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Date : 20001020


Dossier : IMM-5248-00


ENTRE

     BALRAJ HARRY AND LATESHA KUNJAN

     demandeurs

    

     - et -

    



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]      À l'audience que j'ai présidé à Toronto le lundi 16 octobre 2000, les demandeurs ont réclamé un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi prise contre eux. Ils devaient être renvoyés à Trinidad le mercredi 18 octobre 2000. À l'issue de l'audience, j'ai indiqué que le sursis serait accordé et qu'il resterait en vigueur jusqu'à la première des dates suivantes :
     premièrement, 30 jours après la communication aux demandeurs de la décision du défendeur concernant leurs demandes de droit d'établissement présentées de l'intérieur du Canada pour des raisons d'ordre humanitaire;
     deuxièmement, 30 jours après le rejet de la demande d'autorisation concernant la demande de contrôle judiciaire qui sous-tend la demande de sursis, si cela devait être le cas; ou
     troisièmement, 15 jours après qu'une décision aura été prise dans le cadre de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire qui est à l'origine de la demande de sursis, si l'autorisation était accordée.

Une ordonnance a été signée le même jour. Elle indiquait que des motifs suivraient. Les voici.

[2]      Les demandeurs, qui sont mari et femme, sont tous deux originaires de Trinidad. M. Harry est arrivé au Canada en qualité de visiteur en décembre 1997. Mme Kunjan est arrivée au Canada en août 1996. Les deux demandeurs ont présenté des revendications du statut de réfugié qui ont toutes deux été rejetées pour cause d'abandon. Concernant la revendication du statut de réfugié et dans leurs rapports subséquents avec l'intimé, les demandeurs ont très peu collaboré pour tenir leur adresse à jour et se présenter aux auditions et aux entrevues prévues. Ils font tous les deux l'objet d'un mandat d'arrestation et ont tous les deux été détenus.
[3]      Les demandeurs ont une enfant, maintenant âgée de 18 mois, qui est née au Canada et qui est donc citoyenne canadienne.
[4]      Les demandeurs ont déposé en septembre 1999 une demande d'autorisation afin de pouvoir demander le droit d'établissement de l'intérieur du Canada pour des raisons d'ordre humanitaire. Le traitement de cette demande n'est toujours pas terminé. Selon l'affidavit de M. Harry, dont je suis saisi, les demandeurs ont été informés en juillet de cette année que leur demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire serait examinée dans les trois ou quatre mois suivant le mois de juillet, c'est-à-dire au cours du mois courant ou en novembre. L'avocate des demandeurs m'a informé que les renseignements les plus récents dont elle disposait était qu'une entrevue concernant la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire était prévue pour janvier 2001.
[5]      Les demandeurs ont été informés le 2 octobre 2000 de la date de leur renvoi, qui devait avoir lieu le 18 octobre. L'avocate des demandeurs a écrit à l'agent chargé du renvoi le lendemain pour demander que celui-ci soit différé. Le 4 octobre, l'agent lui a transmis sa décision de ne pas différer le renvoi. C'est cette décision qui fait l'objet de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire qui sous-tend la demande de sursis à l'exécution de la mesure de renvoi.
[6]      Il est bien établi en droit que pour que soit accueillie une demande de sursis comme celle dont je suis saisi, les demandeurs doivent établir qu'il y a une question sérieuse à instruire dans le cadre de la demande sous-jacente d'autorisation et de contrôle judiciaire, qu'ils subiront un préjudice irréparable si le sursis n'est pas accordé, et que la prépondérance des inconvénients favorise l'octroi du sursis au détriment des intérêts du défendeur qui doit s'acquitter de sa responsabilité législative prévue à l'article 48 de la Loi sur l'immigration1 qui est d'exécuter une mesure de renvoi « [...] dès que les circonstances le permettent » .
[7]      Il est également bien établi en droit que l'obligation du défendeur d'exécuter une mesure de renvoi « [...] dès que les circonstances le permettent » confère à l'agent chargé du renvoi un certain pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi dans les circonstances appropriées. Dans la décision Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)2, mon collègue le juge Nadon écrit ceci au paragraphe 12 :
À mon avis, le pouvoir discrétionnaire que l'agent chargé du renvoi peut exercer est fort restreint et, de toute façon, il porte uniquement sur le moment où une mesure de renvoi doit être exécutée. En décidant du moment où il est « raisonnablement possible » d'exécuter une mesure de renvoi, l'agent chargé du renvoi peut tenir compte de divers facteurs comme la maladie, d'autres raisons à l'encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n'ont pas encore été réglées à cause de l'arriéré auquel le système fait face.
[8]      À l'appui de ce qui précède, le juge Nadon a cité les décisions Paterson c. M.C.I., Jmakina c. M.C.I. et Poyanipur c. M.C.I.3
[9]      La question sérieuse relative à la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire qui m'a été présentée était de savoir si, dans toutes les circonstances de l'espèce, y compris compte tenu du très long délai qui s'est écoulé depuis que la demande des demandeurs fondée sur des raisons d'ordre humanitaire a été déposée et de l'effet que l'exécution de la mesure de renvoi aurait sur l'enfant qui est née au Canada, la décision de refuser le sursis était raisonnable.
[10]      Je souscris entièrement à l'opinion de mon collège le juge Nadon dans Simoes, précité, qu'il exprime dans les termes suivants au paragraphe [11] de ses motifs :
... À mon avis, l'arrêt Baker n'oblige pas l'agent chargé du renvoi à effectuer un examen approfondi de l'intérêt des enfants, et notamment du fait que les enfants sont Canadiens. Cela relève clairement du mandat d'un agent qui examine les raisons d'ordre humanitaire. « Inclure » pareil mandat au stade du renvoi donnerait en fait lieu à la présentation d'une demande préalable à la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, ce qui n'est pas, à mon avis, ce que la loi exige. L'article 48 de la Loi sur l'immigration prévoit ce qui suit : « Sous réserve des articles 49 et 50, la mesure de renvoi est exécutée dès que les circonstances le permettent » . Les articles 49 et 50 traitent des cas de sursis à l'exécution prévus par la loi : par exemple, lorsque le demandeur a interjeté appel et qu'aucune décision n'a encore été rendue, ou lorsque d'autres procédures ont été engagées.
[11]      L'arrêt « Baker » dont il est question dans la citation qui précède est bien entendu l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)4.
[12]      Je ne crois pas cependant que mon collègue prétende que l'agent chargé du renvoi, quand il prend la décision de différer le renvoi, ne devrait pas tenir compte de l'intérêt d'un enfant né au Canada. En l'espèce, l'agente des visas n'a pas ignoré l'enfant né au Canada. Dans ses brefs motifs à l'appui de sa décision de ne pas différer le renvoi, elle écrivait ceci :
[TRADUCTION]

