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Date : 20021101

Dossier : IMM-347-02

OTTAWA (Ontario), le 1er novembre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

                                                ELEONORA TOTH et NORA UJLAKI

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                                   

ET

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

                                                                                                                                               « P. Rouleau »                      

ligne

                                                                                                                                                                 Juge                              

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20021101

Dossier : IMM-347-02

Référence neutre : 2002 CFPI 1133

ENTRE :

                                                ELEONORA TOTH et NORA UJLAKI

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                                   

ET

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


[1]                 La présente demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), vise la décision par laquelle la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a refusé, en date du 9 janvier 2002, de reconnaître aux demanderesses le statut de réfugié au sens de la Convention. Les demanderesses prient la Cour de prononcer une ordonnance de certiorari annulant la décision leur refusant le statut de réfugié au sens de la Convention défini au paragraphe 2(1) de la Loi et forçant le renvoi de l'affaire à un tribunal différemment constitué. Subsidiairement, elles demandent à la Cour de déclarer qu'elles répondent à la définition de réfugié au sens de la Convention aux termes du paragraphe 2(1) de la Loi.

[2]                 Les faits de la présente affaire ont été très bien résumés dans les motifs de la SSR. La demanderesse, Eleonora Toth, est une citoyenne de la Roumanie qui était âgée, au moment de l'audition par la SSR, de 35 ans. Nora Ujlaki, âgée de 13 ans, est la fille de la demanderesse et sa revendication est essentiellement fondée sur celle de sa mère.

[3]                 La demanderesse allègue craindre avec raison d'être persécutée en Roumanie aux mains des Roumains de souche, du Service de sécurité roumain (SRI) et des autorités policières roumaines, du fait de son origine ethnique hongroise, de sa religion, à titre de membre de l'Église réformée, et de ses opinions politiques, à titre de membre de l'Union démocratique hongroise de Roumanie (UDMR). La revendicatrice mineure prétend craindre avec raison d'être persécutée en raison de son origine ethnique hongroise et de son appartenance à un groupe social, parce qu'elle est la fille de la demanderesse.


[4]                 À l'appui de sa revendication, la demanderesse fait valoir qu'en mars 1996, alors qu'elle assistait à un service religieux à l'Église réformée dans la région de Baia Mare, cinq agents de la SRI ont interrompu le service et accusé les participants de susciter des sentiments anti-roumains. Elle a été emmenée au quartier général de la SRI et interrogée concernant les activités de l'Église. On l'a également menacée de sévices, elle et sa fille, si elle refusait de fournir des renseignements sur les liens de l'Église avec la Hongrie.

[5]                 La demanderesse soutient qu'en mai 1996, elle a travaillé à un bureau de scrutin, à titre de représentante de l'UDMR, et a été accusée d'avoir tenté d'influencer une vieille dame à voter pour l'UDMR. On lui a ordonné de quitter le bureau de scrutin. Deux jours plus tard, elle a été interrogée par des fonctionnaires, au bureau du directeur du scrutin, à Baia Mare, qui a soumis l'affaire à la police afin qu'elle fasse enquête. En septembre 1996, elle a été convoquée au poste de police et interrogée concernant ses agissements au bureau de vote en mai 1996. Elle a été maltraitée physiquement et détenue toute la nuit. La demanderesse est officiellement devenue membre du parti de l'UDMR en décembre 1996 et elle a alors demandé l'aide du parti pour les accusations qui pesaient contre elle. Toutefois, les représentants de l'UDMR n'ont pas été en mesure de lui garantir que ces accusations seraient abandonnées.


[6]                 La demanderesse fait en outre valoir qu'en avril 1997, elle a participé à la distribution de nourriture et de livres que l'Église réformée avait reçus de Hongrie et d'Allemagne. Deux agents de la SRI et trois soldats sont venus à son appartement, ont confisqué les dons et l'ont injuriée et maltraitée physiquement. En mars 1998, elle et quatre autres personnes ont été arrêtées à l'Église réformée et emmenées au quartier général de la SRI. Elle affirme avoir été maltraitée physiquement par les agents de la SRI et relâchée le lendemain. En septembre 1998, elle a été menacée et maltraitée physiquement par des agents de la SRI parce qu'elle refusait de leur donner des renseignements sur l'Église réformée et l'UDMR. En outre, la demanderesse prétend qu'en mai 1999, elle a été emmenée par deux agents de la SRI à une habitation de villégiature située à environ 40 kilomètres de Baia Mare où elle a été agressée physiquement et violée par l'un d'eux. Entre 1996 et 1999, elle aurait reçu plusieurs appels de menace de la SRI.

