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     Date : 19980319

     Dossier : IMM-356-97

Ottawa (Ontario), le 19 mars 1998.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MULDOON

ENTRE :

     JESUS LEONARDO JIMENEZ,

     demandeur,

     - et -

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     À LA SUITE de l'audition à Toronto, en présence des avocats des deux parties, d'une requête introductive d'instance visant à obtenir une ordonnance de certiorari, une ordonnance de mandamus ainsi que d'autres mesures de redressement à l'égard de l'annulation, prononcée par le défendeur le 2 janvier 1997, de sa conclusion, datée du 11 avril 1996, d'admissibilité en vertu des dispositions concernant la catégorie des immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée (MREF);

LA COUR ORDONNE que la requête introductive d'instance du demandeur est accueillie (nE 2589-0835) et que la présumée décision de C. Tout, agissant en dehors du cadre de sa compétence, et étant functus , laquelle décision a été exposée dans la lettre du défendeur datée du 2 janvier 1997, est par les présentes annulée et infirmée;

LA COUR ORDONNE DE PLUS que l'affaire soit renvoyée à un agent d'immigration différent (autre que C. Tout) pour qu'il traite et exécute la demande de droit d'établissement du demandeur, de son épouse et de son enfant au Canada comme si cette demande avait été traitée et exécutée en vertu des dispositions concernant les immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée si ladite demande n'avait pas été interrompue par la présumée décision irrégulière du défendeur, datée du 2 janvier 1997, ou, subsidiairement, comme si le droit d'établissement était ou avait été accordé à la suite d'une révision pour raisons d'ordre humanitaire; à défaut de quoi, le défendeur procédera personnellement à l'exécution des dispositions susmentionnées;

LA COUR DÉCLARE que la décision du 2 janvier 1997 maintenant annulée n'aurait jamais pu s'appliquer à Eliza del Rosario Jimenez et Lizzeth Jimenez (si tant est qu'elle ait jamais été valide, ce qu'elle n'est pas), car elle était nulle ab initio quant aux trois personnes suivantes : Jesus Leonardo, Eliza del Rosario et Lizzeth.

                             F.C. Muldoon

                                 Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon, LL.L.

     Date : 19980319

     Dossier : IMM-356-97

ENTRE :

     JESUS LEONARDO JIMENEZ,

     demandeur,

     - et -

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MULDOON

[1]      Il s'agit d'une demande présentée en vertu du paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), en vue d'obtenir, conformément au paragraphe 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, le contrôle judiciaire d'une décision datée du 2 janvier 1997 par laquelle un agent des visas a statué que le demandeur ne pouvait obtenir le droit d'établissement dans le cadre de la catégorie des immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée (MREF).

[2]      Les dispositions réglementaires qui régissent la catégorie des immigrants visés par une MREF ont été édictées dans le but de régler les dossiers de certains demandeurs du statut de réfugié déboutés mais non renvoyés du Canada depuis plusieurs années. Ces dispositions permettent à certains demandeurs du statut de réfugié dont la revendication a été rejetée d'obtenir la résidence permanente au Canada. En général, elles permettent à ces demandeurs de solliciter le droit d'établissement trois ans après la date de refus de leur revendication et à la condition qu'ils ne soient pas sous le coup, à ce moment, d'une mesure de renvoi. Il existe plusieurs clauses d'exclusion qui, le cas échéant, font que l'intéressé ne peut obtenir le droit d'établissement en vertu des dispositions réglementaires qui régissent les immigrants visés par une MREF. Pour les besoins de la présente demande de contrôle judiciaire, la principale clause d'exclusion s'applique aux demandeurs du statut de réfugié dont la revendication a été rejetée sur la base des sections E ou F de l'article premier de la Convention. Les questions soulevées dans la présente demande tournent autour de la question de savoir si le demandeur peut obtenir le droit d'établissement en vertu des dispositions réglementaires qui s'appliquent aux immigrants visés par une MREF et s'il est maintenant possible d'annuler une décision antérieure par laquelle un agent d'immigration a conclu que le demandeur ne pouvait obtenir le droit d'établissement en vertu desdites dispositions réglementaires.

