvel aspect des questions dont est saisi le décideur, c'est-à-dire la nécessité de divulguer la «preuve extrinsèque», mais l'application de ce principe à la méthodologie du processus décisionnel, plutôt qu'à la preuve, ne constitue pas à mon avis une «question grave de portée générale» au sens du paragraphe 83(1).  De plus, en l'espèce, le requérant n'a pas fait de demande de renseignements sur les méthodes de l'évaluation du risque, relativement à sa demande présentée dans la catégorie des DNRSRC.  En l'espèce, il n'a nullement été allégué qu'une différente décision aurait été prise si l'ACRRR avait fourni à l'avance le guide ou les lignes directrices avec la possibilité de faire des observations à l'égard de ce guide et des ces lignes directrices.  À mon avis, les questions suggérées relativement à la divulgation de la méthode d'évaluation du risque sont hypothétiques, c'est-à-dire qu'elles ne reposent pas sur les faits de l'espèce qui pourraient conduire à une issue différente si la Cour d'appel répondait par l'affirmative aux questions posées par le requérant.  Répondre aux questions posées, dans les circonstances de l'espèce, ne trancherait pas celle-ci (Voir Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liyanagamage, [1994] F.C.J. 1637, 176 N.R. 4 (C.A.F.).

 

          Certes, il est possible de persuader la Cour que les méthodes adoptées pour l'exécution des fonctions prévues par la loi sont peu pertinentes ou sont sans fondement pour les fins légales pour lesquelles les méthodes sont adoptées; mais cela n'est pas établi en l'espèce et, dans les circonstances, il faut présumer que la méthode adoptée par le ministre pour s'acquitter de ses responsabilités prévues par la loi est fondée.

 

          Je conclus que les questions proposées par le requérant, concernant la méthodologie de l'évaluation du risque, ne devraient pas être certifiées sous le régime du paragraphe 83(1) de la Loi.  La première question proposée par le requérant est certifiée en termes similaires à ceux proposés dans l'affaire Nadarajah :

 

Un agent d'immigration qui procède à un examen en conformité avec les règles concernant la CDNRSRC contrevient-il au principe d'équité énoncé par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Shah lorsqu'il ne divulgue pas, avant de trancher l'affaire, les documents invoqués provenant de sources publiques relativement aux conditions générales en vigueur dans un pays?

 

                                       W. Andrew MacKay    

                                           JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 31 janvier 1997

 

 

 

Traduction certifiée conforme                          

                                 Tan Trinh-viet


                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

          AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

No DU GREFFE :IMM-714-96

 

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :PEDRO BENJAMIN ORELLANO MANCIA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :Vancouver (Colombie-Britannique)

 

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :Le 13 août 1996

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE MACKAY

 

 

EN DATE DU31 janvier 1997

 

 

 

ONT COMPARU :

 

Peter Dimitrov                    pour le requérant

 

Kim Shane                         pour l'intimé

                                

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter P. Dimitrov                 pour le requérant

Delta (Colombie-Britannique)

 

 

 

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

                                  pour l'intimé

 

 

 

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