[7]                 Finalement, la demanderesse allègue qu'en mai 1990, les triplets (des garçons) auxquels elle a donné naissance ont été enlevés par l'hôpital et les autorités gouvernementales et placés en adoption, en raison de son origine ethnique hongroise.

[8]                 L'audition de la revendication du statut de réfugié de la demanderesse a nécessité deux audiences, l'une le 30 mai 2001 où elle a présenté sa propre preuve en anglais et l'autre, le 29 octobre 2001, en présence d'un interprète hongrois-anglais. L'analyse par la SSR des nombreuses allégations de la demanderesse et de la preuve documentaire volumineuse est résumée dans les paragraphes qui suivent.

[9]                 Premièrement, bien que la preuve présentée par la demanderesse quant à son adhésion à l'Église réformée de Baia Mare ait été jugée crédible, le tribunal a conclu qu'il n'existait aucune preuve documentaire de harcèlement lié à la pratique religieuse de la part de la SRI et de la police roumaine à l'endroit de l'Église réformée. Il a d'ailleurs affirmé ce qui suit à la page 5 de la décision :


Le tribunal a tenu compte de la preuve documentaire qui lui a été présentée concernant le traitement réservé aux membres de diverses sectes religieuses en Roumanie. Cette preuve documentaire indique que la révolution de 1989 en Roumanie a ramené la liberté de religion après des décennies d'efforts communistes visant à contrôler et à minimiser la place de la religion dans la vie nationale. L'église pentecôtiste et, plus particulièrement, d'autres sectes non enregistrées, ont éprouvé des difficultés; même les membres de l'Église orthodoxe, majoritaire, estimaient que le fait de pratiquer ouvertement pourrait faire obstacle à la mobilité professionnelle ascendante. Depuis la révolution, la situation a changé, marquée seulement par le harcèlement occasionnel illicite des fonctionnaires locaux, qui fait obstacle au culte religieux et au prosélytisme. D'autres éléments de preuve présentés au tribunal indiquent que, le 9 septembre 1999, le gouvernement roumain a adopté une nouvelle loi sur les confessions religieuses, qui « garantit le traitement égal de toutes les confessions religieuses par l'État » . On n'a présenté aucune preuve au tribunal selon laquelle la SRI ou les autorités policières locales harcèlent les adeptes de l'Église Réformée ou de toute autre secte religieuse en Roumanie. Le tribunal préfère la fiabilité et l'impartialité de la preuve documentaire susmentionnée qui lui a été présentée à la preuve et au témoignage de la revendicatrice. Le tribunal estime qu'il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que la crainte de persécution aux mains de la SRI ou des autorités policières roumaines en raison de sa religion, alléguée par la revendicatrice, est fondée. [Renvois omis.]

  

[10]            Deuxièmement, la preuve présentée par la demanderesse relativement à son appartenance à l'UDMR a été acceptée par le tribunal mais sa crédibilité a été contestée car le tribunal a tiré, de difficultés relevées dans son témoignage, une conclusion défavorable en affirmant que l'UDMR n'aurait pas négligé de la protéger. La conclusion du tribunal sur ce point était fondée principalement sur la force probante de la preuve documentaire, mais aussi sur diverses affirmations peu vraisemblables relevées dans la preuve de la demanderesse et sur son attitude plutôt discrète au sein de l'UDMR. Par conséquent, le tribunal a noté ce qui suit à la page 6 de ses motifs :


Le tribunal a pris en compte la preuve documentaire qui lui a été présentée concernant le traitement réservé aux Hongrois de souche et aux membres de l'UDMR par la SRI et les autorités policières roumaines. La preuve documentaire présentée au tribunal indique que l'UDMR est bien établie et reconnue comme force politique en Roumanie, ayant fait partie du gouvernement de coalition roumain qui a suivi les élections de 1996. Selon les représentants de la Liga Pro Europa et de l'organisme international Groupement pour les droits des minorités, ainsi que selon l'ancien ministre des Nationalités (député membre de l'UDMR), l'UDMR peut fonctionner sans empêchements. [...] La preuve documentaire présentée au tribunal n'indique nullement si les membres de la minorité hongroise en Roumanie font l'objet d'arrestations systématiques, d'agressions et de mauvais traitements par la SRI ou la police locale, à cause de leur origine ethnique hongroise ou de leur appartenance à l'UDMR.

