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Date : 20011102

Dossier : IMM-3747-00

                                                                                           Référence neutre : 2001 CFPI 1200

ENTRE :                                                                                                   

NIXON VALÈRE

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HANSEN

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié (SSR) a, le 14 juin 2000, jugé que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]                 L'avocate représentant le ministre a comparu à l'audience et a soutenu que le demandeur devrait être exclu de la définition de réfugié au sens de la Convention en raison de l'Article 1Fa) de la Convention. La SSR a conclu à l'absence de preuves suffisantes pour établir qu'il y avait des raisons sérieuses de croire que le demandeur était complice de crimes contre l'humanité. Le ministre n'a pas présenté de demande de contrôle judiciaire à l'égard de cette décision.


les faits

[3]                 Le demandeur est citoyen d'Haïti. Il dit craindre d'être persécuté par des narcotrafiquants ou des policiers corrompus ou par les deux agissant de connivence. À la fin de ses études secondaires, il a travaillé pour une entreprise, puis comme enseignant, pour finalement devenir policier dans la Police nationale d'Haïti (PNH) de 1996 à 1999. Le demandeur déclare qu'il était un policier honnête au sein d'une force policière où la corruption était très répandue. Il affirme que ses collègues policiers avaient une mauvaise opinion de lui. Il croit avoir été muté de certaines fonctions pour avoir refusé de participer à des activités de corruption ou de fermer les yeux sur des transactions de drogue et des pots-de-vin.

[4]                 Au tout début de sa première affectation à l'aéroport de Port-au-Prince, le demandeur a vécu un certains nombre de conflits avec ses collègues policiers et ses supérieurs. Une plainte par écrit que le demandeur a présentée à un superviseur au sujet de l'emploi d'une force excessive par un autre policier au cours de l'arrestation d'un vendeur de friandises n'a pas eu de suites. Lors d'un autre incident, le demandeur a eu une altercation avec un collègue policier durant l'inspection d'une valise que le demandeur soupçonnait de contenir des stupéfiants. Un superviseur a refusé d'ordonner la tenue d'une inspection et la valise a disparu. Peu après cet incident, le demandeur a été muté à l'Île de la Gonâve. L'appel présenté par le demandeur relativement à cette mutation a été rejeté.


[5]                 Le demandeur déclare qu'en décembre 1996, des narcotrafiquants ont tiré sur lui pendant qu'il tentait de procéder à leur arrestation. Après s'être rétabli de ses blessures, il a été affecté au service du personnel de la PNH où il s'est trouvé de nouveau en conflit avec ses supérieurs. Au cours du printemps 1997, le demandeur a été nommé chef de poste dans le voisinage de la Cité Soleil du district de Delmas, région réputée la plus dangereuse du pays. Le problème du commerce généralisé de la drogue dans la région était aggravé par la corruption au sein de la PNH et de la connivence entre les policiers et les narcotrafiquants. Le demandeur a témoigné qu'il était mal vu de ses collègues policiers en raison de son opposition à la corruption et ceux-ci l'ont averti qu'il se ferait tuer en raison de son refus de coopérer avec les narcotrafiquants. Encore une fois, le demandeur a rédigé une plainte au sujet de la conduite de ses collègues policiers. Il n'a pas reçu de réponse à sa lettre.


[6]                 Au détachement de Delmas, deux autres policiers, amis du demandeur, étaient également reconnus pour refuser les pots-de-vin et s'opposer publiquement à la corruption. Un de ces policiers a été tué en mars 1997. Le second policier a été tué par balle à l'intérieur d'une maison située près du domicile du demandeur le 3 mars 1999. Le demandeur affirme que, à la suite de ce dernier meurtre, il a reçu chez lui des appels anonymes l'avertissant qu'il était le « prochain sur la liste » . De plus, il a appris de ses sources dans le public qu'il était en danger. Le demandeur a déclaré qu'à la suite du décès de son ami le 3 mars 1999 et des menaces et avertissements qu'il avait reçus, il craignait pour sa vie et avait décidé de quitter Haïti. Le demandeur dit également qu'à la suite des appels de menaces, il s'est « effectivement » caché durant trois semaines avant son départ pour le Canada le 31 mars 1999.

La décision de la SSR

[7]                 En s'appuyant sur les motifs de la Cour d'appel fédérale dans Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 228, la SSR a conclu que la position adoptée par le demandeur à l'égard des policiers corrompus constituait une opinion politique et établissait le lien requis entre la crainte du demandeur d'être persécuté et la Convention.

