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                                                                                                                                          Date : 20020125

                                                                                                                                      Dossier : T-195-01

                                                                                                            Référence neutre : 2002 CFPI 79

ENTRE :

                                                               Dr NOËL AYANGMA

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                               défenderesse

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]         Le demandeur, le Dr Noël Ayangma, sollicite, en vertu de l'alinéa 466b) et de l'article 467 des Règles de la Cour fédérale (1998), des ordonnances enjoignant à Sa Majesté la Reine, représentée par trois de ses ministères (c.-à-d. Santé et Bien-être social Canada, la Commission de la fonction publique et le Conseil du Trésor), à des cadres supérieurs et dirigeants non désignés ainsi qu'à trois employés désignés de justifier, s'ils le peuvent, pourquoi ils ne devraient pas être reconnus coupables d'outrage au tribunal.


[2]         La requête fait suite à une action intentée par le Dr Ayangma contre Sa Majesté la Reine afin d'obtenir des dommages-intérêts s'élevant à 2 000 000 de dollars pour le préjudice découlant de la procédure abusive utilisée par Santé Canada et la Commission de la fonction publique pour empêcher sa nomination à un poste pour lequel il avait présenté sa candidature en réponse à un avis de concours public.

[3]         Le Dr Ayangma, qui n'est pas avocat, s'est représenté lui-même dans l'action ainsi que dans la demande dont est maintenant saisie la Cour, demande qui a été entendue en juillet 2001. Tant l'action que la demande ont été introduites après qu'il eut interjeté appel avec succès de la nomination d'un tiers au poste pour lequel il avait présenté sa candidature et après qu'il eut refusé de profiter de la possibilité qui lui a été donnée de participer à un nouveau concours pour le poste en cause ainsi qu'à d'autres concours pour d'autres postes, comme le prévoyait la décision du comité d'appel de la fonction publique visée par le présent appel.


[4]         Il est allégué que l'outrage aurait découlé du fait que la défenderesse et les autres parties désignées ne se seraient pas conformées à une ordonnance du Tribunal canadien des droits de la personne, laquelle a été enregistrée auparavant auprès de la Cour le 24 mars 1997, à titre de demande T-573-97, conformément à l'article 57 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 et ses modifications. Cette ordonnance [ci-après appelée l'ordonnance ACNRI] résultait de la décision rendue par le Tribunal canadien des droits de la personne dans l'affaireAlliance de la Capitale nationale sur les relations inter-raciales (ACNRI) c. Canada (Santé et Bien-être social), [1997] C.H.R.D. no 3. Par cette ordonnance, le Tribunal a enjoint à Santé Canada de régler divers problèmes dans son processus de dotation et a prescrit une série de mesures correctives et de méthodes de surveillance visant à permettre aux membres des minorités visibles d'avoir des possibilités d'avancement au sein de ce ministère, de manière compatible avec l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[5]         Les parties visées par l'ordonnance ACNRI était l'Alliance de la Capitale nationale sur les relations inter-raciales (ACNRI), la Commission canadienne des droits de la personne et Sa Majesté la Reine représentée par Santé et Bien-être social Canada, la Commission de la fonction publique et le Conseil du Trésor. À l'instance devant le Tribunal, l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada a participé en qualité de partie intéressée.

[6]         L'ordonnance prévoyait la surveillance régulière de la procédure par Santé Canada afin d'évaluer les mesures prises pour mettre en oeuvre les modalités de l'ordonnance. Outre les révisions ministérielles, la surveillance était effectuée par la Commission canadienne des droits de la personne. Le secrétaire général de la Commission a écrit au sous-ministre le 6 juin 2001; voici un extrait de sa lettre :

[Traduction] Il ressort de l'analyse des rapports de Santé Canada que le Ministère poursuit ses efforts pour se conformer aux modalités de l'ordonnance du Tribunal et que des membres des minorités visibles ont été nommés aux postes de direction indiqués dans les mesures temporaires un à six de l'ordonnance, à un rythme égal ou supérieur à ceux précisés dans l'ordonnance. En fait, après trois années d'application, Santé Canada a atteint l'objectif de représentation des minorités visibles en ce qui concerne les postes permanents de la catégorie EX/Gestion supérieure et les postes permanents du niveau du groupe de relève dans la catégorie Administration et Service extérieur, comme le précisaient les mesures temporaires un et deux de l'ordonnance.