- bien que le couple ait une enfant qui soit citoyenne canadienne, l'enfant est assez jeune pour pouvoir s'adapter facilement à un nouvel environnement.

[non souligné dans l'original]


[13]Cette observation est faite dans le contexte d'une préoccupation découlant du fait que l'entrevue concernant la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire des demandeurs [TRADUCTION] « [...] n'aura vraisemblablement pas lieu avant janvier 2001 » et sans référence au fait que la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire se trouve maintenant entre les mains du défendeur depuis près de 13 mois.

[14]Dans la décision Paterson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)5, Madame le juge Reed écrit ceci au paragraphe [8] :

Le ministre défendeur contrôle la rapidité avec laquelle la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire de la demanderesse peut être traitée. Le défendeur décide du moment d'exécution de la mesure de renvoi (à condition bien entendu que la demanderesse ne « se cache » pas).

[15]En l'espèce, bien que les demandeurs ne se soient pas « cachés » ils n'ont certainement pas collaboré avec le défendeur pour résoudre leurs difficultés en matière d'immigration. Cela dit, le défendeur a été loin de faire preuve de diligence dans le traitement de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, ce qui à mon avis revêt une importance particulière au vu de la préoccupation portant sur l'intérêt supérieur de l'enfant des demandeurs qui est née au Canada. Compte tenu du retard à traiter la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire et de l'intérêt supérieur de l'enfant, je suis convaincu, d'après les faits particuliers de l'espèce et au regard d'un critère préliminaire relativement faible, qu'il y a une question sérieuse à instruire quant à savoir si la décision de l'agent chargé du renvoi de ne pas différer le renvoi était raisonnable au vu des engagements internationaux du Canada concernant les droits des enfants.

