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     Date : 19990816

     Dossier : T-290-99


OTTAWA (ONTARIO), LE 16 AOÛT 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EN CHEF ADJOINT


Entre

     EDWIN PEARSON,

     demandeur,

     - et -


     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse



     ORDONNANCE


     La Cour,

     Vu l'appel formé par le demandeur contre l'ordonnance rendue le 12 avril 1999 par le protonotaire adjoint Peter A. K. Giles pour suspendre l'action en l'espèce,

     Déboute le demandeur de son appel.

     Signé : John Richard

     _______________________________

     Juge en chef adjoint

Traduction certifiée conforme,


Laurier Parenteau, LL.L.




     Date : 19990816

     Dossier : T-290-99


Entre

     EDWIN PEARSON,

     demandeur,

     - et -


     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


Le juge en chef adjoint RICHARD


LA PROCÉDURE


[1]      Il y a en l'espèce appel formé en application de la règle 51 des Règles de la Cour fédérale (1998) contre une ordonnance du protonotaire adjoint Peter A. K. Giles.

[2]      Par ordonnance en date du 12 avril 1999, celui-ci a débouté la défenderesse de sa requête en ordonnance portant radiation de la déclaration ou dessaisissement de la Cour au profit des tribunaux du Québec, mais a fait droit à sa conclusion subsidiaire à ordonnance portant suspension de l'action devant la Cour en attendant l'issue de la poursuite pénale parallèle, qui est en instance au Québec.

[3]      Par avis de requête en date du 20 avril 1999, le demandeur a formé appel contre la décision du protonotaire, concluant à ce qui suit :

     [TRADUCTION]

     jugement et ordonnance annulant ou levant la suspension d'instance, que M. Peter A. K. Giles, protonotaire adjoint, a prononcée verbalement le 12 avril 1999.

[4]      L'ordonnance du protonotaire adjoint est également contestée par la défenderesse qui conclut à ce qui suit :

     [TRADUCTION]
     ordonnance portant annulation de la disposition de l'ordonnance du protonotaire adjoint Giles, qui a rejeté la fin de non-recevoir tirée par la Couronne du moyen de l'abus des procédures;
     ordonnance portant radiation de la déclaration et rejet de cette action pour cause d'abus des procédures.

[5]      La fin de non-recevoir opposée par la défenderesse a été ajournée indéfiniment en attendant l'issue de l'appel du demandeur.

[6]      À titre subsidiaire, la défenderesse a demandé un délai supplémentaire de 45 jours pour déposer et signifier sa défense au cas où l'appel serait accueilli.

LES FAITS DE LA CAUSE

[7]      Le demandeur avait été jugé par un jury à Montréal sous cinq chefs d'accusation. Après que le jury l'eut trouvé coupable des chefs 1 à 4 et l'eut acquitté du cinquième chef d'accusation, il a conclu à la suspension d'instance pour cause de provocation policière. Le juge de première instance a décidé que ce moyen de défense n'était pas fondé. Il a par conséquent rejeté la requête de l'appelant, confirmé les verdicts de culpabilité prononcés par le jury, et prononcé une peine d'emprisonnement égale à la durée de la détention préventive pour les chefs de condamnation 1 et 2, ainsi que des peines d'emprisonnement simultanées d'un an et de quatre ans pour les chefs de condamnation 3 et 4 respectivement.

[8]      Le demandeur a contesté la décision du juge de première instance devant la Cour d'appel du Québec, qui a confirmé les verdicts de culpabilité prononcés par le jury, mais infirmé la décision du juge. La requête en suspension d'instance a été rejetée, une nouvelle audience ordonnée sur le moyen de défense de la provocation policière, et les déclarations de culpabilité ainsi que les sentences, annulées.