                                                                                                               


La Commission souligne en outre que Santé Canada a terminé son réexamen à mi-période de la mise en oeuvre de la décision du Tribunal et [...] le rapport ajoute que les modifications présentement en cours de réalisation devraient avoir les effets escomptés si les efforts déployés pour respecter l'ordonnance se poursuivent. La Commission vous souhaite de réussir à mettre sur pied une fonction publique représentative.

[7]         Peu de temps après le prononcé de l'ordonnance du Tribunal et son dépôt auprès de la Cour, le Dr Ayangma a commencé à travailler pour Santé Canada. Il est devenu membre du comité ministériel qui surveille l'exécution de l'ordonnance ACNRI et il a également présidé le comité consultatif sur la diversité de la région de l'Atlantique.

[8]         En juin 1995, le poste de directeur, Politiques des programmes et Planification, s'est libéré au sein du Ministère, son titulaire ayant accepté une nomination pour une période déterminée au sein d'une autre organisation. Il a fait l'objet de nominations à titre temporaire ainsi que d'une nomination par intérim en 1997. Par la suite, la nomination par intérim a été prolongée à trois reprises, sans concours. En mars 2000, Santé Canada a demandé à la Commission de la fonction publique de doter le poste par recrutement interne. La demande précisait que les modalités de l'ordonnance ACNRI devaient être respectées et indiquait notamment que [traduction] « les comités de sélection des candidats pour les postes au sein de Santé Canada doivent comprendre, chaque fois que cela est possible, un membre d'une minorité visible, peu importe la représentation du bassin de candidats » .


[9]         Le poste a été affiché en avril 2000 et le Dr Ayangma a posé sa candidature, précisant qu'il était noir, membre d'une minorité visible et que sa langue maternelle aux fins de la correspondance, des examens et des entrevues était le français. En fin de compte, une courte liste de cinq candidats a été établie et les entrevues ont eu lieu en mai et au début de juin. À l'entrevue, le Dr Ayangma a pu constater qu'un seul des membres du comité était en mesure de mener l'entrevue en français, et, à son avis, le comité de sélection ne comprenait aucun membre d'une minorité visible, même s'il convient de souligner que deux des trois membres dudit comité étaient d'origine autochtone.

[10]       Le Dr Ayangma a interjeté appel du processus de sélection devant le comité d'appel de la fonction publique. Le comité a entendu l'appel le 31 octobre 2000. Il a accueilli l'appel, ordonnant que des mesures correctives soient prises, notamment qu'un nouveau concours soit tenu et qu'il soit donné au demandeur la possibilité de se présenter à ce concours ainsi qu'à d'autres concours pour des postes différents. Le demandeur n'a participé ni au nouveau concours ni à aucun autre concours.

[11]       Ensuite, le Dr Ayangma a engagé un contrôle judiciaire de la décision du comité d'appel (no de greffe T-2237-00), mais il n'y a pas donné suite. Il a plutôt intenté la présente action (T-195-01) en vertu de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 et ses modifications, réclamant des dommages-intérêts relativement aux mêmes faits. Dans le cadre de cette action, il sollicite également des ordonnances de justification pour le motif qu'il y aurait eu violation de l'ordonnance ACNRI enregistrée auprès de la Cour, par Sa Majesté, représentée par les trois ministères désignés, par des cadres non désignés ainsi que par les trois personnes désignées, dont deux étaient membres du comité de sélection pour le concours de dotation, tenu en 2000, qui fait l'objet de la plainte déposée par le Dr Ayangma. La troisième personne désignée avait représenté la Commission de la fonction publique devant le comité d'appel.


[12]       Dans sa demande de rejet de l'ordonnance sollicitée par le demandeur, l'avocat de Sa Majesté fait valoir que le demandeur n'a pas la qualité requise pour présenter la demande. Des difficultés d'ordre procédural sont également soulevées, savoir celle de chercher à faire exécuter une ordonnance déposée dans le dossier de la Cour fédérale T-573-97 au moyen d'une demande interlocutoire dans la présente action (T-195-01), et celle d'accorder les ordonnances demandées contre les parties désignées comme parties défenderesses dans la présente instance pour outrage.

