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Date : 20000601


Dossier : IMM-1091-99



ENTRE :

     Vimalathas ASEERVATHAM

     -et-

     Joseph W. ALLEN

     Demandeurs


     - et -


     Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

     Défendeur




     MOTIFS D'ORDONNANCE


LE JUGE DUBÉ :


[1]      Cette demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 11 février 1999 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration ("la section du statut") ordonnant que la demande de statut de réfugié du demandeur soit entendue le 22 mars 1999 à 8:30 a.m., malgré le fait que le procureur du demandeur, Me Joseph Allen n"était pas disponible à cette date.


1. Exposé des faits

[2]      Il faut retenir au départ que Me Allen représente un grand nombre de revendicateurs devant la section du statut. En janvier 1999, il représentait presque 300 revendicateurs du Sri Lanka, en plus d'une quarantaine de revendicateurs d'autres pays dont le Bangladesh. L'année précédente, soit au printemps 1998, la section du statut éprouvait de grandes difficultés à remplir les rôles d'audition en raison de l'insuffisance des disponibilités des procureurs.


[3]      En novembre 1998, le directeur du bureau régional de Montréal a communiqué avec Me Allen et un autre procureur dans une situation similaire pour tenter d'accommoder les dates de disponibilité des procureurs. Suite à cette rencontre, la greffière de la section du statut a informé Me Allen le 12 janvier 1999 qu'un appel du rôle se tiendrait les 8, 9 et 11 février 1999 afin de fixer le plus grand nombre possible de ses dossiers. Il appert que la liste de disponibilités fournie par Me Allen était insuffisante pour disposer de tous ses dossiers. Me Claudia Gagnon qui représentait Me Allen s'est objectée à la date du 22 mars 1999 en question parce qu'à cette date Me Allen représentait un autre client. L'audition a tout de même procédé à la date prévue et Me Forget, également du bureau de Me Allen, représentait le demandeur. Me Forget ne s'est pas objecté à la tenue de l'audition. Le demandeur lui-même voulait également que l'on procède.




[4]      Le 28 avril 1999, la section du statut rejetait la demande de statut de réfugié du demandeur. Le 25 août 1999, le juge Denault rejetait la demande d'autorisation d'un contrôle judiciaire de cette décision.


[5]      Parallèlement à ces recours visant la décision défavorable de la section du statut, le demandeur entreprenait le 4 mars 1999 une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de l'ordonnance précitée de fixation de date. Le 18 mars 1999, le juge Teitelbaum rejetait la requête du demandeur pour obtenir un sursis à l'audition fixée pour le 22 mars 1999. Le 12 octobre 1999, j'accordais la demande d'autorisation pour présenter le contrôle judiciaire de l'ordonnance de fixation de date. Finalement, le 6 décembre 1999 le juge en chef adjoint Lutfy rejetait la requête du défendeur en radiation de la demande de contrôle judiciaire précitée.


2. La question litigieuse

[6]      La question en litige est de savoir si la décision de la section du statut du 11 février 1999 fixant l'audition de la revendication du demandeur au 22 mars 1999 à 8:30 a.m. sachant que Me Allen, le procureur au dossier, n'était pas disponible à ce moment enfreint un principe de droit ou de justice naturelle.


3. Les dispositions pertinentes de la Loi

[7]      Les dispositions pertinentes de la Loi sur l'immigration sont les suivantes:



68. (1) Séances - La section du statut siège au Canada aux lieux, dates et heures choisis par le président en fonction de ses travaux.
(2) Expédition des affaires - Dans la mesure où les circonstances et l'équité le permettent, la section du statut fonctionne sans formalisme et avec célérité.
...
69. (1) Représentation - Dans le cadre de toute affaire dont connaît la section du statut, le ministre peut se faire représenter par un avocat ou un mandataire et l'intéressé, à ses frais, par un avocat ou autre conseil.
...
(6) Ajournement - La section du statut ne peut ajourner une procédure que si elle est convaincue que l'ajournement ne causera pas d'entrave sérieuse.
...
69.1 (1) Audience - Sous réserve du paragraphe (2), la section du statut entend dans les meilleurs délais la revendication dont elle est saisie aux termes des articles 46.02 ou 46.03.
...
(3) Avis - La section du statut notifie par écrit à l'intéressé et au ministre les date, heure et lieu de l'audience.
...
(5) Droit de se faire entendre - À l'audience, la section du statut :
     a)      est tenue de donner :
         (i)      à l'intéressé, la possibilité de produire des éléments de preuve, d'interroger des témoins et de présenter des observations.
(9) Décision - La section du statut rend sa décision sur la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention le plus tôt possible après l'audience et la notifie à l'intéressé et au ministre par écrit.