[9]      L'appel était fondé sur la non-divulgation par les employés de la défenderesse à l'accusé de documents relatifs à un indicateur de la police qui avait présenté le demandeur à un agent banalisé à Montréal, le 27 juin 1989. La Cour d'appel a conclu que ce défaut d'information avait faussé la décision de l'accusé, qui de ce fait n'avait pas cité cet indicateur comme témoin à l'audience sur la conclusion à la provocation policière.

[10]      Le demandeur a contesté la décision de la Cour d'appel du Québec devant la Cour suprême du Canada. Celle-ci, par arrêt en date du 9 décembre 1998, a confirmé cette décision. Le pourvoi a donc été rejeté et la décision de la Cour d'appel du Québec maintenue, qui confirmait le verdict de culpabilité et ordonnait une nouvelle audience sur le moyen de la provocation policière.

[11]      Un second procès a eu lieu sous la présidence du juge Boilard de la Cour supérieure du Québec. Cette fois encore, par jugement en date du 11 novembre 1994, la requête du demandeur en suspension d'instance pour cause de provocation policière a été rejetée. Celui-ci a contesté la décision devant la Cour d'appel du Québec, soulevant à cette occasion 24 motifs d'appel. L'appel est toujours pendant.

[12]      Le 24 février 1999, le demandeur a saisi notre Cour de cette action contre la défenderesse du fait des agissements de ses employés, pour conclure aux dommages-intérêts compensatoires, généraux, exemplaires et punitifs pour un total de 13 000 000,00 $. Essentiellement, il argue d'abus conscient et délibéré des procédures et de violations délictueuses des droits qu'il tient de la Charte, de la part de la Couronne et de ses fonctionnaires, employés et mandataires, dans les poursuites pénales devant la Cour supérieure du Québec.

[13]      Ainsi que l'a fait remarquer l'avocat de la défenderesse, l'avis d'appel sur des points de droit, déposé par le demandeur le 16 novembre 1994 auprès de la Cour d'appel du Québec, faisait valoir 24 motifs d'appel. La défenderesse en résume les points ayant un rapport avec l'affaire en instance comme suit :

     (1)      La Couronne a falsifié les documents produits à la défense au titre de la communication des pièces, ce qui a privé le demandeur d'un procès équitable.
     (2)      La police a fait preuve de mauvaise foi, dans le seul but de punir le demandeur et de le mettre en prison pour une longue période.
     (3)      La Couronne a supprimé des éléments de preuve et a sciemment produit des faux témoignages.
     (4)      La Couronne a sciemment et délibérément induit en erreur la défense et le juge de première instance.
     (5)      Le demandeur s'est vu dénier le droit au procès équitable, que garantit l'alinéa 11d) de la Charte, et priver des droits que garantit l'article 7 du même texte.

[14]      Dans cette action, le demandeur cite quatre motifs à l'appui de sa demande de dommages-intérêts :

     (1)      Les mandataires, employés et fonctionnaires de la défenderesse ont, par actes et omissions commis sciemment, intentionnellement, avec malveillance et préméditation, " donné des faux témoignages sur des points importants, pendant qu'ils témoignaient sous serment au procès du demandeur; en outre, ils ont soumis des faux au tribunal de première instance dans le but anticonstitutionnel de priver le demandeur de son droit à la sécurité, à la liberté et au procès équitable, tel qu'il est garanti par les articles 7 et 11d) de la Charte des droits et libertés , Loi constitutionnelle de 1982, Partie 1.
     (2)      Les mandataires, employés et fonctionnaires de la défenderesse ont, par actes et omissions commis sciemment, intentionnellement, avec malveillance et préméditation, privé le demandeur de son droit à la sécurité et à la liberté, que garantit l'article 7 de la Charte des droits et libertés, ainsi que de son droit au procès équitable, que garantit l'article 7 du même texte, en commettant le parjure ci-dessus (paragraphe 15) et en soumettant des faux documents pendant le jugement sur la culpabilité ou l'innocence du demandeur.
     (3)      Les mandataires, employés et fonctionnaires de la défenderesse, par actes et omissions commis sciemment, intentionnellement, avec malveillance et préméditation, ont provoqué le verdict de culpabilité prononcé contre le demandeur et son emprisonnement, et l'ont privé de son droit à la sécurité et à la liberté, en donnant en justice des faux témoignages sur des points importants soumis au jugement de la Cour d'appel du Québec.
     (4)      Les mandataires, employés et fonctionnaires de la défenderesse ont, par actes et omissions commis sciemment et intentionnellement, privé le demandeur d'un procès équitable devant la Cour supérieure du Québec, en violation de l'article 11d) de la Charte des droits et libertés, en faisant fi de leur obligation de lui communiquer des documents importants et nécessaires pour un jugement équitable sur la culpabilité ou l'innocence, et en les supprimant jusqu'en septembre et novembre 1994.