[16]      J'aborde maintenant la question du préjudice irréparable et ici encore je fais référence aux motifs de Madame le juge Reed dans la décision Paterson, précitée, où elle écrit ceci au paragraphe [10] :
Si la demanderesse est renvoyée en Grenade, sa fille doit soit partir avec elle, soit rester au Canada avec son père et être séparée de sa mère. Je n'ai aucun doute que cela causera un préjudice irréparable à l'enfant.

    

[17]      En l'espèce, si les demandeurs sont renvoyés à Trinidad, leur enfant née au Canada doit soit partir avec ses parents à Trinidad, soit rester au Canada dans des circonstances qui ne sont pas décrites dans les documents dont je suis saisi. Bien que cette situation soit quelque peu différente de celle dont était saisie Madame le juge Reed, je suis disposé à conclure que, quelle que soit la solution qui sera adoptée, il en résultera un préjudice irréparable pour l'enfant même au cours de la période, peut-être brève, qu'il faudra pour terminer le traitement de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, la durée de cette période étant laissée entièrement à la discrétion du défendeur. Les demandeurs et leur enfant vivent de façon relativement sûre au Canada pour le moment. D'après la preuve dont je suis saisi, leur avenir à Trinidad est au mieux incertain, tant sur le plan économique que sur le plan social. Autant d'incertitude constitue un préjudice irréparable pour la jeune enfant, tout comme cela serait le cas si on la laissait au Canada sans les soins et l'attention de l'un ou l'autre de ses parents.
[18]      À cet égard, et en toute déférence, je suis en complet désaccord avec la conclusion opposée à laquelle est parvenu mon collègue le juge MacKay dans la décision Villareal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)6.
[19]      Comme il a été indiqué ci-dessus, la rapidité avec laquelle la demande des demandeurs fondée sur des raisons d'ordre humanitaire est traitée est une question qui relève entièrement de la discrétion du défendeur et qui ne dépend absolument pas de la volonté des demandeurs. Compte tenu de la forme de l'ordonnance que j'ai rendue en l'espèce, le défendeur peut, à sa discrétion, réduire au minimum la période pendant laquelle le sursis accordé sera en vigueur. Dans les circonstances, je suis convaincu que la prépondérance des inconvénients favorise les demandeurs.
[20]      Pour les motifs précités, et comme il a été indiqué au début du présent document, j'accorde un sursis à l'exécution du renvoi des demandeurs selon les conditions déjà décrites.

                                 Frédéric E. Gibson

     Juge

Ottawa (Ontario)

le 20 octobre 2000

Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

N DU GREFFE :                  IMM-5248-00
INTITULÉ DE LA CAUSE :              BALRAJ HARRY ET LATESHA KUNJAN

     demandeurs

                         - et -
                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendereur

DATE DE L'AUDIENCE :              LE LUNDI 16 OCTOBRE 2000
LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE :          LE JUGE GIBSON

DATE :                      LE 20 OCTOBRE 2000

ONT COMPARU :                 

                         Robin Seligman

                                  Pour les demandeurs
                         Godwin Friday
                                 Pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

                         Robin Seligman
                         Avocate et procureure
                         33, rue Bloor Est, bureau 1000
                         Toronto (Ontario)
                         M4W 3H1
                                 Pour les demandeurs
                         Morris Rosenberg
                                 Sous-procureur général du Canada
                                 Pour le défendeur
__________________

1      R.C.S. (1985), ch. I-2.

2      [2000] A.C.F. n 36.

3      Respectivement, [2000] A.C.F. n 139, [1999] A.C.F. n 1680 et 116 F.T.R. 4.

4      [1999] 2 R.C.S. 817.

5      (2000), 4 Imm.L.R. (3d) 65.

6      [1999] A.C.F. n1754.

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