[3]      Le demandeur et son épouse sont citoyens de l'Équateur. Ils ont quatre enfants; l'aînée est née aux États-Unis et les trois autres au Canada. En 1989, le demandeur, son épouse et leur fille aînée sont entrés au Canada et ont revendiqué le statut de réfugié. Le demandeur a fondé sa revendication sur ses opinions politiques et son appartenance à un groupe particulier. Son audition a eu lieu en septembre 1992 et, le 17 décembre suivant, la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur et son épouse n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[4]      Comme la décision de la SSR est pertinente à la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour en citera quelques passages. Après avoir décrit les activités du demandeur en tant que membre du groupe Alfaro Vive, Carajo (AVC) en Équateur, la SSR a statué que ce dernier ne craignait pas avec raison d'être persécuté. La SSR a écrit ce qui suit [page 32 du dossier de demande (DD)] :

         [TRADUCTION]

         Le tribunal n'a aucune raison de croire que l'État serait directement en cause, s'il advenait que les anciens membres de l'AVC tentent de punir le demandeur pour avoir quitté le groupe, ou que l'État fermait les yeux sur les actes criminels commis par de simples citoyens. Il ressort de la preuve que le gouvernement et les forces de sécurité sont intervenus vigoureusement contre l'AVC, à l'époque où ce dernier fonctionnait comme un groupe de guérilleros. Le tribunal estime que si des membres de l'AVC tentaient de le harceler, le demandeur bénéficierait d'une protection convenable en Équateur.                 

La SSR a ajouté ce qui suit (page 33 de la DD) :

        

         [TRADUCTION]

         ... Le tribunal a conclu que l'actuel gouvernement de l'Équateur ne ferme pas les yeux sur les agissements illicites de Febres Cordero. Il est également convaincu que ce gouvernement protégerait convenablement le demandeur s'il était menacé par Febres Cordero.                 
         Pour tous les motifs qui précèdent et après avoir examiné l'ensemble de la preuve, le tribunal conclut que la crainte de persécution dont fait état le demandeur est sans fondement. Le tribunal conclut donc que Jesus Jimenez (aussi connu sous le nom de Jesus Leonardo Jimenez) n'est pas un réfugié au sens de la Convention d'après la définition qui est donnée à cette expression au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration.                 

La SSR a ajouté aussi ce qui suit (page 34 de la DD) :

         [TRADUCTION]                 
         Le tribunal a conclu que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention. Il est toutefois d'avis que même si ce dernier craignait avec raison d'être persécuté, il ne serait pas un réfugié au sens de la Convention aux termes de la définition donnée dans la Loi sur l'immigration, car il s'agit d'une personne à laquelle la Convention ne s'applique pas vu qu'il y a des raisons sérieuses de penser qu'elle a commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil.                 
         Le tribunal a soulevé la question, car il semble que le demandeur avait commis des crimes graves de droit commun lorsqu'il avait organisé des attaques contre des personnes qui prenaient part à des activités politiques pacifiques et démocratiques. Les incidents que le demandeur a décrits dans son témoignage, qui fait surtout référence à 1983 et 1984, avaient manifestement un caractère politique, encore que les attaques à coup de bâtons et de pierres et les blessures infligées à de simples citoyens fussent, de l'avis du tribunal, nettement disproportionnées par rapport à l'objectif déclaré d'obtenir un ordre social juste dans le pays et un gouvernement plus sensible aux besoins des pauvres. Le caractère de " droit commun " de l'infraction l'emporte donc sur l'élément politique. Le demandeur n'a pas eu à recourir à ces mesures extrêmes puisqu'il existait dans le pays un processus multipartite et démocratique. Il s'est tourné vers la violence pour détruire le système social et politique existant, au lieu de s'efforcer démocratiquement d'en édifier un meilleur.                 