L'argumentation des parties

[15]      Le demandeur soutient que la défenderesse ne peut se voir accorder la suspension d'instance que si elle prouve : (1) qu'il y a un risque imminent de jugement des mêmes questions par deux juridictions différentes; (2) que la suspension est conforme à l'intérêt de la justice; (3) qu'elle ne serait pas inique pour le demandeur; (4) que la suspension s'impose à l'évidence, ou (5) que la poursuite de l'instance se traduirait par une préjudice ou une injustice pour la défenderesse. Il soutient qu'aucune de ces conditions n'a été remplie.

[16]      Le demandeur tient encore qu'il est parfaitement inutile que la Cour d'appel du Québec se prononce sur l'un quelconque des points qu'il fait valoir dans sa demande de dommages-intérêts devant notre Cour.

[17]      La défenderesse soutient que les points soulevés dans la déclaration du demandeur sont en instance devant la Cour d'appel du Québec, et que par conséquent il faut suspendre la procédure devant notre Cour pour prévenir le risque de jugements contradictoires, et que la suspension est ainsi conforme à l'intérêt de la justice.

Le texte de loi applicable

[18]      L'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, prévoit ce qui suit :


50. (1) The Court may, in its discretion, stay proceedings in any cause or matter,

(a) on the ground that the claim is being proceeded with in another court or jurisdiction; or

(b) where for any other reason it is in the interest of justice that the proceedings be stayed.

(2) The Court shall, on the application of the Attorney General of Canada, stay proceedings in any cause or matter in respect of a claim against the Crown if it appears that the claimant has an action or proceeding in respect of the same claim pending in any other court against a person who, at the time when the cause of action alleged in the action or proceeding arose, was, in respect thereof, acting so as to engage the liability of the Crown.

(3) Any stay ordered under this section may subsequently be lifted in the discretion of the Court.

50. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire_:

a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;

b) lorsque, pour quelque autre raison, l'intérêt de la justice l'exige.



(2) Sur demande du procureur général du Canada, la Cour suspend les procédures dans toute affaire relative à une demande contre la Couronne s'il apparaît que le demandeur a intenté, devant un autre tribunal, une procédure relative à la même demande contre une personne qui, à la survenance du fait générateur allégué dans la procédure, agissait en l'occurrence de telle façon qu'elle engageait la responsabilité de la Couronne.


(3) La suspension peut ultérieurement être levée à l'appréciation de la Cour.

La norme d'appel

[19]      La norme applicable aux appels en matière de suspension d'instance a été définie par la Cour suprême du Canada dans Tobiass1 en ces termes :

     La suspension des procédures est une réparation discrétionnaire. Par conséquent, une cour d'appel ne peut pas intervenir à la légère dans la décision d'un juge de première instance d'accorder ou de ne pas accorder cette suspension. La situation en l'espèce ressemble à celle que notre collègue le juge Gonthier a évoquée dans l'arrêt Elsom c. Elsom, [1989] 1 R.C.S. 1367, à la p. 1375 :
         [U]ne cour d'appel ne sera pas justifiée d'intervenir dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge de première instance que si celui-ci s'est fondé sur des considérations erronées en droit ou si sa décision est erronée au point de créer une injustice.

