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Date : 20011030

Dossier : T-810-00

                                                                                           Référence neutre : 2001 CFPI 1171

ENTRE :                                                                                                   

ASTRAZENECA AB

demanderesse

- et -

NOVOPHARM LIMITED

- et -

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

défendeurs

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE KELEN


[1]                 Il s'agit d'un appel interjeté en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, par Astrazeneca AB (Astra) à l'encontre d'une décision du registraire des marques de commerce datée du 9 mars 2000, refusant la demande d'enregistrement n ° 783267, présentée par Astra, de la marque de commerce YELLOW TABLET DESIGN consistant en la couleur jaune et la forme ronde pour ses comprimés contenant de la félodipine, médicament servant ordinairement au traitement de l'hypertension.

La décision est fondée sur le caractère non distinctif

[2]                 La défenderesse Novopharm Limited (Novopharm) a déposé une déclaration d'opposition à la demande d'enregistrement. Parmi les divers motifs d'opposition fondés sur l'article 38, le registraire a accepté le motif du caractère non distinctif. À la page 9, la décision du registraire porte :

[TRADUCTION] Dans la présente affaire, la preuve de l'opposante établit qu'il existe au moins quelques autres comprimés jaunes utilisés pour le traitement de l'hypertension, disponibles sur le marché. [...] l'existence d'un nombre assez important de comprimés jaunes pour le traitement de l'hypertension dans le CPS [renvoi à l'édition de 1995 du Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques] me permet, en l'espèce, de conclure qu'au moins certains de ces comprimés ont été commercialisés activement au Canada. La preuve qu'on m'a présentée indique que la marque de commerce de la requérante n'est pas susceptible de distinguer son médicament antihypertenseur de ceux des autres.

La requérante soutient que le marché pertinent concernant la question du caractère distinctif en l'espèce n'est pas celui de tous les comprimés antihypertenseurs mais seulement celui des comprimés antihypertenseurs qui contiennent comme principe actif la félodipine. Je ne puis souscrire à cette position. La requérante a défini le marché d'une manière trop étroite.

La preuve


[3]         Selon la preuve, il existe environ vingt comprimés jaunes et ronds qui sont offerts sur le marché au Canada pour le traitement de l'hypertension. Astra est le seul fabricant de félodipine. Son produit est vendu sous la marque de commerce PLENDIL, dans une boîte contenant une plaquette comportant les comprimés dans des alvéoles. Les pharmaciens ne se fient pas seulement à la couleur et à la forme, c'est-à-dire au fait qu'il s'agit de comprimés jaunes et ronds, mais aussi aux indications données sur la boîte extérieure et sur l'emballage intérieur.

[4]         Il n'y a pas eu de témoignage de patients, les consommateurs ultimes, indiquant qu'ils associent la couleur et la forme des comprimés à la félodipine ou au PLENDIL. Les parties conviennent que les médecins « n'accordent guère d'attention » à la couleur et à la forme des comprimés de félodipine.

La norme de contrôle

[5]         Dans l'arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Limitée, [2000] 3 C. F. 145 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a défini la norme de contrôle à l'égard des appels des décisions du registraire des marques de commerce. À la page 168, au paragraphe 51, le juge Rothstein s'exprime ainsi :

Compte tenu de l'expertise du registraire, et en l'absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire.

La preuve additionnelle

[6]         La seule preuve additionnelle produite par Astra consiste en un affidavit souscrit par Adam Pignataro, pharmacien, qui expose le point de vue des pharmaciens à l'égard de la couleur et de la forme des comprimés de 2,5 mg de PLENDIL d'Astra. Il y dépose :


i)           que les pharmaciens procèdent à une inspection visuelle de la couleur et de la forme des comprimés [TRADUCTION] « pour s'assurer qu'il s'agit bien de comprimés de marque PLENDIL... » ;

ii)          que les comprimés sont présentés dans un [TRADUCTION] « emballage aide-mémoire » ;

iii)          que l'emballage aide-mémoire est une boîte [TRADUCTION] « qui identifie Astra comme le fournisseur, la félodipine comme l'ingrédient actif et PLENDIL comme la marque nominale » ;

iv)         qu'à l'intérieur de l'emballage aide-mémoire, il y a une plaquette marquée PLENDIL contenant les comprimés dans des alvéoles, qui permettent au pharmacien d'observer la couleur et la forme des comprimés;

5)                    que le pharmacien ne se fie pas seulement à la couleur et à la forme.

[7]         Le témoin indique, dans le dernier paragraphe de son affidavit :

[TRADUCTION] Évidemment, le pharmacien ne se fie pas seulement à la couleur et à la forme, mais il s'assure aussi que les autres indicateurs de la marque (comme l'information sur l'emballage aide-mémoire de PLENDIL) correspondent à ce qu'ils devraient être pour la marque PLENDIL.