[...]

Le tribunal a eu de sérieuses inquiétudes quant aux allégations de la revendicatrice selon lesquelles elle était ciblée par la SRI et les autorités policières, en raison de son appartenance à l'UDMR et de ses activités au sein de ce parti. Pour ce qui est des allégations de la revendicatrice selon lesquelles elle a été accusée de fraude électorale par la SRI et les autorités policières, le tribunal estime qu'il n'est pas plausible que les représentants de l'UDMR ne soient pas intervenus au nom de cette dernière auprès des autorités policières lorsqu'elle leur a demandé leur aide, étant donné que l'UDMR est devenue membre du gouvernement de coalition roumain, à la suite des élections de 1996. De manière similaire, le tribunal estime qu'il n'est pas plausible qu'elle ait été incapable d'obtenir l'aide de l'UDMR ou des autorités gouvernementales concernant les menaces et les mauvais traitements dont elle a censément été victime aux mains de la SRI et des autorités policières. Le tribunal préfère la fiabilité et l'impartialité de la preuve documentaire susmentionnée à la preuve et au témoignage de la revendicatrice. [Renvois omis.]

  

[11]            Finalement, le tribunal a décidé qu'il ne croyait pas l'allégation de la demanderesse selon laquelle elle avait été violée par un agent de la SRI, parce qu'elle n'a pas obtenu de rapport médical et que sa preuve n'a pas la force probante de la preuve documentaire. Aux pages 11 et 12 de ses motifs, le tribunal précise ce qui suit :


Compte tenu de la preuve de la revendicatrice, selon laquelle elle a été violée par un agent de la SRI en mai 1990, le tribunal a pris en compte les Directives données par la présidente concernant les Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe. Ayant conclu que la crainte de persécution aux mains de la SRI en raison de sa religion, de sa nationalité ou de ses opinions politiques, alléguée par la revendicatrice, n'était pas fondée, le tribunal s'est ensuite demandé si, dans le contexte des Directives données par la présidente, la crainte de persécution en Roumanie en raison de son appartenance à un groupe social particulier, alléguée par la revendicatrice, était fondée. Conformément à l'arrêt Ward, le sexe est une caractéristique innée; par conséquent, les femmes peuvent constituer un groupe social particulier en vertu de la définition de réfugié au sens de la Convention. La preuve de la revendicatrice indique qu'elle a été emmenée par deux agents de la SRI à une habitation de villégiature située à environ 40 kilomètres de Baia Mare et que pendant qu'elle se trouvait là, elle a été agressée physiquement et violée par l'un d'eux. Pendant cette agression physique, un nævus qu'elle avait sur son estomac a été gratté et a commencé à saigner; après cet incident, elle a dû subir un traitement médical pour enlever ce nævus. Lors de l'audition, on a demandé à la revendicatrice pourquoi elle n'avait pas essayé d'obtenir un rapport médical ou un certificat médical pour corroborer le viol et l'enlèvement de son nævus. Elle a déclaré dans son témoignage qu'elle avait obtenu plusieurs rapports médicaux, mais qu'elle n'avait pas pensé de les conserver. Le tribunal estime que l'explication de la revendicatrice quant aux raisons pour lesquelles elle n'avait pas obtenu de rapport médical pour corroborer un élément central de sa revendication du statut de réfugié n'est ni plausible, ni crédible. Étant donné qu'elle a pu obtenir d'autres rapports médicaux pour corroborer sa revendication du statut de réfugié, le tribunal tire une conclusion négative de son échec à obtenir un rapport médical concernant cet élément de sa revendication.

