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Date : 20020508

Dossier : T-906-00

                                                                                                        Référence neutre : 2002 CFPI 526

ENTRE :

                                                ARMONIKOS CORPORATION LTD.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                                                   SASKATCHEWAN WHEAT POOL

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

        L'ancien avocat du défendeur a été empêché, pour cause de maladie, de s'occuper du présent dossier. La date de l'instruction était imminente. Ses associés ont été alors pris par surprise et n'ont pu obtenir un ajournement. Ils ont donc nommé un nouvel avocat qui a alors constaté que le défendeur avait l'intention d'obtenir une contre-preuve d'expert et de déposer cette preuve, ce qui n'avait pas été fait.


        Une des questions en litige porte sur l'existence d'une charte-partie. Les usages et le code de conduite des courtiers maritimes jouent un rôle essentiel en l'espèce. La demanderesse a signifié la déposition d'un courtier maritime, fourni à titre d'expert. D'où la présente requête, présentée pour la défenderesse, en vue d'obtenir la prorogation du délai de signification de la contre-preuve d'un courtier maritime dont l'opinion diffère de la première. Je note que le milieu du courtage maritime est quelque peu secret, voire ésotérique, et le témoignage d'experts en courtage maritime pourrait être utile au tribunal.

        Le juge Nadon, tel était alors son titre, a examiné la question du dépôt tardif du rapport d'un expert dans Transport Navimex Canada Inc. c. Canada (1997) 119 F.T.R. 70. Le juge Nadon a insisté sur la nécessité de motiver le retard mais il n'a pas examiné tous les facteurs qui touchent la prorogation d'un délai : il souligne, à la page 75, que c'est la tardiveté du dépôt de la requête en prorogation de délai qui est fatal, parce que même si la partie avait fourni des explications satisfaisantes au sujet du retard mis à déposer le rapport, il aurait quand même rejeté la requête.


        La justification du retard ne constitue qu'un des aspects du critère permettant d'accorder la prorogation d'un délai. Je noterais ici que le critère applicable devant notre Cour en matière de prorogation de délai est pratiquement devenu un critère général, qu'il convient d'appliquer avec les modifications qui s'imposent, dans la plupart des cas, voire dans tous les cas, sous réserve de ce qu'a précisé la Cour d'appel dans l'arrêt Grewal c. Le Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1986) 63 N.R. 106, au sujet du caractère non exhaustif de la liste des éléments à prendre en considération.

        Le critère général habituel exige un examen détaillé des faits et je ferais référence sur ce point à l'arrêt Canada c. Hennelly (1999) 244 N.R. 399 (C.A.), dans lequel le critère est exposé à la page 400, à savoir :

1. une intention constante de poursuivre sa demande;

2. que la demande est bien fondée;

3. que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai; et

4. qu'il existe une explication raisonnable justifiant le délai.

Dans Hennelly, la Cour d'appel n'a pas faire référence à l'arrêt Grewal (supra), mais il est certain que le critère tel que formulé par la Cour d'appel dans Hennelly est tiré de l'arrêt Grewal. Le sens de l'arrêt Grewal, outre le fait que, d'après la Cour, la liste des éléments constituant le critère n'est pas limitative, est qu'il faut concilier différents facteurs, les éléments négatifs étant compensé par d'éventuels éléments positifs (page 116), l'idée essentielle étant que justice doit être faite (juge en chef Thurlow, à la page 110 et le juge Marceau, à la page 115).


        En l'espèce, l'intention constante apparaît clairement de l'intention qu'avait l'ancien avocat de la défense de déposer l'affidavit d'un expert, intention qui était même antérieure à la signification de l'affidavit de l'expert par la demanderesse. L'action est fondée, ce qui apparaît non seulement à la lecture des actes de procédure mais découle également du fait que les opinions des experts sont très claires et diamétralement opposées. Dans son dossier de requête, la demanderesse ne mentionne pas qu'elle risque de subir un préjudice et il y a même lieu de féliciter l'avocat de la demanderesse d'avoir clairement exprimé sa position à ce sujet et sur tous les autres points soulevés par la requête. La deuxième question à trancher est celle de savoir s'il existe des éléments expliquant le retard.

        L'élément clé est la maladie de l'ancien avocat de la défense. Je tiens pour avéré qu'il n'est pas en mesure de préparer un affidavit. Cependant, les preuves indiquent qu'il était déprimé depuis un certain temps, qu'il prenait des médicaments mais que sa maladie ne s'est vraiment déclarée pour ses associés que le 22 avril 2002 et qu'ils auraient été complètement pris au dépourvu.