[8]                 La SSR a tenu compte des circonstances entourant les mutations du demandeur aux différents postes, ses conflits avec d'autres policiers et des supérieurs, ainsi que les coups de feu reçus. La SSR a conclu qu'aucun de ces éléments ne constituait de la persécution.

[9]                 Le tribunal a également fait remarquer que, pendant que le demandeur était en poste à la Cité Soleil, les narcotrafiquants ou les policiers corrompus avaient eu amplement l'occasion de le tuer ou de le forcer à quitter la PNH, mais que rien de cela n'était survenu. Quant aux menaces par téléphone, la SSR a mentionné :


... La victimisation que craignait le demandeur résulterait de la combinaison d'un motif et d'une occasion. Comme l'occasion existait, je suis porté à conclure qu'étant donné que rien de grave ne s'est produit, le motif n'y était pas. C'est une autre façon de dire que le demandeur n'avait vraiment rien à craindre de qui que ce soit. Dans ce contexte, les prétendues menaces téléphoniques, si elles ont réellement été proférées, auraient été un effort pour intimider, rien de plus. Elles contribuent toutefois à la crainte subjective de persécution du demandeur.

Comme je l'ai déjà signalé, aucun malheur n'est arrivé à l'appelant à Delmas en dépit de la magnifique occasion qu'avaient ses agents de persécution éventuels de lui causer un préjudice. Ce facteur mine le fondement objectif de sa crainte...

[10]            La SSR a conclu que le demandeur ne ferait face qu'à une simple possibilité d'être persécuté s'il devait retourner à Haïti.

Les question en litige

[11]            Le demandeur a soulevé les trois questions suivantes :

1.         La SSR a commis une erreur en n'exposant pas clairement les motifs pour lesquels elle doutait de la crédibilité du demandeur;

2.         La SSR a commis une erreur en concluant que, si menaces il y a eues, ce n'étaient pas des menaces réelles mais seulement des tentatives d'intimidation;

3.         La SSR a commis une erreur de droit en tirant la conclusion selon laquelle la crainte du demandeur d'être persécuté n'était pas fondée.

[12]            Le défendeur soutient que la SSR a tenu pleinement compte de la déposition du demandeur relativement à ce à quoi il a dû faire face au sein de la PNH. Même si la SSR ne s'est pas reportée à tous les éléments de preuve, cela ne veut pas dire que ces éléments de preuve n'ont pas été pris en considération en vue de la décision. En outre, même si effectivement la SSR n'a pas tenu compte de certains éléments de preuve, la décision est raisonnable eu égard à tous les éléments de preuve.


Analyse

[13]            Le demandeur allègue que, en signalant « [d]ans ce contexte, les prétendues menaces téléphoniques, si elles ont réellement été proférées » , la SSR a indirectement mis en doute sa crédibilité. Le demandeur soutient que, lorsqu'un demandeur jure que certains faits sont vrais, ces derniers sont présumés être vrais en l'absence d'une raison valide de douter de la véracité du témoignage. Dans la présente affaire, le demandeur avance que la SSR a commis une erreur en n'exposant pas clairement sa conclusion négative au sujet de la crédibilité du demandeur et en omettant de donner les motifs de sa conclusion.

[14]            Il est bien établi dans la jurisprudence que, lorsqu'une revendication du statut de réfugié est rejetée en raison d'une conclusion négative relativement à la crédibilité du revendicateur, le tribunal doit énoncer clairement sa conclusion et donner les motifs de son évaluation négative de la crédibilité du revendicateur. Bien que les motifs donnés dans la présente affaire indiquent que la SSR doutait de la véracité de la déposition du demandeur concernant l'existence des appels téléphoniques, la déclaration subséquente de la SSR selon laquelle les menaces proférées par téléphone venaient étayer la crainte subjective du demandeur d'être persécuté m'amène à conclure qu'il était accordé foi à la déposition du demandeur. Par conséquent, ce point de l'argumentation du demandeur ne tient pas.


[15]            Le demandeur soutient également que la conclusion de la SSR selon laquelle les appels téléphoniques ne constituaient pas de véritables menaces mais simplement des tentatives d'intimidation n'est que pure hypothèse et non pas une déduction que l'on peut raisonnablement tirée de sa déposition. Il maintient avoir été averti par des gens du public qu'il était en danger, en plus de recevoir des menaces au téléphone, mais toutefois le tribunal n'a pas tenu compte de cet élément de preuve. Le demandeur soutient également que la SSR n'a pas pris en considération son témoignage selon lequel il s'était « effectivement » caché durant les trois semaines qui ont suivi les menaces proférées avant son départ pour le Canada, ce qui explique logiquement qu'aucun préjudice n'ait résulté des menaces.