Les principes juridiques en jeu

[20]      L'expression " intérêt de la justice " s'entend de multiples considérations, et non seulement de l'intérêt d'une partie au litige.

[21]      Dans Tobiass, la Cour suprême du Canada a considéré l'application de l'alinéa 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale :

     Bien que le juge Cullen ait tiré son pouvoir de suspendre les procédures de l'al. 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale et non pas de la Charte ou de la common law, les principes qui régissent la suspension des procédures sous leur régime concernent également la présente espèce. L'" intérêt de la justice " mentionné à l'al. 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale n'est pas fondamentalement différent des préoccupations qui nourrissent la jurisprudence élaborée en vertu du par. 24(2) de la Charte, quoique le contexte dans lequel s'applique l'al. 50(1)b) puisse être tout autre.
     Le plus souvent, on demande la suspension des procédures pour corriger l'injustice dont est victime un particulier en raison de la conduite répréhensible de l'État. Toutefois, il existe une " catégorie résiduelle " de cas où une telle suspension peut être justifiée. Le juge L'Heureux-Dubé l'a décrite de cette façon dans l'arrêt R. c. O'Connor , [1995] 4 R.C.S. 411, au par. 73 :
         Cette catégorie résiduelle ne se rapporte pas à une conduite touchant l'équité du procès ou ayant pour effet de porter atteinte à d'autres droits de nature procédurale énumérés dans la Charte, mais envisage plutôt l'ensemble des circonstances diverses et parfois imprévisibles dans lesquelles la poursuite est menée d'une manière inéquitable ou vexatoire au point de contrevenir aux notions fondamentales de justice et de miner ainsi l'intégrité du processus judiciaire.
     Cette catégorie résiduelle, il faut le noter, est une petite catégorie. Dans la grande majorité des cas, l'accent sera mis sur le caractère équitable du procès.

[22]      Pour découvrir ce qui est conforme à l'intérêt de la justice, le juge peut être appelé à examiner diverses circonstances, ce qui fait qu'il faut donner à cette expression un sens large.

[23]      Chaque requête en suspension d'instance doit être jugée à la lumière des circonstances du cas d'espèce. Il ne s'agit pas seulement de considérer et de mettre dans la balance les intérêts des parties, il faut encore assurer l'intégrité du processus judiciaire.

[24]      Dans Harry2, le juge Joyal s'est prononcé en ces termes :

     Dans le cas d'une requête en suspension d'instance, une cour doit nécessairement tenir compte des circonstances actuelles. Elle doit également formuler certaines présomptions. Elle doit présumer que les procédures criminelles se poursuivent de façon relativement diligente et qu'elles se termineront de la même manière. Elle doit également présumer que certaines conclusions judiciaires seront rendues dans ces procédures et qu'elles régleront les points en litige ou du moins contribueront à leur règlement ultime"

[25]      La même question s'est posée devant la Division générale de la Cour de l'Ontario3, et le juge Ground, suivant en cela le juge Joyal, s'est prononcé en ces termes :

     [TRADUCTION]
     Dans une procédure civile n'ayant rien à voir avec le droit de l'accusé à un procès équitable et où il s'agit d'examiner s'il y a lieu d'accorder la suspension d'instance, le juge peut se référer aux décisions portant suspension de l'action civile en attendant l'issue d'une autre action civile et dans lesquelles la cour a mis dans la balance les préjudices éventuels de part et d'autre, compte tenu de tous les facteurs pertinents.

[26]      À la lumière de toutes les preuves et témoignages produits, il a conclu comme suit :

     [TRADUCTION]

     Vu le degré de chevauchement des questions posées dans ces actions et dans les poursuites pénales, vu les questions de crédibilité et de causalité qui pourraient être résolues par ces dernières, et le fait que la suspension d'instance ne causera aucun préjudice aux demandeurs, je conclus qu'il faut suspendre ces actions en attendant l'issue des poursuites pénales contre Peter Fallon père, Peter Fallon fils, et Alberto DoCouto.