    

[5]      Le 5 février 1996, le demandeur, son épouse et sa fille ont sollicité conjointement la résidence permanente en vertu des dispositions réglementaires concernant les immigrants visés par une MREF. Le paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration, 1978, DORS/78-172, définit un " immigrant visé par une mesure de renvoi à exécution différée " comme étant un individu qui :

         a)      est visé par une mesure de renvoi ou fait l'objet d'un avis d'interdiction de séjour conditionnelle, d'un avis d'interdiction de séjour ou d'une mesure de renvoi conditionnel au sens du paragraphe 2(1) de la Loi dans sa version antérieure au 1er février 1993;                 
         b)      a présenté le 1er janvier 1989 ou après cette date une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention et n'est pas une personne dont la revendication a été jugée irrecevable par la section du statut en application de l'article 46.01 de la Loi ou en application de l'article 46.01 de la Loi dans sa version antérieure au 1er février 1993;                 
         c)      a fait l'objet d'une décision de la section du statut lui refusant le statut de réfugié au sens de la Convention ou fait l'objet d'une décision de l'arbitre et d'un membre de la section du statut, dans le cadre de l'audience prévue au paragraphe 44(3) de la Loi dans sa version antérieure au 1er février 1993, portant que sa revendication n'a pas un minimum de fondement;                 
             * * * * * * * * *                 
         f)      n'a pas entravé ni retardé l'exécution d'une mesure d'exclusion ou d'une mesure d'expulsion dont il fait l'objet, notamment en omettant de se présenter à l'entrevue préalable au renvoi ou de se présenter pour être renvoyé selon les dispositions prises par l'agent d'immigration;                 
             * * * * * * * * *                 
         h)      n'appartient pas, non plus que les personnes à sa charge au Canada, à l'une des catégories visées aux alinéas 19(1)c) à g) et i) à l) et 2a) à b) de la Loi;                 
         i)      n'a pas, non plus que les personnes à sa charge au Canada, été déclaré coupable d'un acte criminel ou d'une infraction visés aux sous-alinéa 27(1)(a.1)(i) ou aux alinéas 27(1)d) ou 2d) de la Loi.                 

Les clauses d'exclusion sont exposées au paragraphe 2(7.1) du Règlement. Pour les besoins de la présente demande de contrôle judiciaire, l'alinéa b) prescrit que :

         2(7.1)      Pour l'application de la définition " immigrant visé par une mesure de renvoi à exécution différée " au paragraphe (1), n'est pas considéré comme un immigrant visé par une mesure de renvoi à exécution différée :                 
         b)      l'immigrant à l'égard duquel il est établi par la section du statut qu'il n'est pas un réfugié au sens de la Convention en se fondant sur le fait qu'il est soustrait à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la Loi;                 

[6]      En avril 1996, le demandeur a reçu de Citoyenneté et Immigration Canada une lettre datée du 11 avril 1996, dont les deux premiers paragraphes (page 18 de la DD) sont libellés en ces termes :

         [TRADUCTION]                 
         La présente fait suite à la demande que vous avez présentée en vertu des dispositions concernant les immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée. Nous vous informons par la présente que vous semblez satisfaire aux conditions d'admissibilité de cette catégorie.                 
         Votre dossier sera transmis au Centre de traitement des cas (CTC) à Vegreville, où votre demande de résidence permanente sera étudiée. Le CTC communiquera avec vous par la poste s'il a besoin d'autres renseignements.                 

La lettre n'était adressée qu'au demandeur, mais les numéros de dossier d'immigration du demandeur, de son épouse et de leur fille figuraient au bas de ce document.