4. Les allégations du demandeur

[8]      Le demandeur prétend que les membres du tribunal ont commis une violation des principes de justice naturelle en lui refusant le droit à l'avocat de son choix en fixant péremptoirement la date du 22 mars 1999 à 8:30 a.m. sachant pertinemment que Me Allen n'était pas disponible à cette date, attendu que ce même tribunal lui avait déjà réservé cette date pour un autre dossier.

[9]      Le demandeur veut établir une distinction entre deux situations. La première est le cas d'un revendicateur de statut qui se présente à un bureau d'avocats ayant déjà en main une date d'audition fixée par le tribunal. Le deuxième cas, qui est le cas présent, est celui où un revendicateur a déjà son avocat et que le tribunal convoque ce dernier pour fixer une date d'audition. Dans ce deuxième cas, selon le demandeur, le tribunal se doit de ne pas refuser au revendicateur le droit à l'avocat de son choix. Me Allen occupe dans le dossier du demandeur depuis plus de deux ans.

[10]      Le demandeur prétend qu'il ne doit pas être la victime de la mauvaise gestion des dossiers de la part du tribunal. Il précise que cette Cour a déjà décidé qu'en matière de refuge politique l'article 7 de la Charte des droits et libertés ("la Charte") garantit un droit absolu à l'avocat (voir Mathon c. M.E.I.)1. Ce qui est normal, selon le demandeur, compte tenu des questions sérieuses à débattre, de la difficulté du revendicateur à comprendre le déroulement de l'affaire et de la complexité d'application des critères de la définition de réfugié aux circonstances de la situation du revendicateur (voir Howard c. Établissement Stoney Mountain2).

[11]      Le demandeur reconnaît que le tribunal est maître de ses procédures et qu'il n'est pas obligé d'accepter les dates d'ajournement désirées par le demandeur mais prétend qu'il ne doit pas brimer son droit à l'avocat de son choix, surtout si l'avocat occupe dans le dossier depuis plus de deux ans et qu'il n'a jamais demandé de date d'ajournement.

[12]      Le demandeur se réfère à une décision récente de la Cour d'appel de l'Ontario, Regina c.McCallen3. Il s'agit d'une affaire criminelle où le procureur de l'accusé ne pouvait se rendre disponible dans les trois mois après la première comparution de son client. Le juge du procès n'a pas accordé de délai. Cette décision a été portée en appel et l'appel a été accueilli. La Cour d'appel s'est référée à l'article 10(b) de la Charte qui prévoit que chacun a le droit en cas d'arrestation ou de détention d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit. La Cour d'appel a décidé qu'un délai de quatre mois pour assurer la disponibilité du procureur de l'accusé n'était pas déraisonnable. Le procureur de l'accusé n'était pas disponible parce qu'il devait défendre un autre accusé dans une cause de meurtre dont la date était déjà fixée. Le juge du procès a été motivé par une adhérence trop rigide à "la règle de 90 jours" à l'effet qu'un procès doit être entendu dans les 90 jours de la première comparution.

[13]      La Cour d'Appel de l'Ontario a tout de même remarqué que le droit à un avocat de son choix n'est pas un droit absolu et est sujet à des limites évidentes.

5. Les allégations du défendeur

[14]      Le défendeur soumet qu'en vertu des dispositions législatives pertinentes, c'est le président de la section du statut qui choisit les dates et heures de ses séances en fonction de ses travaux (par. 68(1)). La section du statut doit fonctionner sans formalisme et avec célérité (par. 68(2)). En vertu du paragraphe 69(1), le Ministre peut se faire représenter par un avocat ou un mandataire et l'intéressé, à ses frais, par un avocat ou autre conseil. La section du statut doit entendre dans les meilleurs délais la revendication dont elle est saisie (par. 69.1(1)).