Le tribunal a étudié la preuve documentaire qui lui a été présentée concernant la violence sexuelle exercée contre les femmes par les agents de police ou les agents de la SRI, en Roumanie. La preuve documentaire présentée au tribunal indique que cette violence contre les femmes, y compris le viol, est encore un problème grave en Roumanie; tant les groupes de défense des droits de la personne ou des femmes ont rapporté que la violence familiale était courante. D'autres sources indiquent que la principale forme de violence à laquelle font face les femmes en Roumanie est la violence physique familiale et le viol commis par un conjoint, ainsi que la difficulté qu'elles ont à obtenir la protection contre les auteurs de cette violence et à avoir accès aux mesures de redressement contre ces agressions. D'autres éléments de preuve documentaire fournissent des renseignements selon lesquels une femme violée par un agent de police en 1993 a reçu un règlement en cour civile et a touché un dédommagement pour dommages moraux. La victime avait été arrêtée et détenue par la police à Bucarest, en raison d'une accusation de détournement de fonds. Toutefois, on n'a présenté aucun autre élément de preuve au tribunal faisant référence à des cas de femmes agressées sexuellement par des agents de la SRI ou les autorités policières. Le tribunal préfère la fiabilité et l'impartialité de la preuve documentaire qui lui a été présentée à la preuve et au témoignage de la revendicatrice. [Renvois omis.]

[12]            Compte tenu des conclusions précédentes quant à la crédibilité de la preuve et du témoignage de la demanderesse et compte tenu de la preuve documentaire présentée, la SSR a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour établir, suivant la prépondérance des probabilités, que la crainte de persécution de la demanderesse aux mains de la SRI ou des autorités policières est fondée. La SSR a jugé qu'il n'existait pas plus qu'une simple possibilité que la demanderesse et sa fille soient victimes de persécution du fait de son origine ethnique hongroise, de sa religion, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un groupe social si elles devaient retourner en Roumanie actuellement.     

[13]            Les demanderesses sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SSR. Mme le juge Layden-Stevenson, par ordonnance prononcée le 21 juin 2002, a autorisé le contrôle judiciaire de cette décision.

[14]            L'avocate des demanderesses a formulé les questions en litige dans les termes suivants :

1) La SSR a-t-elle commis une erreur de droit en tirant, à l'égard des demanderesses, des conclusions défavorables non étayées par la preuve concernant les agissements et les motifs des autorités étatiques et des autres persécuteurs?

2) La SSR a-t-elle commis une erreur de droit en exigeant des demanderesses qu'elles s'acquittent dans la présentation de leur preuve d'un fardeau déraisonnable et en concluant que les demanderesses ne sont pas crédibles parce qu'elles n'ont pas réussi à se décharger de ce fardeau?

3) La SSR a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qu'elle a tirées sans tenir compte des éléments dont elle disposait?


4) La SSR a-t-elle commis une erreur de droit en écartant des éléments de preuve importants concernant la situation en Roumanie et a-t-elle omis de se demander si, à la lumière de l'ensemble de la preuve, les demanderesses craignaient avec raison d'être persécutées?

[15]            Les demanderesses prétendent que la décision de la SSR repose essentiellement sur des conclusions de manque de crédibilité, lesquelles ont été tirées à partir d'inférences non étayées par la preuve, faites sans qu'il soit tenu compte de l'ensemble de la preuve et fondées sur des conclusions de fait erronées.

[16]            En premier lieu, il est allégué que le tribunal n'a pas tenu compte de la preuve documentaire concernant le harcèlement fait aux minorités religieuses en Roumanie. Bien que le tribunal ait dit juste en affirmant que la preuve documentaire n'abordait pas directement la question du harcèlement fait aux membres de l'Église réformée, cette preuve faisait explicitement allusion au harcèlement dont les membres de la confession protestante étaient victimes. Le tribunal n'en a essentiellement pas tenu compte. La demanderesse affirme que la conclusion selon laquelle les membres de l'Église réformée ne sont pas victimes de harcèlement parce que la preuve documentaire n'y fait pas directement allusion est déraisonnable.

[17]            En second lieu, la demanderesse fait valoir que les inférences défavorables faites par le tribunal relativement aux mauvais traitements que la police roumaine lui a fait subir en raison de sa participation aux activités de l'UDMR ne sont aucunement soutenues par la preuve documentaire.

[18]            En dernier lieu, en ce qui a trait à l'agression sexuelle, le tribunal a encore une fois fait une inférence défavorable parce que la demanderesse n'avait pas de certificat médical attestant l'agression et l'ablation du nævus. La demanderesse allègue qu'elle a expliqué qu'il était impossible d'obtenir des copies de ces certificats médicaux et que, pour cette raison, elle avait consulté un médecin au Canada pour prouver le fait qu'elle avait une cicatrice à l'abdomen, comme elle l'avait affirmé dans son témoignage.

