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Date : 20010322

Dossier : T-545-00

Référence neutre : 2001 CFPI 232

ENTRE :

PO KIT POON

                                                                                                                               demandeur

                                                                    - et -

                  MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCEET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

INTRODUCTION

[1]                M. Po Kit Poon (le demandeur) interjette appel d'une décision en date du 19 janvier 2000 par laquelle le juge de la citoyenneté Sigmund Reiser a refusé la demande de citoyenneté canadienne du demandeur.


LES FAITS

[2]                Le demandeur est un homme d'affaires de Hong Kong. Il s'est vu accorder le droit d'établissement au Canada le 28 janvier 1995 et a par la suite acheté une maison à Scarborough (Ontario). Il a ouvert des comptes bancaires au Canada et a obtenu un permis de conduire, un numéro d'assurance sociale et une carte d'assurance-maladie de l'Ontario. Il a transféré ses immobilisations au Canada. Il travaille pour une compagnie canadienne et produit des déclarations de revenus au Canada. Ses affaires l'obligent à voyager à l'étranger. Suivant la décision du juge de la citoyenneté, le demandeur a passé en tout 875 jours à l'extérieur du Canada au cours de la période en cause sur les 1 182 jours écoulés entre sa date d'établissement et la date de sa demande de citoyenneté. Le demandeur avait passé 307 jours au Canada au cours de la période en cause.

[3]                Le juge de la citoyenneté a rejeté sa demande parce que le demandeur n'avait pas, dans les quatre ans qui avaient précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans ou 1 095 jours en tout comme l'exige l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29.

THÈSE DU DEMANDEUR


[4]                Le demandeur soutient maintenant que le juge de la citoyenneté a procédé de façon irrégulière à l'examen de sa demande. Le juge aurait en effet mené un interrogatoire au lieu de tenir une entrevue. Le demandeur reproche également au juge de la citoyenneté d'avoir agi irrégulièrement parce qu'il a téléphoné au demandeur le lendemain de son entrevue sans envoyer de préavis ou d'autre notification à l'avocat qui l'accompagnait lors de son entrevue le 28 octobre 1999.

[5]                Le demandeur affirme en outre que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit en interprétant mal les principes de la résidence posés dans l'arrêt Lam c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177.

THÈSE DU DÉFENDEUR

[6]                Le défendeur soutient que la preuve ne permet pas de conclure que le juge de la citoyenneté s'est comporté d'une façon inacceptable ou irrégulière lors de l'entrevue ou en téléphonant par la suite au demandeur.

[7]                Le demandeur a soutenu, lors de l'audition de la présente demande, que suivant le dossier certifié, le juge de la citoyenneté avait décidé de rejeter la demande de citoyenneté du demandeur le 28 octobre 1999. Le défendeur se fonde, à cet égard, sur une formule intitulée « Avis au ministre concernant la décision du juge de la citoyenneté -- Article 5 » [1]. En conséquence, il n'y a aucun élément de preuve qui justifierait l'appel téléphonique subséquent ni d'élément de preuve qui permette de savoir si le juge de la citoyenneté a ajouté foi aux renseignements obtenus.


[8]                Finalement, le défendeur affirme que les motifs invoqués par le juge de la citoyenneté pour justifier son rejet de la demande de citoyenneté présentée par le demandeur ne comportent aucune erreur. Le défendeur affirme que le juge de la citoyenneté a appliqué les bons principes juridiques.

ANALYSE

[9]                Je refuse d'examiner le fond du présent appel, parce que je suis d'avis que celui-ci devrait être accueilli sur le fondement des observations formulées par le demandeur au sujet de l'inopportunité de l'appel téléphonique que le juge de la citoyenneté lui a fait chez lui le lendemain de son entrevue.

[10]            Je n'accepte pas l'argument du défendeur que la décision de rejeter la requête du demandeur avait déjà été prise le 28 octobre 1999 et qu'en conséquence, tout appel téléphonique subséquent n'aurait aucune incidence sur l'impartialité de l'audience.

[11]            Je constate que le défendeur n'a adopté ce point de vue que lors de l'audition de l'appel. Dans le mémoire des faits et du droit qu'il a déposé, le défendeur a indiqué le 19 janvier 2000 comme date de la décision à l'examen. Je suis convaincue que c'est la date à laquelle la décision a effectivement été prise.


[12]            Dans son dossier, le défendeur ne nie pas que l'appel téléphonique a été fait. À l'audition de l'appel, le défendeur a essayé de contester que cet appel avait eu lieu en soulignant que la décision remontait au 28 octobre 1999. Ainsi que je l'ai déjà signalé, je rejette cet argument et je conclus qu'un appel téléphonique a été fait par le juge de la citoyenneté le 29 octobre 1999 comme le demandeur l'a déclaré dans l'affidavit qu'il a déposé dans le présent appel.

[13]            J'accepte les arguments du demandeur suivant lesquels cette façon d'agir du juge de la citoyenneté est inacceptable et qu'elle justifie de faire droit au présent appel. Bien que la procédure suivie par les juges de la citoyenneté saisis de demandes de citoyenneté soit informelle, cette absence de formalités ne permet pas à ces juges de recourir à une procédure d'enquête indépendante. À cet égard, je cite le jugement Cheung (Re) [1995] F.C.J. No. 922, dans lequel Monsieur le juge Rothstein a déclaré ce qui suit au paragraphe 4 :

[TRADUCTION]

De plus, je crois que l'usage consistant pour la Cour de la citoyenneté à recueillir elle-même des éléments d'information est contestable. Si je ne m'abuse, le rôle de la Cour de la citoyenneté consiste à examiner la preuve qui lui est soumise et à rendre une décision sur la foi de cette preuve et non à mener ou à diriger une enquête et à utiliser les renseignements obtenus pour rendre sa décision.


[14]            Bien que les faits de l'espèce ne soient pas exactement les mêmes que ceux qui étaient en litige dans l'affaire Cheung, précitée, je suis d'avis que le principe en cause est le même. Un juge de la citoyenneté doit tenir compte des éléments portés à sa connaissance et doit s'abstenir de pousser son enquête au-delà de l'entrevue qu'il mène.

ORDONNANCE

[15]            L'appel est accueilli. L'affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour qu'il rende une décision sur le fond.

« E. Heneghan »

J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 22 mars 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL. L., trad. a.


                                                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                      SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                                          T-545-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                        Po Kit Poon

c.

Ministre de la Citoyenneté

et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                                            Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 15 mars 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :                                         Madame le juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :                                                 le 22 mars 2001

ONT COMPARU :

Me S. Robins                                                                    pour le demandeur

Me G. George                                                                 pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Sheldon Robins                                                           pour le demandeur

Markham (Ontario)

Me Morris Rosenberg                                                       pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)



[1]Dossier certifié, page 12

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