Analyse

[13]       En ce qui concerne la question de la qualité pour agir, après l'audition de la demande, le Dr Ayangma a fait des représentations écrites à la Cour, invoquant l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Harris c. Canada, [2000] 4 C.F. 37 (C.A.), qui a confirmé la décision par laquelle le juge Muldoon avait reconnu que le demandeur avait qualité pour agir dans l'intérêt public et pour intenter une action alléguant que le ministre du Revenu national avait agi irrégulièrement ou pour un motif inavoué en accordant un traitement préférentiel à un contribuable. Le Dr Ayangma a également fourni une copie de la décision récente du Tribunal canadien des droits de la personne dans l'affaire Chopra et la Commission canadienne des droits de la personne c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, [2001] C.H.R.D. no 20, 13 août 2001.


[14]       Même si le Dr Ayangma est membre d'une minorité visible censée être visée par l'ordonnance ACNRI, il n'a pas qualité de partie à la procédure ayant mené à cette ordonnance. À mon avis, il n'a pas non plus qualité pour agir dans l'intérêt public. Comme la Cour d'appel le souligne dans l'arrêt Harris, précité, les conditions en vertu desquelles un demandeur peut contester, dans l'intérêt public, les limites d'une action administrative, qui est censée être exercée conformément à un pouvoir délégué par la loi, sont les suivantes : d'importantes questions d'intérêt général sont soulevées devant la Cour, le demandeur a un intérêt réel et il n'existe aucun autre moyen raisonnable et efficace d'obtenir la résolution du problème.

[15]       D'après ce que je comprends de la situation en l'espèce, le Dr Ayangma a déjà engagé des procédures devant le comité d'appel de la fonction publique afin de faire annuler le concours qui, à son avis, ne respectait pas les conditions de l'ordonnance ACNRI. Cette mesure a donné de bons résultats, bien que le Dr Ayangma n'ait pas profité plus tard de la nouvelle occasion qui lui a été donnée de chercher à obtenir le poste. L'annulation du concours original et la tenue d'un autre concours en remplacement visent clairement à corriger les lacunes du concours original, notamment toute omission d'appliquer l'ordonnance ACNRI dans la mesure où elle peut concerner la procédure du concours. À mon avis, une procédure raisonnable et efficace a été suivie et a mené à la résolution du problème.


[16]       Outre la question de la qualité pour agir, la présente demande comporte des lacunes graves quant à la procédure. Le Dr Ayangma est manifestement d'avis que les conditions imposées par l'ordonnance ACNRI n'ont pas été respectées dans le concours auquel il a participé. Il invoque sa propre interprétation de la décision du comité d'appel de la fonction publique comme preuve que les conditions de l'ordonnance n'ont pas été respectées, mais il n'admet pas que l'annulation du concours visé par la plainte et la tenue d'un nouveau concours ont remédié à cette situation. Il est évident que rien dans la preuve n'indique que l'inobservation de l'ordonnance ACNRI s'est poursuivie.

[17]       De plus, les documents dont j'ai été saisi en dehors de l'avis du Dr Ayangma soulèvent des difficultés. Les documents inclus dans le dossier de la requête du demandeur, qui étaient censés appuyer cette opinion, ne sont pas des faits dont le Dr Ayangma atteste avoir une connaissance personnelle. D'un point de vue juridique, ces documents constituent, en majeure partie, du ouï-dire et ont été produits au soutien de l'avis et des arguments du demandeur, mais ils n'établissent pas les faits en preuve.

[18]       Il y a d'autres problèmes d'ordre procédural dont je dispose sommairement :

1.         Sa Majesté la Reine ne peut faire l'objet de procédures pour outrage (voir Hogg and Monahan, Liability of the Crown 3e éd. (Toronto, Carswell, 2000), à la p. 58). De plus, les ministères fédéraux n'ont pas de statut juridique distinct de celui-ci de Sa Majesté et ils ne sont pas les défendeurs appropriés dans une demande de justification pour contraventions alléguées à une ordonnance d'un tribunal.