[19]            Il est bien établi que la crédibilité est une question de fait qui relève entièrement de la compétence du tribunal de la SSR en tant que juge des faits. Il est loisible au tribunal de conclure qu'un demandeur n'est pas digne de confiance compte tenu d'affirmations peu vraisemblables contenues dans son témoignage, pourvu que ses conclusions ne soient pas déraisonnables et que ses motifs soient énoncés en « termes clairs et explicites » . Voir Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. (C.A.F.) et Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 15 Imm. L.R. (2d) 201 (C.A.F.). Une cour chargée du contrôle judiciaire de la décision ne peut par conséquent intervenir pour modifier les conclusions de fait du tribunal, à moins que cette décision ait été prise de manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve pertinents présentés. En outre, le fardeau qui incombe aux demanderesses pour réfuter la conclusion selon laquelle elles manquaient de crédibilité semble très lourd.

[20]            Toutefois, après avoir étudié soigneusement le dossier certifié du tribunal déposé auprès de la Cour, ainsi que la volumineuse preuve documentaire, j'estime que le tribunal a fait erreur dans l'appréciation de la crédibilité et de la preuve de la demanderesse, pour les motifs exposés ci-dessous.

[21]            La difficulté première de la décision du tribunal est qu'elle semble fondée sur une mauvaise interprétation de la preuve en rapport avec la crainte de persécution de la demanderesse du fait de son origine ethnique hongroise, de sa religion et de ses opinions politiques.

[22]            En ce qui a trait aux allégations de harcèlement fait aux adeptes de l'Église réformée par la SRI et la police roumaine, le tribunal a surtout fait allusion au changement de climat politique survenu en Roumanie. Preuve documentaire à l'appui, le tribunal a conclu que la révolution de 1989 qui a écarté le régime dictatorial de Ceaucescu a amené la liberté de religion.


[23]            J'ai de la difficulté à saisir si le tribunal ne croyait pas les événements que la demanderesse avait vécus dans le passé ou s'il mettait en doute les affirmations selon lesquelles elle subirait un préjudice si elle retournait en Roumanie. Le tribunal semble avoir conclu que le témoignage de la demanderesse n'était pas crédible puisqu'il a estimé qu'il n'y avait aucune preuve directe et précise de préjudices subis aux mains de la SRI ou des autorités policières par les membres de l'Église réformée en Roumanie dans le passé. Si tel est le cas, je soutiens que le tribunal a commis une erreur en appréciant les changements survenus dans ce pays. Dans Salibian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 165, la Cour d'appel fédérale a affirmé qu'il n'était pas nécessaire pour le revendicateur de démontrer que lui ou un membre de son groupe avait été persécuté dans le passé, afin d'établir le bien-fondé de la crainte de persécution. Le tribunal devrait plutôt se demander si la preuve au dossier, combinée aux événements passés, démontre que le revendicateur serait objectivement exposé à un risque s'il retournait dans le pays en cause. Dans la présente affaire, le tribunal semble ne pas s'être conformé à cette démarche.

[24]            Qui plus est, la conclusion du tribunal sur ce point est contredite par certains éléments de la preuve documentaire auxquels il n'a d'ailleurs pas fait référence dans ses motifs. Même s'il est vrai que les documents portant sur la situation qui règne en Roumanie n'abordent pas de façon directe et précise les difficultés éprouvées par l'Église réformée dans ce pays par le passé, la preuve fait cependant état des problèmes graves auxquels la confession protestante a été confrontée et qui opposaient celle-ci aux autorités locales et à l'Église orthodoxe roumaine. Ainsi, dans un document intitulé 1999 Country Reports on Human Rights Practices et publié par le Bureau of Democracy, Human Rights and Labor, U.S. Department of State, en date du 25 février 2000, il est fait état de ce qui suit aux pages 2, 10 et 15 (les pages 174, 182 et 186 du dossier de la demanderesse) :

[traduction] Le harcèlement sociétal dont les minorités religieuses sont victimes demeure encore un problème et les groupes religieux non officiellement reconnus par le gouvernement se plaignent parfois de traitements discriminatoires de la part des autorités.

[...]