En contre-interrogatoire, M. Pignataro a admis qu'il ne savait pas réellement si d'autres pharmaciens en Ontario, ou ailleurs Canada, se fiaient à la couleur et à la forme des comprimés pour s'assurer qu'il s'agissait bien de comprimés de félodipine d'Astra.

[8]         La preuve additionnelle présentée en Section de première instance par Novopharm n'a fait que confirmer qu'il existe plusieurs comprimés jaunes et ronds pour l'hypertension sur le marché.


La preuve présentée au registraire

[9]         La preuve présentée au registraire comprenait l'affidavit de Roger Daher, pharmacien de Toronto. En contre-interrogatoire, M. Daher a indiqué qu'il vérifiait la couleur et la forme des comprimés de 2,5 mg de PLENDIL avant de les délivrer. Donc, la preuve additionnelle présentée en Section de première instance n'était pas sensiblement différente sur ce point. Cette preuve portait sur le point que le pharmacien vérifie la couleur et la forme des comprimés de félodipine d'Astra avant de les délivrer à un patient.

La preuve additionnelle n'aurait pas eu d'effet sur la décision du registraire

[10]       À mon avis, la preuve additionnelle présentée par Astra en Section de première instance n'est pas telle qu'elle aurait eu un effet sur la conclusion du registraire quant à la question du caractère distinctif. Par conséquent, la norme de contrôle qui s'applique est celle du caractère raisonnable simpliciter.

Le registraire a appliqué le bon principe, soit que la couleur et la forme constituent un fondement faible pour une marque de commerce de médicament

[11]       Le registraire s'est appuyé sur l'affaire Novopharm Ltd. c. Bayer Inc. (1999), 3 C.P.R. (4th) 305, dans laquelle le juge Evans (tel était alors son titre) a indiqué à la page 322 :

... bien que j'accepte qu'en droit, la couleur, la forme et la taille d'un produit peuvent, ensemble, constituer une marque de commerce, la marque résultante risque généralement d'être faible...


Le juge Evans poursuit :

En l'espèce, comme les petits comprimés ronds et roses sont courants sur le marché des produits pharmaceutiques, Bayer doit s'acquitter d'un lourd fardeau pour établir, selon la probabilité la plus forte, qu'en 1992, ces propriétés avaient une notoriété propre, de sorte que les consommateurs ordinaires associaient ces comprimés à une seule source...

Il a été jugé, dans cette affaire, que les comprimés ronds et roses sont si courants que le requérant doit s'acquitter d'un « lourd fardeau » pour établir, selon la probabilité la plus forte, que la couleur et la forme associées aux comprimés étaient distinctives et pouvaient être acceptées comme marques de commerce. En l'espèce, Astra doit s'acquitter d'un fardeau similaire. Le seul fait qu'Astra a utilisé cette couleur et cette forme en liaison avec ses comprimés de félodipine et que les pharmaciens reconnaissent la couleur et la forme des comprimés dans leur emballage n'est pas suffisant. La décision du registraire est raisonnable à cet égard.

[12]       Plusieurs autres jugements ont rejeté la position que la couleur et la forme soient distinctives. Dans la décision Eli Lilly Co. c. Novopharm Ltd. (1997), 73 C.P.R. (3d) 371, Madame le juge Reed a conclu, à la page 397 :

Il est évident qu'un fort pourcentage de la population canadienne en général connaît la marque Prozac et l'associe avec un médicament psychotrope. Cependant, malgré la publicité dont le produit a fait l'objet, la preuve n'établit pas qu'un nombre important de personnes associent la taille, la forme et la couleur de la capsule, ou la couleur uniquement, avec Lilly ou avec une source ou origine commerciale.


[13]       En appel, la Cour d'appel fédérale (2000), 10 C.P.R. (4th) 10 a déclaré à la page 26 :

[...] je ne puis pour autant conclure, comme les appelantes le suggèrent, que la Cour suprême du Canada est d'avis que l'apparence d'un médicament délivré sur ordonnance constitue dans chaque cas un droit de marque de commerce. Une preuve pertinente doit le démontrer dans les circonstances de chaque espèce.

[14]       Dans l'affaire Novopharm Limited c. Astra, [2000] A.C.F. n ° 496 (C.F. 1re inst.), le juge Rouleau a déclaré au paragraphe 14 :

Lorsque j'applique ces principes à la preuve dont je suis actuellement saisi, je ne puis conclure que la couleur et la forme du comprimé d'oméprazole d'Astra sont des caractéristiques distinctives du produit. Il appert clairement de la preuve que, tant à la date de l'opposition qu'avant celle-ci, un certain nombre de capsules à deux tons bien connues étaient vendues et distribuées dans l'industrie pharmaceutique, y compris des capsules de tons rose et brun. L'intimée n'a présenté aucun élément de preuve indiquant selon la probabilité la plus forte qu'un nombre important de consommateurs associent l'apparence de son produit à une seule source. Par conséquent, elle n'a pas réussi à prouver le caractère distinctif que la marque de commerce doit comporter pour être valable.