[16]            L'avocat du demandeur a invité la Cour à se reporter au passage souvent cité de l'arrêt Jones v. Great Western Railway Co. (1930), 47 T.L.R. 39, à la page 45 (C.L.), où lord Macmillan a expliqué ainsi la différence entre une hypothèse et une déduction :

[TRADUCTION] Il est souvent très difficile de faire la distinction entre une hypothèse et une déduction. Une hypothèse peut être plausible mais elle n'a aucune valeur en droit puisqu'il s'agit d'une simple supposition. Par contre, une déduction au sens juridique est une déduction tirée de la preuve et si elle est justifiée, elle pourra avoir une valeur probante. J'estime que le lien établi entre un fait et une cause relève toujours de la déduction.


[17]            Le demandeur allègue que le seul motif donné par la SSR relativement à sa conclusion selon laquelle les menaces n'étaient rien de plus qu'une tentative d'intimidation était le fait que rien ne lui était arrivé à la suite des menaces. Cette allégation est vraie en partie. C'était l'existence d'une magnifique occasion qu'un préjudice soit causé au demandeur, conjuguée à l'absence de préjudice, qui a amené la SSR à déduire qu'il n'y avait pas de motif. Ayant conclu à l'absence de motif, la SSR a jugé que les menaces n'étaient pas réelles.

[18]            À mon avis, le raisonnement de la SSR en ce qui concerne l'absence de motif est sans fondement. Quoiqu'un préjudice découle d'une occasion et d'un motif, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'une absence de préjudice dans les cas où l'occasion existe équivaille à une absence de motif. Bien qu'une absence de motif dans le cas présent soit plausible, le fait que le demandeur n'ait pas subi de préjudice pendant une période de trois semaines ne suffit pas en soi à faire de la conclusion plus qu'une simple hypothèse.


[19]            La SSR a également conclu que le fait qu'aucun préjudice n'ait résulté de ces menaces pour le demandeur minait le fondement objectif de sa crainte d'être persécuté. Il est bien établi qu'un revendicateur n'est pas tenu de prouver l'existence d'une persécution antérieure pour établir une crainte fondée de persécution. En l'espèce, il y avait une vaste preuve documentaire relativement au problème de la corruption au sein de la PNH et au risque élevé que couraient les policiers en service dans cette force policière. Comme avait été admis le témoignage du demandeur selon lequel il avait reçu des menaces, le fait de ne pas tenir compte de cette déposition à la lumière de la preuve documentaire pertinente pour s'assurer que le demandeur était objectivement en danger s'il devait retourner à Haïti. Bien que le défendeur maintienne que la SSR a pris en considération la preuve documentaire pour arriver à sa décision, je note que tous les renvois à la preuve documentaire dans les motifs sont faits dans le contexte de l'examen par la SSR de la question de l'exclusion conformément à l'Article 1Fa) de la Convention. Je ne suis pas convaincue que la SSR ait examiné la preuve documentaire dans le contexte d'une évaluation du bien-fondé de la crainte du demandeur d'être persécuté.

[20]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du 14 juin 2000 est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue de nouveau sur l'affaire.

                                                                              « Dolores M. Hansen »            

                                                                                                      J.C.F.C.                      

OTTAWA (ONTARIO)

Le 2 novembre 2001

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DE DOSSIER :                               IMM-3747-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :    NIXON VALÈRE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                     OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 10 AVRIL 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE HANSEN

DATE DES MOTIFS :                          LE 2 NOVEMBRE 2001

ONT COMPARU :

MICHAEL BOSSIN                                                     POUR LE DEMANDEUR

LYNN MARCHILDON                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CLINIQUE JURIDIQUE COMMUNAUTAIRE                     POUR LE DEMANDEUR

OTTAWA (ONTARIO)

MORRIS ROSENBERG                                                             POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


                                                                                                                   

Date : 20011102

Dossier : IMM-3747-00

OTTAWA (ONTARIO), le 2 novembre 2001

EN PRÉSENCE de Madame le juge Dolores M. Hansen

ENTRE :                                                                                                  

NIXON VALÈRE

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                           ORDONNANCE

SUR demande de contrôle judiciaire en vue de l'annulation de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié a, le 14 juin 2000, jugé que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention;

ET lecture faite des documents déposés et après audition des observations des parties;

ET pour les motifs de l'ordonnance exposés en ce jour;

LA COUR ORDONNE :


1.                    La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du 14 juin 2000 est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue de nouveau sur l'affaire.

2.                    Aucune question ne sera certifiée.

                                                                              « Dolores M. Hansen »             

                                                                                                      J.C.F.C.                      

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A., LL.L.

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