La Constitution prévoit la liberté de religion et le gouvernement ne fait généralement pas obstacle à l'observance des croyances religieuses. Cependant, plusieurs confessions ont continué d'alléguer de manière crédible que les fonctionnaires gouvernementaux de bas échelon et le clergé de l'Église orthodoxe roumaine faisaient obstacle à leurs efforts de prosélytisme. La presse a rapporté plusieurs incidents d'adeptes de religions minoritaires qui ont été empêchés par les autres de pratiquer leur foi et d'autorités locales chargées de faire respecter la loi qui ne les ont pas protégés. Les membres des communautés religieuses non officiellement reconnues par le gouvernement ont de nouveau durant l'année accusé les fonctionnaires de harcèlement - des allégations niées par le gouvernement. Le prosélytisme se traduisant par le dénigrement des confessions reconnues est considéré comme de la provocation.

[...]

La plupart des politiciens appartenant aux principaux partis politiques ont publiquement condamné l'antisémitisme, le racisme et la xénophobie. Toutefois, la presse marginale a continué de publier des harangues antisémites. L'Église orthodoxe roumaine s'en est prise au « prosélytisme agressif » des protestants et des néoprotestants.

  

[25]            Il est bien établi que si un tribunal tire une conclusion de fait en interprétant mal la preuve pertinente dont il dispose ou en n'en tenant pas compte et se fonde sur cette conclusion pour faire une analyse défavorable relativement à la crédibilité du revendicateur, la décision est déraisonnable et justifie l'intervention de la Cour. Voir Lai c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 906 (QL) (C.A.F.) et Toro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 532 (QL) (C.F. 1re inst.). Dans la présente affaire, le tribunal n'a pas cru le témoignage de la demanderesse à propos du harcèlement dont les minorités religieuses sont victimes de la part des fonctionnaires locaux en Roumanie. Ce faisant, il a par ailleurs écarté une preuve documentaire pertinente concernant cet aspect de la revendication de la demanderesse. Il était par conséquent déraisonnable pour le tribunal de conclure qu'il n'y avait simplement pas de preuve que les membres de l'Église réformée sont victimes de harcèlement en Roumanie et d'écarter pour ce seul motif cet aspect de la revendication de la demanderesse.


[26]            En outre, la preuve documentaire prise dans son intégralité démontre clairement que, malgré certaines mesures qui visaient à améliorer la situation générale des droits de l'homme en Roumanie après 1989, le dossier des droits de l'homme dans ce pays est encore sérieusement entaché par la discrimination, les mauvais traitements et la mauvaise conduite de la SRI et des autorités chargées de l'application de la loi à l'endroit généralement des Hongrois et plus particulièrement des minorités religieuses et des membres de l'UDMR. Il convient de noter que, mis à part le document mis à jour sur la Roumanie et certains renseignements généraux au sujet du traitement des roumains en Hongrie (contrairement à de l'information plus pertinente sur le traitement de l'ethnie hongroise en Roumanie aujourd'hui), aucun autre document concernant la situation là-bas n'a été mis à la disposition du tribunal par l'agent chargé de la revendication. Bien que la preuve documentaire déposée par la demanderesse fasse état de graves préoccupations concernant l'organisme ayant succédé à la Securitate, la SRI, et de la résurgence de l'abus de pouvoir des policiers en Roumanie, la SSR a refusé de reconnaître que les membres de l'UDMR étaient encore victimes de mauvais traitements même après le changement de régime et les élections de 1996. Le traitement sélectif des divers éléments de la preuve documentaire portant sur la situation en Roumanie par le tribunal est loin de rehausser la confiance que l'on peut avoir à l'égard de son appréciation de la crédibilité de la demanderesse. À mon avis, même s'il lui était entièrement loisible de fonder sa décision sur la preuve documentaire plutôt que sur le témoignage de la demanderesse, le tribunal a fait erreur dans ses conclusions en écartant la preuve pertinente qui soutenait le témoignage de la demanderesse.