[7]      Le 10 janvier 1997, le demandeur a reçu la lettre suivante, datée du " 2 janvier 1997 " :

         [TRADUCTION]                 
         La présente fait suite à la demande que vous avez présentée en vertu de la catégorie des immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée. Après mûre réflexion, nous sommes au regret de vous informer que vous ne satisfaites pas aux critères d'admissibilité à ce programme, et ce, pour la raison suivante :                 
         La Section du statut de réfugié a considéré que vous n'êtes pas un réfugié au sens de la Convention parce que des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité ont été commis. Ce fait vous empêche d'être admissible en vertu de l'alinéa 2(7.1)b) du Règlement sur l'immigration, dont le texte est le suivant :                 
         [texte sus-cité]                 
         La présente lettre annule la décision datée du 11 avril 1996, qui indiquait que vous satisfaisiez aux critères d'admissibilité concernant le programme susmentionné.                 
         Votre dossier a été transmis au Bureau des auditions ou des expulsions de votre localité pour plus ample examen. Si vous avez besoin d'autres renseignements, ou si vous changez d'adresse, veuillez communiquer avec le télé-centre de votre localité. (Même signataire que pour la lettre du 11 avril 1996)                 

Il n'est pas clair si cette décision détermine aussi que l'épouse et la fille du demandeur ne peuvent obtenir le droit d'établissement en vertu des dispositions réglementaires concernant les immigrants visés par une MREF. La décision ne mentionne pas leurs noms, et la SSR, bien sûr, n'a jamais conclu que les deux tombaient sous le coup de la " clause d'exclusion " F (p. 29, DD). C'est donc dire que la présumée annulation du 2 janvier 1997 ne pouvait vraisemblablement pas s'appliquer à l'épouse et à l'enfant née aux États-Unis. Les deux ont, sans aucun doute, le statut d'" immigrant visé par une mesure de renvoi à exécution différée ".

         [TRADUCTION]

         1.      Si la décision par laquelle la SSR a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention reposait sur les clauses d'" exclusion " de la Loi sur l'immigration , faisant ainsi en sorte que ce dernier ne pouvait obtenir le droit d'établissement en vertu des dispositions réglementaires concernant les immigrants visés par une MREF;                 
         2.      Si le principe du functus officio fait en sorte que la décision datée du 10 janvier 1997 n'est pas valide.                 

[8]      Le demandeur fait valoir que la décision en question est inexacte car il satisfait aux exigences d'admissibilité relatives à l'obtention du droit d'établissement en vertu des dispositions réglementaires concernant les immigrants visés par une MREF. Si la SSR a bel et bien indiqué que le demandeur est une personne qui est soustraite à l'application de la Convention, ce dernier fait valoir qu'il ne s'agissait pas là du fondement de la décision de la SSR. Ce fondement, ajoute-t-il, était qu'il ne craignait pas avec raison d'être persécuté. Il souligne à cet égard le paragraphe suivant, qui figure à la page 33 du DD, où la SSR indique ce qui suit :

         [TRADUCTION]                 
         Pour tous les motifs qui précèdent et après avoir examiné l'ensemble de la preuve, le tribunal conclut que la crainte de persécution dont fait état le demandeur est sans fondement. Le tribunal statue donc que Jesus Jimenez (aussi connu sous le nom de Jesus Leonardo Jimenez) n'est pas un réfugié au sens de la Convention d'après la définition que donne à cette expression le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration.                 

[9]      Après avoir statué que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention parce que sa crainte de persécution n'était pas fondée, la SSR a statué ensuite que même si cette crainte était fondée, le demandeur est une personne soustraite à l'application de la Convention car il a commis des crimes graves de droit commun pendant qu'il se trouvait en Équateur. Le demandeur fait valoir que cette dernière conclusion n'est pas le fondement de la décision, mais qu'il s'agissait plutôt d'une opinion judiciaire incidente. Il soutient donc que la décision par laquelle il a été conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention n'était pas fondée " sur le fait qu'il est soustrait à l'application de la Convention " ainsi qu'il est indiqué au paragraphe 2(7.1) du Règlement, mais plutôt sur la conclusion de la SSR selon laquelle sa [TRADUCTION] " revendication était dénuée d'un minimum de fondement ".