[27]      Cette décision a été infirmée en partie par la Cour d'appel de l'Ontario, qui a fait cependant l'observation suivante de la condition nécessaire à remplir pour la suspension d'instance4 :

     [TRADUCTION]

     Il ressort de la jurisprudence en la matière que la condition minimum à remplir pour la suspension d'instance est rigoureuse. Le simple fait qu'une poursuite au criminel est pendante en même temps que la procédure civile n'est pas un motif suffisant pour suspendre cette dernière; v. Stickney v. Trusz, supra. Même la divulgation possible dans la procédure civile de la nature des moyens de défense de l'accusé ou des témoignages auto-incriminants n'est pas nécessairement exceptionnelle; v. Belanger v. Caughell, supra; Stickney v. Trusz, supra; Seaway Trust Co. v. Kilderkin Investments Ltd., supra. Il ne faut pas déroger à cette condition nécessaire rigoureuse du seul fait que c'est la Couronne qui demande la suspension. Il incombe à la partie requérante, qu'elle soit la Couronne ou l'accusé, de s'acquitter de la même obligation, celle de faire la preuve des circonstances extraordinaires ou exceptionnelles. La norme à observer ne se réduit pas au rapport des préjudices éventuels pour la Couronne et à quelque chose de plus rigoureux pour l'accusé. Dans la mesure où le juge des requêtes s'est prononcé dans ce sens, il a commis une erreur.

[28]      En ce qui concerne la suspension, elle a conclu en ces termes :

     [TRADUCTION]

     À notre avis, ni Nash v. Ontario ni Nash v. CIBC Trust Corp. ne porte sur des circonstances extraordinaires ou exceptionnelles au point de justifier la suspension de l'instance. Les appelants Nash et la CIBC Trust ne sont pas parties aux poursuites pénales pendantes et les points litigieux dans ces deux actions sont tout à fait distincts des questions soulevées par les accusations criminelles. L'affaire Falloncrest Financial Corp. v. Ontario est tout autre. Les allégations des appelants dans Falloncrest sont telles que leurs chefs de demande au civil ne seraient guère fondés si la Couronne arrivait à obtenir des verdicts de culpabilité contre les Fallon et DoCouto. L'action civile est la réciproque de la poursuite au criminel. Qui plus est, le mobile qui poussait les appelants dans Falloncrest à intenter leur action contre la Couronne, juste après leur mise en accusation, est suspect. En toute apparence, l'objectif qu'ils visent par l'action civile est d'entraver le processus pénal et d'avoir accès, avant le procès, aux témoins à charge bien au-delà de ce qui est permis à l'audience préliminaire. Nous ne toucherions pas à l'exercice par le juge de première instance de son pouvoir discrétionnaire pour suspendre en l'espèce les procédures civiles en attendant l'issue des poursuites au criminel.

[29]      Dans Biologische Heilmittel Heel GmbH c. Acti-Form5, j'ai analysé la jurisprudence établie par notre Cour dans le contexte de l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale :

     [paragraphe 12] Dans l'affaire Varnam c. Ministre de la Santé et du Bien-être social, le juge McNair a déclaré à la page 36 :
         Une suspension d'instance n'est jamais accordée automatiquement. La question nécessite l'exercice d'un pouvoir judiciaire discrétionnaire pour déterminer si on doit suspendre l'instance vu les faits particuliers de l'affaire. Le pouvoir de suspendre doit être exercé de façon raisonnable et une suspension d'instance sera ordonnée seulement dans les cas les plus évidents. Une ordonnance pour justifier une suspension d'instance doit satisfaire à deux conditions, l'une positive et l'autre négative : (a) le défendeur doit convaincre le tribunal que la poursuite de l'action entraînerait une injustice parce qu'elle serait oppressive ou vexatoire pour lui ou qu'elle constituerait un abus des procédures du tribunal d'une façon ou d'une autre; et (b) la suspension d'instance ne doit causer aucune injustice au demandeur. Dans les deux cas, la charge de la preuve incombe au défendeur. Les dépenses et les inconvénients causés à une partie et l'éventualité d'un rejet de l'action si l'appel est accueilli ne constituent pas des faits particuliers suffisants pour accorder une suspension.