[27]            Qui plus est, quant à la conclusion selon laquelle la demanderesse n'était pas crédible, la SSR n'a pas fait état d'incohérences et de contradictions contenues dans son témoignage et elle a plutôt laissé entendre que des parties importantes de son témoignage n'étaient pas plausibles. Le tribunal a tranché qu'il n'était pas plausible que les représentants de l'UDMR ne soient pas intervenus en son nom auprès des autorités policières lorsqu'elle leur a demandé de l'aide, étant donné que l'UDMR a fait partie du gouvernement de coalition roumain après les élections de 1996. Le tribunal a ensuite estimé qu'il n'était pas plausible qu'elle n'ait pas été en mesure d'obtenir de l'aide de l'UDMR ou des autorités gouvernementales concernant les menaces et les mauvais traitements dont elle aurait été victime aux mains de la SRI et des autorités policières. Par ailleurs, la preuve documentaire ne révèle pas si l'UDMR est effectivement en mesure d'intervenir mais, à vrai dire, elle indique au contraire que les membres et les représentants de l'UDMR font l'objet d'arrestations, de harcèlement, d'interrogatoires et de menaces par la police et le ministère public.


[28]            Les deux sections de notre Cour ont constamment soutenu que les décisions de la SSR doivent tenir compte de l'ensemble de la preuve contenue au dossier[1]. Cela ne signifie toutefois pas qu'elle doit résumer toute la preuve ou qu'une décision sera annulée du simple fait que la SSR n'a pas fait référence dans ses motifs à certains éléments précis de la preuve documentaire qui tendent à réfuter une conclusion de fait qu'elle a tirée[2]. Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs du tribunal est importante, plus la Cour aura tendance à déduire de ce silence que le tribunal a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait][3] » . Par conséquent, la SSR est clairement tenue de justifier ses conclusions sur la crédibilité en faisant expressément et clairement état des éléments de preuve, particulièrement ceux qui sont pertinents aux allégations des revendicateurs[4].

[29]            Selon les affirmations du juge en chef adjoint Jerome dans Leung c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 774 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 15, cette obligation devient particulièrement importante dans des cas, tels que celui en l'espèce, où le tribunal a fondé sa conclusion de non-crédibilité sur ce qu'il a jugé être des « invraisemblances » dans les versions des faits des demanderesses plutôt que sur des incohérences et des contradictions internes dans leurs récits ou dans leur comportement lors de leurs témoignages. Les conclusions quant au manque de vraisemblance sont en soi des évaluations subjectives qui dépendent largement de l'idée que les membres du tribunal se font chacun de ce qui constitue un comportement sensé. En conséquence, on peut évaluer l'à-propos d'une conclusion particulière seulement si la décision du tribunal relève clairement tous les faits qui sous-tendent ses conclusions.


[30]            Étant donné que le tribunal a clairement l'obligation de fonder sa décision sur l'ensemble de la preuve et de justifier ses conclusions sur la crédibilité, il faut présumer que ses motifs comportent un compte rendu relativement complet des faits constituant le fondement de sa décision. La SSR commet par conséquent une erreur de droit lorsqu'elle ne fait pas état des éléments de preuve pertinents qui pourraient éventuellement réfuter ses conclusions quant au manque de vraisemblance et n'explique pas pourquoi elle réduit ou élimine la force probante que la preuve devrait avoir[5]. Comme je l'ai mentionné, l'analyse des constatations et des conclusions quant au manque de vraisemblance à la lumière de la preuve documentaire prise dans son ensemble révèle que cette erreur s'est produite en l'espèce. Le tribunal a ou bien fermé les yeux sur des parties importantes de la preuve de la demanderesse, ou bien choisi simplement de ne pas croire cette preuve. Concernant cette dernière hypothèse, il n'y a dans le dossier aucun élément de preuve susceptible de lui servir de fondement.


[31]            Finalement, l'examen du dossier certifié du tribunal révèle que le tribunal a commis une erreur de droit en n'accordant aucune importance à la preuve psychologique de Mme Frizzell qui lui a dûment été présentée et en ne donnant aucun motif pour justifier le rejet de cette preuve dans son ensemble. Notre Cour a affirmé que, même si le tribunal n'est pas tenu de se reporter explicitement à chacun des éléments de preuve dont il a été saisi et qui tendent à réfuter une conclusion de fait qu'il a tirée, ni d'analyser chacun de ceux-ci, cela dépend beaucoup de la pertinence et de la force de la preuve ainsi que de l'importance pour la décision finale relative au fait auquel se rapporte la preuve. Par conséquent, la Cour n'exigera pas de la SSR qu'elle accepte la preuve psychiatrique dans son ensemble, mais seulement qu'elle l'étudie comme il faut.