[10]      La SSR a peut-être bien raison d'exclure le demandeur du statut de réfugié en application de la section F de l'article premier, mais son raisonnement est assez obscur; sur plusieurs pages de ses motifs, la SSR s'étend sur la question de savoir si les infractions que le demandeur a commises sont de nature politique, ou " de droit commun ", ce qui [TRADUCTION] " l'emporte donc sur l'élément politique ". Qu'est-ce que cela veut dire? Il n'était pas un criminel ordinaire à la recherche de sensations fortes et mû par l'appât du gain : il était totalement animé par des raisons politiques et espérait atteindre, ou du moins influencer, des fins politiques.

[11]      Citant le professeur J.C. Hathaway dans l'ouvrage intitulé The Law of Refugees Status, Butterworths, Toronto, 1991, p. 222-223, la SSR fait référence, de pair avec le professeur Hathaway, à la [TRADUCTION] " justification fondée sur l'extradition " de la section F et cite les propos suivants de l'auteur [TRADUCTION] : " un demandeur [qui] a *** été amnistié... ne courrait aucun risque d'extradition, et ne devrait pas être exclu du statut de réfugié ". En l'espèce, la SSR a reconnu que tous les membres de l'AVC " y compris le demandeur " ont obtenu, dans l'intervalle, une amnistie complète de la part du gouvernement de l'Équateur, qui [TRADUCTION] " pour des fins qui lui sont propres " [que la SSR ne peut dénigrer] [TRADUCTION], " a décidé de ne pas poursuivre le demandeur ".

[12]      Le défendeur fait valoir que la SSR a fondé sa décision sur deux éléments : que le demandeur ne craignait pas avec raison d'être persécuté, et que le statut de réfugié au sens de la Convention ne peut lui être reconnu car il est une personne décrite à la section E ou F de l'article premier de la Convention. Maintenant, en disposant de meilleurs renseignements que ceux qu'a indiqués l'agent qui a écrit les lettres contradictoires, il est possible de voir que c'est effectivement le cas.

[13]      Le second argument du demandeur repose sur le principe du functus officio. Le demandeur fait valoir qu'ayant déterminé qu'il a le droit d'être admis en vertu des dispositions réglementaires régissant le MREF, l'agent d'immigration ne peut, huit mois plus tard environ, annuler cette décision. Le demandeur se fonde sur l'arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, où le juge Sopinka déclare ce qui suit, à la p. 862 :

         En règle générale, lorsqu'un tel tribunal a statué définitivement sur une question dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu'il a changé d'avis, parce qu'il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence, ou parce que les circonstances ont changé. Il ne peut le faire que si la loi le lui permet ou s'il y a eu un lapsus ou une erreur au sens des exceptions énoncées dans l'arrêt Paper Machinery Ltd. v. J.O. Ross Engineering Corp., précité.                 
         Le principe du functus officio s'applique dans cette mesure. Cependant, il se fonde sur un motif de principe qui favorise le caractère définitif des procédures plutôt que sur la règle énoncée relativement au jugement officiel d'une cour de justice dont la décision peut faire l'objet d'un appel en bonne et due forme. C'est pourquoi j'estime que son application doit être plus souple et moins formaliste dans le cas de décisions rendues par des tribunaux administratifs qui ne peuvent faire l'objet d'un appel que sur une question de droit. Il est possible que les procédures administratives doivent être rouvertes, dans l'intérêt de la justice, afin d'offrir un redressement qu'il aurait par ailleurs été possible d'obtenir par voie d'appel.                 
         Par conséquent, il ne faudrait pas appliquer le principe de façon stricte lorsque la loi habilitante porte à croire qu'une décision peut être rouverte afin de permettre au tribunal d'exercer la fonction que lui confère sa loi habilitante.                 