[15]      Rien dans la Loi sur l'immigration ni dans les Règles de la section du statut de réfugié (DORS/93-45) n'oblige la section du statut à consulter le revendicateur ou son conseiller pour fixer l'audition de sa revendication.

[16]      Le demandeur a la possibilité d'être représenté par un avocat ou un conseiller mais cette possibilité n'implique pas que le demandeur puisse exiger des ajournements ou des dates de son choix si son avocat n'est pas disponible. L'arrêt clé à ce sujet est une décision de la Cour d'appel fédérale, Pierre c. Le Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'immigration4. Dans cette affaire, il s'agissait d'une demande auprès de la Cour pour faire annuler l'ordonnance d'expulsion rendue contre le requérant à cause d'un refus d'ajournement pour permettre à celui-ci de retenir les services d'un avocat. Le refus par l'enquêteur spécial d'ajourner une enquête impérative avait provoqué le retrait de l'avocat du requérant.

[17]      La Cour d'appel a déclaré qu'une cour supérieure, ayant droit de surveillance, n'a pas compétence pour réviser un refus d'ajournement, à moins qu'à cause de ce refus la décision rendue par le tribunal à la fin de l'audience ne soit annulable pour violation des règles de justice naturelle. La question doit être déterminée par la Cour d'après les circonstances de l'espèce, à savoir si l'enquêteur spécial - par un exercice erroné de son pouvoir discrétionnaire dans la fixation des dates de l'enquête - a rendu l'ordonnance d'expulsion attaquée sans donner au requérant l'occasion raisonnable de répondre aux allégations portées contre lui.

[18]      Les principes précités s'appliquent à l'ajournement. Le paragraphe suivant du juge en chef Jackett vise plus précisément la fixation d'une date d'audition:

Le problème qui se pose lorsque l'avocat engagé dans des procédures administratives est occupé ailleurs a soulevé de nombreuses discussions. On a proposé que le tribunal administratif arrange ses auditions de telle manière que l'avocat, ayant reçu des avances sur honoraires pour comparaître devant des "cours supérieures" pour le compte d'autres clients, et faire prioritairement ce qui est nécessaire pour le service de ces derniers, puisse faire aussi ce qui est nécessaire pour le service du client qui lui a versé des avances sur honoraires pour comparaître devant ledit tribunal administratif. Je suis d'avis qu'aucun principe n'exige qu'un tribunal administratif agisse de cette façon. Cela ne veut pas dire qu'un tribunal administratif, comme tout autre tribunal, ne doit pas raisonnablement prendre en considération les problèmes qui se posent aux avocats, dans la mesure du possible et en accord avec les intérêts des autres parties et avec les obligations du tribunal envers le public.

[19]      Pour ce qui a trait au droit de retenir un avocat de son choix, le juge suppléant Kelly offre son opinion pertinente et précise:

Ce que l'on appelle habituellement le droit à un avocat exige seulement que la personne concernée ait l'occasion raisonnable de retenir un avocat choisi par elle parmi ceux habilités à comparaître devant l'autorité ou le tribunal compétents, pour la représenter auprès d'eux. Dans l'exercice de ce droit, il faut tenir compte de certaines réserves limitant le mode de choix. Toute personne a le droit de choisir un avocat pour se faire représenter, mais son choix doit se limiter à ceux des avocats en mesure de comparaître volontairement pour son compte dans les délais raisonnables fixés par l'autorité ou le tribunal compétents. Ainsi on ne peut choisir l'avocat le plus occupé de la région et exiger de se faire représenter par lui alors que ses engagements antérieurs l'empêchent de comparaître à moins de retards injustifiés de la procédure.

[20]      Dans une décision plus récente, Linartez c. Canada5, le juge Nadon de cette Cour, traitait du droit à l'avocat. Il citait entre autre le juge Eberle de la Cour suprême de l'Ontario qui offrait son opinion dans l'affaire R. v. Taylor6:

...In my view, the right to counsel of the accused's choice does not carry with it the right to dictate the date for trial. The right to counsel of the accused's choice, in my opinion, means counsel of the accused's choice who is able to appear on the date which has been set for trial.