[15]       En l'espèce, Astra n'a pas présenté de témoignages de consommateurs ni de médecins. Elle a présenté une preuve que les pharmaciens vérifient la couleur et la forme des comprimés se trouvant à l'intérieur de l'emballage aide-mémoire avant de délivrer le produit. Étant donné le nombre de comprimés ronds et jaunes sur le marché, il faut qu'Astra établisse clairement, selon la probabilité la plus forte, que la couleur et la forme ont été utilisées, dans le cas de la félodipine, au point que les pharmaciens associent la couleur et la forme à une seule source. La décision du registraire concluant que la marque de commerce projetée n'est pas distinctive est raisonnable.


[16]       Astra invoque l'arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc. (1992), 44 C.P.R. (3d) 289 (C.S.C), dans lequel la Cour suprême du Canada a pris en considération la présentation d'un produit pharmaceutique dans une action en commercialisation trompeuse. Cette affaire concernait un produit pharmaceutique que les pharmaciens achètent en vrac et qu'ils délivrent au public dans des récipients transparents et anonymes de sorte que la seule façon d'attirer l'attention des patients sur l'origine du produit réside dans les comprimés eux-mêmes. En l'espèce, Astra a des marques distinctives sur l'emballage de carton extérieur et sur la plaquette de plastique contenant les comprimés dans des alvéoles. La Cour suprême du Canada a cité l'arrêt d'une cour d'appel anglaise, Hoffman-Laroche and Company c. D.D.S.A Pharmaceuticals Ltd., [1972] R.P.C. 1, qui a statué :

[TRADUCTION] Dans l'ensemble, je conclus que la preuve n'est pas suffisante pour établir que l'apparence ordinaire même des comprimés blanc et jaune de DZP de la demanderesse a amené les patients consommateurs à associer ces comprimés à un fabricant ou à une source commerciale.

[17]       Je suis le raisonnement de la cour d'appel anglaise et conclus que l'apparence ordinaire des comprimés ronds et jaunes d'Astra n'est pas distinctive au point qu'on associe ces comprimés à un fabricant ou à une source commerciale, sauf pour l'emballage. Les pharmaciens vérifient d'abord et avant tout les indications sur l'emballage extérieur et sur la plaquette contenant les comprimés dans des alvéoles. C'est l'emballage qui rend le médicament distinctif, non la couleur et la forme. La décision du registraire est donc raisonnable.


L'exactitude de la décision

[18]       Dans le cas où l'exactitude serait la norme de contrôle appropriée, sur le fondement de l'ensemble de la preuve, je suis convaincu que la couleur et la forme des comprimés de félodipine ne sont pas « distinctives » au sens où ce terme est employé aux articles 2 et 12 de la Loi sur les marques de commerce, parce que la couleur et la forme ne distinguent pas les comprimés d'autres comprimés ronds et jaunes. C'est l'emballage qui distingue les marchandises.

Conclusion

[19]       L'alinéa 38(2)d) de la Loi sur les marques de commerce prévoit qu'une opposition peut être fondée sur le motif que la marque n'est pas distinctive. En l'espèce, je suis d'avis que la couleur jaune et la forme ronde ne distinguent pas les comprimés de félodipine d'Astra, de sorte que la décision du registraire est raisonnable.


[20]       Pour ces motifs, l'appel est rejeté avec dépens.

                                                                                                                        « Michael A. Kelen »         

                                                                                                                                                  JUGE                      

OTTAWA (ONTARIO)

30 OCTOBRE 2001

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20011030

Dossier : T-810-00

OTTAWA (ONTARIO), le 30 octobre 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MICHAEL A. KELEN

ENTRE :

                                                          ASTRAZENECA AB

demanderesse

- et -

NOVOPHARM LIMITED

- et -

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

défendeurs

                                                              ORDONNANCE

VU L'APPEL interjeté en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, par la demanderesse à l'encontre d'une décision du registraire des marques de commerce datée du 9 mars 2000, refusant la demande d'enregistrement n ° 783267, présentée par Astra, de la marque de commerce YELLOW TABLET DESIGN consistant en la couleur jaune et la forme ronde pour ses comprimés contenant de la félodipine;


Les avocats des parties ayant été entendus à Toronto, le 22 octobre 2001;

LA COUR ORDONNE :

[1]         L'appel est rejeté avec dépens.

       « Michael A. Kelen »         

                                                                                                                                                  JUGE                      

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-810-00

INTITULÉ :                                        Astrazeneca AB c. Novopharm Ltd. et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 22 octobre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

MONSIEUR LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS ET DE L'ORDONNANCE :            30 octobre 2001

COMPARUTIONS:

M. Gunars Gaikis                                                              POUR LA DEMANDERESSE

M. Mark Biernacki

Mme Carol Hitchman                                                          POUR LA DÉFENDERESSE

Mme Paula Bremner                   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Smart & Biggar                                                                POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Hitchman & Sprigings                                           POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

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