[14]      En réponse, le défendeur concède que le principe du functus officio s'applique aux décisions des tribunaux administratifs. Cependant, il soutient que ce principe ne devrait pas être appliqué de manière stricte car la décision était contraire au Règlement sur l'immigration. Il ajoute de plus que l'intention dudit Règlement devrait être préservée et non contrecarrée du simple fait qu'un agent d'immigration a rendu une décision erronée.

[15]      Sans traiter de la question de savoir si la décision de la SSR était " fondée " sur la crainte non fondée de persécution du demandeur, ou que la Convention ne s'applique pas à lui, la Cour tend à considérer qu'en l'espèce, la position du demandeur est la bonne.

[16]      Comme l'a déclaré le juge Sopinka, le principe du functus officio favorise le caractère définitif des procédures, encore qu'il s'applique de manière souple dans le cas des tribunaux administratifs. Cela veut dire qu'indépendamment du fait que les parties soient d'accord ou non avec la décision rendue, l'affaire ne peut être rouverte que s'il est établi qu'une erreur a été commise dans la façon d'exprimer l'intention manifeste du décisionnaire, ou s'il existe une erreur administrative qu'il est nécessaire de rectifier : Paper Machinery Ltd. v. J.O. Ross Engineering Corp., [1934] R.C.S. 186. Dernièrement, le juge Nadon de la présente Cour a reconnu aussi qu'il est possible de rouvrir une affaire s'il le faut pour respecter les principes de justice naturelle : Zelzle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1996] 3 C.F 20 (1re inst.). Le principe n'autorise pas expressément un tribunal à réviser une décision. La Cour tient compte des propos suivants du juge Sopinka :

         En règle générale, lorsqu'un tel tribunal a statué définitivement sur une question dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu'il a changé d'avis, parce qu'il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence, ou parce que les circonstances ont changé. Il ne peut le faire que si la loi le lui permet ou s'il y a eu un lapsus ou une erreur au sens des exceptions énoncées dans l'arrêt Paper Machinery Ltd. v. J.O. Ross Engineering Corp., précité.                 

[17]      Dans la présente affaire, rien ne prouve que la seconde décision a été rendue pour rectifier une erreur administrative ou exprimer l'intention manifeste du décisionnaire. Les intentions du décisionnaire étaient claires lorsqu'il a rendu sa première décision : le demandeur satisfaisait aux critères d'admissibilité à l'obtention du droit d'établissement en vertu des dispositions réglementaires régissant le MREF. Le simple fait qu'un changement soit survenu ne veut pas dire que le décisionnaire peut revenir sur sa décision. Si le décisionnaire a commis une erreur, cette erreur était certainement " dans le cadre de sa compétence ", comme l'a dit le juge Sopinka, et vu l'amnistie et toutes les autres circonstances applicables, il n'est pas sûr que cela était illégal comme l'a soutenu le défendeur.

[18]      Ainsi qu'a déclaré le juge Nadon dans l'arrêt Zelzle :

         En d'autres termes, la Commission peut-elle remettre en question une décision qui semble, à première vue, valide ou enquêter sur les circonstances dans lesquelles cette décision a été prononcée? Ainsi qu'il a déjà été précisé, la décision était régulièrement signée et précisait que l'affaire était réglée " sans audience ". La loi applicable autorise la SSR à rendre des décisions sans tenir d'audience. Il semble que, dans le cas du requérant, une décision a été rendue sans qu'une audience ne soit tenue. Un avis de décision a été dûment signé par le greffier, qui y précisait qu'une décision avait été rendue sans audience au sujet de la revendication le 10 mai 1993 et que le statut de réfugié au sens de la Convention avait été reconnu au requérant. La décision du 10 mai semble être régulière et avoir été rendue en conformité avec les dispositions de la Loi. La formation du 29 mai a excédé sa compétence en allant au-delà de cette décision et en jugeant qu'elle constituait une erreur administrative.                 
         La Commission n'avait pas compétence pour remettre en question une décision rendue régulièrement et en conformité avec la Loi. Une fois que la décision a été rendue " peu importe la façon dont elle l'a été " les formations du 15 novembre et du 29 mai étaient toutes les deux functus officio , étant donné que la revendication du statut de réfugié du requérant avait été tranchée. Si le ministre avait des réserves au sujet de la légitimité de la décision du 10 mai, la bonne façon de s'y prendre pour dissiper ses doutes consistait à demander le contrôle judiciaire de cette décision. Une fois qu'est rendue une décision qui paraît à première vue régulière, la façon de la contester consiste à présenter une demande de contrôle judiciaire.                 