6. Analyse

[21]      Fondamentalement, il s'agit de déterminer si en l'espèce le refus d'ajournement ou la fixation d'une date péremptoire pour permettre au défendeur de se faire représenter par l'avocat de son choix enfreint un principe de droit ou de justice naturelle. À ce chapitre, j'abonde dans le même sens que le juge Marceau de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Vairamuthu c. M.E.I.7:

...For a court of review to be able to criticize a tribunal for having denied a request for adjournment, it must be clear that in the circumstances of the case a breach of natural justice or fairness has resulted from the decision.

[22]      À mon sens, dans les circonstances de la présente affaire, je ne peux pas conclure que la section du statut a enfreint un principe de droit ou de justice naturelle en fixant une date péremptoire pour l'audition de la demande du demandeur. La preuve déposée au dossier par voie d'affidavit indique clairement que ce tribunal a fait des efforts notoires pour établir un rôle d'audition qui répondrait le mieux possible aux disponibilités fournies par Me Allen. Ce dernier aurait pu, s'il préférait représenter lui-même ce demandeur à la date fixée, se faire remplacer par un des procureurs de son étude légale pour l'audition de l'autre demande fixée pour ce même jour. Effectivement, il a choisi de se faire remplacer par Me Forget pour l'audition en cause. Il aurait pu également se faire remplacer par Me Zambelli qui a plaidé devant moi à l'audition du présent recours judiciaire. Ces deux procureurs de son cabinet sont compétents et expérimentés en matière d'immigration.




[23]      De fait, tel que précité, le 22 mars 1999, le demandeur s'est présenté à l'audition assisté de Me Forget et aucun des deux ne s'est objecté à ce que l'affaire procède devant la section du statut à cette date.

[24]      Je suis d'accord avec le demandeur que deux situations différentes peuvent se présenter, à savoir celle d'un revendicateur qui se trouve un avocat une fois la date de l'audition fixée et celle d'un revendicateur déjà représenté par un procureur, lequel est convoqué pour la fixation d'une date d'audition. Dans le premier cas, le revendicateur doit subir les conséquences de sa procrastination. Dans le deuxième cas, il est juste et équitable que le tribunal considère les disponibilités du procureur avant de fixer une date péremptoire. C'est précisément de cette façon que la section du statut s'est conduite en l'espèce. Elle s'est efforcée de rencontrer les disponibilités de Me Allen avant de fixer une date.

[25]      Il n'y a aucune obligation de la part de ce tribunal de répondre aux exigences d'un procureur. Un revendicateur a le droit de se choisir un avocat. Par contre, si l'avocat qu'il choisit n'est pas en mesure de comparaître parce qu'il est trop occupé ou pour d'autres motifs, il ne peut s'attendre à ce que le tribunal se plie aux exigences de ce procureur. D'ailleurs, les tribunaux spécialisés, telle que la section du statut, sont généralement au courant, non seulement du volume de travail des cabinets juridiques, mais aussi de leur effectif et de leurs ressources. Une étude légale qui occupe dans plus d'une centaine de dossiers en immigration ne peut se limiter à la disponibilité d'un avocat en particulier et l'imposer au tribunal.


[26]      En conséquence, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[27]      À mon avis, il ne ressort pas de cette affaire une question grave de portée générale à être certifiée en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration. Il s'agit plutôt ici d'un cas d'espèce jaugé à la lumière de principes déjà bien établis.





OTTAWA, Ontario

le 1er juin 2000

    

     Juge

__________________

     1      (1990) 38 Adm. L. R. 193, 208 (C.F. 1ière inst.) 9 Imm. L.R. 132.

     2      [1984] 2 C.F. 642, 661.

     3      43 O.R. (3d) 56 (Ont. C.A.).

     4      [1978] 2 C.F. 849 (C.A.F.).

     5      (1995), 109 F.T.R. 300 (J. Nadon).

     6      (1980), 4 W.C.B. 244 (Ont. H.C.J.).

     7      (1993), 161 N.R. 131 (C.A.F.).

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