[30]      L'affaire en instance est différente de la cause Biologische Heilmittel Heel GmbH, où il y avait une action civile en imitation frauduleuse devant la cour supérieure provinciale et une action en violation de marque de commerce devant notre Cour, chaque procédure portant sur une cause d'action distincte. En l'espèce, comme dans l'affaire Nash6, les deux procédures sont liées : la procédure civile est la réciproque des moyens de défense proposés par le demandeur dans la poursuite au criminel, qui est pendante au Québec.

ANALYSE

[31]      Bien que le redressement recherché dans une action en dommages-intérêts devant notre Cour soit différent du redressement recherché en matière pénale, le demandeur fait valoir essentiellement les mêmes moyens dans l'une et l'autre procédures, et le point litigieux est le même. Comme noté supra, l'action civile est la réciproque du moyen de défense du demandeur dans le procès criminel.

[32]      La question ultime à trancher est la prétention par le demandeur qu'il s'est vu dénier un procès équitable en Cour supérieure du Québec, en violation de l'alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, par suite du défaut par la défenderesse de communiquer des documents importants et par la suppression des documents de perquisition, qui étaient importants et nécessaires au jugement équitable sur la culpabilité ou l'innocence.

[33]      Le demandeur a soulevé cette question pour la première fois dans son procès criminel devant les tribunaux du Québec; il faut qu'elle soit tranchée d'abord par la Cour supérieure et par la Cour d'appel du Québec.

[34]      Vu le degré de chevauchement entre cette action et le procès criminel sur un point qui pourrait être résolu dans ce dernier, et étant donné que la suspension de la procédure civile ne causera aucun préjudice au demandeur, il y a lieu de suspendre l'action soumise à notre Cour, en attendant l'issue du procès criminel du demandeur devant les tribunaux du Québec.

C0NCLUSION

[35]      Je conclus dans ces conditions que le protonotaire a judicieusement exercé son pouvoir discrétionnaire en suspendant cette action.

[36]      Par ces motifs, la Cour déboute le demandeur de son appel.

[37]      En ce qui concerne la défense de la défenderesse, je lui aurais accordé, si j'avais fait droit à cet appel, 45 jours à compter de la date de mon ordonnance pour la déposer et signifier.


     Signé : John Richard

     _______________________________

     Juge en chef adjoint

Ottawa (Ontario),

le 16 août 1999







Traduction certifiée conforme,



Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER No :              T-290-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Edwin Pearson c. Sa Majesté la Reine


LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)


DATE DE L'AUDIENCE :      31 mai 1999


MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE EN CHEF ADJOINT RICHARD


LE :                      16 août 1999



ONT COMPARU :


Edwin Pearson                  pour le demandeur

Scott McCrossin                  pour la défenderesse



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Edwin Pearson occupant pour lui-même      pour le demandeur

Morris Rosenberg                  pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391.

2      Harry c. Canada (1987), 17 F.T.R. 236 (1re inst.).

3      Falloncrest Financial Corp. v. Ontario; Nash v. Ontario, [1995] O.J. No. 1931 (Div. gén. Ont.).

4      Nash et al. v. Ontario, [1995] O.J. No. 4043 (C.A. Ont.).

5      Biologische Heilmittel Heel GmbH c. Acti-Form (1995), 103 F.T.R. 212 (1re inst.).

6      Voir note 4 supra.

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