2.         Aucune ordonnance de justification pour outrage ne saurait être délivrée à l'encontre de personnes non désignées qui n'ont pas reçu signification de l'avis de requête concernant l'ordonnance. Ces personnes peuvent toutefois être parties défenderesses à une ordonnance visant à obtenir la saisie de biens lorsqu'elle est signifiée, par exemple, avec une ordonnance de type Anton Piller, et l'omission de se conformer à une telle ordonnance, après en avoir reçu signification en personne, peut entraîner une procédure pour outrage. Ce n'est pas ce que se propose de faire le demandeur en l'espèce.

3.         Les personnes désignées dans l'avis de requête ne peuvent faire l'objet d'une ordonnance de justification que lorsqu'il est établi qu'elles ont reçu signification en personne de l'avis de requête et qu'il y a une preuve prima facie qu'elles sont au courant de l'ordonnance de la Cour qu'elles auraient violée et que la preuve indique qu'elles ont violé personnellement l'ordonnance. À mon avis, ces questions ne sont pas établies par la preuve produite au soutien de la requête visant à obtenir des ordonnances de justification.

[19]       Pour ces motifs, la Cour rejette la demande du Dr Ayangma visant à obtenir des ordonnances de justification pour outrage.

[20]       La défenderesse sollicite les dépens de la requête et, compte tenu des « allégations graves, scandaleuses et dénuées de fondement » qui ont été faites relativement à la présente demande, elle sollicite les dépens sur la base avocat-client. Je ne suis pas convaincu que les dépens devraient être adjugés sur la base avocat-client, même si le Dr Ayangma devrait être conscient, du moins à partir de maintenant, qu'il ne devrait pas faire des allégations qui ne sont pas étayées par la preuve, notamment en ce qui concerne des personnes.


[21]       La défenderesse a droit aux dépens de la requête sur la base des frais entre parties, dépens qui sont fixés à 1 200 $ par l'ordonnance rejetant la demande et qui sont payables sans délai.

        W. Andrew MacKay

                                                   

            JUGE

O T T A W A (Ontario)

25 janvier 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


Date : 20020125

Dossier : T-195-01

OTTAWA (Ontario), le 25 janvier 2002

EN PRÉSENCE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

ENTRE :

                                                               Dr NOËL AYANGMA

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                 -et-

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                               défenderesse

                                                                     ORDONNANCE

VU LA REQUÊTE présentée par le demandeur, le Dr Ayangma, afin d'obtenir des ordonnances « enjoignant à Sa Majesté la Reine (Santé Canada, Commission de la fonction publique et Conseil du Trésor), aux cadres supérieurs et dirigeants dont il est question dans l'ordonnance et aux employés Mme Diane Claing, M. Richard Jock et M. Serge Vaillancourt, de justifier, s'ils le peuvent, pourquoi ils ne devraient pas être reconnus coupables d'outrage au tribunal » ;


APRÈS avoir entendu le demandeur, comparaissant en son propre nom, et l'avocat de Sa Majesté la Reine et des autres défendeurs, à Halifax, le 17 juillet 2001, quand il a été décidé de surseoir au prononcé de la décision;

ET APRÈS avoir examiné les observations faites ainsi que les prétentions écrites du demandeur dans une lettre et un mémoire datés tous les deux du 14 août 2001;

LA COUR ORDONNE QUE :

1.                    la demande soit rejetée;

2.                    les dépens, s'élevant à 1 200 $ et payables sans délai, soient adjugés sur la base des frais entre parties à la défenderesse, Sa Majesté la Reine.

        W. Andrew MacKay

_______________________________

JUGE

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                              T-195-01

INTITULÉ :                                             Dr Noël Ayangma c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :                    17 juillet 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      Monsieur le juge MacKay

DATE DES MOTIFS :              25 janvier 2002

COMPARUTIONS :

Noël Ayangma                           EN SON PROPRE NOM

James Gunvaldsen-Klaassen                   POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Noël Ayangma                           EN SON PROPRE NOM

Charlottetown (Î.-P.-É.)

George Thomson                                     POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

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