[19]      Ces propos sont clairs. Si le ministre avait des doutes quant à la validité de la première décision, la bonne façon de la contester aurait été de recourir à une demande de contrôle judiciaire. Comme cela n'a pas été fait, il n'appartient pas au décisionnaire de revenir sur la décision initiale afin de mettre en doute sa validité.

[20]      Par conséquent, je suis d'avis de faire droit à la demande de contrôle judiciaire et d'annuler la décision datée du 10 janvier 1997. À l'évidence, au vu des motifs qui précèdent, la demande d'admissibilité en vertu des dispositions réglementaires régissant la MREF de la famille Jimenez, demande qui a déjà été tranchée une fois, n'a pas à être renvoyée à qui que ce soit pour obtenir une autre décision, ce qui serait illégal à la lumière du principe du functus officio. Ce dernier a été illustré de manière efficace par la présente Cour dans l'arrêt Bains c. Commission nationale des libérations conditionnelles [1989] 3 C.F. 450, 27 F.T.R. 316. Le défendeur est légalement tenu d'exécuter la demande qu'a faite le demandeur en vertu du MREF, et qui a été accueillie le 11 avril 1996.

[21]      Il est toujours gênant pour des fonctionnaires de considérer qu'ils ont commis une erreur dans l'administration du droit public. Cependant, à moins qu'il existe un moyen légitime d'effacer une telle erreur, on commet un cas de mauvaise administration en tentant simplement d'annuler l'erreur en question de manière très autoritaire et unilatérale. Quoi qu'il en soit, compte tenu du raisonnement lacunaire de la SSR et de son rabâchage, la première décision n'est manifestement pas erronée.

[22]      Il n'est pas nécessaire de certifier une question en l'espèce. Il importe que la demande d'obtention du droit d'établissement du demandeur pour des raisons d'ordre humanitaire soit tranchée par un agent d'immigration différend de celui qui a signé la lettre du 11 avril 1996 ainsi que la lettre contradictoire du 2 janvier 1997. L'erreur d'administration du défendeur a occasionné des retards au demandeur et, dans l'intervalle, lesdites dispositions réglementaires ont été abrogées. S'il n'existe aucune disposition transitoire dont peuvent profiter le demandeur, son épouse et son enfant aînée, la révision à laquelle ils ont maintenant droit pour des raisons d'ordre humanitaire devrait leur accorder le droit d'établissement, et ce, dans la même mesure qu'ils l'obtiendraient en vertu des dispositions réglementaires régissant la MREF s'ils n'avaient pas été détournés et déplacés. Ou alors, le ministre, dans la plénitude de son pouvoir ministériel, devrait intervenir pour le compte de la famille Jimenez.

                     F.C. Muldoon

                     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 19 mars 1998

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :               IMM-356-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      JESUS LEONARDO JIMENEZ c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          Le jeudi 8 janvier 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE MULDOON

EN DATE DU :              19 mars 1998

ONT COMPARU :

Me Douglas Lehrer          POUR LE DEMANDEUR

Me Jeremiah Eastman      POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Douglas Lehrer          POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Me George Thomson          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

du Canada

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