[32]            Dans le présent cas, j'estime que, dans sa décision de n'accorder aucune importance au rapport d'expert de Mme Frizzell, le tribunal a omis d'attaquer dans ses motifs le contenu de ce rapport et d'expliquer pourquoi il l'écartait. Une lecture attentive du rapport de Mme Frizzell et de la transcription de son témoignage à l'audience ne peut que m'amener à conclure que ce rapport était si pertinent que le fait pour le tribunal de ne pas avoir fait état de cette preuve expressément dans ses motifs constitue une erreur capitale.

[33]            En conclusion, bien que le tribunal ait le droit de tirer des conclusions quant au manque de vraisemblance, celles-ci doivent puiser leur fondement de l'ensemble de la preuve et être clairement justifiées dans les motifs du tribunal. Il n'a été satisfait à aucune de ces conditions en l'espèce puisque le tribunal a écarté des parties importantes de la preuve contraignante touchant certains aspects de la revendication de la demanderesse qui corroboraient son témoignage. On peut dire la même chose du rapport d'expert de Mme Frizzell qui n'a, assez curieusement, même pas fait l'objet d'observations. À la lumière de la preuve psychologique pertinente dont il disposait, le tribunal n'avait certainement aucune raison valable pour l'écarter entièrement.

[34]            Considérant la décision à laquelle j'en suis venu, je n'ai pas besoin de vérifier si le tribunal a fait erreur sur d'autres points de sa décision, même si je suis enclin à penser que bien d'autres conclusions quant au manque de vraisemblance sont également déraisonnables et non étayées par la preuve. Je me contenterai de dire que les erreurs susmentionnées ont fondamentalement entaché l'analyse du tribunal à savoir s'il existait une crainte fondée de persécution si les demanderesses devaient retourner en Roumanie.

[35]            Cela ne veut pas dire, bien entendu, que la conclusion tirée par la SSR en ce qui a trait au bien-fondé de la crainte de persécution de la demanderesse n'aurait pu raisonnablement être celle qu'il lui était loisible de formuler. Cela veut dire simplement que l'analyse faite par la SSR dans les motifs de la présente affaire était imparfaite et insuffisante pour étayer la conclusion qu'elle a tirée sur certains aspects de la revendication de la demanderesse.

[36]            Compte tenu des éléments de preuve qui ont été écartés ou mal interprétés, je n'hésite pas à conclure que les conclusions quant au manque de vraisemblance que la SSR a tirées relativement à au moins deux aspects importants de sa décision n'étaient pas raisonnables et nécessitent l'intervention de la Cour. À la lumière de toutes ces erreurs, j'ai conclu que la voie la plus sûre consiste, par conséquent, à me montrer prudent et à renvoyer l'affaire devant un tribunal différemment constitué de la SSR pour un nouvel examen.


[37]            Pour ces motifs, j'accueille par les présentes la demande de contrôle judiciaire.

  

                                                                                                                                                  « P. Rouleau »                      

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                                                                                                                                                                  Juge                               

  

OTTAWA (Ontario)

Le 1er novembre 2002

   

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

DOSSIER :                                                  IMM-347-02

INTITULÉ :                                                 Eleonor Toth et Nora Ujlaki c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                         Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                       Le 16 septembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         Monsieur le juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :                               Le 1er novembre 2002

   

COMPARUTIONS :

  

D. Jean Munn                                                                     POUR LES DEMANDERESSES

  

W. Brad Hardstaff                                                             POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

  

D. Jean Munn                                                                     POUR LES DEMANDERESSES

Avocate           

  

Morris A. Rosenberg                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                 



[1] Voir, par exemple, Toro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1981] 1 C.F. 652 (C.A.F.); Olmedo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1982] 1 C.F. 125 (C.A.F.) et Okyere-Akosah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration.), [1992] A.C.F. no 411 (QL) (C.A.F.).

[2] Noor Hassan c. (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.); Hassan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1359 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 18.

[3]Cepada-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 17.

[4] Voir, par exemple, Armson c. (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 150 (C.A.F.) et Rajaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.).

[5]Khawaja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1213 (QL) (C.F. 1re inst.) au paragraphe 9; Mirahmud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1541 (QL) (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 24 et 38.

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