        Au sujet de la question plus précise de la maladie en tant que motif pouvant expliquer un retard, je citerai aux avocats deux causes bien connues. La première est Chin c. Le Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994) 69 F.T.R. 77, une décision de Madame le juge Reed. Dans cette affaire, la demande de prorogation de délai était fondée sur le fait que l'avocat était surchargé de travail. Elle est partie du principe voulant que les délais doivent être respectés et elle a refusé d'accorder une prorogation de délai pour la seule raison que le calendrier ou la charge de travail de l'avocat est trop lourde, parce que cela ne serait pas équitable pour ceux qui font tout ce qu'ils peuvent pour respecter les dates butoirs (pages 79 et 80). Elle a ensuite indiqué dans quels cas elle accorderait une prorogation de délai :


[8] Quels sont donc les motifs pour lesquels j'accorde une prorogation de délai. J'ai déjà indiqué que, en règle générale, je ne rends pas une décision favorable lorsque les demandes reposent uniquement sur la charge de travail de l'avocat. Lorsque je suis saisie d'une demande de prolongation de délai, je cherche un motif qui échappe au contrôle de l'avocat ou du requérant, par exemple, la maladie ou un autre événement inattendu ou imprévu. (page 80)

Madame le juge Reed recherchait un élément inattendu ou imprévu, comme une maladie, pour justifier la prorogation d'un délai.

        La deuxième affaire est la décision qu'a prononcée le juge Dubé dans l'affaire Tom Pac Inc. c. Kem-A-Trix (Lubricants) Inc. (1997) 75 C.P.R. (3d) 326. Dans cette affaire, l'avocat avait retardé le dépôt de l'appel à cause d'une maladie qui l'avait empêché d'exercer ses activités. Le diagnostic déposé par la suite était celui de dépression clinique. Il prenait, depuis quelque temps déjà, des antidépresseurs. Dans l'affaire Tom Pac, il était établi que l'avocat du demandeur avait véritablement l'intention d'interjeter appel mais n'avait pas été en mesure de déposer l'avis d'appel. Le juge Dubé a également constaté qu'il n'existait pas d'élément, à part le fait du délai, indiquant que cela causerait une injustice à la partie adverse. Le juge Dubé a examiné ces différents aspects et a ensuite cité l'arrêt Bowen c. Ville de Montréal [1979] 1 S.C.R. 511, dans lequel le juge Pigeon a énoncé le principe pertinent :

Ce principe, c'est qu'une partie ne doit pas être privée de son droit par l'erreur de ses procureurs, lorsqu'il est possible de remédier aux conséquences de cette erreur sans injustice à l'égard de la partie adverse. (page 519)


Ce commentaire a été formulé à l'égard d'une demande de modification, mais il a une portée plus large. Dans Tom Pac, l'appelant a obtenu la prorogation demandée.

      Si l'on applique ces principes au présent contexte, il est possible d'affirmer que l'avocat du défendeur a présenté des éléments solides concernant l'intention constante de signifier un rapport d'expert, concernant le bien-fondé de l'affaire ainsi que l'absence de préjudice. Ces éléments compensent largement l'explication moins convaincante avancée au sujet du retard. Je note ici que les éléments concernant les motifs du retard, soit la maladie, comportent une faiblesse. Cette faiblesse vient du fait que l'ancien avocat de la défense était malade depuis quelque temps qu'il était apparent que celui-ci n'accomplissait pas les tâches qui lui incombaient, et qu'il n'existe aucun élément indiquant la gravité de la maladie avant qu'elle ne soit annoncée aux associés de l'ancien avocat de la défense. À part les déductions que l'on peut tirer des faits établis et de ce qu'a pu déclarer le médecin de l'ancien avocat de la défense, il n'y a que cette personne qui aurait pu témoigner au sujet de sa capacité de travailler au cours des derniers mois : il semble ne pas être en mesure de témoigner ou d'être utile au tribunal à ce sujet.


      Les forces et les faiblesses des éléments énoncés dans Hennelly, montrent, qu'en l'espèce, tout bien considéré, la demande de prorogation de délai présentée par le défendeur est fondée. Compte tenu de l'ensemble des circonstances, y compris des commentaires du juge Pigeon dans l'affaire Bowen au sujet de la préservation des droits des parties, sous réserve de l'injustice causée à la partie adverse, il y a lieu d'accorder la prorogation de délai de façon à donner au défendeur le temps de signifier son rapport d'expert, rapport que l'avocat du demandeur a en sa possession depuis quelques jours. Il est en fait approprié d'accorder la prorogation de façon à ce que justice soit faite entre les parties.

          « John A. Hargrave »          

                                                                                                                          Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 8 mai 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                             T-906-00

INTITULÉ :                                            Armonikos Corporation Ltd. c. Saskatchewan Wheat Pool

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 7 mai 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :    LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                         le 8 mai 2002

COMPARUTIONS:

George J. Pollack                                                                           POUR LA DEMANDERESSE

William M. Burris                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Christopher Elsner                                                                         

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Gowling Lafleur Henderson                                                            POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Bull, Housser & Tupper                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

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